Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

2 mars 1922

Lettre apostolique Galliam, Ecclesiæ filiam primogenitam

Sainte Jeanne d'Arc proclamée patronne secondaire de la France

Pour per­pé­tuelle mémoire.

Les Pontifes romains Nos pré­dé­ces­seurs ont tou­jours, au cours des siècles, com­blé des marques par­ti­cu­lières de leur pater­nelle affec­tion la France, jus­te­ment appe­lée la fille aînée de l’Eglise. Notre pré­dé­ces­seur de sainte mémoire le Pape Benoît XV, qui eut pro­fon­dé­ment à cœur le bien spi­ri­tuel de la France, a pen­sé à don­ner à cette nation noble entre toutes, un gage spé­cial de sa bienveillance.

En effet, lorsque, récem­ment, Nos véné­rables frères les car­di­naux, arche­vêques et évêques de France, d’un consen­te­ment una­nime, lui eurent trans­mis par Notre véné­rable Frère Stanislas Touchet, évêque d’Orléans, des sup­pli­ca­tions ardentes et fer­ventes pour qu’il dai­gnât pro­cla­mer patronne prin­ci­pale de la nation fran­çaise la bien­heu­reuse Vierge Marie reçue au ciel, et seconde Patronne céleste sainte Jeanne, pucelle d’Orléans, Notre pré­dé­ces­seur fut d’avis de répondre avec bien­veillance à ces pieuses requêtes. Empêché par la mort, il ne put réa­li­ser le des­sein qu’il avait conçu. Mais à Nous, qui venons d’être éle­vé par la grâce divine sur la chaire sublime du Prince des apôtres, il Nous est doux et agréable de rem­plir le vœu de Notre très regret­té pré­dé­ces­seur et, par Notre auto­ri­té suprême, de décré­ter ce qui pour­ra deve­nir pour la France une cause de bien, de pros­pé­ri­té et de bon­heur. Il est cer­tain, selon un ancien adage, que « le royaume de France » a été appe­lé le « royaume de Marie », et cela à juste titre. Car, depuis les pre­miers siècles de l’Eglise jusqu’à notre temps, Irénée et Eucher de Lyon, Hilaire de Poitiers, Anselme, qui de France pas­sa en Angleterre comme arche­vêque, Bernard de Clairvaux, François de Sales, et nombre d’autres saints doc­teurs, ont célé­bré Marie et ont contri­bué à pro­mou­voir et à ampli­fier à tra­vers la France le culte de la Vierge Mère de Dieu. A Paris, dans la très célèbre Université de Sorbonne, il est his­to­ri­que­ment prou­vé que, dès le XIIIe siècle, la Vierge a été pro­cla­mée conçue sans péché.

Même les monu­ments sacrés attestent d’éclatante manière l’antique dévo­tion du peuple à l’égard de la Vierge : trente-​quatre églises cathé­drales jouissent du titre de la Vierge Mère de Dieu ; par­mi les­quelles on aime à rap­pe­ler comme les plus célèbres celles qui s’élèvent à Reims, à Paris, à Amiens, à Chartres, à Coutances et à Rouen. L’immense affluence des fidèles accou­rant de loin chaque année, même de notre temps, aux sanc­tuaires de Marie, montre clai­re­ment ce que peut dans le peuple la pié­té envers la Mère de Dieu, et plu­sieurs fois par an la basi­lique de Lourdes, si vaste qu’elle soit, paraît inca­pable de conte­nir les foules innom­brables de pèlerins.

La Vierge Mère en per­sonne, tré­so­rière auprès de Dieu de toutes les grâces, a sem­blé, par des appa­ri­tions répé­tées, approu­ver et confir­mer la dévo­tion du peuple français.

Bien plus, les prin­ci­paux et les chefs de la nation se sont fait gloire long­temps d’affirmer et de défendre cette dévo­tion envers la Vierge. Converti à la vraie foi du Christ, Clovis s’empresse, sur les ruines d’un temple drui­dique, de poser les fon­de­ments de l’église Notre-​Dame, qu’acheva son fils Childebert. Plusieurs temples sont dédiés à Marie par Charlemagne. Les ducs de Normandie pro­clament Marie Reine de la nation, Le roi saint Louis récite dévo­te­ment chaque jour l’office de la Vierge. Louis XI, pour l’accomplissement d’un vœu, édi­fie à Cléry un temple à Notre-​Dame. Enfin Louis XIII consacre le royaume de France à Marie et ordonne que chaque année, en la fête de l’Assomption de la Vierge, on célèbre dans tous les dio­cèses de France de solen­nelles fonc­tions ; et ces pompes solen­nelles, Nous n’ignorons pas qu’elles conti­nuent de se dérou­ler chaque année.

