Editorial du numéro 25 de mai 2011- Aux Sources du Carmel

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise


Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq,
aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur,

« Père, je remets mon âme entre vos mains ! » (Lc23, 46)

Suivre Notre-​Seigneur jusqu’au Calvaire, c’est le suivre aus­si dans son aban­don à la volon­té de son Père, c’est, dit Dom Vandeur, « la plus par­faite de toutes les voies inté­rieures […] Ne plus vou­loir que ce que Dieu veut, comme Il le veut et sur­tout parce qu’Il le veut : c’est la plus grande gloire ren­due à Dieu, c’est la plus haute sain­te­té réa­li­sée en nous. »

Voilà l’idéal vers lequel toute âme chré­tienne doit tendre, à plus forte rai­son tout ter­tiaire. Notre sain­te­té dépend de l’accomplissement de la volon­té divine. Or celle-​ci selon saint Bernard peut revê­tir dif­fé­rentes formes cor­res­pon­dant aux trois degrés de la per­fec­tion chré­tienne : « Le débu­tant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiem­ment ; le pro­gres­sant, mû par l’espérance, la porte avec une cer­taine joie ; le par­fait, consom­mé en cha­ri­té, l’embrasse avec ardeur. »

L’abandon se dis­tingue des ver­tus voi­sines : obéis­sance, rési­gna­tion, accep­ta­tion, acquies­ce­ment, confor­mi­té, indif­fé­rence. Citons, à ce sujet, la fin d’une page de Mgr Gay sur l’abandon qui nous défi­nit bien l’objet propre de cette dis­po­si­tion d’âme et sa carac­té­ris­tique spéciale :

« Nous avions le mot de confor­mi­té. Il est très conve­nable, […] cepen­dant ce mot dit plus un état qu’un acte, et l’état qu’il exprime semble préa­la­ble­ment sup­po­ser une sorte d’ajustement laborieux…Aurions-nous mieux par­lé en nous ser­vant du mot d’indifférence ? C’est un mot néga­tif. L‘amour en use, mais comme d’un mar­che­pied, car rien n’est défi­ni­ti­ve­ment posi­tif comme l’amour. Le mot propre ici était donc l’abandon. L’acte doux, plein, vivant, inef­fable qu’il signi­fie, n’est-il pas en effet l’inclination la plus natu­relle, le besoin le plus inté­rieur, et par là même le plus impé­rieux, enfin l’acte suprême, l’acte déci­sif de l’amour ? »

L’indifférence approche de plus près l’abandon, elle y ache­mine : elle sup­pose la volon­té humaine dans l’attente de la volon­té divine, l’âme prête à s’élancer là où elle aper­ce­vra le bon plai­sir de Dieu. Aussi voit-​on St François de Sales appe­ler sou­vent l’abandon « la sainte indif­fé­rence ». Le saint aban­don fruit du pur amour de Dieu s’ajoute, dans toute âme chré­tienne, à la confiance en Dieu qui pro­cède de l’espérance. Mais à la racine de ces deux ver­tus se situe la foi. Nous savons par cette der­nière ver­tu que Dieu mène le monde, que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm8,28).

L’abandon n’est pas une ver­tu spé­ciale, mais plu­tôt un com­plexe de ver­tus. Le Père de Caussade défi­nit cet état comme « un cer­tain mélange de foi, d’espérance et de cha­ri­té dans un seul acte qui unit le cœur à Dieu et à son action ». Mais quel en est l’élément domi­nant ? Certains auteurs spi­ri­tuels y voient l’espérance, d’autres, la cha­ri­té. Suivant ses Maîtres en spi­ri­tua­li­té du Carmel, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus rat­tache l’abandon à l’espérance, mue par la cha­ri­té. Mais à la base de son aban­don se situe sa foi inébran­lable en la pater­ni­té divine. La vie d’abandon, chez sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est comme la syn­thèse de sa vie théo­lo­gale et l’axe de sa spiritualité. 

Interrogeons la sainte elle-​même. Jusqu’en 1893 il ne semble pas qu’elle ait uti­li­sé beau­coup ce terme. Elle parle plu­tôt de confiance et du décou­ra­ge­ment qui la menace. Elle veut avoir confiance. Puis vient le temps où la confiance active est assu­mée dans une confiance pas­sive qu’elle nomme aban­don. La contem­pla­tion infuse inonde l’âme de sainte Thérèse et la met en face de sa misère et de l’amour misé­ri­cor­dieux. C’est alors qu’elle se jette dans une confiance dont l’initiative vient de Dieu.

