Conte de Noël : la mystérieuse Dame…Le Bon Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité


Le Bon Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité

Toutes les his­toires mer­veilleuses com­mencent par « Il était une fois… » A la lec­ture de ces mots, notre ima­gi­na­tion s’évade vers le monde mer­veilleux des rêves où tout est pos­sible. Cela peut paraître vain puisqu’irréel. Ce serait vrai si le seul but de ces contes était de nous racon­ter des his­toires fan­tas­tiques qui ne sont que des mots se sui­vant les uns les autres. Mais il faut savoir décou­vrir le sens caché de ces his­toires et ce qu’elles cherchent à nous faire accom­plir. Nous savons que Notre Seigneur Jésus-​Christ est né une seule fois à Bethléem, et pourtant…

Il était une fois, il y a bien long­temps, dans un pays d’Afrique cen­trale appe­lé le Gabon, vivaient un gar­çon et sa petite sœur. Jamais per­sonne n’avait vu un tel amour fra­ter­nel. On ne voyait jamais l’un sans l’autre, ils étaient insé­pa­rables. Ils vivaient avec leurs parents dans une case, pas bien riche, certes, mais bien entre­te­nue, toute propre. Le plus bel endroit, celui qui atti­rait tout le soin de la petite famille, était l’oratoire. Une belle sta­tue du Sacré-​Cœur et une image de la Sainte Vierge étaient à l’honneur. Des fleurs fraîches venaient autant que pos­sible orner ce lieu autour duquel toute la famille se réunis­sait tous les jours pour la prière. Mais les parents ne se sou­ciaient pas seule­ment de la beau­té exté­rieure, ils vou­laient que les âmes de leurs deux enfants, Hugues et Alix, soient tou­jours pures. Ils les aimaient tel­le­ment, et d’un si véri­table amour, qu’ils ne sup­por­taient la pen­sée qu’un de leurs enfants puisse com­mettre un péché mor­tel. Ils leur avaient donc appris à vivre droi­te­ment, comme de vrais chré­tiens, mais ils vou­laient plus pour eux. Alors ils sont allés à la Mission ren­con­trer le Père Amaury de Beauport, de la Congrégation du Saint-​Esprit. Depuis ce jour, les deux enfants sont allés à l’école des Pères et des Sœurs. Malheureusement, les plus belles his­toires sont loin d’être les plus heu­reuses, et un peu de temps avant la Noël de cette année-​là, les parents d’Hugues et d’Alix vinrent à mou­rir, et en ce 24 décembre les cœurs des deux enfants étaient bien tristes. Oh bien sûr, leur papa et leur maman avaient reçu les der­niers sacre­ments avant de mou­rir et le Père de Beauport avait dit aux deux orphe­lins que leurs parents étaient cer­tai­ne­ment au ciel. Mais leur intel­li­gence d’enfants avait du mal à com­prendre tout cela.

Le matin du 24 décembre, le Père leur explique au cours de caté­chisme que cette nuit est une nuit de joie, d’allégresse, car on va fêter la venue de l’Enfant-Jésus sur la terre, la nais­sance du Fils de Dieu fait homme, venu sur la terre pour rache­ter les péchés du monde entier.

- Les enfants, est-​ce que l’un d’entre vous peut me dire le nom de la fête de ce soir à minuit ?
Une bonne par­tie des quarante-​trois élèves lèvent leur petite main, tout fiers de pou­voir don­ner la réponse.
– Oui, toi, Alix, alors ?
– Mon Père, c’est la fête de Noël.
– Très bien. Mais qu’est-ce que la fête de Noël ? Que fêtons-​nous exac­te­ment ? Oui, Hugues ?
– Mon Père, la nais­sance de Jésus.
– Très bien. Et toi, peux-​tu me dire qui est Jésus ?
– Mon Père, c’est le Fils de Dieu.
– Excellent, et dis-​moi aus­si pour­quoi le Fils de Dieu vient sur la terre ?
– Euh…
– Est-​ce que quelqu’un peut l’aider ? Mathilde ? Non ? Hugues ?
– Mon Père, c’est pour sau­ver tous les hommes.
– Exactement, bra­vo. Vous vous sou­ve­nez que le Bon Dieu, lorsqu’il a puni Adam et Eve à cause du péché qu’ils avaient com­mis, avait pro­mis un Sauveur qui les déli­vre­rait de leurs péchés et qui ouvri­rait de nou­veau les portes du ciel. Ce Sauveur, le Bon Dieu n’avait pas dit qu’il serait son Fils, il avait juste pro­mis un rédemp­teur. Mais le Bon Dieu ne fait pas les choses à moi­tié, et il nous aime tel­le­ment que c’est son propre Fils qu’il nous a don­né. Jésus est né de la Sainte Vierge Marie il y a de cela très long­temps. Mais nous conti­nuons à célé­brer cette fête chaque année car c’est le salut qui des­cend du ciel. C’est la rai­son pour laquelle nous devons être joyeux pen­dant ces jours qui nous pré­parent à Noël.

