Pourquoi il faut sacrer des évêques

Dans une confé­rence de presse à Ecône le 15 juin 1988, Mgr Lefebvre expose aux jour­na­listes les rai­sons pour les­quelles il est impos­sible de faire confiance aux auto­ri­tés romaines dans les condi­tions de la crise de l’Eglise actuelle et pour­quoi il est abso­lu­ment néces­saire de pro­cé­der à des sacres épiscopaux.

Afin d’ex­pli­quer les sacres épis­co­paux à venir pour le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre convoque les médias à Ecône. Le 15 juin, il tient une confé­rence de presse, à peine des­cen­du de voi­ture, de retour d’un voyage. Le dos­sier de presse éta­bli par le direc­teur du sémi­naire, l’ab­bé Alain Lorans, com­porte une « décla­ra­tion publique du pré­lat » res­tée dans ses papiers depuis sa rédac­tion le 19 octobre… 1983 : « Pour sau­ve­gar­der le sacer­doce catho­lique qui conti­nue l’Eglise et non une Eglise adul­tère, y lit-​on, il faut des évêques catholiques. »

L’exposé ter­mi­né, les ques­tions fusent dans la grande salle de classe où se pressent plus de cent jour­na­listes.
- Le schisme va écar­ter de vous de nom­breux fidèles…
- Eh bien ! nous ver­rons. Et même si cela dure dix ou vingt ans.

Mgr Lefebvre se prête à toutes les ques­tions avec un calme, une com­plai­sance qui stu­pé­fie les repor­ters. Ce qui n’empêche pas l’un d’eux, très franc, de confier à un sémi­na­riste à la sor­tie : « Votre patron, je vais le descendre ! » 

La conférence de presse audio

Transcription de la conférence

Nous nous sommes per­mis de vous invi­ter comme nous l’avions fait il y a main­te­nant treize ans en 1975, au moment des évé­ne­ments dif­fi­ciles entre Rome et Écône et qui nous frap­paient. Nous sommes de nou­veau, on pour­rait dire, à un été chaud.

Avant d’en arri­ver tout de suite aux évé­ne­ments de ces der­niers jours et des jours pro­chains, je vou­drais d’abord vous faire un petit expo­sé afin que vous com­pre­niez mieux la situa­tion, et que dans les compte ren­dus que vous écri­rez dans les jour­naux, vous puis­siez faire, autant que pos­sible, des rap­ports objectifs.

Il faut pla­cer les évé­ne­ments qui se passent aujourd’hui et qui vont se pas­ser demain – par­ti­cu­liè­re­ment la consé­cra­tion épis­co­pale de quatre jeunes évêques le 30 juin – dans le contexte de nos dif­fi­cul­tés avec Rome, non seule­ment depuis 1970, depuis la fon­da­tion d’Écône, mais depuis le Concile.

Au Concile, moi-​même et un cer­tain nombre d’évêques nous avons lut­té contre le moder­nisme et contre les erreurs que nous esti­mions inad­mis­sibles et incom­pa­tibles avec la foi catho­lique. Le pro­blème de fond, c’est cela. C’est une oppo­si­tion for­melle, pro­fonde, radi­cale, contre les idées modernes et moder­nistes qui sont pas­sées à tra­vers le Concile.

Vous me direz, mais qu’est-ce que vous enten­dez par là ? Eh bien je vais vous citer quelques sujets de ce moder­nisme. Ce sont par exemple l’acceptation des Droits de l’homme de 1789.

C’est le droit com­mun dans la socié­té civile, de toutes les reli­gions c’est-à-dire le prin­cipe de la laï­ci­té de l’État.

