Sermon de Mgr Lefebvre – 19e dimanche après la Pentecôte – Prise de soutane de deux frères – 28 septembre 1975

Mes bien chers frères,

Vous qui allez dans quelques ins­tants revê­tir l’habit reli­gieux, je pense que vous ne pou­viez pas mieux choi­sir un dimanche plus adap­té, dans le choix des prières, de l’Épître et de l’Évangile que ce dix-​neuvième dimanche après la Pentecôte.

En effet l’exemple d’aujourd’hui nous parle des invi­tés aux noces, de ceux qui ont refu­sé de venir par­ti­ci­per au repas auquel le maître les invi­tait. Et puis le maître demande qu’on aille par les voies, par les rues, deman­der à ceux qui dési­rent par­ti­ci­per, à tous ceux qui n’ont pas été invi­tés, de venir par­ta­ger avec lui le repas ; Et je pense que vous êtes pré­ci­sé­ment ceux qui ont répon­du à l’appel de Notre Seigneur.

Vous y avez répon­du sans doute depuis long­temps, depuis de nom­breuses années ; vous avez dans le cœur, au plus pro­fond de vous-​même, ce désir de vous consa­crer à Dieu, de vous don­ner à Dieu. Vous l’aviez déjà d’ailleurs de plu­sieurs manières mani­fes­té dans votre acti­vi­té, dans votre zèle, dans votre dévouement.

Et puis, entou­ré comme vous l’êtes et comme vous l’avez été, par des familles pro­fon­dé­ment chré­tiennes qui vous ont mon­tré l’exemple d’une foi pro­fonde, vous avez com­pris que l’appel de Notre Seigneur vous concer­nait per­son­nel­le­ment et vous avez répon­du géné­reu­se­ment, mal­gré les dif­fi­cul­tés que toutes les voca­tions éprouvent aujourd’hui. Vous avez vou­lu venir en toute confiance et sim­pli­ci­té, vous offrir à Notre Seigneur, dans la Fraternité Saint-​Pie X. Soyez-​en féli­ci­tés et encouragés.

Quels seront vos dési­rs ? Quelles seront vos réso­lu­tions ? Eh bien c’est l’Épître d’aujourd’hui qui nous le dit :

Renovamini spi­ri­tu men­tis ves­træ, et induite novum homi­nem, qui secun­dum Deum crea­tus est in jus­ti­tia et sanc­ti­tate veri­ta­tis (Ep 4, 23–24) : « Renouvelez-​vous au plus intime de votre esprit et revê­tez l’homme nou­veau, créé selon Dieu dans la jus­tice et la sain­te­té véri­table. Revêtez Notre Seigneur Jésus-Christ. »

Je pense que ces quelques mots résument tout ce que vous aurez le désir de faire pen­dant votre novi­ciat : Revêtir Notre Seigneur Jésus-​Christ. C’est-à-dire imi­ter ses ver­tus ; mettre dans vos cœurs, dans vos esprits, ses dési­rs, ses pen­sées, ses pré­oc­cu­pa­tions ; imi­ter Notre Seigneur Jésus-​Christ dans toutes vos atti­tudes, car désor­mais, revê­tu de l’habit reli­gieux, vous devez être comme des lumières pla­cées devant le monde afin de l’éclairer. On atten­dra de vous qui por­tez l’habit reli­gieux, l’exemple de la vie reli­gieuse. Les fidèles et tous ceux qui vous voient et qui vous ver­ront dans cet habit, ne peuvent pas ima­gi­ner que l’on puisse por­ter l’habit reli­gieux et ne pas en pra­ti­quer les vertus.

Il fau­dra donc que vous vous effor­ciez pen­dant cette année, d’acquérir ces ver­tus reli­gieuses et tout par­ti­cu­liè­re­ment l’esprit de pié­té, d’union à Notre Seigneur Jésus-​Christ, esprit de prière, esprit d’adoration, esprit d’amour de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de ser­vice de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Vous le ferez avec géné­ro­si­té, j’en suis per­sua­dé. Et en ter­mi­nant cette année de for­ma­tion, de novi­ciat, vous aurez comme but de pro­non­cer vos vœux de religion.

Mais a‑t-​on idée à notre époque, de pro­non­cer encore des vœux de reli­gion ? Qu’est-ce que cela peut bien signi­fier, sinon une espèce d’esclavage dans lequel on s’enferme, dans lequel on se dimi­nue, dans lequel on anéan­tit, en quelque sorte, la per­son­na­li­té humaine ? À quoi bon pro­non­cer des vœux de reli­gion ? C’est nier sa digni­té humaine par le vœu d’obéissance, nier les dons que Dieu nous a don­nés par le vœu de chas­te­té et nier l’usage des biens de ce monde par le vœu de pau­vre­té. C’est se lier à des choses qui pou­vaient encore être com­pré­hen­sibles au Moyen Âge mais plus à notre époque.

