Chers Amis et Bienfaiteurs,
l y a six ans, Monseigneur Lefebvre rendait son âme à Dieu. Nous voudrions commencer cette lettre par rendre hommage à notre vénéré fondateur qui s’éteignit dans la souffrance de la maladie et l’opprobre de ce monde. Tant la justice civile qu’ecclésiastique ont abandonné dans la condamnation cet « homme » qui les dérangeait tant par son amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ par dessus tout. Six ans après son décès, le combat continue. Combat spirituel pour rappeler aux masses anesthésiées par l’abondance des biens matériels, plongées de plus en plus dans un relativisme et scepticisme doctrinal de « bon ton », les exigences de leur Créateur, la fin glorieuse à laquelle Il les appelle, les enjeux terribles d’une non correspondance à l’invitation divine, le ciel ou l’enfer.
Le libéralisme exerce une tyrannie inouïe sur les esprits et gare à qui oserait affirmer autre chose. Bien vite on nous traite de sectaires, d’extrémistes radicaux, de fondamentalistes et notre cause est entendue ! Et pourtant, la vérité pourrait-elle abdiquer de ses droits et de ses prérogatives ? D’autres voix en d’autres temps ont parlé, leur jugement est toujours aussi actuel :
« Beaucoup assurément vous accuseront d’imprudence et diront que votre entreprise est inopportune ; mais parce que la vérité peut déplaire à beaucoup et irriter ceux qui s’opiniâtrent dans leur erreur, elle ne doit pas être jugée imprudente et inopportune ; bien plus, il faut croire qu’elle est d’autant plus prudente et plus opportune que le mal qu’elle combat est plus grave et plus répandu. Autrement, il faudrait prétendre que rien n’est plus imprudent et plus inopportun que la promulgation de l’Évangile qui eut lieu lorsque la religion, les lois, les mœurs de toutes les nations lui faisaient une opposition directe. Une lutte de ce genre ne pourra que vous attirer les blâmes, le mépris, les querelles haineuses ; mais Celui qui apporta la vérité à la terre n’a pas prédit autre chose à ses disciples sinon qu’ils seraient odieux à tous à cause de son nom. [1] »
Pie IX fustigeait le catholicisme libéral qui prône une tolérance accommodante :
« Une sorte de moyen terme à l’aide duquel ils pourraient amener à de mutuels embrassements la vérité et l’erreur qui se combattent sans cesse, estimant comme une œuvre de prudence de ne s’attacher pleinement ni à l’une ni à l’autre de peur que la vérité ne trouble l’erreur dans sa possession ou que l’erreur ne dépasse les limites qu’on a cru follement pouvoir lui assigner [2] ».
Le concile Vatican II a ouvert toutes grandes ses portes à cet esprit extrêmement dangereux pour l’Église et si soigneusement condamné par les papes pendant plus d’un siècle. L’Église depuis se meurt de cet esprit de composition aux contours flous, qui engendre un peu partout la confusion, l’indiscipline, la rébellion, le chaos.
Que l’on ne nous accuse pas de construire une spéculation abstraite entre un passé glorieux de l’Église et un présent ténébreux, entre une manifestation expressive et claire de la foi auparavant et une proposition trouble et indécise aujourd’hui. D’autres autorités ont constaté l’état de fait en des termes qui ne laissent pas indifférents : Paul VI [3] :
« (…) Ce qui me frappe quand je considère le monde catholique, c’est qu’à l’intérieur du catholicisme, une pensée de type non catholique semble parfois avoir le dessus, et il se peut que cette pensée non catholique à l’intérieur du catholicisme devienne demain la plus forte, mais elle ne représentera jamais la pensée catholique. Il faut que subsiste un petit troupeau, même si c’est un troupeau tout petit ».
