Monsieur l’abbé François Knittel nous propose une étude élaborée à partir du discours prononcé par Benoît XVI le 22 décembre 2005 dans lequel le Saint Père s’est essayé à une mise au point sur le concile Vatican II. Force est de considérer ce discours de Benoît XVI comme un discours programmatique.
Aussi l’abbé François Knittel nous incite à nous atteler à la tâche de comprendre exactement ce discours dense et fortement structuré qui veut nous présenter « une interprétation authentique de Vatican II ».
Au moment où certains essaient de choisir dans ce discours « étonnant » de Benoît XVI ce qui les arrange, l’étude présentée ci-après ne fait l’impasse ni sur ce qui peut nous apparaître comme une avancée positive ni sur les carences qui y sont contenues.
Abbé Régis de Cacqueray † , Supérieur du District de France
Abbé François KNITTEL – Octobre 2006
À l’occasion de ses vœux à la curie romaine le 22 décembre 2005 [1], après une première partie de son discours consacrée aux évènements de l’année écoulée (mort de Jean-Paul II, élection de son successeur, J.M.J. à Cologne et Synode sur l’Eucharistie à Rome), le Pape Benoît XVI s’est essayé à une mise au point sur le concile Vatican II.
L’intérêt d’une telle tentative n’échappera à personne, surtout si l’on tient compte de la constatation initiale du pape dans son discours : « Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Eglise, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile… »
On ne peut s’empêcher de considérer ce discours de Benoît XVI comme un discours programmatique. Aussi faut-il nous atteler à la tâche de comprendre exactement ce discours dense et fortement structuré qui nous présente une interprétation authentique de Vatican II.
Nous mentionnerons à l’occasion les textes parallèles de celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Nous pensons en particulier à son livre interview avec le journaliste italien Vittorio Messori, intitulé Entretien sur la foi et à son discours aux évêques chiliens le 13 juillet 1988, prononcé dans la foulée des consécrations épiscopales à Ecône le 30 juin 1988.
Nous serons alors en mesure de comprendre ce que le discours du Souverain Pontife actuel a de commun, mais aussi ce qu’il a de propre par rapport aux réflexions du cardinal d’alors et de voir aussi dans quelle mesure son discours fait œuvre de clarification.
a partie du discours de Benoît XVI sur la réception de Vatican II compte cinq paragraphes et s’étend sur quatre pages imprimées environ.
Le discours commence par une brève introduction sous forme d’état de la question, résumé en ces termes :
« Pourquoi l’accueil du concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile ?»
Le pape introduit ensuite l’idée qu’il va développer tout le long du discours :
« Tout dépend de la juste interprétation du concile ou ‑nous le dirons aujourd’hui de sa juste herméneutique, de la juste clé de lecture et d’application. »
Or, selon le pape, il y a deux herméneutiques en compétition : l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture et l’herméneutique de la réforme. Enfin, Benoît XVI termine en rappelant que l’Eglise se doit de rester un signe de contradiction tout en cherchant à résoudre le « problème éternel du rapport entre foi et raison, qui se représente sous des formes toujours nouvelles ».
1 – L’état de la question
Prenant occasion des 40 années écoulées depuis la clôture du concile Vatican II, le pape s’interroge sur « le résultat du Concile ».
1.1 – La réception de Vatican II
Qu’on remarque bien dès l’abord que la question posée ne concerne pas le Concile en lui-même, ni son déroulement, ni son objectif. De ce côté-là, Benoît XVI ne semble pas percevoir de problème[2]). Expert lui-même lors du Concile, il ne voit dans ce concile pastoral rien d’atypique.
Non, ce qui l’inquiète, c’est la réception du Concile[3] ou son accueil[4]. Le concile Vatican II est un fait incontournable et non-négociable. Il est, tout simplement. Certes, il y a des difficultés, des confusions, des clameurs, mais le Concile n’est pas lui-même en cause. La solution proposée est donc une question d’interprétation : la bonne interprétation rendant une bonne réception possible, la mauvaise ayant l’effet contraire.
1.2 – Vatican II et Nicée
Cette impression que ce qui est en cause ce n’est pas le Concile en lui-même, mais certaines fausses interprétations qui en rendent la réception (ou l’accueil) difficile, est confirmée par la citation de S. Basile décrivant la situation de l’Eglise après le concile de Nicée. Certes, le pape ne force pas la comparaison[5], mais il n’hésite pas à comparer la confusion dans l’Eglise après le concile de Nicée à celle qui suivit le concile Vatican II.
Cette comparaison n’est pas nouvelle, puisqu’on la trouve explicitement dans la lettre adressée à Mgr Lefebvre le 11 octobre 1976 dans laquelle le pape Paul VI parlait du concile Vatican II « qui ne fait pas moins autorité, qui est même sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée. » Cette comparaison ne va pas faciliter le diagnostic que Benoît XVI veut porter sur la confusion actuelle.
En effet, comment comparer l’autorité d’un concile dogmatique comme le concile de Nicée avec celle d’un concile pastoral comme le concile Vatican I[6]) ? Où est-elle la doctrine de foi proposée par Vatican II qui pourrait donner lieu à des falsifications par excès ou par défaut, comme semble l’insinuer le texte de S. Basile cité ?
D’autre part, le concile de Nicée avait été convoqué pour définir la doctrine catholique sur la divinité du Christ contre l’hérésie arienne : la confusion existait donc déjà dans l’Eglise avant le concile de Nicée et celui-ci avait été l’instrument choisi pour sortir de la confusion, même si l’effet ne devait pas en être immédiat. Dans le cas du concile Vatican II, la confusion est postérieure au Concile et il faudrait se demander si elle n’a pas été engendrée par lui. Certes, les tendances délétères du modernisme et de la Nouvelle Théologie se faisaient déjà sentir bien avant Vatican II : il suffit de se rappeler les condamnations des Pontifes[7]. Mais, quelle a été l’attitude de Vatican II à leur égard ? A‑t-il gardé ses distances, voire condamné ces erreurs ? Ou bien, au contraire, les a‑t-il assumées et dans quelle mesure ?Enfin, au-delà des problèmes de langage dus aux différences entre le grec et le latin, les difficultés au terme du concile de Nicée ne furent pas dues à une question d’herméneutique, mais à une problème d’adhésion au donné révélé défini à Nicée en un mot : « consubstantiel ».
Même si Benoît XVI avance avec prudence sa comparaison entre Nicée et Vatican II, il n’en demeure pas moins que cette comparaison même nous révèle ses convictions intérieures : Vatican II n’est pas en cause, c’est seulement sa réception rendue difficile par une mauvaise herméneutique.
1.3 – La solution proposée
Cette réception difficile de Vatican II, semblable selon le pape à celle de Nicée, amène le Pontife à se poser la question, qu’il va essayer de résoudre par la suite :
« Pourquoi l’accueil du concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile ? »
La réponse de Benoît XVI est immédiate et introduit le corps de son discours :
« Tout dépend de la juste interprétation du concile ou –nous le dirons aujourd’hui de sa juste herméneutique, de la juste clé de lecture et d’application. Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. »
2 – Les deux herméneutiques
Le développement du discours du pape va consister à décrire les deux herméneutiques en présence en tachant de les départager.
Tâche difficile si l’on prend en compte le fait que l’herméneutique de la réforme apparaît elle aussi comme une rupture, ce qui semblerait donner raison aux partisans de l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture.
