Auschwitz, Ratisbonne, Assise : le grand dessein de Benoît XVI

À Auschwitz, une étoile a brillé

C’est « dans ce lieu de l’hor­reur et des ténèbres »1, que le pape a vu briller « l’é­toile de la récon­ci­lia­tion », celle néces­saire entre tous les peuples pour garan­tir à jamais la paix sur la terre, et « que « jamais plus » les forces du mal n’ar­rivent au pouvoir. »

« Nous prions Dieu et nous éle­vons un cri vers les hommes afin que cette rai­son, la rai­son de l’a­mour et de la recon­nais­sance de la force de la récon­ci­lia­tion et de la paix, pré­vale sur les menaces qui nous entourent de l’ir­ra­tio­na­li­té ou d’une fausse rai­son, déta­chée de Dieu. » L’étoile de la récon­ci­lia­tion, c’est le che­min obli­ga­toire parce que vital du dia­logue entre les cultures et les reli­gions, dans le res­pect de la convic­tion intime de cha­cun et dans la construc­tion d’un monde meilleur et plus juste, don­nant à tous « un droit égal de citoyen », par un « enga­ge­ment mutuel de com­pré­hen­sion, de res­pect et d’amour. »

Le bien com­mun de l “huma­ni­té exige en effet, explique le pape, la recon­nais­sance du carac­tère cen­tral de la per­sonne, dont la digni­té et la défense des droits qui en découlent forment « le but de tout pro­jet social et de tout effort mis en œuvre dans ce sens. »

Les deux astres de Ratisbonne

Mais à la récon­ci­lia­tion du monde s’op­posent aujourd’­hui deux dan­gers appa­rem­ment contra­dic­toires, comme deux astres qui empê­che­raient l’é­toile de luire. D’une part la foi sans la rai­son, au nom de la trans­cen­dance de Dieu. C’est elle qui verse dans l’ir­ra­tion­nel et l’in­to­lé­rance, engen­drant la haine et la vio­lence. La doc­trine musul­mane d “un Ibn Hazn comme la théo­lo­gie chré­tienne d’un Duns Scott favo­risent mal­heu­reu­se­ment cette « image d’un Dieu-​Arbitraire, qui n’est pas même lié par la véri­té et le bien. »

D’autre part la rai­son sans la foi, celle qui depuis la réforme pro­tes­tante, le siècle des lumières et le libé­ra­lisme, habite nos socié­tés maté­ria­listes, verse dans le cynisme et la réduc­tion des hori­zons humains. A l’é­qui­libre réa­li­sé par l “esprit chré­tien entre la foi biblique et la pen­sée hel­lé­nique, la rai­son moderne a pré­fé­ré cou­per la rai­son de la foi, et ce fai­sant elle a aus­si encou­ra­gé la vio­lence et le fanatisme.

A ces dan­gers, il importe d’op­po­ser le Dieu de la rai­son, qui agit « sun logô », avec logos, rai son et parole, et qui ne fait qu’un avec l’a­mour et avec le bien, avec la récon­ci­lia­tion et avec la paix. Il est incom­pa­tible avec la vio­lence, contraire à la nature de Dieu comme à celle de l’âme.

Il faut donc réha­bi­li­ter la rai­son dans toute son uni­ver­sa­li­té, afin de fon­der un véri­table dia­logue de la foi avec la rai­son moderne, les cultures et les dif­fé­rentes tra­di­tions reli­gieuses. De sorte que la théo­lo­gie ait toute sa place par­mi les acti­vi­tés de la rai­son. Elle est, à son niveau, « inter­ro­ga­tion de la rai­son de la foi dans le vaste dia­logue des sciences. »

« Dans un monde mar­qué par le rela­ti­visme et excluant trop sou­vent la trans­cen­dance de l’u­ni­ver­sa­li­té de la rai­son, nous avons impé­ra­ti­ve­ment besoin d’un dia­logue authen­tique entre les reli­gions et entre les cultures, capable de nous aider à sur­mon­ter ensemble toutes les ten­sions, dans un esprit de col­la­bo­ra­tion fructueuse. »

L’étoile de la récon­ci­lia­tion, c’est ulti­me­ment, face aux conflits, à la vio­lence et à la guerre, une sorte d’Internationale de toutes les reli­gions, fon­dée sur la liber­té reli­gieuse : « la prière pour la paix de tous ceux qui pro­fessent un cre­do reli­gieux est un devoir urgent ». Il est un témoi­gnage élo­quent « pour mon­trer à tous la valeur de la dimen­sion reli­gieuse de l “exis­tence ». Plus que jamais, « le dia­logue inter­re­li­gieux et inter­cul­tu­rel est une néces­si­té pour bâtir ensemble le monde de paix et de fra­ter­ni­té ardem­ment sou­hai­té par tous les hommes de bonne volon­té (…) en vue d “une col­la­bo­ra­tion fruc­tueuse au ser­vice de l’hu­ma­ni­té tout entière ».