En ce qui concerne la Pucelle d’Orléans, que Notre pré­dé­ces­seur a éle­vée aux suprêmes hon­neurs des saints, per­sonne ne peut mettre en doute que ce soit sous les aus­pices de la Vierge qu’elle ait reçu et rem­plit mis­sion de sau­ver la France. Car d’abord, c’est sous le patro­nage de Notre-​Dame de Bermont, puis sous celui de la Vierge d’Orléans, enfin de la Vierge de Reims, qu’elle entre­prit d’un cœur viril, une si grande œuvre, qu’elle demeu­ra sans peur en face des épées dégai­nées et sans tache au milieu de la licence des camps, qu’elle déli­vra sa patrie du suprême péril et réta­blit le sort de la France. C’est après en avoir reçu le conseil de ses voix célestes qu’elle ajou­ta sur son glo­rieux éten­dard le nom de Marie à celui de Jésus, vrai Roi de France. Montée sur le bûcher, c’est en mur­mu­rant au milieu des flammes, en un cri suprême, les noms de Jésus et de Marie, qu’elle s’envola au ciel. Ayant donc éprou­vé le secours évident de la Pucelle d’Orléans, que la France reçoive la faveur de cette seconde patronne céleste : c’est ce que réclament le cler­gé et le peuple, ce qui fut déjà agréable à Notre pré­dé­ces­seur et qui Nous plaît à Nous-même.

C’est pour­quoi, après avoir pris les conseils de Nos véné­rables Frères les car­di­naux de la sainte Eglise romaine pré­po­sés aux Rites, motu pro­prio, de science cer­taine et après mûre déli­bé­ra­tion, dans la plé­ni­tude de Notre pou­voir apos­to­lique, par la force des pré­sentes et à per­pé­tui­té, Nous décla­rons et confir­mons que la Vierge Marie Mère de Dieu, sous le titre de son Assomption dans le ciel, a été régu­liè­re­ment choi­sie comme prin­ci­pale patronne de toute la France auprès de Dieu, avec tous les pri­vi­lèges et les hon­neurs que com­portent ce noble titre et cette dignité.

De plus, écou­tant les vœux pres­sants des évêques, du cler­gé et des fidèles des dio­cèses et des mis­sions de la France, Nous décla­rons avec la plus grande joie et éta­blis­sons Pucelle d’Orléans admi­rée et véné­rée spé­cia­le­ment par tous les catho­liques de France comme l’héroïne de la patrie, sainte Jeanne d’Arc, vierge, patronne secon­daire de la France, choi­sie par le plein suf­frage du peuple, et cela encore d’après Notre suprême auto­ri­té apos­to­lique, concé­dant éga­le­ment, tous les hon­neurs et pri­vi­lèges que com­porte selon le droit ce titre de seconde patronne.

En consé­quence, Nous prions Dieu, auteur de tous les biens, que, par l’intercession de ces deux célestes patronnes, la Mère de Dieu éle­vée au ciel et sainte Jeanne d’ Arc, vierge, ain­si que des autres saints patrons des lieux et titu­laires des églises, tant des dio­cèses que des mis­sions, la France catho­lique, ses espé­rances ten­dues vers la vraie liber­té et son antique digni­té, soit vrai­ment la fille première-​née de l’Eglise romaine ; qu’elle échauffe, garde, déve­loppe par la pen­sée, l’action, l’amour, ses antiques et glo­rieuses tra­di­tions pour le bien de la reli­gion et de la patrie.

Nous concé­dons ces pri­vi­lèges, déci­dant que les pré­sentes Lettres soient et demeurent tou­jours fermes, valides et effi­caces, qu’elles obtiennent et gardent leurs effets pleins et entiers, qu’elles soient, main­te­nant et dans l’avenir, pour toute la nation fran­çaise le gage le plus large des secours célestes, qu’ainsi il en faut juger défi­ni­ti­ve­ment, et que soit tenu pour vain dès main­te­nant et de nul effet pour l’a­ve­nir tout ce qui por­te­rait atteinte à ces déci­sions, du fait de quelque auto­ri­té que ce soit, sciem­ment ou incons­ciem­ment. Nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 2 du mois de mars de l’année 1922, la pre­mière de Notre pontificat.

Pie XI, pape

P. car­di­nal Gasparri, secré­taire d’état.