2.1 – L’herméneutique de la discontinuité et de la rupture
2.1.1 – Sa présentation
Selon Benoît XVI, l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture se présente ainsi :
- Elle cause la confusion[8] ;
- Elle bénéficie de l’appui des medias et d’une partie de la théologie moderne[9] ;
- Elle risque de provoquer une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire[10]) ;
- Elle prône un esprit du Concile qui dépasse la lettre de Vatican II, laquelle ne serait que le résultat d’un compromis destiné en son temps à entraîner l’unanimité des Pères conciliaires[11]) ;
- Elle interprète largement cet esprit du concile et laisse la porte ouverte à toutes les fantaisies[12]
2.1.2 – Sa critique
Dans un deuxième temps, le Pontife laisse entrevoir qu’il ne partage pas cette herméneutique de la discontinuité et de la rupture, car « elle se méprend sur la nature d’un Concile en tant que tel ».En effet, un concile n’est pas une « Constituante, qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle. »
Or, les Pères conciliaires :
- N’avaient pas un tel mandat ;
- N’en ont reçu de personne ;
- Ne pouvaient en recevoir de personne.
Pourquoi ?
« Parceque la constitution essentielle de l’Eglise vient du Seigneur… » et que les évêques ne sont que « les dépositaires du don du Seigneur » et « les administrateurs des mystères de Dieu » (1 Cor 4, 1).
Ces propos, qui nous semblent intéressants, sont à rapprocher de ce que le cardinal Ratzinger disait aux évêques chiliens en juillet 1988 :
« Certainly there is a mentality of narrow views that isolate Vatican II and which provoked this opposition [from Msgr Lefebvre]. There are many accounts of it which give the impression that, from Vatican II onward, everything has been changed, and that what preceded it has no value or, at best, has value only in the light of Vatican II.
« The Second Vatican Council has not been treated as a part of the entire living Tradition of the Church, but as an end of Tradition, a new start from zero. The truth is that this particular Council defined no dogma at all, and deliberately chose to remain on a modest level, as a merely pastoral council ; and yet many treat it as though it had made itself into a sort of superdogma which takes away the importance of all the rest. »
2.2 – L’herméneutique de la réforme
C’est dans le cadre délimité par le dynamisme et la fidélité que Benoît XVI présente l’herméneutique de la réforme qu’il fait sienne.
2.2.1 – Sa présentation
Selon Benoît XVI, l’herméneutique de la réforme se présente ainsi :
- Elle a porté et porte des fruits, silencieusement mais de manière toujours plus visible[13] ;
- Elle procède au renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise[14] ;
- Elle a produit de bons fruits[15].
2.2.2 – Son fondement
Cette herméneutique de la réforme est-elle propre à Benoît XVI ? La tire-t-il de son propre fond pour les besoins de la cause ?
Pour parer à cette objection, le pape en appelle à l’intention du Concile telle que définie par Jean XXIII, le pape qui ouvrit le concile, dans son allocution d’ouverture le 11 octobre 1962, et par Paul VI, le pape qui conclut le Concile, dans son allocution de clôture le 7 décembre 1965.
La boucle est donc bouclée : le soleil se lève à l’est. Du début à la fin, Vatican II a obéi à une même intention que le Pontife actuel assume dans son herméneutique de la réforme, laquelle permettra la réception (ou l’accueil) adéquate de Vatican II.
2.2.3 – L’apport de Jean XXIII
En quoi consiste, selon Benoît XVI, l’apport de Jean XXIII à la correcte interprétation de Vatican II ? Le pape se réfère à l’affirmation centrale de l’allocution de Jean XXIII sur la distinction entre le dépôt de la foi et la façon de l’énoncer[16]).
D’autres se sont déjà penchés sur cette distinction[17], à la fois familière et étrange. Familière, car face au mystère et à Dieu, il y a toujours lieu de s’assurer de l’instrument adéquat pour parler de l’indicible[18]. De ce côté-là, le récent concile ne s’affrontait avec rien de nouveau par rapport aux précédents. Qu’il faille adapter son langage à l’auditoire, sans jamais trahir le contenu révélé, c’est une expérience commune à tous les prédicateurs et à tous les missionnaires. Il n’y avait donc pas là matière à un nouveau concile. Il faut donc chercher ailleurs.
Étrange, car il s’agit selon les termes mêmes de Jean XXIII « que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps », « tâche que notre époque exige ». Or, on trouve chez Pie XII un passage qui se réfère au thème de l’accommodation de la foi aux esprits et aux philosophies modernes : « Ils font l’objection que la philosophie perennis n’est qu’une philosophie des essences immuables, tandis que l’esprit d’aujourd’hui doit considérer l’existence des êtres singuliers et la vie toujours fluctuante. Pendant qu’ils méprisent cette philosophie, ils font l’éloge des philosophies, anciennes ou modernes, d’Orient ou d’Occident, en sorte qu’ils semblent insinuer dans les esprits que n’importe quelle philosophie, n’importe quelle façon de penser peut, moyennant, s’il le faut, des corrections et des compléments, s’accorder avec le dogme catholique »[19], mais c’est pour condamner aussitôt et sans appel cette tentative : « Ce qui est absolument faux, surtout lorsqu’il s’agit de systèmes comme l’immanentisme, l’idéalisme ou le matérialisme, soit historique soit dialectique, ou encore de l’existentialisme, s’il professe l’athéisme ou du moins s’il rejette la valeur du raisonnement métaphysique »[20].
L’explication qu’en donne Benoît XVI n’est pas là pour nous rassurer : l’expression nouvelle d’une vérité déterminée requiert « une nouvelle réflexion sur celle-ci et un nouveau rapport avec elle », lesquels supposent « une compréhension consciente de la vérité exprimée » et « que l’on vive cette foi ». Qu’est-ce à dire ? C’est, selon Benoît XVI, le moyen d’assurer « la synthèse de la fidélité et de dynamisme » mentionnée plus haut.
Pour éclaircir un peu ses idées, on pourra relire les réflexions déjà faites sur la conscience à Vatican II[21] et ce S. Pie X disait de l’expérience de la foi dans le système moderniste[22].
Appel à la philosophie moderne, insistance sur la conscience au détriment de l’être, mention de la foi vécue à saveur moderniste et blondélienne : rien n’est fait pour nous rassurer dans cette allocution de Jean XXIII et dans sa mention comme critère d’une herméneutique de la réforme par Benoît XVI.
2.2.4 – L’apport de Paul VI
En quoi consiste alors, selon Benoît XVI, l’apport de Paul VI à la correcte interprétation de Vatican II ?
Au Concile, l’Eglise s’est consacré au « grand débat sur l’homme, qui caractérise le temps moderne », à l’« anthropologie », au « rapport entre l’Eglise et sa foi, d’une part, et l’homme et le monde d’aujourd’hui, d’autre part », au « rapport entre l’Eglise et l’époque moderne ». Nous reviendrons un peu plus loin sur la vision qu’a le pape de ce débat, de sa généalogie, de sa chronologie, de ses étapes et de son état actuel (Cf. 2.3).
Disons simplement pour l’instant qu’on retrouve là l’intention initiale de Jean XXIII : il faut « que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps. » Encore une fois, ce rapport difficile entre l’Eglise et le monde, qu’il soit moderne ou pas, n’est pas nouveau. Il est de tous les âges de l’Eglise.
