Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

10 mai 1884

Instruction Ad Gravissima Avertenda

Déclaration sur la secte des francs-maçons

Pour détour­ner les maux très graves por­tés à l’Église et à tous les ordres de citoyens par la secte des maçons et les autres qui sont nées d’elle, N. S. P. le Pape Léon XIII, dans une sage inten­tion, a récem­ment adres­sé à tous les évêques du monde entier la lettre ency­clique Humanum genus. En cette lettre, il a décou­vert les doc­trines de telles sectes, leur fin, leurs des­seins ; il raconte le soin qu’ont pris les Pontifes romains pour déli­vrer la famille humaine d’une peste si néfaste ; à son tour, Lui-​même Il imprime à ces sectes la marque de la condam­na­tion et de la cen­sure, et enseigne aus­si par quel moyen, par quelles armes il faut les com­battre, par quels remèdes appor­tés aux bles­sures qu’elles ont faites, il faut les guérir.

Comme sa Sainteté a consi­dé­ré que ces soins devaient enfin espé­rer des fruits salu­taires, et que dans une affaire de si grande impor­tance les œuvres, les conseils, les tra­vaux de tous les pas­teurs de l’Église devaient être employés en un effort una­nime, il a char­gé cette suprême Congrégation de la Sainte Inquisition uni­ver­selle et romaine de pro­po­ser aux pas­teurs les mesures les plus effi­caces et les plus oppor­tunes. En ver­tu de ce man­dat du Souverain Pontife, comme il est juste, les Éminentissimes car­di­naux fai­sant avec moi fonc­tion d’inquisiteurs géné­raux ont cru devoir don­ner cette ins­truc­tion à tous les évêques et aux autres ordi­naires de diocèses :

1° Le très clé­ment Pontife dési­rant sur­tout pour­voir au salut des âmes, sui­vant les traces de notre Sauveur Jésus-​Christ, qui n’est pas venu appe­ler les justes, mais les pécheurs à la péni­tence, invite de sa voix pater­nelle tous ceux qui se sont enrô­lés dans la Maçonnerie et dans les autres sectes condam­nées, à pur­ger les souillures de leur âme et à ren­trer au sein de la divine misé­ri­corde. À cette fin, usant de la même lar­gesse que son pré­dé­ces­seur Léon XII, dans le délai d’une année com­plète, à dater de la publi­ca­tion régu­lière des lettres apos­to­liques ci-​dessus men­tion­nées, en chaque dio­cèse, il sus­pend l’obligation de dénon­cer les cory­phées et les chefs occultes de ces sectes, et aus­si la réserve des cen­sures, accor­dant à tous les confes­seurs approu­vés par les ordi­naires des lieux la facul­té d’absoudre de ces cen­sures et de récon­ci­lier à l’Église tous ceux qui sont vrai­ment venus à rési­pis­cence et ont quit­té les sectes. Il appar­tient donc aux pas­teurs sacrés d’annoncer cette géné­ro­si­té du Souverain Pontife aux fidèles confiés à leurs soins. Ils feraient aus­si une chose digne de leur sol­li­ci­tude pas­to­rale si, dans le cours de cette année, que le pon­tife veut consa­crer à une clé­mence spé­ciale, par des exer­cices sacrés en forme de mis­sion, ils exci­taient leurs ouailles à médi­ter les véri­tés éter­nelles et à ren­trer dans la rec­ti­tude d’esprit.

2° L’intention de Sa Sainteté est que l’encyclique soit publiée avec le plus grand zèle, afin que tous les chré­tiens com­prennent quel ter­rible poi­son cir­cule par­mi eux, quelle perte menace eux et leurs enfants s’ils ne prennent les pré­cau­tions oppor­tunes. Il fau­dra donc don­ner les soins les plus exacts et les plus actifs à appli­quer les remèdes pro­po­sés par le Pontife et ceux que la pru­dence de cha­cun conseille­ra. Il faut avant tout exci­ter à cette fin l’ingéniosité et le zèle des curés ; puis, faire aus­si un appel géné­ral à tous ceux à qui Dieu, auteur de tout bien, a accor­dé la facul­té de par­ler et d’écrire, et à ceux aus­si à qui est remise la charge d’annoncer la parole divine, de puri­fier le peuple chré­tien de ses fautes ou d’instruire la jeu­nesse, afin qu’eux aus­si consacrent leurs tra­vaux à démas­quer la Maçonnerie, les décrets impies et les manœuvres néfastes des socié­tés condam­nées, et à rame­ner dans la voie du salut ceux qui, soit par témé­ri­té ou impru­dence, soit par réflexion et de pro­pos déli­bé­ré, y ont accé­dé, et à don­ner les avis préa­lables à ceux qui ne sont pas encore tom­bés dans ces pièges.

