Mélanie Vénard fut la sœur ainée du bienheureux Théophane Vénard et sa confidente. La correspondance entre le frère et la sœur est ravissante : on y voit deux âmes d’élite s’entraidant pour monter aux plus hautes cimes.
Le bienheureux Théophane Vénard est né le 21 novembre 1829 et tombé en martyr au Tonkin le 2 février 1861.
Mélanie, sa sœur ainée devint sa confidente après la mort de sa mère en 1843. Il lui écrivait : « Tu es la moitié de moi-même. Tu es plus qu’une sœur pour moi, tu es un ange gardien. » La correspondance entre le frère et la sœur est ravissante : on y voit deux âmes d’élite s’entraidant pour monter aux plus hautes cimes « à tire d’aile, comme des oiseaux de passage », ainsi que s’exprime Théophane. Je me borne à citer sa lettre émouvante du 20 janvier 1861, presque à la veille du martyre.
« Maintenant que mon dernier jour approche, je veux t’adresser à toi, chère sœur et amie, quelques lignes d’un adieu spécial car, tu le sais, nos deux cœurs se sont compris et aimés dès l’enfance. Tu n’as point eu de secret pour ton Théophane, ni moi pour ma Mélanie.
Quand, écolier, je quittais chaque année le foyer paternel pour le collège, c’est toi qui préparais mon trousseau et adoucissais par tes tendres paroles la tristesse des adieux ; toi qui partageais plus tard mes joies si suaves de séminariste ; toi qui as secondé par tes ferventes prières ma vocation de missionnaire. C’est avec toi, chère Mélanie, que j’ai passé cette nuit du 26 février 1851, qui était notre dernière entrevue sur la terre, dans des entretiens si sympathiques, si doux, si saints, comme ceux de Saint Benoît avec sa sainte sœur. Et quand j’ai eu franchi les mers pour venir arroser de mes sueurs et de mon sang le sol annamite, tes lettres, aimables messagères, m’ont suivi régulièrement pour me consoler, m’encourager, me fortifier. Il est donc juste que ton frère, à cette heure suprême qui précède son immolation, se souvienne de toi, chère sœur, et t’envoie un dernier souvenir.
Il est près de minuit. Autour de ma cage de bois sont des lances et de longs sabres. […] J’attends de jour en jour ma sentence. Peut-être demain je vais être conduit à la mort. Heureuse mort, n’est-ce pas ?
Mort désirée, qui conduit à la vie ! Selon toutes les probabilités, j’aurai la tête tranchée : ignominie glorieuse dont le Ciel sera le prix ! À cette nouvelle, chère sœur, tu pleureras, mais de bonheur. Vois donc ton frère, l’auréole des martyrs couronnant sa tête, la palme des triomphateurs se dressant dans sa main ! Encore un peu, et mon âme quittera la terre, finira son exil, terminera son combat. Je monte au Ciel, je touche la patrie, je remporte la victoire. Je vais entrer dans ce séjour des élus, voir des beautés que l’œil de l’homme n’a jamais vues, entendre des harmonies que l’oreille n’a jamais entendues, jour de joies que le cœur n’a jamais goûtées.
Mais auparavant, il faut que le grain de froment soit moulu, que la grappe de raisin soit pressée. Serai-je un pain, un vin, selon le goût du Père de famille ? Je l’espère, de la grâce du Sauveur, de la protection de sa Mère immaculée ; et c’est pourquoi, bien que encore dans l’arène, j’ose entonner le chant de triomphe, comme si j’étais déjà couronné vainqueur. Et toi, chère sœur, je te laisse dans le champ des vertus et des bonnes œuvres. Moissonne de nombreux mérites pour la même vie éternelle qui nous attend tous deux. Moissonne la foi, l’espérance, la charité, la patience, la douceur, la persévérance, une sainte mort.
Adieu, Mélanie !
Adieu, sœur chérie ! Adieu ! »
Source : Le Phare breton n°6