C’est l’œcuménisme ou l’association de toutes les reli­gions. C’est Assise, c’est Kyoto, ce sont les visites à la Synagogue, au Temple pro­tes­tant ; et dans l’Église c’est la col­lé­gia­li­té, avec les synodes, les confé­rences épis­co­pales, le chan­ge­ment de la litur­gie, le chan­ge­ment de la caté­chèse, l’augmentation de la par­ti­ci­pa­tion des laïcs et des femmes dans les domaines reli­gieux. Vous en avez par­lé dans vos jour­naux, vous connais­sez bien ces choses-​là puisque tout cela a paru à l’occasion des synodes de Rome. C’est la néga­tion du pas­sé de l’Église. Il y a un com­bat qui est mené dans l’Église pour faire dis­pa­raître le pas­sé, la Tradition de l’Église. Cette per­sé­cu­tion conti­nuelle contre ceux qui veulent demeu­rer catho­liques, comme l’étaient les papes avant Vatican Il. Voilà notre posi­tion. Nous conti­nuons ce que les papes ont ensei­gné et ont fait avant Vatican II. Nous nous oppo­sons à ce qu’ont fait les papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-​Paul II actuel­le­ment, parce qu’ils ont accom­pli une rup­ture avec leurs pré­dé­ces­seurs. Nous pré­fé­rons la tra­di­tion de l’Église à l’œuvre de quelques rares papes qui s’opposent à leurs prédécesseurs.

Cependant nous avons vou­lu gar­der le contact avec Rome, au cours de ces années, depuis 1976, au moment où nous avons reçu la sus­pens a divi­nis, parce que nous conti­nuions à faire des ordi­na­tions sacer­do­tales. Nous avons vou­lu gar­der le contact avec Rome, espé­rant que la Tradition retrou­ve­rait un jour ses droits. Mais ce fut peine perdue.

Devant le refus de Rome de prendre en consi­dé­ra­tion nos pro­tes­ta­tions et nos demandes de retour à la Tradition, et devant mon âge car j’ai main­te­nant 82 ans, je suis dans ma 83me année, il est évident que je sens la fin venir, il me faut un suc­ces­seur. Je ne peux pas lais­ser cinq sémi­naires à tra­vers le monde, sans évêque pour ordon­ner ces sémi­na­ristes, puisqu’on ne peut pas faire de prêtres sans évêque. Et que tant qu’il n’y aura pas d’accord avec Rome, il n’y aura pas d’évêques qui accep­te­ront de faire des ordi­na­tions. Donc je me trouve dans une impasse abso­lue et j’ai un choix à faire : ou bien mou­rir et lais­ser mes sémi­na­ristes comme cela dans l’abandon et lais­ser mes sémi­na­ristes orphe­lins, ou bien faire des évêques. Je n’ai pas le choix.

Alors j’ai deman­dé à Rome plu­sieurs fois : laissez-​moi faire des évêques, permettez-​moi d’avoir des suc­ces­seurs. C’est pour­quoi, le 29 juin der­nier (1987), j’ai fait une allu­sion claire dans ma pré­di­ca­tion ici à Écône à l’occasion de l’ordination des sémi­na­ristes. J’ai dit, je vais faire des consé­cra­tions épis­co­pales puisque Rome ne veut pas m’écouter, ne veut pas entendre et nous aban­donne. Je me vois obli­gé de me don­ner des suc­ces­seurs. Par consé­quent le 25 octobre pro­chain, je consa­cre­rai des évêques pour ma suc­ces­sion. Grand émoi à Rome !

C’est à par­tir de cette décla­ra­tion que Rome s’est émue, pro­fon­dé­ment, et que j’ai reçu une lettre le 28 juillet, après avoir ren­con­tré le car­di­nal Ratzinger le 14 juillet, auquel j’ai dit : « Ou Rome m’accorde de faire des évêques, ou je les fais moi-​même ». Dans , le car­di­nal Ratzinger m’a répon­du : « Pour ce qui est des évêques, il faut attendre que votre Fraternité soit recon­nue. Pour le reste, nous pou­vons peut-​être vous faire des conces­sions, sur la litur­gie, sur l’existence de vos sémi­naires et ensuite à la rigueur vous envoyer un visi­teur ».

J’avais deman­dé effec­ti­ve­ment une visite, pour que l’on nous connaisse puisque l’on ne nous connais­sait pas, on ne venait pas nous voir. Il y a donc eu une ouver­ture de la part de Rome à ce moment-​là. J’avoue que j’ai beau­coup hési­té. Est-​ce que je devais accep­ter cette ouver­ture ou est-​ce que je devais la refu­ser. J’avais bien envie de la refu­ser parce que je n’ai aucune confiance dans ces auto­ri­tés romaines, je dois bien le dire, car leurs idées sont com­plè­te­ment oppo­sées aux nôtres. Nous ne sommes pas du tout sur la même lon­gueur d’ondes, je n’avais donc aucune confiance.