3° Afin qu’il n’y ait lieu à aucune erreur, lorsqu’il fau­dra déter­mi­ner aux­quelles de ces sectes per­ni­cieuses s’appliquent les cen­sures, et les­quelles tombent sous une simple inter­dic­tion, il est cer­tain abso­lu­ment que la Maçonnerie et les autres sectes qui sont dési­gnées au chap. II, no. 4 de la consti­tu­tion pon­ti­fi­cale Apostolicæ Sedis, sont frap­pés de l’excommunication latæ sen­ten­tiæ, aus­si bien que celles qui menacent l’Église ou les puis­sances légi­times, qu’elles agissent ouver­te­ment ou secrè­te­ment, qu’elles exigent ou non de leurs affi­liés le ser­ment de gar­der le secret.

4° Outre celles-​là il y a d’autres sectes inter­dites et qu’il faut évi­ter sous peine de péché grave, au nombre des­quelles il faut comp­ter prin­ci­pa­le­ment celles qui exigent de leurs membres un secret qu’il ne faut dévoi­ler à per­sonne, une obéis­sance sans réserve devant être prê­tée à des chefs occultes. Il faut en outre prendre garde qu’il y a quelques socié­tés qui, bien qu’on ne puisse défi­nir avec cer­ti­tude si elles se rat­tachent, oui ou non, à celles dont nous avons par­lé, sont pour­tant sus­pectes et pleines de périls, tant pour les doc­trines qu’elles pro­fessent que pour leur mode d’action et pour les chefs autour des­quels elles se groupent et qui les com­mandent. Il faut que les ministres du culte, qui doivent avoir sur­tout à cœur la fidé­li­té intacte au Christ et l’intégrité des mœurs, sachent en détour­ner et en écar­ter leur trou­peau, et cela avec d’autant plus de soin que l’apparence d’honnêteté conser­vée par celles-​là peut rendre le péril caché en elles plus dif­fi­cile à aper­ce­voir et à pré­ve­nir de la part d’hommes simples ou de jeunes gens.

5° Donc les pas­teurs sacrés feront une chose extrê­me­ment utile aux fidèles et agréable à Sa Sainteté si, au mode ordi­naire et usi­té d’instruction publique, qu’il faut conser­ver abso­lu­ment, ils ajoutent celui qui est d’usage pour défendre les véri­tés catho­liques, et qui est si propre à dis­si­per les erreurs dont l’encyclique Humanum genus déplore la pro­pa­ga­tion plus large, au grave détri­ment des âmes. Ce mode d’instruction publique sera très salu­taire au peuple chré­tien, et aus­si, par la réfu­ta­tion des erreurs, expo­se­ra clai­re­ment et métho­di­que­ment la force et l’utilité de la doc­trine chré­tienne, exci­te­ra dans l’âme des audi­teurs l’amour de l’Église catho­lique, qui conserve la doc­trine en son inté­gri­té et en sa pureté.

6° Puisque, grâce aux détes­tables arti­fices et aux per­fi­dies des sectes, des jeunes gens, des pauvres arti­sans et des ouvriers se laissent faci­le­ment séduire et prendre, il faut leur appli­quer des soins spé­ciaux. En ce qui concerne la jeu­nesse, il faut tâcher sur­tout, dès les pre­mières années, tant dans l’enceinte de la famille que dans les temples et les écoles, de la for­mer atten­ti­ve­ment à la foi et aux mœurs chré­tiennes, de l’instruire abon­dam­ment des moyens de se gar­der des pièges dres­sés par les sectes téné­breuses, lui mon­trant que si elle tombe dans ces filets, elle devra par la suite ser­vir hon­teu­se­ment des maîtres iniques, pour la perte du salut éter­nel et de la digni­té humaine. On pour­voi­ra très uti­le­ment à la sau­ve­garde des jeunes gens en pro­vo­quant chez eux des socié­tés pla­cées sous le patro­nage de la Bienheureuse Vierge ou d’un autre patron céleste. Dans ces réunions, comme en des gym­nases, sur­tout si des prêtres ou des laïques remar­quables par leur sagesse et leur habi­le­té sont pla­cés à leur tête, les jeunes gens pren­dront le goût de culti­ver la ver­tu, de pro­fes­ser ouver­te­ment la reli­gion, mépri­sant la déri­sion des impies, et, en même temps, s’accoutumeront à détes­ter tout ce qui est contraire à la véri­té catho­lique et à la sainteté.

7° Il est aus­si très utile que les pères d’un côté, de l’autre les mères de famille s’unissent par un pacte fra­ter­nel à cette fin, de sorte que leurs forces unies leur per­mettent de se dévouer plus conve­na­ble­ment et de pou­voir plus effi­ca­ce­ment au salut éter­nel et à la bonne édu­ca­tion de leurs enfants. Plusieurs asso­cia­tions de ce genre, soit d’hommes, soit de femmes, se sont consti­tuées en divers endroits, sous la tutelle de quelque puis­sance céleste, et pro­duisent d’heureux fruits de reli­gion et de piété.