Voilà ce que pense le monde aujourd’hui et peut-​être pas seule­ment le monde. Mais même on entend des pro­pos de ce genre dans la Sainte Église. Et ceci est pure­ment et sim­ple­ment un écho de ce qu’ont tou­jours dit les enne­mis de l’Église. Ceux qui ont vou­lu se délier des liens que l’Église vou­lait nous don­ner pour nous déli­vrer. Ce sont des liens qui nous délivrent. Ce sont des liens qui nous donnent la véri­table liberté.

Et cette véri­table liber­té des enfants de Dieu, on n’en veut plus. C’est Luther, l’un des pre­miers qui a lut­té farou­che­ment contre les vœux de reli­gion, parce qu’ils étei­gnaient la liber­té, parce qu’ils étouf­faient la liber­té. Mais quelle liber­té ? Comment entendait-​il cette liber­té ? La liber­té de faire le mal. Voilà ! La liber­té de déso­béir à Dieu ; la liber­té de faire son caprice, de faire ce que – soi-​disant – la conscience per­son­nelle nous dicte.

Eh bien, pré­ci­sé­ment, tout l’Évangile est contre cette liber­té. La liber­té essen­tiel­le­ment n’est pas la liber­té de faire le bien ou le mal. La vraie liber­té est la liber­té de faire le bien. La liber­té du mal est un défaut de notre liber­té. Sinon il fau­drait dire que Dieu Lui-​même peut faire le mal, car Dieu est libre. Et Dieu ne peut pas faire le mal ; les élus ne peuvent plus faire le mal ; ils sont pour­tant libres. Donc nous devons recher­cher cette vraie liber­té. Et vous la recher­chez en dési­rant pro­non­cer vos vœux de religion.

C’est un exemple magni­fique dans toute l’Histoire de l’Église, que l’histoire des ordres et de ces reli­gieux qui sont un exemple extra­or­di­naire dans la Sainte Église. Un exemple de l’Évangile concrè­te­ment vécu. Vécu quo­ti­dien­ne­ment par ces vœux de pau­vre­té, de chas­te­té, d’obéissance, encou­ra­geant aus­si les fidèles eux aus­si à pra­ti­quer ces ver­tus. Car nous devons tous pra­ti­quer ces vœux de religion.

Nous sommes déli­vrés du péché, dit saint Paul :

Libérâti a pec­ca­to, ser­vi fac­ti estis jus­ti­tiæ (Rm 6,18) : « Parce que vous êtes déli­vrés du péché vous êtes deve­nus ser­vi­teurs de Dieu, vous vous aurez comme fruit votre sanc­ti­fi­ca­tion et comme fin la vie éternelle. »

Nunc vero libe­ra­ti a pec­ca­to, ser­vo autem fac­ti Deo, habe­tis fruc­tum in sanc­ti­fi­ca­tio­nem, finem vero vitam æter­nam (Rm 6,22) : « Mais à pré­sent, étant affran­chis du péché et deve­nus esclaves de Dieu, votre sanc­ti­fi­ca­tion est le fruit que vous en tirez, et la vie éter­nelle en sera la fin ».

Voilà le résul­tat de notre ser­vi­tude de Dieu. Et cette ser­vi­tude, nous vou­lons pré­ci­sé­ment la pos­sé­der, l’avoir dans nos cœurs, dans nos âmes, afin de nous déli­vrer de ce poids de l’argent, de ce poids des biens de ce monde qui écrase nos cœurs, qui écrase nos âmes, qui les lient dans toute une ambiance de besoins que nous nous créons nous-​mêmes, dont nous n’avons pas besoin et qui nous empêchent d’aller à Dieu pré­ci­sé­ment. Satisfaction de la chair aus­si, qui nous empêche d’aller à Dieu, qui nous empêche de recher­cher Dieu. Enfin caprices de notre propre volon­té, désir de faire tout ce que l’on veut et de dis­po­ser de nous-​mêmes selon nos caprices. Alors nous nous met­tons sous l’obéissance, afin d’être sous la loi de Dieu, la loi de cha­ri­té : Aimer Dieu, aimer son prochain.

Voilà ce qu’est le religieux.

Mais vous me direz peut-​être, mes chers amis, vous qui faites par­tie de la Fraternité sacer­do­tale et qui êtes enga­gés sim­ple­ment et non pas liés par des vœux, vous me direz alors : Pourquoi ne nous avoir pas appli­qué des vœux de reli­gion à nous-mêmes ?

Eh bien, j’espère que vous en pra­ti­quez les ver­tus et que vous recher­chez les ver­tus vous aus­si. Mais parce qu’il m’a sem­blé que dans le but de la Fraternité qui est celui de l’apostolat direct auprès des âmes et donc qui demande, pour les prêtres en par­ti­cu­lier, une cer­taine ini­tia­tive pour leur apos­to­lat, cer­taines déci­sions à prendre, qui peuvent être gênées ou frei­nées par des vœux de reli­gion trop stricts, qui ont néces­sai­re­ment besoin pour s’appliquer de faire appel constam­ment au supé­rieur pour être dans l’obéissance et j’ai pu remar­quer, par expé­rience, que dans des congré­ga­tions qui sont essen­tiel­le­ment apos­to­liques, la dif­fi­cul­té qu’il y a pour les membres de ces congré­ga­tions, de n’être pas en contra­dic­tion avec leurs vœux.