Assise ou le spectre de la collaboration

En favo­ri­sant les ren­contres autour de la prière, comme à Assise, le « sen­ti­ment reli­gieux atteint sa matu­ri­té, il sus­cite chez le croyant la per­cep­tion que la foi en Dieu, Créateur de l “uni­vers et Père de tous, ne peut man­quer de pro­mou­voir entre les hommes des rela­tions de fra­ter­ni­té uni­ver­selle. En effet, des témoi­gnages du lien intime qui existe entre le rap­port avec Dieu et l “éthique de l “amour sont visibles dans toutes les grandes tra­di­tions religieuses. »

Parce que « le judaïsme, le chris­tia­nisme et l “islam croient dans le Dieu unique, Créateur du ciel et de la terre, il s’en­suit par consé­quent que les trois reli­gions mono­théistes sont appe­lées à coopé­rer entre elles pour le bien com­mun de l’hu­ma­ni­té, en ser­vant la cause de la jus­tice et de la paix dans le monde. Les chefs reli­gieux ont la res­pon­sa­bi­li­té de tra­vailler à la récon­ci­lia­tion par un authen­tique dia­logue et des actes de soli­da­ri­té humaine », ain­si qu’à tra­vers un enga­ge­ment renou­ve­lé « à construire des ponts de com­pré­hen­sion au-​delà des barrières. »

A l’aube du nou­veau mil­lé­naire, résume le car­di­nal Poupard, le pape actuel nous invite « à œuvrer à une nou­velle sym­biose de la foi et de la rai­son dans le dia­logue confiant et apai­sé des reli­gions et des cultures qui portent en elles, au cœur même de leurs dif­fé­rences, le témoi­gnage de l’ou­ver­ture spé­ci­fique de l’homme au plus grand des mys­tères, le mys­tère de Dieu. ».

L’étoile ou la croix

Le des­sein de Benoît XVI conti­nue l’u­to­pie de son pré­dé­ces­seur « dans l “enga­ge­ment irré­ver­sible pris par le Concile Vatican II » : fausse liber­té reli­gieuse, qui tra­hit la charge apos­to­lique d “annon­cer l’Evangile à toute créa­ture ; men­songe de l’é­gale digni­té de toutes les reli­gions fon­dée sur un natu­ra­lisme erro­né ; illu­soire fra­ter­ni­té uni­ver­selle qui asser­vit l’Eglise à l’hu­ma­ni­té dans une course à l’u­ni­fi­ca­tion du genre humain au sein de la so cié­té mondialisée.

Mgr Lefebvre en éprou­vait une ter­rible douleur :

« Douleur pour la vita­li­té de l’Eglise, dou­leur parce que nous voyons les âmes se diri­ger vers l’en­fer en foule, à cause de l’a­po­sta­sie qui règne à Rome. C’est une véri­table apos­ta­sie. Notre-​Seigneur n’est plus hono­ré comme Il devrait l’être, étant don­né qu’Il est Dieu, qu’Il doit régner et qu’Il est le seul qui doive régner, le seul qui ait droit à la véri­table reli­gion, à LA religion. »

L’étoile de la récon­ci­lia­tion qui guide Benoît XVI est-​elle encore la croix du Christ, qui devrait pour­tant être le seul laba­rum2 du suc­ces­seur de Pierre ? Car ce n’est que par la Croix de Notre-​Seigneur que les hommes appren­dront à connaître et à pra­ti­quer la vraie Religion, la Religion de Jésus-Christ.

Abbé Christian Thouvenot, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Le Chardonnet n° 223 de décembre 2006

  1. Ces cita­tions, pré­sen­tées de manière syn­thé­tique, sont tirées des sources sui­vantes :
    • Discours aux repré­sen­tants des autres confes­sions chré­tiennes et des autres reli­gions pré­sentes à Rome pour l’i­nau­gu­ra­tion du pon­ti­fi­cat, lun­di 25 avril 2005 ;
    • Discours à la syna­gogue de Cologne, ven­dre­di 19 août 2005 ;
    • Discours devant les repré­sen­tants des com­mu­nau­tés musul­manes, J.M.J. de Cologne, same­di 20 avril 2005 ;
    • Discours au grand rab­bin de Rome, audience du lun­di 16 jan­vier 2006 ;
    • Discours à une délé­ga­tion du Comité juif amé­ri­cain (American Jewish Committee), jeu­di 16 mars 2006 ;
    • Discours au camp d’Auschwitz-​Birkenau, dimanche 28 mars 2006 ;
    • Lettre à l’ar­che­vêque d’Assise à l’oc­ca­sion du XX e anni­ver­saire de la ren­contre inter­re­li­gieuse de prière pour la paix, same­di 2 sep­tembre 2006 ;
    • Discours à Ratisbonne, mar­di 12 sep­tembre 2006 ;
    • Discours devant les repré­sen­tants de l’Islam en Italie et les Ambassadeurs de pays musul­mans, lun­di 25 sep­tembre 2006 ;
    • Cardinal Paul Poupard, dis­cours à l’oc­ca­sion de l’au­dience du lun­di 25 sep­tembre 2006 ;
    • Mgr Marcel Lefebvre, Homélie du 1er novembre 1990, in Vu de Haut n° 13, p. 72. []
    • Le laba­rum (en grec λαϐαρόν [lába­ron]) est l’é­ten­dard mili­taire por­tant le sym­bole chré­tien du chrisme adop­té à par­tir de Constantin Ier par les empe­reurs romains. []