Le cours ter­mi­né, Hugues et Alix retournent dans leur case bien vide, le cœur lourd. Ils mangent un peu mais sans entrain, sans gaie­té. La pluie tam­bou­rine sur le toit et semble vou­loir le tra­ver­ser. Ne pou­vant retour­ner à la mis­sion pour la messe de minuit, ils s’agenouillent tous les deux devant leur crèche et com­mencent une petite veillée de prières. Leur papa avait sculp­té des san­tons dans un très beau bois cou­pé en forêt. Il avait dit : 

- Ils ne seront pas mer­veilleux car je ne suis pas un grand sculp­teur, mais ce qu’il y a de plus beau, je vais l’utiliser pour le Bon Dieu.

La maman les avait habillés avec les plus beaux tis­sus de la mai­son. Les enfants, ne vou­lant pas être en reste, avaient fabri­qué un joli ber­ceau en cou­pant en deux une noix de coco qu’ils rem­plis­saient de coton au fur et à mesure de leurs sacri­fices. Ils vou­laient tel­le­ment que le petit Jésus soit confor­ta­ble­ment ins­tal­lé qu’ils ne per­daient pas une occa­sion de se sacri­fier. Et chaque année, Alix fai­sait l’offrande de sa pou­pée pen­dant tout le temps de Noël afin qu’il y ait un bel Enfant Jésus dans la crèche.

Et ils sont là, devant celle-​ci, priant et repen­sant à leurs parents…

Soudain, on frappe à la porte. Hugues se pré­ci­pite en se deman­dant qui peut bien être dehors par un temps pareil et sur­tout en une telle nuit. A sa grande sur­prise, un homme bar­bu se pré­sente et lui dit :

- Pardonne-​moi, mon gar­çon, mais mon épouse et moi venons d’accomplir un très long voyage et nous avons été sur­pris par la pluie. Pouvons-​nous nous sécher et nous repo­ser un ins­tant ? Mon épouse est enceinte et elle est très fati­guée.
Hugues s’aperçut au pre­mier coup d’œil que ces étranges per­son­nages ne sont pas du pays. Ils ont le teint plus clair, des habits dif­fé­rents, une autre façon de par­ler. L’homme porte un long man­teau mar­ron et tient d’une main un grand bâton de voyage, et de l’autre les rênes d’un ani­mal tout gris avec de grandes oreilles, ani­mal qu’on ne trouve pas au Gabon. Hugues n’est pas très ras­su­ré, mais quand il voit le visage si bon de l’homme, et la pauvre femme, fati­guée, assise sur cet ani­mal incon­nu, son bon cœur prend le des­sus et il dit :
– Je vous en prie, entrez. Vous êtes ici chez vous et vous res­te­rez le temps qu’il vous plai­ra. Je m’appelle Hugues et voi­ci ma petite sœur Alix.
– Merci mes enfants.

L’homme se retourne et dit :

- Marie, nous allons nous arrê­ter ici, ces gens veulent bien nous accueillir.
– Merci beau­coup mes enfants, dit la femme, alors qu’un sou­rire radieux illu­mine son visage. Mon enfant ne va pas tar­der à naître et c’est un grand sou­la­ge­ment de trou­ver enfin un toit où l’on veuille bien nous accueillir. Le Bon Dieu vous le ren­dra.
Aidée par son époux, elle des­cend de sa mon­ture et rentre dans la case. Hugues et Alix, qui ne perdent pas un geste des deux mys­té­rieux voya­geurs, sont impres­sion­nés par la majes­té, la paix et la dou­ceur qui émanent d’eux. La femme est d’une beau­té extra­or­di­naire, son main­tien est noble et humble à la fois.
– On dirait une prin­cesse, mur­mure Alix à l’oreille de son frère.
– Chut.

Hugues les ins­talle dans la pièce prin­ci­pale. Il dis­pose au mieux les oreillers et tous les cous­sins que sa sœur et lui trouvent dans la maison.

