Qu’elle soit sculptée ou peinte, toujours une Vierge à l’enfant émerveille. Trois motifs y invitent, tandis que le quatrième, plus surprenant, est chargé de leçons.
Certes, toute mère portant son nouveau-né chante par elle-même le magnifique mystère de la vie, auquel nul ne peut rester insensible. En elle s’accomplit la mission première et fondamentale confiée à la nature de l’homme : transmettre le si beau flambeau de la vie. C’est là une première joie, ô combien naturelle, quand les autres ne sont accessibles que par la foi. Ces dernières se découvrent en regardant tour à tour la mère, puis l’enfant, et enfin le regard qui les unit.
De cette mère, nous savons qu’elle est Vierge. Ce mystère immense ne peut que procurer une joie intense, celle-là même que donne l’espérance (Rm 12, 12). Marie, que nous savons immaculée, a en effet donné vie, quoique toujours vierge ! Au sein d’un monde universellement sali par le péché, une nouvelle Eve se lève donc, véritable mère des vivants (cf. Gn 3, 20). D’elle naîtra une nouvelle descendance (cf. Gn 3, 15), affranchie du péché. Mère de l’espérance, aurore du salut, cette Vierge mère est véritablement cause de notre joie.
Pourtant, le plus grand don est évidemment l’Enfant. Cet enfant est Enfant-Dieu, vrai Dieu et vrai homme. Autrement dit, Celui qui a la Vie en lui-même (Jn 5, 26), qui est la Vie (Jn 14, 6), s’est fait pour nous simple vie humaine. Infini, Il s’est fait petit ; Tout-Puissant, Il s’est fait enfant ; Eternel, Il s’est fait mortel. Ces paradoxes inouïs décrivent l’unique et immense paradoxe de la miséricorde divine : ce Dieu, à qui tout est dû, s’est fait pour nous Dieu-donné ! En son humanité ainsi assumée, Jésus est tout à la fois le consacré de Dieu par excellence et le grand-prêtre des biens à venir (He 9, 11). Il a pris chair pour faire la seule chose qu’Il ne pouvait faire en tant que Dieu : souffrir ! Souffrir pour nous, en notre nom, afin d’offrir sa vie et d’expier en sa mort notre péché. Nous ne pouvons que nous émerveiller et adorer.
Le plus surprenant néanmoins est le regard que ce divin Enfant pose sur sa mère : en tout, Il voulut lui être dépendant ; son avenir en ce monde repose entre ses mains. Bien sûr, chaque enfant reçoit tout de sa mère, et ce, jour après jour ; aussi peut-on dire de tout nouveau-né que son avenir repose entre les mains de sa mère. Mais il s’agit de beaucoup plus ici. Rappelons en premier lieu que Dieu a tout remis entre les mains de l’humanité du Christ : Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur terre (Mt 28, 18), dira Jésus en tant qu’homme ; or voici que ce même Jésus met entre les mains de la Très Sainte Vierge son humanité, celle par laquelle II est le consacré de Dieu par excellence, le grand-prêtre des biens à venir. On peut donc dire, d’une certaine manière, que Dieu confie son devenir en ce monde à des mains simplement humaines.
Cela était vrai hier, avec la Vierge Marie donc : l’incarnation était suspendue à son Fiat. Une fois né, Il se laissera porter : « Marie portait en son sein Celui qui portait le monde », s’extasiait saint Bernard. Au-delà d’une dépendance physique évidente aux premiers âges, c’est encore une dépendance volontaire que le Christ voulut vivre : et erat subditus illis (Lc 2, 51) est-il dit de lui. En tout, Il leur était soumis ; Jésus à Joseph et Marie, un Dieu à de simples hommes.
Ce qui était vrai hier l’est toujours aujourd’hui : Dieu confie à l’Église sa présence en ce monde, son devenir ici-bas. Cela se vérifie d’abord en chacun de nous. Par la grâce, Dieu habite notre âme, agit en elle et à travers elle. Mais cette présence et son rayonnement dépend de chacun, de sa docilité ou non à l’œuvre de Dieu en lui : les saints répandront Dieu dans le monde ; les pécheurs continueront à l’y faire mourir…
Cette vérité se vérifie encore pour l’Église prise dans son ensemble, elle qui n’est rien d’autre que Jésus-Christ répandu et communiqué, selon le mot si juste de Bossuet. L’avenir de l’Église, et donc de Dieu en ce monde, nous est confié à tous. Membres de l’Église, dit saint Pierre, nous sommes les pierres vivantes destinées à construire l’édifice (1 P 2, 5 ; cf. Col 2, 21), c’est-à-dire l’Église. Certes le Christ, consacré de Dieu par excellence, continue son intercession en ce monde principalement par les âmes consacrées ; certes le Christ, grand-prêtre des biens à venir, purifie et sanctifie le monde par ses prêtres. C’est dire que l’avenir de Dieu dans le monde dépend premièrement de la sainteté et du nombre des vocations religieuses et sacerdotales. Mais c’est à nous tous que Jésus s’adressait, lorsqu’il disait : La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson, afin qu’il envoie des ouvriers à sa moisson (Mt 9, 37–38). On peut donc dire que, de même que Jésus s’est mis dans la dépendance de Marie quant à son devenir terrestre, ainsi, de nous aussi – chacun à sa manière – le Christ en son Église a voulu être dépendant.
Ces lumières indiquent pourquoi M. l’abbé Pagliarani, en sa dernière lettre aux Amis et Bienfaiteurs, nous invite à une grande croisade du rosaire, afin de demander au cours de cette année jubilaire de saintes et nombreuses vocations, qu’elles soient religieuses ou sacerdotales. Il n’y a pas de plus grand moyen pour pourvoir au bien de l’Église, et donc du monde.
Source : Lou Pescadou n° 251, février 2025