Déjà au VIe siècle avant Jésus-Christ, Sun Tzu l’avait compris. Afin de réduire à néant son ennemi, il invitait à l’abreuver constamment d’informations.
L’épisode est célèbre : convoqué sur le mont Horeb pour y entendre la parole de Dieu, le prophète Élie fut tout d’abord témoin d’un vent fort et violent. Mais Dieu n’était pas dans ce vent. Puis survint un tremblement de terre, mais Dieu n’était pas dans ce tremblement de terre ; de même du feu dévorant apparaissant ensuite. Finalement, un doux murmure apaisé se fit entendre dans le silence : c’était la voix de Dieu (1 R, 19, 11–13). C’est que Dieu se donne dans le silence. Ce trait manifeste à lui seul combien Dieu éprouve de difficultés à se donner dans notre monde d’agitation et de bruit. De ce vacarme de trépidation comme du feu de l’action, il importe de savoir régulièrement sortir, pour qui veut entendre la voix de Dieu et marcher à sa suite. Oui, il importe de savoir souvent franchir les portes du silence : Quand tu veux prier, entre dans ta chambre et, ayant fermé ta porte, prie ton Père qui est présent dans le secret (Mt 6, 6).
À lire les grands Anciens, depuis Sénèque jusqu’à saint Jacques en son épître, se taire consiste à mettre un garde à sa bouche (Ps 140, 3 ; cf. Pr 13, 3 et 21, 23) : Si quelqu’un ne pèche pas en parole, c’est un homme parfait […] La langue est un tout petit membre ; mais de quelles grandes choses peut-elle se vanter ! Une étin- celle peut embraser une grande forêt ! (Jc 3, 2- 6).
Certes, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort, car ce qui sort de la bouche vient du cœur (Mt 15, 11–18). Nos médisances, critiques et calomnies ne nous le disent que trop bien. Néanmoins, rien n’est dans le cœur qui ne soit entré par les yeux. Aussi est-ce à un autre silence qu’il importe de nous habituer en premier lieu : faire taire en nous le bruit du monde. Jamais sans doute ces mêmes Anciens n’auraient imaginé à quel matraquage de bruit nous sommes soumis ; ou plutôt hélas, à quel tapage nous livrons notre esprit. L’argument séducteur est connu : sous prétexte de s’informer, nous voici livrés à toutes les curiosités. Nous avons simplement oublié que la curiosité est un vilain défaut !
Il nous paraît opportun de tout savoir sur tout, et surtout sur chacun. Les potins sont démultipliés par Internet, où l’information des uns rivalise avec la réinformation des autres. Quoiqu’il en soit, toujours le même bruit du monde, la même curiosité ; et l’âme se répand, se vide et s’avilit. Car, ne serait-ce que d’un point de vue naturel, rien n’est plus contraire à la démarche intellectuelle. “Lire à l’intérieur de” (intus – legere) réclame en effet d’abstraire, c’est-à-dire de délaisser l’accidentel et le passager, le superficiel et le futile. Or c’est précisément en cette sphère que nous enferme le bruit du monde. Il est destructeur. Déjà au VIe siècle avant Jésus-Christ, Sun Tzu l’avait compris. Afin de réduire à néant son ennemi, il invitait à l’abreuver constamment d’informations. Tout est dit du traitement auquel s’est soumis le fanatique des écrans…
Comment Dieu pourrait-il se faire entendre en une telle auberge espagnole ? Lors du premier avènement de Dieu dans le monde, il est dit que la sainte famille ne trouva pas place dans l’hôtellerie. Certaines traductions sont plus pré- cises : leur place n’était pas dans l’hôtellerie. Au brouhaha de l’auberge, Dieu préféra le silence de la crèche. Tout est dit de l’importance du silence, pour qui veut accueillir Dieu.
Abbé Patrick de La Rocque
Source : Lou Pescadou n°214
Illustration : Joueur de pipeau, chapiteau, église de Champvoux (Nièvre).