- Voilà, séchez-​vous et reposez-​vous, j’espère que vous serez bien.
– Merci beau­coup. Mais où sont vos parents ? Vous vivez seuls ?
– Oui, répond Hugues, ils sont morts il n’y a pas long­temps.
– Que leur est-​il arri­vé ?
– Nous ne savons pas, le méde­cin n’a rien pu faire.
– Oh, mes pauvres enfants. C’est donc pour cela que vous avez l’air si triste ?
– Oui, dit Alix. Nous savons pour­tant que c’est Noël, que nous devrions être joyeux. Le père Amaury nous l’a encore répé­té ce matin, mais c’est dur. Nous aimions tant nos parents…

La femme lève sur eux des yeux si doux qu’Alix se pré­ci­pite vers elle et se jette dans ses bras en pleurant.

- Allons, ma petite Alix, ne pleure pas, lui dit la femme avec dou­ceur en la ser­rant contre elle et lui cares­sant dou­ce­ment les che­veux. Sais-​tu que les âmes de ceux qui meurent en état de grâce vont au ciel ?
– Oh oui, je le sais, cela nous console un peu tous les deux. Ils ont pu rece­voir les der­niers sacre­ments avant de mou­rir. Le Père Amaury est res­té avec eux jusqu’au bout pour pré­pa­rer leurs âmes.
– Alors soyez pleins de confiance. Dieu n’abandonne jamais ceux qui l’aiment.

Alix se calme et essuie ses larmes. Mais elle reste blot­tie contre la mys­té­rieuse dame. Elle sent une étrange paix et un bon­heur indi­cible à être près d’elle. Hugues, lui, ne vou­lant pas pleu­rer devant sa petite sœur, retient ses larmes. Cessant de pen­ser à leurs mal­heurs, il dit :

- Mais vous devez avoir faim après un voyage aus­si fati­gant ? Voulez-​vous que nous vous pré­pa­rions quelque chose à man­ger ? Nous ne sommes pas riches, mais il ne sera pas dit que la nuit de Noël nous ayons refu­sé l’hospitalité à des voya­geurs.
– Merci beau­coup de votre géné­ro­si­té, et croyez bien que le Bon Dieu vous le ren­dra au cen­tuple.
– Voulez-​vous aus­si que nous nous occu­pions de votre ani­mal ?
– Non, ce n’est pas la peine, il va se débrouiller tout seul, il ne mange que de l’herbe. Mais si vous pou­viez lui don­ner un peu à boire, ce serait gen­til.
– Bien sûr.

Tout content de pou­voir rendre ser­vice, Hugues attise le feu pour faire cuire quelques bananes, du manioc et un mor­ceau de viande. Il court ensuite au puits tout proche pour cher­cher de l’eau bien claire. Pendant ce temps, Alix s’affaire pour pré­pa­rer la table. Elle sort la nappe qui ne sert que pour les grandes occa­sions et dis­pose tout avec goût. Elle va même prendre quelques fleurs pour don­ner une touche plus joyeuse. Les deux voya­geurs les regardent faire et sont émus par tant de bon­té, de sim­pli­ci­té, de spon­ta­néi­té, de cha­ri­té. Ils se regardent lon­gue­ment, et sans rien dire leurs pen­sées se rejoignent.

- Voilà, c’est prêt, dit Hugues. Madame, préférez-​vous man­ger allon­gée ? Nous pou­vons dépla­cer la table si vous vou­lez.
– Non mer­ci, tu es gen­til, je vais venir faire hon­neur à une table aus­si bien préparée.

Sous le com­pli­ment, Hugues et Alix baissent les yeux. Leurs deux hôtes font une prière puis s’installent à table. Ils mangent de bon appé­tit, mais sans excès. Les deux enfants les servent, veillant à ce qu’il ne manque rien. Du coin de l’œil, ils les observent, se posant un cer­tain nombre de ques­tions. Hugues finit par se lancer :

- Cet ani­mal avec lequel vous êtes venus, qu’est-ce que c’est ? Il est bien gen­til.
– C’est un âne, répond l’homme, une bête très résis­tante qui peut por­ter de lourdes charges pen­dant long­temps. Il y en a beau­coup chez nous.
– Chez vous ? Où est-​ce chez vous ?
– Très loin au Nord, un pays où le soleil est par­fois si fort qu’il n’y a plus une herbe qui pousse. Mais il est très beau. Au prin­temps, les plaines et les mon­tagnes se couvrent de fleurs, les arbres portent tant de fruits que les branches ploient jusqu’au sol.
– Ça doit être magni­fique, mur­mure Alix, rêveuse.