Il peut être résolu essentiellement de deux manières : soit le monde, prenant la mesure de son éloignement de Dieu, cherche à s’élever vers cet idéal que lui présente l’Eglise ; soit l’Eglise, par charité mal entendue[23], se penche vers le monde en adoptant ses idéaux, ses mots d’ordre et ses maximes, et s’éloigne dans la même mesure de sa mission divine.
Il n’est pas difficile de comprendre quelle est l’option choisie par Vatican II pour correspondre aux « exigences de notre temps » et à « la tâche que notre époque exige »…
2.3 – Présentation du débat entre l’Eglise et le monde moderne
L’allocution de clôture de Vatican II prononcée par Paul VI mérite une attention particulière. Benoît XVI lui consacre trois longs paragraphes dans son discours du 22 décembre 2005.
En effet, le « grand débat sur l’homme qui caractérise le temps moderne », dont Vatican II a fait l’objet principal de ses débats, semble donner des arguments aux partisans d’une herméneutique de la discontinuité[24]. On est en droit de se demander à ce point : quels sont les partisans d’une herméneutique de la discontinuité visés ici ?
Directement, il s’agit bien sûr de ceux qui ont été décrits plus haut comme voulant dépasser la lettre du Concile au nom d’un esprit du Concile, de ceux qui risquent de provoquer une rupture entre Eglise antéconciliaire et Eglise post-conciliaire, de ceux qui laissent la porte ouverte à toutes les fantaisies.
Mais, indirectement, on ne peut s’empêcher de voir ici une réponse à d’autres partisans de la discontinuité, qui la considèrent non comme un idéal à atteindre, mais comme un mal auquel il faudrait remédier. Nous voulons parler bien évidemment des traditionalistes. Ce sont bien eux qui se réfèrent aux condamnations de Pie IX, eux qui regrettent la laïcisation des États, eux qui condamnent la liberté religieuse définie par Dignitatis humanæ eux qui se réfèrent aux condamnations du modernisme et aux décisions de la Commission Biblique.
Benoît XVI ramène les difficultés qui ont surgi dans le sillage de Vatican II à une question d’herméneutique, sans sembler se rendre compte que les traditionalistes mettent en cause le contenu même de certains textes du Concile bien précis (Gaudium et spes, Dignitatis humanæ, Nostra ætate, Unitatis Redintegratio, en particulier) et mettent en accusation l’esprit qui a présidé à la rédaction de leur ensemble. Pour eux, ce n’est pas une question d’herméneutique, mais bien de contenu objectif, jugé hétérogène par rapport aux définitions antérieures du Magistère.
S’agit-il d’une méprise involontaire, d’une ignorantia elenchi ou d’une incompréhension ? La suite des relations entre la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X et les autorités vaticanes pourrait fort bien dépendre de la réponse à cette question fondamentale.
Essayons toutefois de comprendre la vision que le Pape actuel a de la relation entre l’Eglise et le monde moderne.
2.3.1 – Etapes historiques d’un conflit
Pour Benoît XVI, le conflit entre le monde moderne et l’Eglise serait allé in crescendo selon trois étapes :
- Un début problématique avec le procès fait à Galilée[25] ;
- Une rupture totale avec la religion dans les limites de la raison pure de Kant[26] ;
- Une exclusion de l’Eglise et de la foi de la vie sociale par la Révolution Française[27].
Il serait intéressant à ce point de comparer les étapes de ce conflit séculaire entre l’Eglise et le monde moderne avec l’enseignement des Papes antérieurs qui parlaient
- du protestantisme[28]),
- des sociétés secrètes, en particulier de la maçonnerie[29],
- de la Révolution française[30]),
- et du communisme[31],
comme des grandes phases de cette manœuvre d’encerclement de l’Eglise par les forces de la cité du diable[32].
La perspective des deux visions est très différente [33] : l’une, celle de Benoît XVI, se laisse imposer les thèmes de controverse par un esprit humain de plus en plus corrompu dans ses assises naturelles ; l’autre, celle des papes antérieurs, mesure la dégradation de l’idéal chrétien, individuel et social et tache d’en avertir pasteurs et fidèles.
2.3.2 – La réaction de l’Eglise
L’opposition de la foi de l’Eglise avec le libéralisme et le scientisme conduisit, selon Benoît XVI, aux sévères condamnations de Pie IX.
Arrêtons-nous quelques instants sur cette réaction de l’Eglise, telle que le Pape la perçoit.
Tout d’abord, on peut s’interroger sur l’opportunité de réduire l’opposition du seul Pie IX aux méfaits de la révolution dans tous les domaines[34]). Qu’en est-il des enseignements de Pie VI contre la constitution civile du clergé[35], des condamnations du libéralisme catholique par Grégoire XVI[36]) et Léon XIII[37]), des condamnations, du laïcisme[38]), du modernisme[39]) et du Sillon[40]) par S. Pie X, de la condamnation du communisme[41]) et du faux œcuménisme[42]) par Pie XI, de la condamnation de la Nouvelle Théologie par Pie XII[43]) ?
Isoler Pie IX de toute la série des Pontifes qui ont lutté contre la révolution dans tous les domaines, c’est passer sous silence la continuité du magistère durant un siècle et demi et faire de Pie IX une exception regrettable.
Le Pontife insiste lourdement sur le caractère radical des idéologies condamnées au XIXe siècle. Son insistance sur le terme radical devient même à la longue pesante.
Ce qui fut la cause de cette réaction de Pie IX c’est « la phase radicale de la Révolution Française », « le libéralisme radical » (2 occurrences), les « sciences naturelles qui prétendaient embrasser à travers leurs connaissances toute la réalité jusque dans ses limites », « les tendances radicales apparues dans la seconde phase de la Révolution Française », les sciences naturelles désireuses de comprendre « la globalité de la réalité » ou « la totalité de la réalité ».
Inutile d’insister : ce que Pie IX a condamné au XIXe siècle, c’est un certain radicalisme scientiste, naturaliste, libéral ou scripturaire. Enlevé ce radicalisme de mauvais aloi, tout peut encore être sauvé !
Ce qui est remarquable, au sens strict du mot, c’est que le pape Pie IX s’est lui aussi laissé entraîner au radicalisme dans ses condamnations : « [Le radicalisme libéral et scientiste] avait provoqué de la part de l’Eglise, au XIXe siècle, sous Pie IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l’époque moderne. » Ainsi, donc les torts étaient partagés dans cette affaire.
Un point partout, balle au centre.
2.3.3 – Évolution positive des deux parties.
Cette première phase du conflit, où le radicalisme était le fait des deux parties, débouche sur une phase de rapprochement, située surtout dans le 2e tiers du XXe siècle et jugée positive par Benoît XVI :
- D’un côté la révolution américaine offrait « un modèle d’Etat moderne », non taché de radicalisme, et « des hommes politiques d’Etat catholiques avaient démontré qu’il peut exister un Etat moderne laïc », perméable aux valeurs et « puisant aux grandes sources éthiques ouvertes par le christianisme » ;
- D’un autre côté, des sciences naturelles qui réalisaient qu’elles « n’étaient toutefois pas en mesure de comprendre la globalité de la réalité » et qui « ouvraient de nouveau les portes à Dieu ».