Nous avions tou­jours été per­sé­cu­tés, c’était encore l’époque de Port-​Marly, de la per­sé­cu­tion de l’abbé Lecareux pour ses paroisses, approu­vée par Rome d’ailleurs, les évêques étant approu­vés par Rome. Tout cela ne nous ins­pi­rait pas du tout confiance de nous mettre dans les mains de Rome, d’une Rome qui com­bat­tait la Tradition.

Cependant nous avons vou­lu faire un effort : essayons, nous allons son­der quelles vont être les dis­po­si­tions de Rome à notre égard. C’est dans cet esprit-​là que je suis allé à Rome et qu’ensuite nous avons reçu la visite du car­di­nal Gagnon. Il semble que cette visite a été favo­rable. J’avoue que je n’en sais rien, puisque je n’ai pas eu un seul mot du résul­tat de cette visite qui a eu lieu il y a sept mois. Je l’ai dit au car­di­nal Ratzinger : c’est inad­mis­sible. On fait une visite pour savoir si nous fai­sons bien, si nous fai­sons mal, s’il y a des reproches à nous faire, s’il y a des com­pli­ments à nous faire, et l’on ne nous dit rien. Je n’ai rien su de la visite en 1974 des deux pré­lats belges qui sont venus visi­ter le sémi­naire voi­là main­te­nant qua­torze ans. Je n’ai jamais reçu une seule ligne me disant quel était le résul­tat de cette visite.

Alors le car­di­nal Gagnon est venu, et puis ensuite on nous a pro­po­sé des col­loques pour réa­li­ser un pro­to­cole pré­pa­rant un accord des­ti­né à mettre en place les ins­ti­tu­tions qui auraient régi la tra­di­tion. Nous avons donc eu ces col­loques. J’avoue que j’aurais bien vou­lu par­ti­ci­per moi-​même au pre­mier des col­loques, mais ils ont pré­fé­ré que je n’y sois pas et que je désigne un théo­lo­gien et un cano­niste. C’est ce que j’ai fait. J’ai dési­gné M. l’abbé Tissier de Mallerais et M. l’abbé Laroche pour se rendre à Rome, pour s’entretenir avec des repré­sen­tants du car­di­nal Ratzinger. Ils étaient trois : un théo­lo­gien, un cano­niste et le P. Duroux qui pré­si­dait cette réunion.

Une pre­mière rédac­tion a été mise au point après quarante-​huit heures, réglant les ques­tions doc­tri­nales et les ques­tions dis­ci­pli­naires. Nous avons été sur­pris de voir qu’ils vou­laient nous faire signer un texte doc­tri­nal. Étant don­née l’ouverture qu’avait mani­fes­tée le car­di­nal Ratzinger par sa lettre du 28 juillet 1987, l’année der­nière, il n’était plus ques­tion de pro­blèmes doc­tri­naux. Nous avons donc été un peu sur­pris que l’on nous remette sous les yeux ce qui avait fait l’objet d’une incom­pré­hen­sion pen­dant quinze ans. Nous étions oppo­sés par des ques­tions doc­tri­nales pré­ci­sé­ment. Mais comme l’article 3 de la par­tie doc­tri­nale du pro­to­cole assu­rait que nous pou­vions recon­naître qu’il y avait des points dans le Concile, dans la litur­gie et dans le Droit canon qui n’étaient pas par­fai­te­ment conci­liables avec la Tradition, alors cela nous a satis­fait. En quelque sorte on nous don­nait satis­fac­tion sur ces points-​là. Cela nous per­met­tait de dis­cu­ter des points dans le Concile, dans la litur­gie, et dans le Droit canon. C’est ce qui nous a per­mis de signer ce pro­to­cole doc­tri­nal, sans quoi nous ne l’aurions pas signé.

Et puis venaient ensuite les ques­tions dis­ci­pli­naires. Il y avait sur­tout la ques­tion de l’évêque, celle d’un bureau à Rome, bureau dans lequel Rome aurait eu cinq membres et nous seule­ment deux. Cela ne nous plai­sait pas beau­coup. Nous avons dis­cu­té parce que nous trou­vions que vrai­ment nous étions mis en mino­ri­té dans ce bureau de Rome. Mais d’autre part, ensuite, dans une cer­taine mesure, nous étions exempts de la juri­dic­tion des évêques.

