Admiration

L’admiration est sur­tout affaire de jeu­nesse d’âme. Dieu ne perd rien de sa gran­deur à être contemplé !

Saint François de Sales rejoint le grand Aristote quand il remarque que l’ad­mi­ra­tion « a cau­sé la phi­lo­so­phie et l’at­ten­tive recherche des choses natu­relles », mais il le dépasse quand il attri­bue à ce même sen­ti­ment « la contem­pla­tion et la théo­lo­gie mys­tique » (Traité de l’a­mour de Dieu, VII, 4).

Saint Thomas cite, dans sa Somme (IlIa q. 15, a. 8) saint Augustin qui voit dans l’ad­mi­ra­tion éprou­vée par notre Sauveur (par exemple devant la foi du cen­tu­rion) un élé­ment même de l’é­van­gile qu’il est venu nous prê­cher : « L’étonnement du Seigneur signi­fie qu’il faut nous éton­ner, nous aus­si, car nous en avons encore besoin. De tels mou­ve­ments ne sont donc pas chez lui le signe d’une per­tur­ba­tion de l’âme, mais font par­tie de l’en­sei­gne­ment du Maître. »

A une époque où les âmes sont fas­ci­nées par les machines inven­tées par l’homme mais comme désa­bu­sées devant les mer­veilles de la créa­tion et indif­fé­rentes aux mys­tères de la foi, il importe de prê­ter atten­tion à cet aver­tis­se­ment. Malheur aux âmes bla­sées et repues qui ne savent plus s’é­ton­ner des œuvres divines !

Saint Thomas consi­dère que l’ad­mi­ra­tion est une sorte de crainte conçue par l’âme alors qu’elle dis­cerne quelque chose qui dépasse sa facul­té (lIa Ilæ q. 180, a. 3, ad 3um). Il y a donc tou­jours une forme d’i­gno­rance à l’o­ri­gine de l’ad­mi­ra­tion, igno­rance soit totale (ex igno­ran­tia causæ), soit en rai­son de la gran­deur pro­pre­ment incom­pré­hen­sible de la chose décou­verte (ex appre­hen­sione magni).

Dans le pre­mier cas, la quête phi­lo­so­phique ou scien­ti­fique est atti­sée et, quand se joint l’es­poir de par­ve­nir à la connais­sance qui échappe, le plai­sir res­sen­ti par l’âme est par­mi les plus grands qu’elle puisse connaître tant le désir de connaître est natu­rel à l’in­tel­li­gence (cf. la Ilæ q. 32, a. 8).

Dans l’autre cas, le désir de l’âme est plu­tôt de s’ap­pro­cher de l’ob­jet appré­hen­dé pour par­ta­ger sa per­fec­tion et mieux la louer. C’est cette der­nière sorte d’ad­mi­ra­tion qui s’u­nit à l’a­do­ra­tion dans la prière du chré­tien qui contemple les mys­tères de la foi.

La Sainte Écriture (les psaumes en par­ti­cu­lier) est rem­plie de ces éton­ne­ments de l’âme devant la gran­deur de Dieu et les mys­té­rieuses dis­po­si­tions de sa Providence.

La litur­gie dans cer­taines de ses antiennes (cf. les grandes antiennes Ô des jours qui pré­cèdent Noël, ou bien celle qui com­mence par « Ô admi­rable échange » des vêpres du 1er jan­vier), dans l’Exultet de Pâques, et même dans plu­sieurs de ses orai­sons, nous donne l’exemple de l’é­mer­veille­ment devant la bon­té de Dieu qui nous invite à une confiance toute surnaturelle.

En effet « cet éton­ne­ment reli­gieux est le véri­table sen­ti­ment par lequel nous devons hono­rer les pro­fondes et incon­ce­vables conduites de Dieu… » remarque Bossuet (Esquisse pour le Dimanche dans l’Octave de Noël) quand il com­mente l’évangile de la pré­sen­ta­tion (Luc II, 33) où il est dit que « Son père et Sa Mère étaient dans l’ad­mi­ra­tion des choses qu’on disait de Lui. »

Ses élé­va­tions sur les mys­tères de notre reli­gion sont autant d’oc­ca­sions de s’é­mer­veiller. Dans le com­men­taire du Prologue de saint Jean, il ne peut plus qu’é­crire : « Ah ! je me perds, je n’en puis plus ; je ne puis plus dire qu’Amen : il est ain­si … Quel silence ! quelle admi­ra­tion ! quel éton­ne­ment ! » (12° semaine, 7ème élévation).

Les fruits de l’ad­mi­ra­tion sont nom­breux et bien pro­fi­tables à l’âme qui cherche Dieu. Le car­di­nal de Bérulle le remarque : « Ceux qui contemplent un rare et excellent objet se trouvent heu­reu­se­ment sur­pris d’é­ton­ne­ment et d’ad­mi­ra­tion… cet éton­ne­ment donne force et vigueur à l’âme… elle s’é­lève à une grande lumière… » (Grandeurs de Jésus). Richard de Saint-​Victor décrit com­ment l’ad­mi­ra­tion excite, sou­tient, puri­fie et sim­pli­fie l’attention.

Les dis­trac­tions dans la prière, dont nous nous plai­gnons si faci­le­ment, ne seraient-​elles pas en effet com­bat­tues avec plus de suc­cès si nous appre­nions à nous émer­veiller devant la conduite de Dieu dans les mys­tères de notre foi ?

Encore faut-​il dis­tin­guer l’ad­mi­ra­tion de la sur­prise qui, elle, ne peut effec­ti­ve­ment pas se renou­ve­ler quand il s’a­git de contem­pler les mêmes mys­tères en reli­sant son caté­chisme ou en sui­vant la litur­gie grâce à son mis­sel. Mais si le fait de décou­vrir un ensei­gne­ment peut faci­li­ter l’é­ton­ne­ment, cela ne lui est pas essen­tiel. L’admiration est sur­tout affaire de jeu­nesse d’âme. Dieu ne perd rien de sa gran­deur à être contemplé !

Sainte Thérèse d’Avila fait valoir les avan­tages de l’ad­mi­ra­tion qui dépend puis­sam­ment de toute attache aux choses d’ici-​bas, et à la vie même. Aussi croit-​elle avoir reçu comme une mis­sion de rendre conta­gieuse cette nos­tal­gie des beau­tés sur­na­tu­relles (Vie, chap. 28). D’autres auteurs nous y invitent. Les enfants sur­tout sont nos modèles. Étonnons-​nous comme eux !

Source : Le Saint-​Anne n°340