Quelles sont, chez sainte Thérèse, les étapes vers l’abandon ? Dieu la pré­pare vers l’âge de 14 ans à se lais­ser faire par Lui : « Je m’étais offerte à l’Enfant-Jésus pour être son petit jouet […] sa petite balle de nulle valeur qu’il pou­vait jeter à terre, pous­ser du pied, per­cer, lais­ser dans un coin ou bien pres­ser sur son cœur, si cela lui fai­sait plai­sir » Le 19 octobre 1893, elle écrit à Céline : « En notre Père ché­ri, Jésus nous a atteintes dans la par­tie exté­rieure la plus sen­sible de notre cœur, main­te­nant laissons-​le faire, il sau­ra ache­ver son œuvre dans nos âmes. » Cette expres­sion, « laissons-​le faire », revien­dra sur ses lèvres lors de sa der­nière mala­die : Mère Agnès allait prier pour que la Sainte Vierge dimi­nue son oppres­sion. Elle réagit : « Non, il faut les lais­ser faire là-​haut Quand on a prié la Sainte Vierge et qu’elle ne nous a pas exau­cés, il faut la lais­ser faire sans insis­ter… » Cette forme se nuance lorsqu’elle écrit en juillet 1893 : « Quand Jésus veut prendre pour lui la dou­ceur de don­ner, ce ne serait pas gra­cieux de refu­ser. Laissons-​le prendre et don­ner tout ce qu’il voudra…ce qui regarde Thérèse, c’est de s’abandonner, de se livrer sans rien réser­ver. » Il faut donc renon­cer à sa science per­son­nelle, se perdre de vue : « Je suis la voie que Jésus me trace. Je tâche de ne plus m’occuper de moi-​même en rien, et ce que Jésus daigne opé­rer en mon âme, je le lui aban­donne » L’âme doit en outre croire à l’action de Dieu en elle : « C’est Jésus qui fait tout et moi je ne fais rien ».

Le « lais­ser faire » de Ste Thérèse est encore ensei­gné par Notre Seigneur lui-​même, qui fit com­prendre à sœur Marie-​Angélique de Jésusà quelle condi­tion elle pou­vait progresser : 

« Étant un jour inquiète parce que mon peu de ver­tu ne cor­res­pon­dait pas à mon orai­son, je crai­gnais beau­coup d’être dans l’illusion. Notre Seigneur me dit inté­rieu­re­ment : Laisse-​moi juger ce que je dois faire en toi. Je me sen­tis en même temp­spor­tée à aban­don­ner com­plè­te­ment mon âme à sa Providence pourm’appuyer sur Lui avec confiance pour tous les pro­grès que j‘ai à faire ;m’efforçant seule­ment d’être un vrai néant entre ses mains pour lui lais­ser toute liber­té d’agir enmoi selon son bon plai­sir, en m’efforçant seule­ment de cor­res­pondre fidè­le­ment et pai­si­ble­ment à sa grâce. »

Cependant l’abandon thé­ré­sien sup­pose aus­si que l’âme s’applique sans cesse à faire la volon­té de Dieu : « Comme je veux m’appliquer à faire avec le plus grand aban­don, la volon­té du bon Dieu. »L’âme est à la fois active et pas­sive : elle s’applique à aimer Dieu de toutes ses forces et en même temps elle se livre à la volon­té de Dieu, pour qu’elle s’accomplisse en elle. Face à cette volon­té sainte, elle n’a plus de dési­rs per­son­nels :

« Je ne désire pas non plus la souf­france, ni la mort […]c’est l’amour seul qui m’attire. […] Maintenant c’est l’abandon seul qui me guide, je n’ai point d’autre bous­sole ! […] Je ne puis plus rien deman­der avec ardeur, excep­té l’accomplissement par­fait de la volon­té du bon Dieu sur mon âme… » Il n’y plus de place pour la crainte ou le trouble en son âme :« Si mon âme n’était pas rem­plie par l’abandon à la volon­té du bon Dieu, s’il fal­lait qu’elle se lais­sât sub­mer­ger par les sen­ti­ments de joie et de tris­tesse qui se suc­cèdent si vite sur la terre, ce serait un flot de dou­leurs bien amer ! Mais ces alter­na­tives ne touchent que la sur­face de mon âme… Le bon Dieu veut que je m’abandonne comme un tout petit enfant qui ne s’inquiète pas de ce qu’on fera de lui. »

Dans la logique de l’abandon, les demandes super­flues cessent d’être expri­mées « Je ne demande rien, ce serait sor­tir de ma voie d’abandon » La Sainte Vierge est là cepen­dant pour com­mu­ni­quer les dési­rs :« Demander à la Sainte Vierge ce n’est pas la même chose que de deman­der au bon Dieu. Elle sait bien ce qu’elle a à faire de mes petits dési­rs, s’il faut qu’elle les dise ou ne les dise pas… enfin c’est à elle de voir pour ne pas for­cer le bon Dieu à m’exaucer, pour le lais­ser faire en tout sa volon­té. »