Au cours d’une seconde réunion, cette fois avec le car­di­nal Ratzinger et moi-​même et avec les dif­fé­rents théo­lo­giens, cano­nistes, qui avaient déjà dis­cu­té entre eux, nous sommes arri­vés à une conclu­sion, sur le papier, accep­table. Le car­di­nal Ratzinger a d’abord signé ; moi j’ai signé le 5 mai à Albano. Le pro­to­cole était donc signé.

La presse a annon­cé : accord entre Mgr Lefebvre et le Vatican. Il semble que les choses s’arrangent, que tout va s’arranger. Personnellement comme je vous l’ai dit, j’allais avec méfiance. J’ai tou­jours éprou­vé un sen­ti­ment de méfiance et je dois avouer que j’ai tou­jours pen­sé que tout ce qu’ils fai­saient c’était pour par­ve­nir à nous réduire, à accep­ter le Concile et les réformes post-​conciliaires. Ils ne peuvent admettre, et d’ailleurs le car­di­nal l’a dit récem­ment dans une inter­view à un jour­nal allemand :

Nous ne pou­vons pas accep­ter qu’il y ait des groupes, après le Concile, qui n’admettent pas le Concile et les réformes qui ont été faites après le Concile. Nous ne pou­vons pas admettre çà.

Le car­di­nal l’a plu­sieurs fois répété :

« Monseigneur il n’y a qu’une Église, il ne peut pas y avoir d’Église paral­lèle ». Je lui ai dit : « Éminence ce n’est pas nous qui fai­sons une Église paral­lèle puisque nous conti­nuons l’Église de tou­jours, c’est vous qui faites l’Église paral­lèle en ayant inven­té l’Église du Concile, celle que le car­di­nal Benelli a appe­lé l’Église conci­liaire, c’est vous qui avez inven­té une église nou­velle, pas nous, c’est vous qui avez fait de nou­veaux caté­chismes, de nou­veaux sacre­ments, une nou­velle messe, une nou­velle litur­gie, ce n’est pas nous. Nous, nous conti­nuons ce qui a été fait aupa­ra­vant. Ce n’est pas nous qui fai­sons une nou­velle Église ».

Nous avons donc sen­ti, tout au cours de ces col­loques, un désir, une volon­té de nous rame­ner au Concile.

Bien. Malgré tout, j’ai signé, j’ai essayé de mon­trer de la bonne volon­té mais dès le jour même où nous avons déci­dé de signer, à pro­pos de l’évêque j’ai deman­dé au car­di­nal Ratzinger : « Alors, main­te­nant, nous allons signer le pro­to­cole, est-​ce que vous pour­riez déjà nous don­ner la date pour la consé­cra­tion de l’évêque »(c’était le 4 mai). « Vous avez le temps d’ici le 30 juin de me don­ner le man­dat pour l’évêque. J’ai moi-​même par­ti­ci­pé à la pré­sen­ta­tion des évêques quand j’étais Délégué apos­to­lique, pour trente-​sept évêques, je sais com­ment cela se fait. » J’avais pré­sen­té les noms. Les noms étaient déjà sur le bureau du Vatican, trois noms, c’est ce qu’on appelle la ter­na. C’est un terme clas­sique à Rome pour dire les trois noms des évêques qui sont pro­po­sés, et le Saint-​Siège choi­sit par­mi ces trois noms. J’ai donc don­né trois noms. « D’ici le 30 juin vous avez le temps de pré­pa­rer, de faire une enquête et de me don­ner le man­dat.

Ah ! non, non, non, c’est impos­sible ; le 30 juin, impossible.

– Alors quand ? Le 15 août ? À la fin de l’année mariale ? Ah ! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n’y a plus per­sonne. Du 15 juillet au 15 sep­tembre ce sont les vacances, il ne faut pas comp­ter sur le 15 août, ce n’est pas possible.

– Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ?

– Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire.

– Pour Noël ?

– Je ne peux pas vous le dire ».

