Sans justice divine à satisfaire, la vraie charité ne resplendit plus et la vie chrétienne, qui repose sur l’idée de réparation, est mutilée.
La dévotion aux âmes du purgatoire rappelle aux chrétiens une vérité fondamentale de la foi : aucune âme n’entrera au Ciel sans qu’elle ait totalement réparé ses péchés. Tout le mystère de la Rédemption consiste en une certaine égalité rétablie après l’offense faite à la majesté divine. Alors que Dieu aurait pu pardonner au pécheur sans rien exiger de lui, Il a voulu, dans sa souveraine liberté, un sacrifice expiatoire offert par son Fils sur la Croix. La miséricorde ne se présente pas seule puisque la justice divine est pleinement satisfaite, et pourtant elle resplendit encore davantage puisque c’est Dieu lui-même qui fournit la victime en nous donnant son Fils. « C’est pour cela que le Père M’aime, parce que Je donne Ma vie pour la reprendre de nouveau. Personne ne Me l’ôte, mais Je la donne de Moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre : tel est le commandement que J’ai reçu de Mon Père. » (Jean X, 17–18)
Le prix de notre salut a été entièrement payé par le Rédempteur. « Ce n’est point par des choses périssables, par l’or ou l’argent, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous teniez de vos pères, mais par le précieux Sang du Christ, comme de l’Agneau sans tache et sans défaut » (1ère épître de saint Pierre I, 18). La mystérieuse balance qui porte l’affront du péché n’exigeait d’ailleurs pas une telle compensation. L’amour divin est dorénavant infiniment plus glorifié qu’il n’est méprisé par les créatures. Le Christ a de droit obtenu le salut de tous les hommes : « car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jn III, 16)
On sait néanmoins que ce fut l’erreur de Luther de prétendre que la rédemption des âmes ne requerrait que la foi dans la valeur de l’œuvre accomplie par le Christ. « Si quelqu’un dit que la foi qui justifie n’est rien d’autre que la confiance en la miséricorde divine, qui remet les péchés à cause du Christ, ou que c’est par cette seule confiance que nous sommes justifiés : qu’il soit anathème ». (Concile de Trente, 12ème canon sur la justification). De même que Dieu a voulu glorifier sa justice aussi bien que sa miséricorde, ainsi II promet une récompense éternelle qui sera à la fois un don gratuit et le fruit d’une vie sainte. Les bienheureux chantent un « magnificat » de reconnaissance mais ils le font pour une œuvre réalisée en eux et à travers eux.
Parmi les bonnes œuvres accomplies, il y aura la réparation des péchés personnels. « Si quelqu’un dit que, après avoir reçu la grâce de la justification, tout pécheur pénitent voit sa faute remise et sa condamnation à la peine éternelle annulée, en sorte que ne reste aucune condamnation à une peine temporelle à expier, ou dans ce monde ou dans le monde à venir au purgatoire, avant que ne puisse s’ouvrir l’entrée au royaume des cieux qu’il soit anathème ». (ibidem, 30ème canon). L’expiation qui reste à accomplir n’est pas une œuvre offerte à la justice divine indépendamment du sacrifice de Notre-Seigneur. Il s’agit plutôt pour le chrétien de s’approprier les mérites et les satisfactions du Christ en offrant ses propres souffrances et cela principalement par l’assistance au saint sacrifice de la messe.
Saint Paul a exprimé cette doctrine en une formule audacieuse qui aurait peut-être fait crier à l’hérésie si elle avait été proposée par un théologien de la contre-réforme. « Maintenant je me réjouis dans mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ, je le complète dans ma chair pour Son corps, qui est l’Église » (Col. I, 24).
Notre-Seigneur a remporté la victoire mais il faut que celle-ci se répande dans son Corps mystique et pour que s’opère ce rayonnement de la Croix, les souffrances des saints sont nécessaires. Saint Paul parle bien de l’Église car la valeur satisfactoire des bonnes œuvres — des chrétiens aussi bien que ceux du Christ — est communicable. C’est ainsi que se justifient les sacrifices offerts pour les âmes du purgatoire et surtout l’offrande de la sainte messe qui est un vrai sacrifice propitiatoire.
La nouvelle liturgie a voulu écarter cet aspect de notre foi par souci de ne pas froisser les protestants. Elle est une célébration « eucharistique », c’est-à-dire une simple action de grâces pour un salut, semble-t-il, déjà obtenu. En estompant le contexte d’une justice divine à satisfaire, la vraie charité ne resplendit plus et la vie chrétienne, qui repose sur l’idée de réparation, est mutilée. Pourtant s’il est vrai que le chant des chrétiens est un cantique nouveau, il ne peut encore avoir l’accent qu’il ne prendra qu’au Ciel : « Vous êtes digne, Seigneur, de prendre le livre et d’en ouvrir les sceaux ; car Vous avez été égorgé, et par Votre sang Vous nous avez rachetés pour Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation » (Apoc. V, 9).
Source : Le Sainte-Anne n°337