On ne peut s’empêcher de remarquer l’absence notable du Magistère de l’Eglise dans cette évolution positive des deux parties. Les papes Pie XI et Pie XII n’ont-ils pas été conscients de cette évolution positive ?
D’autre part, la mention de la révolution américaine nous laisse songeur. Que la révolution américaine ait été moins agressive que sa jeune sœur française dans son fanatisme contre l’Eglise ne signifie pas qu’elle ait moins mérité le titre de révolution, c’est-à-dire de renversement de l’ordre naturel et surnaturel établi par Dieu[44].
Quant aux hommes catholiques, sur l’identité desquels nous en sommes réduits à des conjectures, il faudrait examiner attentivement dans quelle mesure ils n’ont pas eux-mêmes été contaminés par le libéralisme catholique. Ceci (leur libéralisme) pouvant alors aisément expliquer cela (leur démonstration que peut exister un Etat moderne laïc).
2.3.4 – La problématique offerte à Vatican II
À la veille de Vatican II, une triple problématique à résoudre s’offre à l’Eglise :
1) La relation entre foi et sciences modernes (sciences naturelles et sciences historiques[45] ;
2) Le rapport entre Eglise et Etat moderne, dans le cadre d’une relation pacifique entre diverses religions et idéologies à l’intérieur d’un même Etat ;
3) Le rapport entre foi chrétienne et religions du monde[46]
On peut partager ou non ce status quæstionis à la veille de Vatican II, mais ce qui ne laisse pas d’inquiéter dans la présentation de Benoît XVI, c’est l’insistance sur la nouveauté[47].
Le concile Vatican II est-il le premier et le seul à s’être intéressé à ces problèmes ? À lire Benoît XVI, c’est l’impression qu’on en retire. De même que Pie IX était le seul pape mentionné dans la condamnation des principes modernes, ainsi pour les questions à résoudre à la veille de Vatican II ne trouve-t-on aucun élément de réponse dans le magistère antérieur.
Qu’on nous permette de donner ici quelques documents du magistère qui pourraient certainement éclairer ces questions cruciales :
- Sur la foi et les sciences modernes en général : Vatican I,Constitution Dei Filius, 24 avril 1870 (chap. 4)
- Sur la méthode historico-critique en matière biblique : les nombreuses décisions de la Commission Biblique ainsi que les encycliques en matière biblique de Léon XIII (Providentissimus Deus du 18 novembre 1893), de Benoît XV (Spiritus Paraclitus du 15 septembre 1920) et de Pie XII (Divino afflante du 30 septembre 1943)
- Sur l’Eglise et l’Etat : Léon XIII, encyclique Immortale Dei du 1er novembre 1885
- Sur la tolérance : Léon XIII, encyclique Libertas du 20 juin, 1888
- Sur la foi chrétienne et les religions du monde : Pie XI, encyclique Mortalium animos du 6 janvier 1928.
Il ne fait aucun doute que ces documents du magistère n’ont pas tout dit sur tout, pas plus que S. Thomas ne l’a fait dans sa Somme Théologique tant louée par les papes. Mais, de même que la Somme Théologique a posé les principes rationnels qui permettront de résoudre les problèmes nouveaux qui pourraient apparaître avec le temps, ainsi le magistère traditionnel a‑t-il posé les jalons pour donner les bonnes réponses aux problèmes nouveaux qui surgissent.
Lorsque, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, il fallut statuer sur ces hommes jusqu’alors inconnus, sur leur nature, sur leurs droits naturels et surnaturels, cette problématique nouvelle fut abordée sur la base des principes de toujours.
Or, ce n’est pas ce que nous entrevoyons ici : il s’agit de définitions nouvelles, mais qui font abstraction de l’enseignement antérieur du magistère. Le monde a‑t-il commencé avec Vatican II ?
2.4 ‑La solution apportée par Vatican II
Peut-être la conciliation des contraires nous semblera-t-elle plus claire en lisant l’explication qu’en donne le Pontife.
2.4.1 – Le principe : la nouveauté dans la continuité.
Des nouvelles définitions données par Vatican II aux rapports entre foi et sciences modernes, entre Eglise et Etat moderne, entre foi chrétienne et religions du monde, en faisant abstraction du magistère antérieur, il « pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité » et s’est « effectivement manifestée une discontinuité ».
Comment cela est-il possible ?
Parce que, « une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord. »
« La nature de la véritable réforme consiste donc dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers niveaux. » Selon Benoît XVI, Vatican II nous aurait mieux fait comprendre qu’auparavant, que « les décisions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contingents (…) devaient nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu’elle se référaient à une réalité déterminée et en soi changeante. »
« Dans de telles décisions, seuls les principes expriment l’aspect durable… En revanche, les formes concrètes ne sont pas aussi permanentes, elles dépendent de la situation historique et peuvent donc être soumises à des changements. Ainsi, les décisions de fond peuvent demeurer valables, tandis que les formes de leur application dans des contextes nouveaux peuvent varier. »
C’est pourquoi, « le concile Vatican II avec la nouvelle définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité ou également corrigé certaines décisions historiques, mais dans cette apparente discontinuité, il a en revanche maintenu et approfondi sa nature intime et sa véritable identité. »
On retrouve là un thème que le cardinal Ratzinger en son temps avait déjà eu l’occasion de développer :« Celui-ci [le texte de l’instruction sur la vocation ecclésiale du théologien] affirme – peut-être pour la première fois d’une façon aussi claire – qu’il existe des décisions du magistère qui ne peuvent constituer le dernier mot sur une matière en tant que telle, mais une stimulation substantielle par rapport au problème, et surtout une expression de prudence pastorale, une sorte de disposition provisoire. Leur substance reste valide, mais les détails sur lesquels les circonstances des temps ont exercé une influence peuvent avoir besoin de rectifications ultérieures. À cet égard, on peut penser aussi bien aux déclarations des papes du siècle dernier sur la liberté religieuse qu’aux décisions antimodernistes du début de ce siècle, en particulier aux décisions de la Commission biblique de l’époque. En tant que cri d’alarme devant les adaptations hâtives et superficielles, elles demeurent pleinement justifiées ; une personnalité comme Johann Baptiste Metz a dit, par exemple, que les décisions anti-modernistes de l’Église lui ont rendu le grand service de la préserver de sombrer dans le monde libéral-bourgeois. Mais dans les détails relatifs aux contenus, elles ont été dépassées, après avoir rempli leur devoir pastoral à un moment précis. »[48]
Les exemples donnés par le cardinal Ratzinger sur ces décisions du magistère qui constituent « une stimulation substantielle par rapport au problème », « une expression de prudence pastorale », « une sorte de disposition provisoire » sont au nombre de trois : les déclarations des papes du XIXe siècle sur la liberté religieuse, les décisions antimodernistes du début du XXe siècle, les décisions de la Commission biblique de la même époque.
Dans son discours du 22 décembre 2005, le pape Benoît XVI se réfère explicitement aux mêmes enseignements magistériels. Il y a donc ici totale homogénéité de la pensée, jusque dans les illustrations données pour faciliter la compréhension.
Avant de passer à l’examen plus détaillé de l’exemple donné et expliqué par le pape, réfléchissons un peu sur le principe.
