Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 22 d’avril 2010

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise


Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, 

aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur,

Dans la vie de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, l’acte d’offrande à l’Amour Miséricordieux tient une place capi­tale. Depuis son enfance, elle avait com­pris que Jésus désire être aimé pour Lui-​même et par-​dessus toute chose, et elle avait fait de son mieux pour cor­res­pondre à un tel amour. Mais en la fête de la Trinité, le 9 juin 1895, alors qu’elle assis­tait à la messe, elle reçut la grâce de sai­sir davan­tage com­bien Notre-​Seigneur désire être aimé. En même temps elle com­pre­nait que les cœurs aux­quels Il désire pro­di­guer Son Amour Miséricordieux « se tournent vers les créa­tures leur deman­dant le bon­heur avec leur misé­rable affec­tion, au lieu de se jeter dans [Ses] bras et d’accepter [Son] Amour infi­ni. » [Manuscrit A, 84 r°, in Thérèse de Lisieux. Œuvres com­plètes, Cerf DDB, 2009,p. 212].

L’oblation elle-​même, pour­quoi la fait-​elle ? « Afin de vivre dans un acte de par­fait Amour », ou, ce qui veut dire la même chose, afin de vivre comme une sainte, car la sain­te­té n’est que l’exercice de la cha­ri­té par­faite. Elle s’offre elle-​même comme une vic­time à l’Amour Miséricordieux, de sorte que Dieu puisse déver­ser en son âme « les flots de ten­dresse infi­nie qui sont ren­fer­més en [Lui] » et qu’elle puisse L’aimer comme Il nous aime, avec l’Esprit d’Amour. Cet amour la consu­me­ra sans cesse, la puri­fie­ra, lui fera souf­frir un véri­table mar­tyre. Et quand elle aura atteint le degré de per­fec­tion auquel elle avait été appe­lée, l’amour déchi­re­ra le voile et son âme s’envolera vers « l’éternel embras­se­ment » de l’Amour Miséricordieux.

Sainte Thérèse conclut en disant qu’elle désire « renou­ve­ler l’of­frande un nombre infi­ni de fois », « à chaque bat­te­ment de [son] cœur ». Ce n’est pas un acte pas­sa­ger de dévo­tion, mais sa vie tout entière n’est qu’un acte de par­fait amour. Elle veut éta­blir une dis­po­si­tion habi­tuelle, une dona­tion conti­nue à Dieu, un aban­don total à Son opé­ra­tion d’amour en son âme, une cor­res­pon­dance par­faite à Sa divine volonté.

Dans cette prière admi­rable sainte Thérèse résume sa voie spi­ri­tuelle. Et les effets qu’elle en atten­dait devinrent bien­tôt mani­festes. Son amour, bien que fervent jusqu’alors, s’accroît de façon extraordinaire.

Dieu, évi­dem­ment, répond à son offrande d’elle-même. Cinq jours plus tard, alors qu’elle com­mence le che­min de Croix, elle se sent sou­dai­ne­ment bles­sée d’un trait de feu si ardent qu’elle pen­sa mou­rir : « Tout à coup j’ai été prise d’un si violent amour pour le bon Dieu que je ne puis expli­quer cela qu’en disant que c’était comme si on m’avait plon­gée tout entière dans le feu. Oh ! quel feu et quelle dou­ceur en même temps ! Je brû­lais d’amour et je sen­tais qu’une minute, une seconde de plus, je n’aurais pu sup­por­ter cette ardeur sans mou­rir » [Derniers entre­tiens, 7 juillet 1897, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 1027 ].

Puis viennent « rivières, océans de grâces, » qui pen­dant dix mois, jusqu’au 5 avril 1896, se déversent en son âme. L’Amour Miséricordieux l’a péné­trée et enve­lop­pée, la puri­fiant et la renou­ve­lant à tout moment, ne lais­sant en elle aucune trace de péchés.

Après Pâques 1896, Dieu veut qu’elle soit une fois encore affli­gée d’épreuves spi­ri­tuelles, mais l’amour conti­nue à brû­ler en son âme. Nous le savons par des aveux répé­tés qu’elle fait à son entou­rage. A Mère Agnès elle dit qu’elle ne voit pas très bien ce qu’elle aurait de plus au Ciel que ce qu’elle a reçu sur terre : « Je ver­rai le bon Dieu, c’est vrai ! mais pour être avec Lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre. » [Derniers entre­tiens, 15 mai 1897, op. cit., p.998].