J’ai dit : « C’est fini, j’ai com­pris. On veut nous mener en bateau, c’est ter­mi­né, c’est fini, je n’ai plus confiance ». J’avais bien rai­son de ne pas avoir confiance, on est en train de nous jouer. J’ai per­du confiance com­plè­te­ment. Et le jour même, le 5 mai, j’ai écrit une lettre au Pape et une lettre au car­di­nal Ratzinger en disant : « J’avais espé­ré arri­ver à un résul­tat, je crois que c’est ter­mi­né. Nous voyons très bien. Il y a une volon­té de la part du Saint-​Siège de vou­loir nous sou­mettre à ses volon­tés et à ses orien­ta­tions. C’est inutile de conti­nuer. Nous sommes tout à fait oppo­sés l’un à l’autre. »

Grand émoi évi­dem­ment à Rome à ce moment-​là, au sujet de cette lettre que j’ai écrite : « Comment, vous dénon­cez le pro­to­cole ? Ce n’est pas per­mis, c’est lamentable ».

Oui, mais je puis vous lire rapi­de­ment quelques extraits de cette lettre que j’ai écrite : c’était le 6 mai. Au cour­rier du car­di­nal était joint un pro­jet de lettre à faire au Pape dans lequel il fal­lait que je demande par­don non pas pour ça, mais pour tout ce qui a été fait au cours de ces treize années pas­sées, pour les torts que j’avais pu avoir, même en toute bonne foi. Ce sont eux qui écrivent cela pour que je le signe ; ce n’est pas moi. « En toute bonne foi on peut com­mettre des erreurs. Ainsi je vous prie hum­ble­ment de par­don­ner tout ce qui dans mon com­por­te­ment ou celui de la Fraternité, a pu bles­ser le Vicaire du Christ et l’Église ».

Toutes ces choses que l’on avait aban­don­nées, on les remet­tait de nou­veau sous nos yeux. Les tra­cas­se­ries que l’on remet­tait sous nos yeux mani­fes­taient qu’il n’y avait pas de bonne volon­té vis-​à-​vis de nous, et que le seul désir du Saint-​Siège était de nous rame­ner au Concile et aux réformes.

C’est pour­quoi on vous a remis la lettre qu’en défi­ni­tive j’ai écrite au Pape le 2 juin.

« Très Saint-​Père, les col­loques et entre­tiens avec le car­di­nal Ratzinger et ses col­la­bo­ra­teurs, bien qu’ils aient eu lieu dans une atmo­sphère de cour­toi­sie et de cha­ri­té, nous ont convain­cu que le moment d’une col­la­bo­ra­tion franche et effi­cace n’est pas encore arri­vé », étant don­né que le but de cette récon­ci­lia­tion n’est pas du tout le même pour le Saint-​Siège que pour nous. J’ajoutais : « C’est pour­quoi nous nous don­ne­rons nous-​même les moyens de pour­suivre l’œuvre que la Providence nous a confiée ».

Évidemment affo­le­ment à Rome ! J’ai reçu, après, une lettre du Saint-​Père, signée de lui-​même, me sup­pliant de gar­der l’unité, l’unité de l’Église, de ne pas divi­ser l’Église, de demeu­rer dans la fidé­li­té à l’Église.

Mais pré­ci­sé­ment, nous ne sommes pas dans la même véri­té. Pour eux la véri­té est évo­lu­tive, la véri­té change avec le temps, et la Tradition : c’est Vatican II aujourd’hui. Pour nous la Tradition c’est ce que l’Église a ensei­gné depuis les apôtres jusqu’à nos jours. Pour eux, non, la Tradition c’est Vatican II qui résume en lui-​même tout ce qui a été dit pré­cé­dem­ment. Les cir­cons­tances his­to­riques sont telles que main­te­nant il faut croire ce que Vatican II a fait. Ce qui s’est pas­sé avant, ça n’existe plus. Cela appar­tient au temps pas­sé. C’est pour­quoi le car­di­nal n’hésite pas à dire « Le Concile Vatican II est un anti-Syllabus ». On se demande bien com­ment un car­di­nal de la Sainte Église peut dire que le Concile de Vatican II est un anti-Syllabus, acte très offi­ciel du Pape Pie IX dans l’encyclique Quanta Cura. C’est inimaginable.

J’ai dit un jour au car­di­nal Ratzinger : « Éminence, il faut que nous choi­sis­sions : ou bien la liber­té reli­gieuse telle qu’elle est dans le Concile, ou bien le Syllabus de Pie IX. Ils sont contra­dic­toires et il faut choi­sir. » Alors il m’a dit : « Mais Monseigneur nous ne sommes plus au temps du Syllabus.