C’est un principe de logique élémentaire que la conclusion d’un raisonnement suit la prémisse la plus faible. Ainsi d’une majeure universelle et d’une mineure particulière, ne peut dériver qu’une conclusion particulière. En ce sens, on ne peut que partager l’affirmation de Benoît XVI que « les décisions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contingents (…) devaient nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu’elle se référaient à une réalité déterminée et en soi changeante. » Nous ne croyons pas que l’Eglise ait attendu le concile Vatican II pour savoir cela. Il faut donc chercher ailleurs.
Que dans l’application d’un principe universel à une situation concrète, seul le principe est immuable et la conclusion contingente, c’est aussi une évidence. Mais attention, contingent ne signifie pas faillible, temporaire, muable. Luther a été condamné au XVIe siècle pour ses nombreuses hérésies : le magistère a alors appliqué les principes immuables de la foi catholique au cas concret représenté par les 95 thèses de Luther affichées à Wittenberg. Si un nouveau Luther devait apparaître aujourd’hui, la tâche du magistère consisterait à nouveau à appliquer ces mêmes principes immuables de la foi catholique au nouvel hérésiarque et la conclusion serait identique. Mutatis mutandis, on arrive à la même conclusion au sujet des déclarations sur la liberté religieuse, sur le modernisme et sur la critique biblique.
Or, Benoît XVI ne semble pas partager notre conviction, puisqu’il parle du concile Vatican II qui aurait « revisité ou également corrigé certaines décisions historiques. » Suffit-il de lever l’excommunication des orthodoxes pour qu’ils ne soient plus schismatiques ? Suffit-il de proclamer un droit naturel à la liberté religieuse pour que l’erreur ait des droits ? Suffit-il de dire que les communautés séparées, hérétiques ou schismatiques, ne sont pas dépourvues de signification dans le plan salvifique pour qu’elles changent de nature ? Suffit-il d’enseigner que le peuple juif n’est pas coupable de déicide pour effacer l’enseignement évangélique sur ce point ?
En tout cela, il nous semble que ce n’est plus le critère de la vérité objective des faits, si déplaisants soient-ils, qui domine, mais un principe d’opportunisme. Le protestantisme est-il moins condamnable après 500 ans qu’en 1517 ? Le schisme orthodoxe est-il moins grave au XXIe siècle qu’en 1054 ? Les juifs sont-ils moins coupables aujourd’hui qu’il y a 2.000 ans de la mort du Christ ? Le Christ ne doit-il plus régner (1 Cor 15, 25) aujourd’hui, parce que les sociétés s’éloignent de plus en plus de Lui ? Situées dans l’histoire et par là-même contingentes, ces décisions cesseraient-elles d’obéir à un principe de conformité avec la vérité révélée ?
À ce compte-là, l’excommunication de Mgr Lefebvre en 1988 après le sacre de 4 évêques sans le mandat pontifical n’était-elle pas aussi « une stimulation substantielle par rapport au problème », « une expression de prudence pastorale », « une sorte de disposition provisoire » ? Ne serait-il pas possible aujourd’hui, une vingtaine d’années après les faits, de lever cette peine canonique, sans jamais prendre conscience de l’état de nécessité objective dans lequel se débattaient et se débattent encore de nombreuses âmes catholiques ? Une telle solution, serait-elle acceptable par les traditionalistes ?
2.4.2 – Un exemple : la liberté de religion
Le pape donne alors de cette explication une illustration concrète : la liberté de religion. Pour le coup, l’exemple concerne les traditionalistes et seulement eux, puisque les partisans de l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture n’y voient aucune difficulté, tout au plus une illustration justifiant leur herméneutique de la rupture.
Selon Benoît XVI, la liberté de religion est condamnable dans la mesure où :
- Elle « est considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité » ;
- Elle « devient une exaltation du relativisme » ;
- Elle passe « de façon impropre » du statut « de nécessité sociale et historique » « au niveau métaphysique ».
Dans sa condamnation d’une certaine forme de liberté de religion, Benoît XVI revient implicitement aux condamnations de Pie IX en ce qu’elles avaient de radical. En effet, selon lui la liberté de religion n’est condamnable qu’en raison de ses fondements possibles ou réels (l’agnosticisme ou le relativisme) et non en raison de son objet. Nous renvoyons ici le lecteur aux démonstrations nombreuses qui montrent que la liberté religieuse est condamnée en soi, indépendamment de ses fondements habituels (agnosticisme et relativisme)[49].
Quant au rappel sur le passage impropre de la nécessité sociale et historique au niveau métaphysique, il est exact. Le seul problème, c’est que c’est précisément ce que fait Dignitatis humanæ en fondant la liberté religieuse sur la nature et en en faisant un droit exigible en justice, là où la doctrine catholique parlait de tolérance impérée par la prudence et la charité !
Par contre, pour Benoît XVI, la liberté de religion est acceptable dans la mesure où :
- Elle est « une nécessité découlant de la coexistence humaine » ;
- Elle est « comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction. »
La mention de la nécessité découlant de la coexistence humaine est acceptable dans la mesure où le bien commun exige dans une situation donnée (et non pas universellement) l’exercice de la tolérance en matière religieuse. C’est ce que les Papes ont toujours enseigné, mas plus Vatican II.
Le second point mentionné confond la liberté de l’acte interne de foi et l’exercice public du culte. Que l’acte de foi doive être libre pour être humain et méritoire, toute la Tradition l’a toujours enseigné. Que la profession publique de n’importe quel culte soit permise, c’est autre chose et ce n’est pas toujours vrai.
Que la vérité ne puisse être imposée de l’extérieur est aussi une affirmation contestable. Si tel était le cas, des parents chrétiens pourraient-ils encore faire baptiser leurs enfants et leur enseigner le catéchisme sans avoir l’air de leur imposer la vérité de l’extérieur ?
Selon Benoît XVI, en définissant ainsi la liberté de religion, Vatican II :
- Reconnaît et fait sien un principe essentiel de l’Etat moderne ;
- Retrouve à nouveau le patrimoine plus profond de l’Eglise qui est en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus lui-même (cf. Mt 22, 21) et avec l’Eglise des martyrs.
En effet, en matière de liberté religieuse, l’Eglise antique nous a montré l’exemple dans la mesure où :
- Elle « a rejeté clairement la religion d’Etat » ;
- Ses martyrs « sont morts pour la liberté de conscience et pour la liberté de professer sa foi, – une profession qui ne peut être imposée par aucun Etat, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de conscience. »
Qu’importe à l’Eglise d’adopter un principe essentiel de l’Etat moderne, s’il est faux ! Certes, cela donnera l’impression que l’Eglise se rapproche du monde moderne et de sa conception de l’Etat, mais si c’est au prix de l’éloignement de Dieu, à quoi bon ? « À quoi sert à l’homme de gagner la terre entière, s’il vient à perdre son âme » (Mt 16, 26)
Si durant de nombreux siècles, l’Eglise a travaillé à l’établissement d’une société chrétienne, ce serait par infidélité au Christ et à l’Eglise des martyrs : l’un comme l’autre auraient clairement prêché et agi contre la religion d’Etat et pour la liberté de conscience !
Voilà où en est rendue l’Eglise à force de vouloir adopter un principe essentiel de l’Etat moderne ! Même les martyrs de la primitive Eglise seraient morts pour affirmer ce que l’Eglise a attendu Vatican II pour enseigner ! C’est ce qu’on appelle lire la Tradition à la lumière de Vatican II !
Dans ces conditions, peut-on encore parler d’Eglise missionnaire ?