Et quelques jours plus tard, le 28 mai 1897, elle écrit à Mère Agnès de Jésus : « Petite Mère, Jésus fait bien de se cacher, de me par­ler que de temps en temps et encore « à tra­vers les bar­reaux » (Cant. des Cant.) car je sens bien que je ne pour­rais en sup­por­ter davan­tage, mon cœur se bri­se­rait, étant impuis­sant à conte­nir tant de bon­heur… » [l. 231, in Œuvres com­plètes, op. cit., p.593 ].

A sa propre sœur, Marie du Sacré-​Cœur, elle confie que si, à la fin, elle n’arrive pas à atteindre les plus hautes régions de l’amour aux­quelles son âme aspire, elle aura néan­moins goû­té plus de dou­ceur durant son mar­tyre ter­restre qu’elle n’en aurait expé­ri­men­té par­mi les joies du ciel, à moins que Jésus n’eût effa­cé la mémoire de ses espé­rances terrestres.

Et à Mère Marie de Gonzague elle répète, à la fin de juin ou au début de juillet 1897, que son amour est un abîme et que Jésus ne pour­rait pro­ba­ble­ment pas rem­plir une âme avec plus d’amour qu’Il ne lui en avait don­né. C’est cet amour qui sou­tient sainte Thérèse durant les très grandes souf­frances phy­siques et men­tales. Pour elle, mou­rir d’amour c’est mou­rir comme Jésus, sur la Croix.

Cette offrande à l’Amour Miséricordieux, que sainte Thérèse fut la pre­mière à faire, ne devait pas être quelque chose de per­son­nel et réser­vée à elle-​même. Dans le manus­crit B adres­sé à sœur Marie du Sacré-​Cœur, elle demande à Dieu de choi­sir pour Lui-​même « une légion de petites vic­times dignes de [Son] AMOUR. » [Manuscrit B, 5 v, Œuvres com­plètes, op. cit., p. 232]. Elle fait com­prendre que ce ne sont pas seule­ment les âmes fer­ventes, mais toutes celles qui n’ont rien et qui sont pro­fon­dé­ment conscientes de leur pau­vre­té et de leur misère qui peuvent s’offrir elles-​mêmes à l’Amour infi­ni. En fait, cette offrande a pour but de remé­dier aux imper­fec­tions ; elle com­pense l’indigence en rem­pla­çant l’amour per­son­nel par le propre amour de Dieu. « C’est ma fai­blesse même », disait sainte Thérèse, « qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus ! » [Manuscrit B, 3 v°, Œuvres com­plètes, op. cit., p 226].

Il est clair que si nous vou­lons reti­rer de cette offrande à l’Amour Miséricordieux tous les fruits qu’il est des­ti­né à pro­duire nous ne devons pas nous conten­ter d’en pro­non­cer les mots, même si nous les réci­tons avec fer­veur. Nous devons vivre notre offrande. Sainte Thérèse elle-​même nous aver­tit à ce sujet, comme on peut le voir dans ce qu’elle dit à une sœur qui avait une crainte exces­sive des juge­ments de Dieu : « Pour les vic­times de l’amour, il me semble qu’il n’y aura pas de juge­ment ; mais plu­tôt que le bon Dieu se hâte­ra de récom­pen­ser, par des délices éter­nelles, son propre amour qu’il ver­ra brû­ler dans leur cœur. » [Conseils et Souvenirs, Carmel de Lisieux, 1952, p. 281]. Et à une sœur qui lui avait deman­dé : « Pour jouir de ce pri­vi­lège, croyez-​vous qu’il suf­fise de faire l’acte d’offrande que vous avez com­po­sé ? » Elle répon­dit : « Oh ! non, les paroles ne suf­fisent pas… Pour être véri­ta­ble­ment vic­time d’amour, il faut se livrer tota­le­ment. On n’est consu­mé par l’amour qu’autant qu’on se livre à l’amour. » [Conseils et Souvenirs , op. cit., p. 282].

