M. l’abbé Thierry LEGRAND,
Supérieur du District de Belgique-Pays-Bas
[Le style oral du sermon a été conservé volontairement]
« Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine »
Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit,
Ainsi soit-Il
Un Pape pour notre temps, un saint Pape pour notre temps
On peut dire de saint Pie X, sans se tromper, qu’il est un Pape pour notre temps, un saint Pape pour notre temps. En effet, cent ans après sa mort, on ne peut être qu’admiratif de la sagesse avec laquelle saint Pie X avait décelé le poison qui se répandait dans l’Eglise ; admiratif aussi de la force et de la ténacité avec laquelle il a lutté pour empêcher ce poison de se répandre dans les âmes qui lui étaient confiées. C’est bien ce que l’Eglise met sur nos lèvres dans la Collecte de la Messe : « Dieu, qui pour protéger la Foi catholique et pour tout restaurer dans le Christ, avez rempli saint Pie, votre souverain Pontife, de sagesse et de force, … ».
Pie XII a rendu hommage à son prédécesseur en disant qu’il était « éclairé par la clarté de la vérité éternelle, guidé par une conscience délicate, lucide, d’une grande droiture, aimable, ami de la paix fraternelle mais en tout temps défenseur imperturbable de la Foi, héraut de la vérité, gardien des plus saintes traditions ».
Toutes ses qualités, toute l’action du saint Pape qui en découle, tout cela n’est pas mort à la mort de saint Pie X mais ses qualités se reflètent dans les écrits qu’il nous a laissés. Son action imperturbable pour la défense de la Foi se perpétue et demeure efficace par ses écrits qui restent un enseignement sûr pour la crise que nous subissons de nos jours, crise qui n’est que la continuité du modernisme dont saint Pie X avait vu les conséquences désastreuses pour l’Église.
Nous le savons, la charge première confiée par Notre Seigneur à l’église est de sauver les âmes et comment cela ? En maintenant intact le dépôt de la Foi, ces vérités éternelles et immuables qu’il est nécessaire de connaître et qu’il faut croire pour être sauvé. C’est pour cela que saint Paul résume le ministère de l’évêque – et cela est vrai aussi et avec encore plus de force pour le Pape – par la nécessité de combattre le bon combat de la Foi.
Combattre le bon combat de la Foi
Et en quoi consiste ce bon combat de la Foi ? En deux objets : d’abord propager cette Foi pour sauver les âmes, puisque la Foi procure la vie éternelle comme nous le rappelle les premières questions du rituel du sacrement de baptême ; ensuite défendre cette Foi, c’est-à-dire tout faire pour qu’elle puisse être transmise aux âmes, intacte, en toute sécurité.
A deux reprises, Notre Seigneur va s’adresser à saint Pierre en lui confiant ces deux objectifs du combat de la Foi.
Le premier évènement (qui chronologiquement est le second) nous est bien connu : c’est celui de la triple protestation d’amour de saint Pierre, après la résurrection, sur les bords du lac de Tibériade. Notre Seigneur donne à saint Pierre l’ordre de paître son troupeau. Il lui confie son Église toute entière pour la guider vers de bon pâturage, pour lui donner la nourriture de la saine doctrine, ce qui est le rôle essentiel du bon Pasteur.
Le second évènement a lieu à la fin de la dernière Cène : après avoir annoncé à saint Pierre que le démon avait demandé le pouvoir de tenter les apôtres, Notre Seigneur dit au chef des apôtres : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point ; et toi, quand tu seras converti, revenu, confirme tes frères ». Ici c’est l’autre charge primordiale de saint Pierre qui est mis en avant, rôle rappelé par saint Pie X : « A la mission qui vous a été confiée d’en haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus Christ a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux le dépôt traditionnel de la Foi ». (1)
Trois mois avant de mourir, saint Pie X vit avec lucidité que le mal qu’il combattait n’était pas complètement éradiqué ; et nous en subissons les conséquences de nos jours : l’apostasie, la perte et l’abandon de la Foi par un grand nombre ne sont que trop visibles. C’est bien ce que saint Pie X avait prédit : le goût des nouveautés, le désir de faire entrer l’esprit du monde, c’est-à-dire l’esprit de révolte dans l’Eglise à amener les âmes à se détourner des vérités pour se tourner vers les fables, les oreilles les démangeant, comme l’écrivait St Paul.