Soudain, Hugues s’écrie :

- Et pour­quoi ne pourrions-​nous pas par­tir avec vous ? Nous sommes seuls ici. Laissez-​nous venir avec vous, nous pour­rions vous être utiles. Je sais faire beau­coup de choses et ma petite sœur aus­si.
– Oh oui, s’il vous plaît, permettez-​nous de venir avec vous, sup­plie Alix.
– Vous vien­drez, un jour, mais pas tout de suite. Nous revien­drons vous cher­cher, c’est pro­mis, dit la femme.
– Pourquoi pas tout de suite ?
– Parce que ce n’est pas encore le moment. Soyez patients et ayez confiance.

Le repas ter­mi­né, l’homme et la femme se lèvent, rendent grâces à Dieu. Pendant qu’Hugues et Alix net­toient et rangent tout, les voya­geurs s’approchent de la crèche et regardent chaque détail.

- Elle n’est pas bien belle, dit Hugues, mais nous avons fait tout ce que nous pou­vions avec nos parents.
– Hugues, dit la femme, ce n’est pas tant la beau­té d’une chose qui fait qu’elle plaît à Dieu, c’est le cœur qu’on y met. Et cette crèche est cer­tai­ne­ment l’une des plus belles que l’on puisse trou­ver sous le ciel.
– Merci, souf­fla Alix en lui pre­nant la main.
– Nous allons faire la prière du soir ensemble si vous vou­lez, après nous irons nous coucher.

Tout le monde se met à genoux, et l’homme, d’une voix grave, récite les prières. Les deux enfants sont sub­ju­gués par la pié­té des deux voya­geurs. Portés par cette fer­veur, ils font la plus belle prière de leur vie. Un par­fum du ciel semble enva­hir la mai­son­née. La prière finie, Hugues et Alix, après avoir salué leurs hôtes, gagnent leur chambre. Allongés sur leur mate­las, ils pensent aux évè­ne­ments de la soi­rée et s’endorment d’un som­meil pro­fond et paisible.

Soudain, à minuit, ils sont réveillés par une douce musique qui semble venir de la chambre de leurs parents. Ils se lèvent et aper­çoivent de la lumière à tra­vers les mon­tants. De plus en plus intri­gués, ils approchent et tout à coup les volutes d’un par­fum sub­til cha­touillent leurs narines. Poussés par une force mys­té­rieuse, ils conti­nuent à avan­cer et arrivent devant la porte qui s’ouvre devant eux. Un spec­tacle d’une beau­té incroyable se pré­sente à leurs yeux éba­his. La femme est allon­gée sur le lit, tenant entre ses bras un tout petit enfant qui les regarde avec amour. L’homme est à genoux à côté du lit, et de petits anges vire­voltent autour du lit en chantant :

Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.

Hugues et Alix, un moment inter­dits, com­prennent qu’ils ont accueilli chez eux la Sainte Vierge et Saint Joseph, et que ce petit enfant, c’est l’Enfant Jésus. Ils tombent à genoux tous les deux et adorent. Des larmes de joie coulent sur leurs joues. Mais la Sainte Vierge leur dit :

- Approchez mes enfants.
Timidement, ils se relèvent et approchent du lit. La Sainte Vierge leur donne l’Enfant Jésus dont le regard bou­le­verse leurs cœurs. Il leur sou­rit. Ses petites mains attrapent leurs doigts et les serrent. La Sainte Vierge leur dit :
– Mes enfants, vous avez été très éprou­vés, mais mal­gré cela vous avez ouvert votre cœur aux misères des autres. Vous nous avez accueillis, don­né à man­ger et à boire alors que vous êtes dans le besoin. Mon Fils n’oublie jamais la cha­ri­té et ne la laisse jamais sans récom­pense. Je vous annonce que vos parents sont au ciel et que­vous les rejoin­drez bien­tôt. Nous revien­drons vous cher­cher comme je vous l’ai promis.

Le len­de­main matin, lorsque les deux enfants se réveillèrent, ils pen­sèrent un ins­tant avoir rêvé. Mais en allant faire leur prière du matin devant la crèche, ils n’en crurent pas leurs yeux. Les san­tons étaient splen­dides et leurs visages res­sem­blaient aux voya­geurs de la veille, les vête­ments res­plen­dis­saient d’or et d’argent dans le soleil levant. Et dans le ber­ceau, un vrai ber­ceau, un ravis­sant petit Enfant Jésus conti­nuait à les regar­der et à leur sourire.

Abbé François Brunet de Courssou, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Supplément Apostol de décembre 2016 /​La Porte Latine du 19 décembre 2016