Comment garder la patience ?

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus novice

Comment faire pour gar­der le calme ou se gar­der d’une remarque assas­sine qui pour­tant sou­la­ge­rait tant le bouillon­ne­ment inté­rieur devant les indé­li­ca­tesses répé­tées de l’une ou de l’autre ?

Au soir de sa vie, sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus recon­nut avoir reçu des lumières par­ti­cu­lières sur la cha­ri­té fra­ter­nelle. Trois mois avant sa mort, elle écrit : « Cette année, ma Mère ché­rie, le bon Dieu m’a fait la grâce de com­prendre ce que c’est que la cha­ri­té ; avant je le com­pre­nais, il est vrai, mais d’une manière impar­faite » (manus­crit C, llv). Il ne faut pas s’é­ton­ner de cet appro­fon­dis­se­ment d’une notion pour­tant si fon­da­men­tale, ni pen­ser que sainte Thérèse n’a décou­vert ou com­men­cé à pra­ti­quer la cha­ri­té fra­ter­nelle que la der­nière année de sa vie ! Mais comme le remarque le père Philipon O.P : « Les saints sont sou­mis à la loi du pro­grès, ils en incarnent même la plus vivante réa­li­sa­tion ; leur vie est une ascen­sion continue. »

Les lumières que le bon Dieu accorde aux âmes géné­reuses ne sont d’ailleurs pas sim­ple­ment spé­cu­la­tives. Les avis que sainte Thérèse don­nait aux novices dont elle avait la charge com­portent des consi­dé­ra­tions très pra­tiques qui béné­fi­cient d’une expé­rience et d’une sagesse gran­dis­santes. Comment donc par­ve­nir à se mon­trer tou­jours cha­ri­table ? Quelle « tac­tique » adop­ter ? Il n’est en effet pas dif­fi­cile d’i­ma­gi­ner que la patience est quel­que­fois mise à rude épreuve dans une com­mu­nau­té fer­mée d’une ving­taine de femmes ! Comment faire pour gar­der le calme ou se gar­der d’une remarque assas­sine qui pour­tant sou­la­ge­rait tant le bouillon­ne­ment inté­rieur devant les indé­li­ca­tesses répé­tées de l’une ou de l’autre ?

Sainte Thérèse avait tout d’a­bord cher­ché à mon­trer com­bien les juge­ments des hommes étaient fra­giles. Elle-​même avait été l’ob­jet de « cor­rec­tions fra­ter­nelles » pour des actions pour­tant très déli­cates de cha­ri­té mais qui avaient été mal inter­pré­tées. Il était facile de mon­trer que les inten­tions pro­fondes d’une âme étaient cachées aux autres, et que les actes exté­rieurs ne per­met­taient pas de mesu­rer les efforts accom­plis, ni même de remar­quer toutes les vic­toires rem­por­tées contre une nature rebelle ou aux prises avec des cir­cons­tances quel­que­fois com­plexes — voire dou­lou­reuses. Que de situa­tions pénibles sont igno­rées même par les plus proches ! Si le bon Dieu a vou­lu un juge­ment géné­ral, c’est bien pour dévoi­ler toutes choses et mani­fes­ter la jus­tesse de son gou­ver­ne­ment pro­vi­den­tiel qui se mesure par­fai­te­ment aux dis­po­si­tions et aux mérites de cha­cun. En atten­dant, le mot d’ordre de Notre Seigneur est bien connu : « Je veux tou­jours avoir des pen­sées cha­ri­tables car Jésus a dit : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » (C 13v). Il est d’ailleurs tel­le­ment plus encou­ra­geant de dépas­ser l’a­mer­tume qui aveugle pour remar­quer les qua­li­tés et les bons exemples qui ne manquent jamais autour de soi !

Quand le pro­chain est pris en « fla­grant délit », ce n’est pas en conti­nuant à le regar­der que l’on par­vient à conte­nir l’indignation.

Mais sainte Thérèse s’est ren­du compte que tous ses argu­ments, aus­si justes fussent-​ils, avaient peu d’in­fluence sur des sen­si­bi­li­tés bles­sées. En effet quand le pro­chain est pris en « fla­grant délit », ce n’est pas en conti­nuant à le regar­der — même si c’est en essayant d’a­ni­mer son cœur des pen­sées les plus cha­ri­tables — que l’on par­vient à conte­nir l’in­di­gna­tion. Sainte Thérèse invi­ta alors ses novices à lever les yeux vers Dieu qui, dans sa Providence avait au moins per­mis cette petite épreuve. À l’une d’entre elles qui était sa sœur Céline, elle disait : « Vous vous démon­tez si faci­le­ment, parce que vous n’a­dou­cis­sez pas votre cœur d’a­vance. Quand vous êtes exas­pé­rée contre quel­qu’un, le moyen de retrou­ver la paix c’est de prier pour cette per­sonne et deman­der à Dieu de la récom­pen­ser de vous faire souf­frir. » (Conseils et sou­ve­nirs p. 150)

Au fond, ce n’est qu’une appli­ca­tion par­ti­cu­lière d’une pen­sée qui lui était chère : « Tout est grâce ». Cet apho­risme, ren­du célèbre par Bernanos, se lit dans ses der­niers entre­tiens. Elle avait failli mou­rir sans avoir reçu l’extrême-​onction, et tout en confes­sant sa grande dévo­tion aux sacre­ments, elle disait aban­don­ner à Dieu le soin de son âme. « Sans doute, c’est une grande grâce de rece­voir les sacre­ments ; mais quand le bon Dieu ne le per­met pas, c’est bien quand même, tout est grâce » (C. J. 5. 6. 4.). Mais ce n’é­tait pas la pre­mière fois que la sainte affir­mait ain­si sa foi dans la Providence divine. Céline rap­porte qu’elle répé­tait sou­vent ce mot aux novices dont elle avait la charge en les encou­ra­geant à sou­vent remer­cier Dieu.

Or Dieu, qui veut la par­faite puri­fi­ca­tion de nos âmes, sait uti­li­ser les bonnes comme les mau­vaises inten­tions de notre pro­chain pour y par­ve­nir. Encore faut-​il, pour obte­nir ce résul­tat, oublier la créa­ture et ado­rer sa main toute-​puissante. En s’é­le­vant vers Dieu, le cœur res­sent moins les « piqûres d’é­pingles » (lettre 81), oublie l’ir­ré­flexion ou même la méchan­ce­té humaine, et se place dans la véri­té d’une pré­sence divine qui est toute bien­veillante. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il est pos­sible de se pen­cher avec misé­ri­corde sur les fai­blesses du prochain.

Source : Le Sainte-​Anne n°336