Nous savons également par le témoignage de ceux qui côtoyaient saint Pie X, que celui-ci « sentit » venir la grande déflagration de la première guerre mondiale. Il en eu comme l’intuition, espérant cependant jusqu’au bout que cela n’arriverait pas.
Mais voyez-vous, deux mois avant la déclaration de la guerre qu’il sentait imminente et dont il voyait les conséquences désastreuses et le cortège des millions de morts, c’est encore le souci de garder le dépôt de la Foi, de lutter pour conserver pure la Foi, qui resta son principal souci et la cause de ses plus grands tourments.
Pourquoi cela ? Il le dit dans une lettre de fin mai 1914 :
« on adopte certaines idées de conciliation de la Foi avec l’esprit moderne, idées qui conduisent beaucoup plus loin qu’on ne le pense, non seulement à l’affaiblissement mais à la perte totale de la Foi. »
Voila donc la raison d’être de la ténacité de saint Pie X dans le combat de la Foi, voilà le danger qui était la première source de douleur dans le cœur du Pasteur suprême de l’Eglise : ces erreurs conduisent à la perte de la Foi, le bien le plus précieux donné par Dieu aux hommes, puisque sans elle, impossible de lui plaire et donc d’être sauvé.
Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine
Nous avons une grande leçon à méditer de cette sollicitude de saint Pie X pour garder la Foi intacte : tant que l’on adoptera et accueillera favorablement ces idées de conciliation de la Foi avec l’esprit moderne, le danger restera non pas seulement d’affaiblir la Foi dans les âmes mais c’est la perte totale de la Foi qui en résultera : constat poignant mais bien réel.
Nous savons bien que de nos jours, il y a beaucoup de combats à mener : les chrétiens d’Orient sont persécutés et leur sang est versé ; en Occident, la loi naturelle est de plus en plus bafouée ; le sang des innocents est versé également par l’avortement ; la famille chrétienne est quasiment mise au ban de la société. Nous en sommes bien conscients. Et vous nous verrez toujours prier, offrir le Saint Sacrifice de la Messe, agir pour lutter contre ces dangers et ces crimes.
Mais n’oublions pas que le premier devoir d’un pasteur c’est la conservation de la Foi sans mélange d’erreurs dans les âmes de ses brebis. Saint Pie X nous l’a dit. Et c’est d’ailleurs la raison d’être de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Mgr Lefebvre se faisait en effet l’écho des paroles de saint Pie X, septante-cinq années plus tard :
« ce n’est pas une petite chose qui nous oppose. Il ne suffit pas qu’on nous dise ‘vous pouvez dire la messe ancienne mais il faut accepter le concile’. Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine ; c’est clair. »
Permettez ce parallèle car ce qui a incité Mgr Lefebvre à placer la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X sous le patronage de saint Pie X, c’est en grande partie cette défense intrépide de la Foi qui fut l’apanage du saint Pape. Pour beaucoup, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X exagère dans son combat. Nous verrons que c’était déjà ces objections qu’on présenta à la canonisation de saint Pie X. Mais c’est au contraire l’un des plus beaux titres de gloire du saint Pape, et aussi, toutes proportions gardées, de la Fraternité : garder intègre, autant qu’il dépend de nous, malgré nos faiblesses et imperfections, le flambeau de la Foi catholique.
Lucidité et force
Quelle leçon devons-nous tirer de cette attitude de saint Pie X ? Nous pourrions la résumer en deux mots : lucidité et force.
Tout d’abord donc, ne pas transiger avec l’erreur, « résister fort dans la Foi » ; sinon un jour ou l’autre nous lâcherons le combat, nous chercherons un repos ou une paix factice face aux fatigues d’une lutte certes difficile mais nécessaire. C’est pour cette raison qu’il nous faut être animés de fortes convictions : connaître n’est pas suffisant, il faut aimer ces vérités que Dieu nous a données, il faut en vivre, pour les défendre dignement. Pie XII quant à lui écrivait que « l’avenir appartient aux énergiques qui espèrent et agissent avec fermeté, non aux timides et aux irrésolus ».