Alors plu­tôt que d’être constam­ment en contra­dic­tion avec ces vœux, mieux vaut s’engager à pra­ti­quer les ver­tus de ces vœux. Et je suis per­sua­dé que vous les recher­chez. Vous recher­chez la pau­vre­té ; vous pra­ti­quez la chas­te­té ; vous pra­ti­quez l’obéissance et vous le ferez de tout votre cœur. Il faut recher­cher ces vertus.

Vous ne serez pas de vrais prêtres, si vous n’êtes pas vrai­ment de véri­tables reli­gieux de cœur et d’âme, d’esprit et de pen­sée. Par consé­quent je pense que cet exemple de vie reli­gieuse que nous montrent nos frères, nos reli­gieuses, doit vous inci­ter, vous aus­si, mes chers amis, à vou­loir pra­ti­quer ces belles ver­tus qui nous délivrent de tous les biens qui nous attachent à ce monde.

Quant à vous, mes bien chers frères, vous pou­vez peut-​être avoir l’impression par­fois, que la voie de la per­fec­tion serait uni­que­ment réser­vée à ceux qui font la pro­fes­sion de vie reli­gieuse ou à des prêtres et que vous, on vous écarte, on vous éloigne, que l’on ne vous consi­dère pas comme ceux qui sont aus­si appe­lés à la perfection.

Ce serait une grave erreur. Vous aus­si, vous devez pra­ti­quer ce que saint Paul a dit : « Délivrés du péché, nous devons nous atta­cher à Dieu, pour suivre notre sanc­ti­fi­ca­tion, pour arri­ver à la vie éter­nelle ». Vous aus­si vous devez pra­ti­quer la pau­vre­té, la chas­te­té, l’obéissance. Ces ver­tus sont des ver­tus qui sont deman­dées à tout le monde. Sans doute de manière dif­fé­rente, mais l’on doit pra­ti­quer la pau­vre­té même dans sa famille.

Aujourd’hui l’on est tel­le­ment atti­ré par une espèce d’ambiance de recherche du pro­grès, de recherche des richesses, pour avoir tou­jours les moyens les plus modernes, et ain­si l’on a cette recherche du confort, cette recherche de satis­fac­tions maté­rielles, qui font que l’on oublie Dieu et l’on oublie de pra­ti­quer la pau­vre­té. Alors qu’il est si bon de pra­ti­quer la pau­vre­té ; si bon d’être déta­ché dans son cœur, de tant de choses qui sont inutiles et qui nous entravent sur le che­min de la per­fec­tion précisément.

Pratique aus­si de la ver­tu de chas­te­té. Il y a une ver­tu de chas­te­té que l’on pra­tique dans le mariage. Le mariage a des lois, des lois de chas­te­té. Et c’est là, certes aus­si, un exer­cice qui demande de la ver­tu pour être fidèle à la loi de Dieu dans ce domaine. Et donc vous avez besoin aus­si des grâces du Bon Dieu et des prières et de vous sanc­ti­fier afin de pra­ti­quer cette ver­tu que le Bon Dieu demande à tout le monde.

Et la loi de l’obéissance. Nous avons à obéir à Dieu, à ceux qui repré­sentent Dieu auprès de nous et donc à être fidèle à obéir à Dieu et à ses commandements.

Par consé­quent, nous sommes tous appe­lés à cette per­fec­tion par des moyens dif­fé­rents, mais tous nous sommes appe­lés à la sain­te­té. Personne n’est exempt de la voie de la sainteté.

Par consé­quent, aujourd’hui, puisque nous avons l’occasion d’avoir dans nos pen­sées et de rap­pe­ler dans le pro­gramme de notre vie cette per­fec­tion que nous devons avoir par l’exemple de deux jeunes voca­tions qui veulent se don­ner à la vie reli­gieuse, que ce soit un encou­ra­ge­ment à vivre tou­jours d’une manière plus par­faite, d’une manière plus pro­fon­dé­ment unie à Dieu, plus conforme à l’Évangile que Notre Seigneur nous enseigne.

Demandons-​le par­ti­cu­liè­re­ment à la très Sainte Vierge Marie, demandons-​le aus­si à saint Pie X dont vous allez rece­voir tout à l’heure la médaille. Demandons à la très Sainte Vierge Marie, elle qui a vécu d’une manière par­faite toutes ces ver­tus, qui a vrai­ment été revê­tue de Notre Seigneur Jésus-​Christ, demandons-​lui de nous aider à pra­ti­quer ces ver­tus et à mar­cher dans le che­min de la perfection.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.