Le Pontife répond que l’Eglise missionnaire « doit nécessairement s’engager au service de la liberté de la foi. » Quelle foi ?
L’Église missionnaire :
- « veut transmettre le don de la vérité qui existe pour tous », tout en respectant l’identité et les cultures des peuples ;
- « leur apporte une réponse que, au fond d’eux, ils attendent. »
Certes, la foi catholique peut assumer tout ce qu’il y a de vrai et de bon dans toutes les cultures, mais elle ne saurait respecter tous les aspects de toutes les cultures. Qu’on pense en particulier aux sacrifices humains des Aztèques, à l’anthropophagie, à l’infanticide, aux superstitions animistes, à la polygamie des musulmans et des païens, etc.
Quant à penser que l’Eglise vient apporter une réponse que les peuples attendent au fond, c’est aller un peu vite en besogne. Certes, tous les hommes sont appelés au salut et à la connaissance de la vérité (1 Tim 2, 4). En ce sens, ils y sont au fond disposés, car ils en sont radicalement capables. Mais, combien de péchés et de vices, conséquences du péché originel et des 4 blessures de la nature humaine, laissent cette disposition de fond inactivée, voire contrariée !
Pour conclure cet examen de la nouveauté dans la continuité prônée par Vatican II et incarnée dans la liberté religieuse, il faut bien dire que la nouveauté et la rupture, nous les voyons, mais que la continuité nous reste désespérément cachée. La nouveauté vient de l’adoption d’une problématique nouvelle née hors de l’Eglise[50]) et de principes en rupture avec le Magistère constant des Papes. Il devient alors impossible d’assurer la continuité.
2.5 – L’Eglise, signe de contradiction
Malgré cette nouveauté dans la continuité qui constitue l’enseignement essentiel de Vatican II, l’Eglise reste une au travers des âges, avant comme après le Concile, affirme le pape.
Certes, Benoît XVI le reconnaît, cette ouverture au monde a en partie raté. À qui la faute ? Aux « tensions intérieures et (…) [aux] contradictions de l’époque moderne elle-même » ainsi qu’à la « dangereuse fragilité de la nature humaine qui (…) constitue une menace pour le chemin de l’homme ». Ces deux aspects auraient été sous-estimés par le Concile[51]).
Autrement dit, on a sous-estimé le pouvoir destructeur de la révolution, qui donne naissance au monde moderne, et les faiblesses de l’homme blessé. Durant de nombreux siècles, les Pontifes ont su reconnaître le démon, ses œuvres et ses pompes et ont, par leurs avertissements, empêché les hommes, toujours faibles, de succomber aux sirènes. À cette vision surnaturelle a succédé une vision naturaliste et humaniste. Lerésultat ne s’est pas fait attendre : « Les parents ont mangé des fruits verts et les enfants ont les dents agacées. » (Jr 31, 29) Ne serait-ce pas l’occasion de corriger ces orientations erronées ?
Eh bien non ! Le pape revient sur l’intention du Concile qui est, non pas d’« abolir cette contradiction de l’Evangile à l’égard des dangers et des erreurs de l’homme », mais d’« écarter les contradictions erronées ou superflues, pour présenter à notre monde l’exigence de l’Evangile dans toute sa grandeur et sa pureté. »
Voilà une affirmation qui emportera l’adhésion de tout un chacun. Mais dès que l’on descend dans les détails, on se rend compte à la lecture du discours de Benoît XVI que cela signifie jeter les condamnations de la liberté religieuse, du modernisme et du rationalisme en matière biblique aux oubliettes de l’histoire, car il s’agirait là de décisions contingentes et de dispositions provisoires ! Là, nous ne sommes plus d’accord du tout !
La fin du discours revient à la problématique affrontée par Vatican II : le problème éternel du rapport entre foi et raison qui se présente sous des formes toujours nouvelles.
Pour illustrer le caractère éternel de ce problème, Benoît XVI cite alors :
- La rencontre de la foi biblique avec la culture grecque au temps de S. Pierre ;
- La rencontre de la foi et de la philosophie aristotélicienne au temps de S. Thomas d’Aquin ;
- La rencontre de la foi et de la raison moderne depuis Galilée.
La comparaison historique nous semble faible, pour ne pas dire faussée. En effet, qu’on considère la culture grecque en général ou la philosophie aristotélicienne en particulier, il s’agirait toujours de valeurs humaines dérivées du sens commun et nées hors de la foi. Par contre, lorsqu’on parle du monde moderne, on parle de valeurs dérivées de l’idéalisme et nées en opposition avec la foi.
On peut baptiser un païen : c’est ce qu’ont fait S. Pierre et S. Thomas. On ne peut baptiser un apostat : c’est le pari impossible tenté par Vatican II.
Le pape termine alors son discours sur des paroles d’espérance en le rôle futur de Vatican II dans le renouveau toujours nécessaire de l’Eglise.
Conclusion
Au terme de cette analyse de la structure et du contenu du discours de Benoît XVI en date du 22 décembre 2005, il est temps de conclure par quelques réflexions.
Comme nous l’avons vu dès le début, ce qui est en cause dans ce discours du Pape, ce n’est pas le concile Vatican II en lui-même, tout au plus son interprétation. En lisant le cardinal Ratzinger, on a l’impression d’un diagnostic des difficultés qui se répète d’année en année[52] : le Concile n’est pas en cause, tout est à mettre sur le dos d’une fausse interprétation.
Quarante ans après la clôture du Concile, on est quand même en droit de se poser la question : a‑t-on vraiment détecté la (ou les) cause(s) des problèmes ?
Comment est-il possible que tout soit une question d’interprétation ? D’ailleurs, depuis quand un concile a‑t-il besoin d’une interprétation ultérieure ? N’est-on pas en droit d’attendre d’une assemblée aussi nombreuse et solennelle d’évêques, qui ne se réunissent en moyenne qu’une fois par siècle, qu’elle nous donne un enseignement inéquivoque ? N’est-ce pas là le signe que le contenu objectif des textes du dernier concile n’était pas clair en lui-même ?
Etant donné que le concile Vatican II en lui-même n’est pas encore mis en discussion dans certains de ses documents en particulier et dans son esprit en général, Benoît XVI ne voit plus qu’une possibilité pour sortir de la crise qui se prolonge depuis 40 ans déjà : donner une interprétation authentique du Concile. Autrefois, le cardinal Ratzinger était d’avis qu’il y avait trois positions vis-à-vis du Concile, la droite (i.e. les traditionalistes), la gauche (i.e. les progressistes) et le centre (lui)[53]. Aujourd’hui, le schéma est simplifié : il n’y a plus que deux herméneutiques en présence, celle de la discontinuité et de la rupture et celle de la réforme[54]. Tertium non datur. Comme la première est réfuté par le Pontife, par élimination il ne reste plus que la seconde, en l’occurrence la sienne. Est-ce pour autant la bonne ?
On avait eu en 1999 le « consensus différencié » pour essayer de faire coïncider deux doctrines inconciliables en matière de justification (la catholique et la protestante). On avait eu les considérations sur « l’unité dans la diversité » sous la plume du cardinal Walter Kasper pour justifier l’œcuménisme actuel. S’y ajoutera désormais « la nouveauté dans la continuité » de Benoît XVI comme principe explicatif de l’herméneutique de la réforme.