Nous n’inventons donc rien lorsque nous essayons, à la suite de Mgr Lefebvre, de distinguer entre une Rome catholique et une Rome moderniste ! D’où aussi le grave problème des relations que nous devrions avoir normalement avec Rome ! à quelles mains allons-nous confier notre futur ? Aux instances romaines qui déclarent que tous, évêques, prêtres, fidèles sont excommuniés pour cause de schisme, ou à celles qui dégagent de telles sanctions, au moins les prêtres et les fidèles, car il n’y a pas schisme, mais danger de schisme, à celles encore qui nous estiment tout simplement catholiques ? Comment pourrions-nous opérer un tel choix ? Les autorités romaines sont divisées à notre sujet, c’est un fait, nous avons les documents qui le prouvent en notre possession. Nous ne pouvons que continuer notre « politique » de discrets contacts et surtout de protestation publique contre l’auto-démolition de l’Église, fruit du libéralisme qui empoisonne tant et tant de prélats. Comment ne pas voir le parallélisme éclatant entre l’attitude du catholique libéral et celle de l’œcuménisme actuel ? C’est le même esprit appliqué cette fois-ci aux relations de l’Église avec les autres religions chrétiennes. Le même esprit qui conduit au même relativisme pratique, à l’indifférentisme.
Dans cette optique œcuménique se prépare le jubilé de l’an 2000. Que restera-t-il de l’identité de l’Église ? On prétend qu’elle n’est pas identique à l’Église de Dieu [4], on prétend maintenant qu’elle n’a pas le droit à l’exclusivité du salut, un des dogmes les plus fondamentaux de notre religion [5].
L’œcuménisme, qui prétend réaliser l’union des religions chrétiennes, en fait et tel qu’il est pratiqué, détruit l’unité de l’Église catholique. Au nom de l’œcuménisme, on sape les trois unités constitutives de l’Église : l’unité de foi en relativisant la nécessité absolue de celle-ci pour être sauvé, l’unité de liturgie (la nouvelle messe a été inventée dans l’optique œcuméniste, selon les affirmations de son auteur Mgr Bugnini) et finalement l’unité de gouvernement en attaquant la primauté inaliénable de Pierre, pierre sur laquelle est fondée l’unique Église du Christ, primauté qui dans son exercice est la cause efficiente de l’unité des cœurs et des volontés, qui a pour conséquence de son non exercice la dispersion des brebis…
Prions pour que Dieu conserve à son Église « l’intégrité de la religion » [6] Prions assidûment et sacrifions-nous pour que cette épreuve arrive bientôt à son terme ! Plongés au milieu de ces temps de crise, nous recevons de Dieu cependant d’abondantes consolations : les vocations semblent augmenter légèrement ; ici et là, de véritables églises se construisent et méritent la plus solennelle des bénédictions, la consécration ou dédicace. Ainsi, nous avons pu consacrer à Manille notre église dédiée à Notre Dame des Victoires au début mars avec le concours de nombreux fidèles et Mgr Williamson consacrera notre église « baroque » de Stuttgart le dimanche du bon Pasteur, (dédiée à Notre-Dame du Rosaire). Quant à l’église d’Écône, les photos ci-jointes vous montrent l’avancement des travaux : on pose actuellement le toit et nous espérons que la construction sera terminée dans un peu plus d’un an.
Nous osons réitérer notre appel pressant à votre générosité, déjà tant sollicitée, pour cet important projet qui ne pourra voir son aboutissement qu’avec votre aide !
Nous demandons à Dieu qu’il daigne nous donner la consolation non seulement d’ériger ces temples de pierre à sa gloire, mais surtout de faire de vos cœurs un temple saint qu’il embellit, fortifie, honore de sa présence constante, en ce jour où le Verbe s’est fait chair par l’opération du Saint-Esprit et a daigné habiter parmi nous dans le sein de Marie toujours Vierge, la plus belle des créatures, le plus beau et le plus saint des temples où Il est glorifié dans les siècles des siècles.
Menzingen, le 25 mars 1997, en la fête de l’Annonciation
+ Bernard Fellay
Supérieur général
[1] Pie IX, Bref aux rédacteurs d’un journal catholique de Rodez, déc. 1876.
[2] Pie IX, Bref aux membres des Conférences de St Vincent de Paul d’Angers, fév. 1875.
[3] Jean Guitton, Paul VI secret, p. 168,
[4] Vatican II, subsistit.
[5] Cf., Le travail de la Commission théologique Internationale, publié dans la Civilta cattolica, fév. 1997, le Christianisme et les religions.
[6] Post communion de la messe d’un souverain pontife.
Page précédente | Page suivante |