Celui qui s’est offert lui-​même à l’Amour Miséricordieux doit tout faire pour vivre dans un conti­nuel acte d’amour. Il doit s’efforcer de plaire à Dieu en accom­plis­sant à la per­fec­tion Ses moindres dési­rs et en Lui offrant tous les sacri­fices que cela entraîne. Cet acte, une fois pas­sé dans la pra­tique géné­reuse et fidèle, faci­lite l’acquisition de la per­fec­tion et per­met de l’atteindre plus sûre­ment et plus rapi­de­ment. Néanmoins, cela prend du temps. Des fautes et des chutes sont inévi­tables aus­si long­temps que nous voya­geons sur la terre. Sainte Thérèse elle-​même dit que cet amour conti­nuait de la puri­fier et de la renou­ve­ler. Il faut aus­si se rap­pe­ler que nos fautes ne sont pas tou­jours une indi­ca­tion que nous nous sommes arrê­tés, car nous pou­vons tom­ber tout en conti­nuant de mar­cher. Si, après être tom­bés, nous en fai­sons répa­ra­tion par humi­li­té, « l’amour, sachant tirer pro­fit de tout, a bien vite consu­mé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne lais­sant qu’une humble et pro­fonde paix au fond du cœur… » [Manuscrit A, 82 v°, Œuvres com­plètes, Cerf DDB, op. cit., p. 210].

L’offrande de nous-​même à l’Amour Miséricordieux ne nous livre-​t-​elle pas à la souf­france ? Non, car nous ne nous offrons pas nous-​même à la souf­france mais à l’Amour. Tout dans cette offrande est ins­pi­ré par l’amour et tend à l’amour. Sainte Thérèse, en s’offrant elle-​même, n’avait pas d’autre objec­tif que d’attirer vers elle l’amour de Dieu, afin qu’elle pût aimer Dieu avec Son propre amour. Ses sœurs, Mère Agnès, fidèle inter­prète de sa pen­sée, et sœur Geneviève, son asso­ciée dans cette offrande, la com­pre­naient aus­si dans ce sens. De plus elles avaient affir­mé que sainte Thérèse croyait que Dieu l’avait accep­tée comme une vic­time, comme un holo­causte, non à cause de son mar­tyre du cœur, mais parce qu’elle avait sen­ti dans son âme un jaillis­se­ment exces­sif des flots de la ten­dresse infi­nie de Dieu. Là encore, l’acte d’offrande ne fait aucune allu­sion à la souf­france. Les termes « vic­time d’holocauste » et « mar­tyre » qui, à pre­mière vue, semblent le sug­gé­rer, expriment sim­ple­ment l’effet de l’amour dans une âme qui est en feu et consu­mée par cet amour. Saint Jean de la Croix, par­lant d’âmes qui sont consa­crées à l’amour, s’exprime lui-​même dans des termes simi­laires dans le Cantique spi­ri­tuel et dans la Vive Flamme d’Amour.

Sœur Geneviève relate un fait signi­fi­ca­tif por­tant sur ce sujet. Quand l’office litur­gique de notre sainte fut publié, on remar­quait, dans la 9ème leçon de matines, cette phrase : « Enflammée du désir de souf­frir, elle s’offrit, deux ans avant sa mort, en vic­time à l’Amour misé­ri­cor­dieux du bon Dieu. » Mère Agnès de Jésus n’eut de cesse qu’elle n’ait obte­nu de la Sacrée Congrégation des Rites la modi­fi­ca­tion de ce texte. Le pas­sage men­tion­né ci-​dessus fut rem­pla­cé par ces mots : « enflam­mée par la divine cha­ri­té, elle s’offrait…. » [Conseils et Souvenirs, op. cit., p. 223].

Il est vrai que sainte Thérèse elle-​même souf­frait beau­coup. Ses der­niers jours sur terre furent un véri­table mar­tyre. Mais il faut se rap­pe­ler qu’elle avait deman­dé de souf­frir ; elle avait dési­ré mou­rir la mort de Jésus sur la Croix ; elle s’était offerte elle-​même pour les âmes de sorte que ceux qui ont la foi puissent la gar­der et que les autres qui l’ont per­due puissent la retrou­ver.
C’est pour­quoi, en conclu­sion, nous devons dire que l’acte d’offrande n’entraîne pas néces­sai­re­ment la souf­france, bien que la souf­france puisse consti­tuer sa cou­ronne et son achè­ve­ment. La souf­france est un don de Dieu à ceux qu’Il aime, le moyen qu’Il emploie pour les sanc­ti­fier. C’est aus­si l’objet dési­ré par tous ceux qui veulent prou­ver à Dieu leur amour ; c’est la soif de tous ceux qui ont contem­plé le Divin Crucifié et sou­haitent s’associer à son œuvre de Rédemption. Aussi est-​il nor­mal pour une âme qui s’est offerte elle-​même à l’Amour, d’être éprou­vée. Cependant, quand Dieu dans Sa sagesse et Son amour, envoie des souf­frances à l’âme qui s’est offerte à Lui, Il pro­por­tionne celles-​ci à la force de celui qui les endure. C’est le sens de la réponse don­née par la sainte à sœur Marie du Sacré-​Cœur, qui refu­sait de s’offrir elle-​même à l’Amour misé­ri­cor­dieux, par crainte que ses souf­frances ne deviennent insup­por­tables : « Si vous vous offriez à la jus­tice divine », disait sainte Thérèse, « vous pour­riez avoir peur, mais l’Amour misé­ri­cor­dieux aura com­pas­sion de votre fai­blesse, il vous trai­te­ra avec dou­ceur, avec misé­ri­corde. » [in Histoire d’une âme, Office Central de Lisieux, 1924, ch. 12, p. 224].

