Éditorial du Supérieur du District de France pour la Lettre aux Amis et bienfaiteurs n°98.
Bien chers Amis et bienfaiteurs,
Heurtés dans notre cœur de chrétien et meurtris jusqu’au plus profond de notre âme, voilà bien l’état dans lequel nous plonge, avec tous les enfants de Marie, la lecture de la récente « Note doctrinale » intitulée Mater populi fidelis, du 4 novembre dernier.
Approuvé un mois plus tôt, le 7 octobre, par le souverain Pontife Léon XIV, ce texte entend récuser l’attribution des termes de « Corédemptrice » et « Médiatrice de toutes grâces », pour désigner la bienheureuse Vierge Marie, les estimant « gênants », « inopportuns », obscurs » et même « erronés ».
Chers amis et bienfaiteurs, c’est un bien triste outrage envers notre tendre Mère, qui plonge tout catholique romain dans un profond désarroi. L’Église, épouse mystique du Christ, n’avait encore jamais dénié dans son enseignement la toute-puissance du Cœur de Marie sur celui de son divin Fils, notre unique Rédempteur, que lui obtint sa fidélité indéfectible à l’œuvre de notre Rédemption, depuis son Fiat jusqu’à sa présence au pied de la Croix au cours du Sacrifice suprême du Calvaire.
Léon XIV contredit directement l’enseignement magistériel clair et constant de ses prédécesseurs, en particulier de Pie IX à Pie XII. Victorieuse du serpent venimeux par son union à la Croix[1], selon les propos de Pie IX, Notre-Dame est, aux dires de Léon XIII, « associée à Jésus dans l’œuvre du salut du genre humain »[2], et « coopératrice de la Rédemption humaine »[3]. Saint Pie X confirmera ces propos et consacrera le terme de Corédemptrice par un décret du Saint-Office du 26 juin 1913 dans lequel il loue « l’habitude d’ajouter au nom de Jésus, celui de sa Mère, notre Corédemptrice, la bienheureuse Vierge Marie ». Ses successeurs useront largement du terme, conduisant Pie XII à affirmer que Marie « compléta ce qui manquait aux souffrances du Christ… pour son Corps qui est l’Église »[4]. (Col 1, 24)Jusqu’à Jean-Paul II lui-même qui « l’a utilisé à sept reprises au moins »[5].
Les textes magistériels ne sont pas moins nombreux concernant la médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie. Elle est bien « la dispensatrice de tous les trésors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang »[6] et une messe de la Vierge Marie « Médiatrice de toutes grâces » fut autorisée par Pie XI en 1921 à tous les diocèses et Congrégations qui en firent la demande.
En fils de l’Église, respectueux de la hiérarchie que le Christ institua, nous reconnaissons qu’il appartient au Pape, et à lui seul, de proclamer comme dogme de Foi la Corédemption et la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie. Si nous y sommes favorables et si nous appelons de nos vœux ardents ces définitions, nous n’entendons nullement les exiger. Pour autant nous ne pouvons souffrir que soit méprisé et rejeté sans plus de manière ce que la théologie catholique et le Magistère antérieur à Vatican II acceptaient sans réserve.
Plus encore, nous sommes outrés par le dogmatisme effronté avec lequel est exposée la nouvelle mariologie préconisée sous le vocable « Mère des croyants », dont le développement ne repose que sur la constitution dogmatique Lumen gentium du concile Vatican II et les écrits des papes postérieurs, de Paul VI à Léon XIV, comme l’atteste la quarantaine de références successives renseignées en notes.
En d’autres termes, les catholiques sont à nouveau confrontés au choc violent qui oppose deux Magistères, dont le concile Vatican II a constitué la rupture. Il leur est imposé d’abandonner l’enseignement traditionnel sur la théologie mariale commun jusqu’à Pie XII, au motif « [d’]un effort œcuménique particulier » qui implique la clarification du « sens selon lequel certains titres et expressions qui se réfèrent à Marie sont acceptables ou non »[7] par les non-catholiques.
Les catholiques sont à nouveau confrontés au choc violent qui oppose deux Magistères, dont le concile Vatican II a constitué la rupture.