– Ah ! ai-​je dit, alors la véri­té change avec le temps. Alors ce que vous me dites aujourd’hui, demain ce ne sera plus vrai. Il n’y a plus moyen de s’entendre, on est dans une évo­lu­tion conti­nuelle. Il devient impos­sible de parler ».

Ils ont cela dans l’esprit. Il m’a répé­té : « Il n’y a plus qu’une Église, c’est l’Église de Vatican II. Vatican II repré­sente la Tradition ». Malheureusement, l’Église de Vatican II s’oppose à la Tradition. Ce n’est pas la même chose.

Alors le Pape me sup­plie de ne pas bri­ser l’unité de l’Église. Il me menace des peines cano­niques si je fais ces consé­cra­tions le 30 juin prochain.

Je vous avoue que l’ambiance dans laquelle se sont dérou­lés les col­loques pré­cé­dant la rédac­tion du pro­to­cole, puis les faits qui ont atteint ceux qui se sont ral­liés à Rome donnent à réfléchir.

Je prends l’exemple de Dom Augustin, qui a un couvent à Flavigny dans lequel il y a vingt-​quatre prêtres que j’ai moi-​même ordon­nés, des béné­dic­tins, et qui me quitte et me dit : « Monseigneur, je ne peux plus res­ter avec vous, je me ral­lie à Rome ; je rentre dans l’obéissance avec Rome ; je ne peux pas res­ter avec vous. » Bien, il s’est ral­lié à Rome avec l’espoir qu’on lui gar­de­rait la Tradition, qu’il conser­ve­rait dans son monas­tère, c’est-à-dire la messe tra­di­tion­nelle pour ses moines, pour la messe conven­tuelle. Eh bien, Rome a exi­gé que pour la messe conven­tuelle ce soit la messe du Concile et non pas la messe ancienne. Au lieu de nous dire vous pou­vez gar­der la Tradition, on change la Tradition.

Prenons un deuxième exemple ; Encore un monas­tère : Fontgombault. Ils ont accep­té par obéis­sance de gar­der pen­dant quinze ans la messe nou­velle ; parce que les évêques avaient dit qu’il fal­lait prendre la messe nou­velle, ils l’ont fait. Vient l’indult de Rome ; tous ceux qui ont accep­té la messe nou­velle, désor­mais pour­ront dire la messe ancienne. Cela s’appliquait par­fai­te­ment à Fontgombault. Refus de l’archevêque de Bourges. Vous ne pou­vez pas dire la messe ancienne pour la messe conven­tuelle. Vous devez gar­der la messe nou­velle, c’est comme çà. L’abbé de Fontgombault va voir à la Congrégation du Culte à Rome, Mgr Mayer, qui lui dit : « Vous savez c’est dif­fi­cile, essayez donc de voir le Pape ». Le Pape le ren­voie au car­di­nal Mayer disant : « Faites un effort, peut-​être on pour­ra arran­ger cela… » Le car­di­nal Mayer finit par le ren­voyer à l’évêque de Bourges, et ils sont tou­jours avec la messe nou­velle pour la messe conventuelle.

Et pour­tant ils rem­plis­saient par­fai­te­ment les condi­tions de l’indult.

Nous ne pou­vons pas avoir confiance, ce n’est pas pos­sible. Et je vais vous citer un der­nier exemple : un exemple extraordinaire.

Vous avez enten­du par­ler, sans doute, et vous avez fait quelques articles dans les jour­naux, il y a deux ans, sur les trans­fuges d’Écône, les fameux trans­fuges d’Écône ! Etaient par­tis d’ici, d’Écône, neuf sémi­na­ristes. Celui qui a été le chef en quelque sorte de cette petite rébel­lion, l’abbé N. est res­té dans le sémi­naire pen­dant un cer­tain temps, il cachait bien son jeu, et il est arri­vé à déter­mi­ner huit autres sémi­na­ristes à quit­ter Écône. Il s’est mis en rela­tion avec l’abbé Grégoire Billot, qui est ici en Suisse à Baden ; cet abbé Billot est lui-​même en rela­tion avec le car­di­nal Ratzinger ; il parle l’allemand. Il a télé­pho­né au car­di­nal Ratzinger : « Voilà, il y a à Écône neuf sémi­na­ristes qui sont prêts à par­tir. Qu’est-ce que vous leur pro­met­tez ? Qu’est-ce que vous faites avec eux ? ».