Ensuite, pour ne pas transiger avec l’erreur, sachons nous instruire de ces vérités, et instruire les autres de cette vérité. L’essentiel en cela étant, nous dit saint Pie X, le catéchisme : quand il n’était encore qu’évêque, conscient que l’ignorance des choses religieuses était la base de toutes les déviations des fidèles dans la Foi et les mœurs, Mgr Sarto imposa à tous les fidèles de venir suivre une heure de catéchisme tous les dimanches. Et il ordonna à tout prêtre de refuser l’absolution aux parents qui empêchaient leurs enfants d’aller régulièrement à ces leçons de catéchisme.
Alors demandons cette force surnaturelle que nous avons tous reçue en germe au baptême ; demandons la en particulier au pied de l’Autel, « devant le Saint Tabernacle, comme le disait saint Pie X, d’où viennent la force pour combattre et la certitude de la victoire ».
Mais justement, cette force, cette fermeté de saint Pie X a été l’objection majeure de son procès de canonisation. Il existe dans ces procès de canonisation, une sorte d’avocat du diable dont la fonction, nécessaire, est de déceler s’il n’existe pas un défaut, un manque de vertu dans le candidat à la canonisation et qui empêcherait cette canonisation.
Pour saint Pie X, l’objection majeure fut cette intransigeance envers l’erreur en particulier envers le modernisme, qui le poussa – c’est l’avocat du diable qui parle – qui le poussa à manquer de charité ou de prudence.
Pie XII, armé de l’enquête sur les vertus de Pie X, donnera une réponse claire et nette à cette objection :
« Pour certains, dira Pie XII, la fermeté de saint Pie X envers l’erreur peut demeurer un scandale. En réalité c’est un service et une extrême charité rendu par un saint, en tant que Chef de l’Eglise, à toute l’humanité. Il a réussi à préserver le dépôt de la Foi de toute erreur par une lutte énergique. Par nature personne de plus doux, de plus aimable que lui, personne de plus paternel. Mais quand parlait en lui la voix de la conscience pastorale, plus rien ne comptait que le sentiment du devoir ; ce dernier imposait silence à toutes les considérations de la faiblesse humaine, mettait fin à toutes les tergiversations, décrétait les mesures les plus énergiques si pénibles qu’elles fussent à son cœur. »
Nous appuyant sur les paroles de Pie XII et sur l’examen de la vie du saint pape, nous pouvons dire que saint Pie X ne manqua aucunement ni de prudence, ni de charité dans son combat contre le modernisme, mais qu’au contraire, cette force s’alliait de façon admirable, à une extrême charité, et à la douceur également.
C’est pourquoi notre force dans la défense de la Foi ne doit pas se transformer en zèle amère ou en haine de nos ennemis. Cela est primordial car le but n’est pas d’avoir raison à tout prix mais de collaborer à la grâce de Dieu pour amener les âmes à la Vérité. Mais en même temps, faisons attention à ce que notre charité et notre amabilité ne se transforment pas non plus en faiblesse envers l’erreur.
Il y a, en cette matière, un équilibre à tenir, et il est parfois difficile d’y persévérer sans tomber, soit dans le zèle amer, soit au contraire, dans un abandon du combat à mener.
Mais nous avons un guide sûr en saint Pie X : Aussi invoquons-le, lui qui fut « doux et humble de cœur, vengeur plein de force pour tout ce qui est catholique », comme nous le rappelle l’épitaphe placée sur la première tombe du saint.
Soyons nous aussi, « forts dans la Foi », « vengeur plein de force pour tout ce qui est catholique », mais en même temps « doux et humble de cœur ».
Abbé Thierry Legrand +, Supérieur du District de Belgique et des Pays-Bas
Source : PQR n° 119 (2)
Notes de LPL
(1) Accès aux encycliques de saint Pie X
(2) Les intertitres et les surlignements sont de la rédaction de La Porte Latine