Or voici ce qu’écrivait déjà, Monseigneur Marcel Lefebvre, le 11 octobre 1964 à la veille de la cinquième et dernière session du concile Vatican II, dans un texte intitulé Pour demeurer bon catholique faudrait-il devenir protestant ?
Est-il possible de déceler le motif, du moins apparent, qui a permis à ces thèses révolutionnaires de prendre place officiellement à la barre du Concile ? Nous croyons pourvoir dire que c’est à la faveur d’un œcuménisme qui, se présentant d’abord comme catholique, est devenu au cours même des sessions un œcuménisme rationaliste. Cet esprit d’œcuménisme non catholique a été le bélier dont des mains mystérieuses se sont servies pour tenter d’ébranler et de pervertir la doctrine enseignée dans l’Église depuis les temps évangéliques jusqu’à nos jours, doctrine pour laquelle le sang de tant de martyrs a été versé et coule encore aujourd’hui. Aussi inconcevable que cela puisse paraître, cela est : on parlera toujours désormais dans l’histoire de l’Église de ces thèses contraires à la doctrine de l’Église qui, sous prétexte d’œcuménisme, ont été présentées aux Pères conciliaires de Vatican II. Ainsi sur des points de doctrine spécifiquement catholiques on s’est efforcé de composer des schémas qui atténuent ou font même disparaître ce qui peut déplaire aux orthodoxes et surtout aux protestants. (…) [Sur] la Vierge Marie, c’est avec une impudence incroyable, en dépit du désir explicite du Saint-Père, que le schéma proposé supprime le titre de Marie Mère de l’Église ; les œcuménistes regrettent que la Vierge Marie y soit nommée Médiatrice.
Un évêque parle, pp. 110–111 et 114.
Il importe de rappeler que le 29 octobre 1963, les Pères du concile Vatican II avaient décidé[8] d’écarter la très sainte Vierge Marie des travaux spécifiques à entreprendre au cours du Concile sous le prétexte rapporté par le Pape Paul VI lui-même : « Nous ne voulons pas faire de notre Foi un motif de polémique avec nos frères séparés ».
La dévotion à la très sainte Vierge Marie constituait donc déjà un obstacle au faux œcuménisme qui devait sortir du Concile, aussi y a‑t-on tout bonnement congédié notre bonne Mère du Ciel. Comme le commente M. l’abbé Victor-Alain Berto, qui fut le théologien privé de notre fondateur au Concile :
Elle ne se l’est pas fait dire deux fois ! La terre n’a pas tremblé, la foudre n’est pas tombée sur Saint-Pierre. La très sainte Vierge Marie est sortie discrètement, dans un profond silence. Seulement si discrètement, dans un silence si profond qu’elle n’a pas dit comme à Cana : “Ils n’ont plus de vin !” Et voilà comment le destin du Concile a été scellé. La très sainte Vierge Marie n’ayant rien dit, Notre Seigneur Jésus-Christ n’a rien fait ; l’eau est restée de l’eau.
Le Concile fut un échec dont l’Église subit encore aujourd’hui les conséquences néfastes.
C’est dire ce qu’il faut augurer du prochain pontificat. Au lieu de demander à genoux à la très sainte Vierge Marie, dans une supplication solennelle, de prononcer de nouveau ses paroles salutaires : « Ils n’ont plus de vin ! », et de hâter ainsi l’intervention de son divin Fils, le successeur de Pierre la déclare gênante, embarrassante, encombrante. Au lieu de supplier l’épouse du Saint-Esprit de venir en aide à cette arche qu’est l’Église, submergée sous les eaux, le Vicaire du Christ la discrédite, la déconsidère, la dénigre même, la disqualifie en définitive.
Par souci d’œcuménisme, pour ne pas heurter nos « frères séparés », les deux notions traditionnelles de Corédemption et de Médiation universelle de la très sainte Vierge Marie sont écartées d’un revers de main. L’enseignement catholique traditionnel étant absolument incompatible avec la théologie et l’esprit protestants, on le rejette et on démolit la foi et la piété des baptisés. Pour soulager le cœur des protestants, le Pape a préféré aujourd’hui meurtrir, ravager même, celui des catholiques !