La voie de l’enfance spi­ri­tuelle c’est, nous dit-​elle, « le che­min de la confiance et du total aban­don ». Elle aver­tit l’abbé Bellière que, du ciel, elle lui ensei­gne­ra com­ment « navi­guer sur la mero­ra­geuse de ce monde : avec l’abandon et l’amour d’un enfant qui sait que son Père le ché­rit et ne sau­rait le lais­ser seul à l’heure du dan­ger ».« Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seule­ment l’abandon et la recon­nais­sance… Jésus se plaît à me mon­trer l’unique che­min qui conduit à cette four­naise divine, ce che­min c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père. »

La ver­tu de cha­ri­té que Ste Thérèse n’a ces­sé d’exercer en toute occa­sion, l’a intro­duite dans la contem­pla­tion infuse dont la pure­té fait l’objet de notre admi­ra­tion. La lumière de l’amour l’a éclai­rée sur « les pro­fon­deurs de son néant »et sur l’Amour misé­ri­cor­dieux de Jésus. En son cœur est née, en même temps, une confiance auda­cieuse. Elle met à la por­tée de tous l’enseignement de son Maître St Jean de la Croix et de notre Mère Ste Thérèse de Jésus, rap­pe­lant plus spé­cia­le­ment à notre temps le sens de l’espérance chré­tienne, une des ver­tus les plus dyna­miques et hélas sou­vent des moins étu­diées par les auteurs spirituels.

Des ter­tiaires ont vécu dans cette voie de l’abandon : citons le Général de Sonis qui exprime ce que fut sa vie toute livrée à Dieu, dans sa sublime prière déjà citée en par­tie dans le pré­cé­dent bul­le­tin et dont voi­ci un pas­sage final : « Je ne désire rien sinon que votre volon­té soit faite. Vous êtes mon maître, et je suis votre pro­prié­té. Tournez et retournez-​moi ; détrui­sez et travaillez-​moi… »

Que la Reine du Carmel daigne for­mer en ses enfants du troi­sième Ordre cette dis­po­si­tion d’abandon qui les livre sans réserve à l’action puri­fiante et sanc­ti­fiante de Dieu.

† Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubrœucq †

Notes

Dom Eugène Vandeur, o.s.b., L’abandon à Dieu, voie de la paix, p.7, éd. Maredsous, 1938.
I Serm. S. Andreae, 5
De la vie et des ver­tus chré­tiennes consi­dé­rées dans l’état reli­gieux. De l’abandon à Dieu, II, Paris, 1883, p. 372–374.
Traité de l’abandon à la Providence, Livre II, ch.I et III
Manuscrit A, in Thérèse de Lisieux. Œuvres com­plètes, Cerf, 2004, p. 177.
Lettre 210, in Lettres de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, Éd. du Carmel, 1957.
Novissima Verba, inThérèse de Lisieux,op. cit., p. 1094.
Carnet Jaune, ibi­dem, p.1107.
Lettre 222.
Lettre 142.
Lettre 223
R.P. Paul Marie de la Croix, o.c.d., Montée d’un âme d’oraison, Librairie du Carmel, 1945, p. 162–163.
Manuscrit A, op. cit., p. 213.
Manuscrit A, op. cit., p. 210.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1035.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1016.
Histoire d’une âme, ch. XII.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1006–1007.
Novissima Verba.
Lettre 424.
Manuscrit A, folio 29.
Manuscrit B, op. cit., p. 220.
Jean des Marets, Le Général de Sonis, Fernand Sorlot, 1934, p.173.

Retraites car­mé­li­taines :

Retraite car­mé­li­taine : du 22 au 27 août 2011, à l’Etoile du Matin. 57230 Eguelshardt

Réunion du Tiers-​Ordre du Carmel le same­di 18 juin 2011, à 9h30,
21 rue du Cherche-​midi, Paris 6ème ( locaux de l’Institut st PieX)

Comme l’in­dique l’or­do de 2011,des messes sont célé­brées au Mans
au moins deux dimanches par mois à l’a­dresse sui­vante :
Chapelle Notre-​Dame de l’Annonciation
1, rue des Edelweiss, 72000 Le Mans (Quartier des Maillets)
Tél : au prieu­ré Saint Louis-​Marie Grignon de Montfort, 49380 Faye d’Anjou ou au 06 16 80 63 17
Prochaines messes domi­ni­cales : 6 et 20 février, 6 et 20 mars 2011