Le miracle et le merveilleux

Guérison de l'aveugle par Carl Heinrich Bloch, 1871, Huile sur toile, Frederiksborg Hillerod museum in Denmark.

Nombreux sont ceux qui mettent en doute tous les miracles de Notre Seigneur Jésus-​Christ mais voient du mer­veilleux partout.

Ce n’est pas à la légère que les catho­liques accordent l’as­sen­ti­ment de leur foi à l’en­sei­gne­ment de l’Église. Pour que la sou­mis­sion des intel­li­gences à une véri­té sur­na­tu­relle soit conforme à la rai­son, le bon Dieu a offert « des signes très cer­tains de la Révélation divine, adap­tés à l’in­tel­li­gence de tous » (Vatican I, consti­tu­tion sur la foi catholique).

En effet, enseigne saint Thomas d’Aquin, le fidèle « ne croi­rait pas s’il ne voyait qu’il faut croire » (IIa Ilæ q. 1 a. 4 ad 2um). Si l’homme peut tom­ber dans l’er­reur, être trom­pé par les pro­diges du démon ou par les arti­fices de simu­la­teurs, il peut néan­moins quel­que­fois atteindre une vraie cer­ti­tude sur l’o­ri­gine divine de cer­tains faits. Nous ne connais­sons pas les limites posi­tives des forces natu­relles, mais nous en connais­sons cer­taines limites néga­tives : avec des grains de blé, on ne fera jamais ger­mer des roses ; par une parole, on ne cal­me­ra jamais une tempête !

Devant cer­tains évé­ne­ments, l’in­tel­li­gence humaine peut affir­mer sans risque d’er­reurs que le doigt de Dieu est là. Ces preuves exté­rieures sont « sur­tout les miracles et les pro­phé­ties » (Vatican, ibi­dem), qu’ils soient consta­tés par le croyant lui-​même ou par des per­sonnes dignes de confiance. Serait-​il rai­son­nable, par exemple, de mettre en doute la com­pé­tence des méde­cins qui à Lourdes, encore de nos jours, constatent des gué­ri­sons « inex­pli­quées et inex­pli­cables » ? D’autres faits divins comme les notes de l’Église à tra­vers l’his­toire peuvent aus­si être suf­fi­sants pour obte­nir l’adhé­sion de l’in­tel­li­gence et la dis­po­ser à rece­voir la grâce de la foi.

Le pape saint Pie X a dû intro­duire les défi­ni­tions du concile Vatican I concer­nant les miracles et les pro­phé­ties dans son ser­ment anti­mo­der­niste. En effet, éblouis par les vic­toires de la science qui était par­ve­nu à expli­quer cer­tains faits tenus jus­qu’a­lors pour pré­ter­na­tu­rels, les moder­nistes bâtirent leur sys­tème sur un fond d’ag­nos­ti­cisme — met­tant entre guille­mets le mot « miracle » ou subor­don­nant sa consta­ta­tion au fait d’a­voir déjà la foi — et allaient cher­cher la rai­son de la cer­ti­tude qui les habi­tait dans une expé­rience sub­jec­tive du divin. Or les moder­nistes ne sont pas morts ! Ils sont nom­breux ceux qui mettent en doute tous les miracles mais voient du mer­veilleux partout.

Ainsi dans l’Église syno­dale de Vatican II on ne pré­tend plus trans­mettre la foi de tou­jours — alors que la per­ma­nence du même ensei­gne­ment à tra­vers les siècles est cer­tai­ne­ment un effet visible de l’ac­tion de Dieu — mais on est per­sua­dé que « l’Esprit » parle aujourd’­hui à tous les hommes et qu’il suf­fit de rem­plir des ques­tion­naires pour en per­ce­voir l’écho.

Le peuple chré­tien serait ani­mé d’un « sens de la foi » infaillible alors que la doc­trine ne lui a jamais été ensei­gnée. Le vrai fidèle catho­lique sait au contraire que les miracles sont bien réels et qu’ils exercent une authen­tique contrainte morale. « Si Je n’a­vais pas fait par­mi eux des œuvres qu’au­cun autre n’a faites, ils n’au­raient pas de péché ; mais main­te­nant, ils ont vu, et ils ont haï et Moi et Mon Père » (Jean XV, 24).

Il se garde pour­tant d’une impru­dente cré­du­li­té ou d’un enthou­siasme exces­sif si les récits ne pré­sentent pas les garan­ties néces­saires. Ayant déjà reçu la grâce de la foi, il juge des faits extra­or­di­naires selon le cri­tère de la confor­mi­té avec l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Église. En effet quand le démon cherche à séduire, il y a tou­jours quelque signe de sa pré­sence : si ce n’est pas la foi qui est direc­te­ment en cause, ce sera une atteinte à la morale ou la bien­séance qui aler­te­ra le fidèle vigilant.

Les récits de la Sainte Écriture et l’en­sei­gne­ment de l’Église sont rem­plis de faits mira­cu­leux, mais para­doxa­le­ment le chré­tien se garde d’y atta­cher trop d’im­por­tance. Tout d’a­bord les inter­ven­tions extra­or­di­naires de Dieu dans sa créa­tion ne doivent pas occul­ter son action ordi­naire pour que les créa­tures, qui sont toutes des œuvres de sa toute-​puissance, atteignent leur fin. Comme le remarque saint Augustin, il ne serait pas juste de s’é­mer­veiller devant une mul­ti­pli­ca­tion de pains et de més­es­ti­mer l’é­pi de blé qui mul­ti­plie « natu­rel­le­ment » la nour­ri­ture que le Père du Ciel donne aux hommes.

Ensuite il faut gar­der à l’es­prit que Dieu n’in­ter­vient dans sa créa­tion que pour attes­ter sa parole car c’est celle-​là seule qui intro­duit l’âme dans le monde sur­na­tu­rel par l’in­ter­mé­diaire de la foi. Or la vie théo­lo­gale est d’au­tant plus vigou­reuse qu’elle est sevrée de récits qui flattent la sen­si­bi­li­té. Le miracle n’est fina­le­ment qu’une inter­ven­tion extra­or­di­naire de la toute-​puissance divine dans une créa­tion qui lui est de toutes les façons soumise.

La grâce sanc­ti­fiante, elle, est une par­ti­ci­pa­tion réelle à la vie intime de Dieu. C’est déjà le Ciel qui se laisse pos­sé­der sur la terre pour nous conduire à sa jouis­sance après cette vie.

Source : Le Sainte-​Anne n° 338 – décembre 2021