Pour soulager le cœur des protestants, le Pape a préféré aujourd’hui meurtrir, ravager même, celui des catholiques !
Le combat doctrinal est donc loin d’être achevé. Armons-nous de notre chapelet quotidien et osons même réciter le saint Rosaire pour défendre l’honneur outragé de notre Mère du Ciel ! Ayons à cœur, aussi, de réparer cette nouvelle offense faite au Cœur Immaculé de Marie.
La Providence permet, en effet, que notre profonde tristesse soit consolée par le centenaire des apparitions de l’Enfant-Jésus et de Notre-Dame à Pontevedra auprès de sœur Lucie de Fatima. Au cours de deux apparitions, qui eurent lieu le 10 décembre 1925 et le 15 février 1926, Notre-Dame lui exposa – comme Elle s’y était engagée le 13 juillet 1917 à Fatima – la pratique si salutaire de la dévotion réparatrice des premiers samedis du mois, qui constitue l’un des actes les plus importants de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. En effet, en plus du salut des âmes chrétiennes, c’est celui des grands pécheurs qui est recherché, particulièrement ceux qui ont très gravement offensé la Sainte Vierge et ne peuvent être sauvés sans réparation. N’est-ce pas la meilleure manière pour nous de répondre à l’offense que Notre-Dame vient de subir en même temps que la consolation la mieux adaptée au désarroi de nos cœurs mariaux ?
A la première de ces deux apparitions, la Vierge Marie présenta à sœur Lucie son cœur souffrant :
« Vois, ma fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler, et dis que tous ceux qui, pendant cinq mois, le premier samedi, se confesseront[9], recevront la sainte communion, réciteront un chapelet et me tiendront compagnie pendant quinze minutes en méditant sur les quinze mystères du Rosaire, en esprit de réparation, je promets de les assister à l’heure de la mort, avec toutes les grâces nécessaires au salut de leur âme.
Et fort de la réponse de Notre-Seigneur à sœur Lucie, consignée le 12 juin 1930 par son confesseur le Père Gonçalves[10], nous accordons solennellement aux fidèles de nos chapelles où n’est pas célébrée la messe le premier samedi du mois, l’autorisation de pratiquer cette dévotion le lendemain à la messe dominicale. Nous espérons de nos vœux les plus fervents que vous aurez tous à cœurs, chers fidèles, chers amis et bienfaiteurs, de vivre désormais cette dévotion mariale chaque mois – et sans vous limiter aux cinq à venir -, tant elle nous semble nécessaire et indispensable.
Que la Vierge Corédemptrice et Médiatrice de toutes grâces nous vienne en aide, elle qui est « forte comme une armée rangée en bataille » !
- Pie IX, Bulle Ineffabilis Deus, 1854.[↩]
- Léon XIII, Encyclique Supremi apostolatus officio, 1883.[↩]
- Léon XIII, Encyclique Adjutricem populi, 1895.[↩]
- Pie XII, Encyclique Mystici corporis, 1943.[↩]
- Mater populi fidelis, §18[↩]
- Saint Pie X, Encyclique Ad diem illum, 1904.[↩]
- Présentation de la Note doctrinale par le Préfet du Dicastère.[↩]
- Marcel Lefebvre, Une vie, p. 324 : « Hélas ! le vote du 29 octobre 1963, par 1114 voix contre 1097, accorda la victoire aux frileux et aux œcuménistes. »[↩]
- « [La confession] peut être faite [dans les huit jours précédents et] même au-delà, pourvu que les âmes soient en état de grâce le premier samedi lorsqu’elles me recevront (…) L’intention de faire ainsi réparation au Cœur Sacré de Marie pourra être conçue pour la confession suivante, profitant de la première occasion qu’elles auront de se confesser. » Apparition du 15 février 1926[↩]
- « La pratique de cette dévotion sera également acceptée le dimanche qui suit le premier samedi, quand mes prêtres, pour de justes motifs, le permettront aux âmes. »[↩]