8° Au sujet des arti­sans et des ouvriers, par­mi les­quels ont cou­tume de faire leurs recrues ceux qui ont pour but de miner les fon­de­ments de la reli­gion, les ministres du culte doivent mettre sous leurs yeux ces antiques col­lèges d’artisans ou ces uni­ver­si­tés ou cor­po­ra­tions d’ouvriers, qui, sous un patro­nage céleste, au temps pas­sé, ont été l’illustre orne­ment des cités, et ont contri­bué à l’accroissement des arts plus rele­vés ou plus humbles. Il faut res­tau­rer ces réunions et d’autres encore, par­mi les hommes même qui se donnent aux affaires du com­merce ou aux études supé­rieures et il faut que les asso­ciés soient soi­gneu­se­ment ins­truits et dres­sés aux devoirs de la reli­gion, et en même temps se prêtent une aide mutuelle dans les néces­si­tés humaines que la mala­die, la vieillesse ou la pau­vre­té ont cou­tume d’apporter. Les pré­si­dents de ces asso­cia­tions veille­ront atten­ti­ve­ment à ce que les asso­ciés se fassent remar­quer par la pro­bi­té de leurs mœurs, leur habi­le­té tech­nique dans leurs tra­vaux, leur doci­li­té et leur assi­dui­té dans le tra­vail, afin qu’ils puissent plus faci­le­ment se pro­cu­rer ce qui est néces­saire à la vie. Les ministres du culte ne refu­se­ront pas de veiller sur des socié­tés de ce genre, d’en pro­po­ser ou d’en approu­ver les règle­ments, de leur conci­lier la géné­ro­si­té des riches, de les prendre sous leur patro­nage, de les aider de leurs soins.

9° Leur bien­veillance par­ti­cu­lière ne man­que­ra pas à cette admi­rable Société des prières et des œuvres, qui, nais­sant en quelques endroits, a déjà com­men­cé à pros­pé­rer en d’autres. Il faut veiller avec un zèle suprême à y ins­crire tous ceux qui ont de bons sen­ti­ments reli­gieux. Comme son but est d’encourager et de déve­lop­per, par un géné­ral effort des âmes, dans toute l’étendue de l’Église uni­ver­selle, les œuvres de reli­gion et de pié­té, de s’appliquer assi­dû­ment à apai­ser la colère divine, on com­prend sans peine de quelle uti­li­té elle sera en ces temps mal­heu­reux. Parmi les for­mules de prières, les évêques recom­man­de­ront sur­tout celle qui tire son nom du Rosaire de la Mère de Dieu, celle que Notre Saint Père, il y a peu de temps, a recom­man­dée et si ins­tam­ment conseillée, avec de si amples éloges comme étant la plus impor­tante. Parmi les œuvres de pié­té, qu’ils donnent la pré­fé­rence à celle du tiers ordre de saint François : ils tâche­ront d’y faire ins­crire le plus d’adhésions pos­sible, comme à celle de saint Vincent de Paul ou des Enfants de Marie, afin que les œuvres écla­tantes accom­plies par elles, aux applau­dis­se­ments du monde catho­lique et au béné­fice des âmes, se répandent chaque jour davantage.

10° Enfin, il serait très bon, par­tout où les condi­tions des lieux et des per­sonnes le per­mettent, de faire naître des aca­dé­mies catho­liques, de tenir ces utiles assem­blées ou congrès, comme on les appelle, où sont envoyés les hommes d’élite d’une ou de plu­sieurs régions : il faut que les pas­teurs ne dédaignent pas de les hono­rer de leur pré­sence, afin que sous leurs aus­pices on puisse adop­ter les réso­lu­tions propres à déve­lop­per le mou­ve­ment catho­lique, les mesures les plus utiles à l’intérêt de la reli­gion et à l’intérêt public. Il ne serait pas dépla­cé que ceux qui, par des écrits sui­vis et par leurs tra­vaux, ont acquis cette spé­cia­li­té de défendre les droits de Dieu et de l’Église, de cou­per dans leur racine les nou­velles erreurs et calom­nies qui prennent chaque jour nais­sance, s’associassent pour lut­ter, sous la conduite des évêques.

Si toutes les forces qui, grâce à Dieu, sont encore vives et actives dans l’Église, concou­raient au même but, il est impos­sible que des fruits très abon­dants n’en soient pas recueillis pour rache­ter la socié­té actuelle des hommes de la conta­gion funeste des sectes iniques, et pour la rendre à la liber­té chrétienne.

11° Le but qu’on se pro­pose aujourd’hui ne sera plei­ne­ment réa­li­sé que si les forces s’unissent, si les arche­vêques prennent avec leurs suf­fra­gants les réso­lu­tions et les mesures sur ce qu’il convient de faire pour répondre aux dési­rs du pas­teur suprême.

Il est dans les vœux de celui-​ci et de cette suprême congré­ga­tion que cha­cun d’eux, sans délai et à l’avenir, chaque fois qu’il fera un rap­port sur l’état des dio­cèses, n’omette pas d’indiquer ce que, en par­ti­cu­lier ou d’accord avec ses col­lègues en épis­co­pat, il aura fait, et quels résul­tats son zèle aura obtenus.

Donné à Rome, de la chan­cel­le­rie du Saint Office, le 10 mai, 1884.

Raphaël card. MONACO