Oh ! C’est for­mi­dable ; c’est une occa­sion unique ; si on leur pro­met monts et mer­veilles, il y en aura d’autres qui vont venir. Il l’a dit expli­ci­te­ment. Le car­di­nal Ratzinger l’a dit « Je suis heu­reux qu’il y en ait qui aient quit­té Écône et j’espère bien qu’il y en aura d’autres qui sui­vront les premiers. »

Vous le savez très bien, on a fait le fameux sémi­naire Mater Ecclesiae diri­gé par un car­di­nal, le car­di­nal Innocenti, avec le car­di­nal Garrone et un troi­sième car­di­nal le car­di­nal Ratzinger, approu­vé par le Pape offi­ciel­le­ment dans L’Osservatore Romano. Une affaire mon­diale. Tous les jour­naux du monde ont par­lé de ce sémi­naire tra­di­tion­nel fait avec les trans­fuges d’Écône et qui ras­sem­ble­rait aus­si bien des sémi­na­ristes qui avaient la même sensibilité.

Ils sont par­tis là-​bas et se sont retrou­vés peut-​être une ving­taine de séminaristes.

Je vous assure que çà vaut la peine de lire cette lettre que vient de nous envoyer ces jours-​ci l’abbé N. qui était l’instigateur du départ de ces sémi­na­ristes. Il écrit : « Je regrette », en gros titre dans sa lettre. « Je regrette, nous avons tout per­du, on n’a tenu aucune pro­messe. Nous sommes des misé­rables, nous ne savons plus même où aller ».

Eh bien voi­là pour des gens qui ont vou­lu se ral­lier à Rome!… Cela va être notre cas. Nous en sommes de plus en plus per­sua­dés. Plus nous réflé­chis­sons à l’ambiance de ces col­loques, plus nous nous ren­dons compte que l’on est en train de nous tendre un piège, de nous pié­ger, et que demain on nous dira désor­mais c’est fini la messe tra­di­tion­nelle, il faut accep­ter la messe nou­velle aus­si. Il ne faut pas être contre la messe nou­velle. Cela ils nous l’ont dit.

Voici un exemple qu’a don­né le car­di­nal Ratzinger. « Par exemple à Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, Monseigneur, quand le pro­to­cole sera signé, que les affaires seront réglées, il est évident que Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet ne va pas res­ter comme main­te­nant. Pourquoi ? Parce que Saint-​Nicolas est une paroisse de Paris et dépend du car­di­nal Lustiger. Par consé­quent il sera abso­lu­ment néces­saire que dans la paroisse de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet il y ait une messe nou­velle régu­liè­re­ment, tous les dimanches. On ne peut pas accep­ter que les parois­siens qui dési­rent une nou­velle messe, ne puissent pas aller dans leur paroisse pour avoir cette messe nou­velle. » Voyez cela ! C’est le com­men­ce­ment de l’introduction : accep­ter la messe nou­velle, nous ali­gner… Ce n’est pas pos­sible ! Nous nous sen­tons pris dans un engre­nage dont nous ne pou­vons plus sortir.

Des dif­fi­cul­tés inex­tri­cables sur­gi­ront avec les évêques, avec les mou­ve­ments des dio­cèses qui vou­dront que nous col­la­bo­rions avec eux si nous sommes recon­nus par Rome. Nous aurons toutes les dif­fi­cul­tés pos­sibles et ima­gi­nables. Alors, c’est pour­quoi je pense et qu’il m’a sem­blé en conscience que je ne pou­vais pas conti­nuer. J’ai déci­dé… D’où ma lettre du 2 juin au Saint-​Père et l’annonce de la consé­cra­tion des quatre évêques qui aura lieu le 30 juin.

Vous avez sur une feuille que l’on vous a remise, les indi­ca­tions sur ces futurs évêques.

L’Osservatore Romano publie­ra l’excommunication, une décla­ra­tion de schisme, évidemment.

Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Excommunication par qui ? Par une Rome moder­niste par une Rome qui n’a plus par­fai­te­ment la foi catho­lique. On ne peut pas dire que quand il y a une mani­fes­ta­tion comme à Assise, on est tou­jours catho­lique. Ce n’est pas pos­sible. On ne peut pas dire que quand il y a Kyoto, et les décla­ra­tions qui ont été faites aux juifs à la Synagogue et la céré­mo­nie qui a eu lieu à Sainte-​Marie-​du-​Transtevere l’année der­nière en pleine Rome, que l’on est encore catho­lique. C’est scan­da­leux. Ce n’est plus catholique.

Alors nous sommes excom­mu­niés par des moder­nistes, par des gens qui ont été condam­nés par les papes pré­cé­dents. Alors qu’est-ce que cela peut bien faire. Nous sommes condam­nés par des gens qui sont condam­nés, et qui devraient être condam­nés publi­que­ment. Cela nous laisse indif­fé­rent. Cela n’a pas de valeur évi­dem­ment. Déclaration de schisme ; schisme avec quoi, avec le Pape suc­ces­seur de Pierre ? Non, schisme avec le Pape moder­niste, oui, schisme avec les idées que le Pape répand par­tout, les idées de la Révolution, les idées modernes, oui. Nous sommes en schisme avec cela. Nous n’acceptons pas bien sûr. Nous n’avons per­son­nel­le­ment aucune inten­tion de rup­ture avec Rome. Nous vou­lons être unis à la Rome de tou­jours et nous sommes per­sua­dés d’être unis à la Rome de tou­jours, parce que dans nos sémi­naires, dans nos pré­di­ca­tions, dans toute notre vie et la vie des chré­tiens qui nous suivent, nous conti­nuons la vie tra­di­tion­nelle comme elle l’était avant le Concile Vatican II et qu’elle a été vécue pen­dant vingt siècles. Alors, je ne vois pas pour­quoi nous serions en rup­ture avec Rome parce que nous fai­sons ce que Rome elle-​même a conseillé de faire pen­dant vingt siècles. Cela n’est pas possible.

Voilà la situa­tion actuelle. Il faut bien le com­prendre pour ne pas pinailler sur elle.

Alors on peut pen­ser : vous aviez un évêque, c’est bien. Vous pou­viez avoir un peu plus de membres dans le conseil romain. Mais, ce n’est pas cela qui nous inté­resse. C’est le pro­blème de fond qui est tou­jours der­rière nous et qui nous fait peur. Nous ne vou­lons pas être des col­la­bo­ra­teurs de la des­truc­tion de l’Église. J’ai écrit dans mon livre Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes – j’ai ter­mi­né par là – : « Je ne veux pas quand le Bon Dieu me rap­pel­le­ra qu’Il me dise : qu’est ce que tu as fait là-​bas sur la terre ? Tu as contri­bué à démo­lir l’Église aus­si ». Ce n’est pas vrai. Je n’ai pas contri­bué à démo­lir l’Église. J’ai contri­bué à la construire. Ceux qui la démo­lissent, ce sont ceux qui dif­fusent des idées qui détruisent l’Église et qui ont été condam­nés par mes pré­dé­ces­seurs. Voilà le fond de ces évé­ne­ments. Ces évé­ne­ments que nous allons vivre ces jours-​ci, bien sûr vont faire par­ler et il y aura un monde fou à la céré­mo­nie du 30 juin pour la consé­cra­tion de ces quatre jeunes évêques qui seront au ser­vice de la Fraternité. Eh bien, ces quatre évêques seront au ser­vice de la Fraternité, voilà.

Celui qui aura donc en prin­cipe la res­pon­sa­bi­li­té des rela­tions avec Rome lorsque je dis­pa­raî­trai, ce sera le Supérieur géné­ral de la Fraternité, M. l’abbé Schmidberger, qui a encore six années de supé­rio­rat géné­ral à accom­plir. C’est lui qui, éven­tuel­le­ment, aura désor­mais les contacts avec Rome pour conti­nuer les col­loques, s’ils conti­nuent ou si le contact est main­te­nu ce qui est peu pro­bable pen­dant quelque temps puisque dans L’Osservatore Romano va être mis sous un grand titre : « Schisme de Mgr Lefebvre, excom­mu­ni­ca­tion… » Pendant X années, peut-​être deux ans, trois ans, je n’en sais rien cela va être la séparation.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.