L’acte d’offrande à l’Amour Miséricordieux est un élé­ment de base de la doc­trine spi­ri­tuelle de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. C’est le moyen par excel­lence pour réa­li­ser la « petite voie de l’Enfance » ?

Conscients de notre pau­vre­té, de notre fai­blesse et de nos imper­fec­tions, nous com­pre­nons que de nous-​mêmes nous sommes inca­pables d’aimer Dieu comme Il devrait être aimé. Sachant aus­si que Dieu retient des flots de ten­dresse infi­nie qu’il est inca­pable de ver­ser dans des cœurs qui se détournent de Lui, nous nous offrons nous-​mêmes à Lui de sorte qu’Il puisse nous rem­plir de cet amour que les autres méprisent. Notre inten­tion en fai­sant cette offrande est que nous puis­sions faire de nos vies, doré­na­vant, un grand acte d’amour par­fait, que nous puis­sions aimer Dieu avec son propre amour et tra­vailler à faire aimer l’Amour.

Notre imper­fec­tion n’est pas un obs­tacle à une telle offrande. C’est en fait parce que nous sommes pauvres et misé­rables que nous nous offrons, de sorte que cet amour misé­ri­cor­dieux puisse sup­pléer à notre indi­gence. Cet amour nous puri­fie­ra de toute imper­fec­tion. Jésus nous revê­ti­ra de sa jus­tice, nous consu­me­ra, pour­vu que nous res­tions fidèles. Car ce n’est pas assez d’avoir fait cet acte d’offrande pour jouir de ses effets. Nous devons au contraire nous mon­trer de plus en plus fidèles et géné­reux envers Dieu en pro­por­tion du plus grand amour qui nous enva­hit : « pour aimer Jésus, être sa vic­time d’amour, écrit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, plus on est faible, sans dési­rs, ni ver­tus, plus on est propre aux opé­ra­tions de cet Amour consu­mant et transformant…Le seul désir d’être vic­time suf­fit, mais il faut consen­tir à res­ter pauvre et sans force et voi­là le dif­fi­cile car « Le véri­table pauvre d’esprit, où le trou­ver ? il faut le cher­cher bien loin » a dit le psal­miste […], c’est-à-dire dans la bas­sesse, dans le néant… Ah ! res­tons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre peti­tesse, aimons à ne rien sen­tir, alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus vien­dra nous cher­cher, si loin que nous soyons il nous trans­for­me­ra en flammes d’amour… » [L. 197, à sœur Marie du Sacré-​Cœur, 17 sept. 1896, in Œuvres com­plètes, op. cit., p. 552–553].

En ce temps pas­cal, je vous invite, bien chers ter­tiaires, avec le secours de la Reine du Carmel, à médi­ter sur cet acte d’offrande, afin de mieux répondre à l’Amour infi­ni qui S’est livré pour nous. 

Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubroeucq †

La pro­chaine récol­lec­tion à saint Nicolas du Chardonnet aura lieu le jeu­di 17 juin, de 9h30 à 16h15..

Retraite annuelle du Tiers-​Ordre du Carmel à Unieux
Notre retraite annuelle sera prê­chée au Prieuré saint François-​Régis, 31, rue Holtzer, 42240 Unieux, (tél : 04.77.40.20.55), près de Saint Etienne. Elle se dérou­le­ra du lun­di 26 juillet à 13h00 au same­di 31 juillet à 13h00.