Sans grand risque de nous tromper, nous pouvons affirmer tant qu’on continuera à jongler avec les mots au lieu d’examiner objectivement la situation, la crise de l’Eglise ne fera que s’aggraver. Consensus différencié, unité dans la diversité, nouveauté dans la continuité : autant de (jeux de) mots qui ne veulent rien dire et qui servent à cacher l’inexplicable, i.e. l’oubli du principe d’identité.
L’Église ne sortira sans doute pas de la situation dramatique où elle se trouve depuis près d’un demi-siècle tant que l’on recherchera la solution de la crise dans une herméneutique. C’est à la vérité, à la Vérité qu’est Notre Seigneur, qu’il faut revenir. Le cardinal Ratzinger y voyait en 1988 un moyen de sortir de la crise [55]). Sa devise épiscopale et pontificale[56] l’y appelle aujourd’hui.
Abbé François KNITTEL †
- Détail curieux à noter : le discours de Jean-Paul II à la curie romaine, destiné à justifier et à expliquer la réunion interreligieuse d’Assise en octobre 1986, était lui aussi daté du 22 décembre 1986.[↩]
- ’est là la position de toujours du cardinal Ratzinger : « Dans la parie fondamentale des accords, Mgr Lefebvre avait reconnu devoir accepter Vatican II et les affirmations du Magistère post-conciliaire, selon l’autorité propre à chaque dovument » (Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chiliens, 13 juillet 1988 ) « Défendre le Concile Vatican II contre Mgr Lefebvre, comme valide et ayant force de loi dans l’Eglise, est un devoir nécessaire » (Ibid.) « Je ne vois aucun avenir pour une position de refus fondamental à l’égard de Vatican II, en soi illogique. » (Cardinal Joseph Ratzinger –Vittorio Messori, Entretien sur la foi, Fayard, Paris, 1985 <Ratzinger-Messori>, p. 32[↩]
- « Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Eglise, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile… » « Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées… »[↩]
- « A‑t-il été accueilli de façon juste ? » « Dans l’accueil du concile, qu’est-ce qui a été positif, insuffisant ou erroné ? » « Pourquoi l’accueil du concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile ? »[↩]
- « … même sans vouloir appliquer à ce qui s’est passé en ces années la description que le grand Docteur de l’Eglise, saint Basile, fait de la situation de l’Eglise après le concile de Nicée… » « Nous ne voulons pas précisément appliquer cette description dramatique à la situation de l’après-Concile, mais quelque chose de ce qui s’y est produit s’y reflète toutefois. »[↩]
- Cette différence entre concile dogmatique et concile pastoral semble pourtant avoir été perçue par le cardinal Ratzinger en son temps : « The truth is that this particular Council defined no dogma at all, and deliberately chose to remain on a modest level, as a merely pastoral council… » (Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chiliens, 13 juillet 1988[↩]
- S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 septembre 1907 ; Pie XII, Encyclique Humani generis, 12 août 1950[↩]
- « L’une a causé de la confusion. »[↩]
- « Celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d’une partie de la théologie moderne. »[↩]
- « L’herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire. » //« Il faut s’opposer à tout prix à cette vue schématique d’un avant et d’un après dans l’histoire de l’Eglise, qu’on ne peut aucunement étayer par des documents qui, eux, ne font que réaffirmer la continuité du catholicisme. Il n’y a pas d’Eglise ‘pré’ ou ‘post’ conciliaire : il n’y a qu’une seule et unique Eglise qui marche vers le Seigneur… Le Concile n’entendait pas du tout introduire un partage en deux du temps de l’Eglise. » (Ratzinger-Messori, p. 37[↩]
- « Celle-ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas la véritable expression de l’esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l’unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles… En un mot : il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit. » //« Selon ce pernicieux Konzils-Ungeist [anti-esprit du Concile], tout ce qui est nouveau (ou présumé tel : combien d’anciennes hérésies ont réapparu en ces années, présentées comme des nouveautés !) serait toujours, quoi qu’il en soit, meilleur que ce qui a été ou que ce qui est. C’est l’anti-esprit selon lequel l’histoire de l’Eglise devrait commencer à partir de Vatican II, considéré comme une espèce de point zéro. » (Ratzinger-Messori, p. 36–37[↩]
- « De cette manière, évidemment, il est laissé une grande marge à la façon dont on peut alors définir cet esprit et on ouvre ainsi la porte à toutes les fantaisies. »[↩]
- « …l’autre, silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte du fruit. » « Aujourd’hui, nous voyons que la bonne semence, même si elle se développe lentement, croît toujours et que croît également notre profonde gratitude pour l’œuvre accomplie par le Concile. »[↩]
- « D’autre part, il y a l’herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donnée ; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche. »[↩]
- « Quarante ans après le Concile, nous pouvons révéler que l’aspect positif est plus grand et plus vivant que ce qu’il pouvait apparaître dans l’agitation des années qui ont suivi 1968. »[↩]
- « Il est nécessaire que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps. En effet, il faut faire une distinction entre le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérée doctrine, et la façon dont celles-ci sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même doctrine. » (Jean XIII, Allocution d’ouverture du concile Vatican II, 11 octobre 1962[↩]
- Voir Raoul Martin, Validité ou non validité de l’opposition roncallienne entre la forme et le fond in Premier Symposium théologique de Paris, La religion de Vatican II, 4–6 octobre 2002, Ed. Cercles de Tradition de Paris, 2003, p. 332–356[↩]
- S. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 13[↩]
- Pie XII, Encyclique Humani generis, 12 août 1950[↩]
- Ibid.[↩]
- Voir Deuxième Symposium théologique de Paris, La conscience dans la religion de Vatican II, 9–11 octobre 2003[↩]
- S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 septembre 1907, Ed. A.F.S., n° 54[↩]
- Qu’on pense spécialement à la parabole du Bon Samaritain mentionnée explicitement par Paul VI dans son Discours de clôture pour décrire les rapports de Vatican II avec l’humanisme moderne :
« L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile.
« La religion du dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.
« Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. La découverte des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand) a absorbé l’attention de notre Synode.
« Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »[↩] - « Paul VI, dans son discours lors de la clôture du Concile, a ensuite indiqué une autre motivation spécifique pour laquelle une herméneutique de la discontinuité pourrait sembler convaincante. »[↩]
- « Ce rapport avait déjà connu un début très problématique avec le procès fait à Galilée. »[↩]
- « [Ce rapport] s’était ensuite totalement rompu lorsque Kant définit la ‘religion dans les limites de la raison pure’… »[↩]
- (27)« [Ce rapport s’était totalement rompu] lorsque, dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de l’Etat et de l’homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace à l’Eglise et à la foi. »[↩]
- « Mais pour faire évanouir aux yeux de la saine raison ce fantôme d’une liberté indéfinie, ne suffit-il pas de dire que ce système fut celui des Vaudois et des Bégards, condamnés par Clément V avec l’approbation du concile œcuménique de Vienne : que dans la suite, les Wicléfistes et enfin Luther se servirent du même appas d’une liberté effrénée pour accréditer leurs erreurs : ‘Nous sommes affranchis de toute espèce de joug’, criait à ses prosélytes cet hérétique insensé. » (Pie VI, Lettre Quod aliquantulum, 10 mars 1791 /PIN 4) On peut aussi lire Pie VI, Allocution au Consistoire, 17 juin 1793 (PIN 11) ; Grégoire XVI, EncycliqueMirari vos, 15 août 1832 (PIN 28) ; Léon XIII, Encyclique Quod Apostolici, 28 décembre 1878 /PIN 65) ; Léon XIII, Encyclique Diuturnum, 29 juin 1881 (PIN 93 et 105) ; Léon XIII, Encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885 (PIN 143) ; Pie XII, Encyclique Summi Pontificatus, 20 octobre 1939 (PIN 741[↩]
- « Aussitôt que commençaient à grossir les sociétés secrètes, dans le sein desquelles couvaient alors déjà les semences des erreurs dont Nous avons parlé, les Pontifes Romains, Clément XII et Benoît XIV, ne négligèrent pas de démasquer les desseins impies des sectes et d’avertir les fidèles du monde entier du mal que l’on préparait ainsi sourdement. » (Léon XIII, Encyclique Quo Apostolici, 28 décembre 1878 /PIN 68. Voir aussi PIN 69[↩]
- « Mais après que, grâce à ceux qui se glorifiaient du nom de philosophes, une liberté effrénée fût attribuée à l’homme, après que le droit nouveau, comme ils disent, commença d’être forgé et sanctionné, contrairement à la loi naturelle et divine, le pape Pie VI, d’heureuse mémoire, dévoila tout aussitôt, par des documents publics, le caractère détestable et la fausseté de ces doctrines ; en même temps, la prévoyance apostolique a prédit les ruines auxquelles le peuple trompé allait être entraîné. » (Léon XIII, Encyclique Quod Apostolici, 28 décembre 1878 /PIN 68[↩]
- « Vous comprenez sans peine, Vénérables Frères, que Nous parlons de la secte de ces hommes qui s’appellent diversement et de noms presque barbares, socialistes, communistes et nihilistes, et qui, répandus par toute la terre, et liés étroitement entre eux par un pacte inique, ne demandent plus désormais leur force aux ténèbres de réunions occultes, mais, se produisant au jour publiquement, et en toute confiance, s’efforcent de mener à bout le dessein, qu’ils ont formé depuis longtemps, de bouleverser les fondements de la société. » (Léon XIII, Encyclique Quo Apostolici, 28 décembre 1878 /PIN 62. Voir aussi 69) ; « [Les francs-maçons] frayent ainsi le chemin à d’autres sectaires plus nombreux et plus audacieux, qui se tiennent prêts à tirer de ces faux principes des conclusions encore plus détestables, à savoir le partage égal et la communauté des biens entre tous les citoyens, après que toute distinction de rang et de fortune aura été abolie. » (Léon XIII, Encyclique Humanum genus, 20 avril 1884, /PIN 121) ; Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris du 19 mars 1937 (Introduction[↩]
- Léon XIII, Encyclique Humanum genus, 20 avril 1884, Introductio[↩]
- Tout comme est différente la philosophie qui commence par le problème critique avant de passer à la métaphysique et celle qui connaît d’abord le réel avant de s’interroger sur la validité de sa connaissance[↩]
- Déjà dans l’ouvrage Les principes de la théologie catholique, le cardinal Ratzinger voyait dans Pie IX et le Syllabus un pape et un document significatifs dans l’histoire des rapports entre l’Eglise et le monde moderne : « [Gaudium et Spes] est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus. » (Tequi, Paris, 1982, p. 426[↩]
- (35) Pie VI, Allocution au Consistoire, 17 juin 1793 (PIN 10–16[↩]
- Grégoire XVI, Encyclique Mirari vos, 15 août 1832 (PIN 24–28[↩]
- Léon XIII, Encyclique Libertas, 20 juin 1888 (PIN 169–232[↩]
- S. Pie X, Encyclique Vehementer nos, 11 février 1906 (E 682–683[↩]
- S. Pie X, Encyclique Pascendi, 8 septembre 1907 (E 703–709[↩]
- S. Pie X, Lettre Apostolique Notre Charge Apostolique, 25 août 1910 (PIN 420–468[↩]
- (41) Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris, 19 mars 1937 (PIN 678–697[↩]
- (42) Pie XI, Encyclique Mortalium animos, 6 janvier 1928 (E 854–874[↩]
- Pie XII, Encyclique Humani generis, 12 août 1950 (E 1275–1284[↩]
- Qu’on lise à ce propos les commentaires du pape Léon XIII dans sa lettre Longinqua oceani du 6 janvier 1895[↩]
- En particulier la critique biblique[↩]
- En particulier le rapport entre l’Eglise et la foi d’Israel.[↩]
- « Tout d’abord, il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et sciences modernes… », « En second lieu, il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre Eglise et Etat moderne… », « Cela était lié, en troisième lieu, de façon plus générale au problème de la tolérance religieuse – une question qui exigeait une nouvelle définition du rapport entre foi chrétienne et religions du monde. » « Le concile Vatican II, avec la nouvelle définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité… ») (ou problème de la tolérance).[↩]
- Joseph Ratzinger, Eglise et théologie, Paris, Mame, 1992, p. 90–91[↩]
- (49) Mgr Marcel Lefebvre, Ils l’ont découronné, Fideliter, 1987, p. 60–62, 72–79, 183–185 ; Abbé Bernard Lucien, Etudes sur la liberté religieuse dans la doctrine catholique, Ed. Forts dans la foi, Tours, 1990, p. 19–21, 34, 187, 223–231, 295..[↩]
- (50) Là encore le pape Benoît XVI conserve une cohérence intellectuelle avec les enseignements du cardinal Joseph Ratzinger : « Vatican II avait raison de souhaiter une révision des rapports entre l’Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, même si elles sont nées hors de l’Eglise, peuvent, une fois examinées et amendées, trouver leur place dans sa vision. En ces années-là, on a satisfait à ce devoir, mais celui qui penserait que ces deux réalités peuvent se rejoindre ou même s’identifier sans conflit montrerait qu’il ne connaît ni l’Eglise, ni le monde. » (Ratzinger-Messori, p. 39[↩]
- Dans Entretien sur la foi, le cardinal Ratzinger diagnostiquait ainsi : « Je suis convaincu que les dégâts que nous avons subis en ces vingt années ne sont pas dus au ‘vrai’ Concile, mais au déchaînement à l’intérieur de l’Eglise, de forces latentes, agressives et centrifuges ; et à l’extérieur, ils sont dus à l’impact d’une révolution culturelle en Occident : l’affirmation d’une classe moyenne supérieure, la nouvelle ‘bourgeoisie du tertiaire’, avec son idéologie libéralo-radicale de type individualiste, rationaliste, hédoniste. » (Ratzinger-Messori, p. 31–32[↩]
- Voir par exemple, le diagnostic de 1975, réassumé en 1985 (Ratzinger-Messori, p. 30–31) et repris maintenant en 2005.[↩]
- Cf. Ratzinger-Messori, p. 28, 29, 32, 33[↩]
- Benoît XVI nous dit de ces deux herméneutiques qu’elles sont contraires : « Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. » Nous voudrions rappeler ici un principe de logique qui veut que deux propositions, positions ou interprétations contraires, peuvent être toutes les deux fausses…[↩]
- Cardinal Joseph Ratzinger, Discours aux évêques chiliens, 13 juillet 1988[↩]
- « If we do not point to the truth in announcing our faith, and if the truth is not longer essential for the salvation of Man, then the missions lose their meaning. » [↩]