Le pèlerin de l’œcuménisme et du dialogue inter-religieux

Abbé Ludovic Girod, Prieur de Notre-​Dame de Fatima (Prunay – France)

Le pape Benoît XVI a effec­tué du 8 au 15 mai un pèle­ri­nage en Terre Sainte au cours duquel il s’est ren­du en Jordanie, en Israël et dans les ter­ri­toires pales­ti­niens. Si le Saint-​Père s’est adres­sé de nom­breuses fois aux com­mu­nau­tés catho­liques de ces pays, il mul­ti­plia aus­si les ren­contres avec les repré­sen­tants d’autres reli­gions. Nous sommes hélas habi­tués au volet oecu­mé­nique qui devient un pas­sage obli­gé de chaque voyage du pape. Déjà, peu après son élec­tion, Benoît XVI avait visi­té une syna­gogue et ren­con­tré les repré­sen­tants de com­mu­nau­tés musul­manes lors de son dépla­ce­ment à Cologne, au cours des Journées Mondiales de la Jeunesse d’août 2005. Mais dans ce der­nier voyage, il s’a­git d’un concen­tré de dis­cours oecu­mé­niques au sens large : près de la mos­quée Al-​Hussein Bel Talal en Jordanie et sur le Dôme du Rocher à Jérusalem pour les musul­mans, au mémo­rial Yad vaShem et au Hechal Shlomo Center à Jérusalem pour les israé­lites, devant les res­pon­sables du dia­logue inter-​religieux à Jérusalem et au cours d’une ren­contre au Patriarcat grec ortho­doxe de Jérusalem, sans comp­ter les mul­tiples allu­sions au cours des dis­cours diplo­ma­tiques. Résumant dans l’a­vion le rame­nant à Rome les impres­sions de son pèle­ri­nage, il retint trois « impres­sions fon­da­men­tales » devant les jour­na­listes pré­sents : « la pre­mière est que j’ai trou­vé par­tout, dans tous les milieux, musul­mans, chré­tiens, juifs, une dis­po­ni­bi­li­té déci­dée au dia­logue inter-​religieux, à la ren­contre, à la col­la­bo­ra­tion entre les reli­gions (.) Second point : j’ai trou­vé une cli­mat oecu­mé­nique très encou­ra­geant. » Le troi­sième point est le désir de la paix. Quant à Notre- Seigneur Jésus-​Christ, il n’en est même pas ques­tion dans ce résu­mé conclu par ces mots : « Je suis venu comme pèle­rin de la paix. Le pèle­ri­nage est un élé­ment essen­tiel de beau­coup de reli­gions. Il en est de même pour l’Islam, la reli­gion juive, le chris­tia­nisme. C’est aus­si l’i­mage de notre exis­tence, qui est d’a­van­cer, vers Dieu, et ain­si vers la com­mu­nion de l’humanité ».

Reprenons quelques idées du pape sur la ques­tion telles que ses dis­cours nous les font connaître.

Les pro­pos du pape sous-​tendent que toutes les reli­gions mènent fina­le­ment à Dieu et au salut. Il affirme ain­si devant une mos­quée en Jordanie : « Des lieux de culte comme cette splen­dide mos­quée Al-​Hussein Ben Talal du nom du révé­ré roi défunt, se dressent comme des joyaux sur la sur­face de la terre. Les anciens comme les modernes, les plus splen­dides comme les plus humbles, tous ces édi­fices nous orientent vers le Divin, l’Unique trans­cen­dant, le Tout-​Puissant. » Il s’a­dresse ain­si aux res­pon­sables du dia­logue inter-​religieux : « Les pre­miers pas d’Abraham sur le che­min de la foi, et les pas que nous fai­sons pour aller ou reve­nir de la syna­gogue, de l’é­glise, de la mos­quée ou du temple, battent le sen­tier de notre unique his­toire humaine, et ouvrent, au fur et à mesure, la route vers la Jérusalem éter­nelle. » Qu’est-​ce que la Jérusalem éter­nelle sinon le séjour bien­heu­reux des élus au Ciel ? Ce sont donc toutes les reli­gions qui, en soi, peuvent conduire leurs fidèles au Ciel. Ce n’est ni plus ni moins que de l’in­dif­fé­ren­tisme qui s’op­pose à tout l’en­sei­gne­ment de la Sainte Ecriture et qui est condam­né par toute la Tradition de l’Eglise. Le Syllabus de Pie IX condamne ain­si de manière solen­nelle ces deux pro­po­si­tions : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de pro­fes­ser la reli­gion qu’il aura répu­tée vraie d’a­près les lumières de la rai­son » (pro­po­si­tion 15) et « Les hommes peuvent trou­ver le che­min du salut éter­nel et obte­nir ce salut éter­nel dans le culte de n’im­porte quelle reli­gion » (pro­po­si­tion 16). Non, déci­dé­ment, il est impos­sible de conci­lier le magis­tère actuel avec l’en­sei­gne­ment uni­ver­sel et constant de l’Eglise catholique.

Une autre idée déve­lop­pée par le pape est que les croyants des trois grandes reli­gions mono­théistes peuvent s’en­tendre sur un cer­tain nombre de véri­tés com­munes qui consti­tuent une base pour un dia­logue paci­fique : « Ensemble, nous pou­vons pro­cla­mer que Dieu existe et qu’on peut le connaître, que la terre est sa créa­tion, que nous sommes ses créa­tures, et qu’il appelle tout homme et toute femme à vivre de manière à res­pec­ter son des­sein sur le monde. » Il s’a­git de trou­ver une sorte de Plus Grand Commun Diviseur entre dif­fé­rentes reli­gions. Heureusement, les boud­dhistes ne comptent pas beau­coup d’a­deptes en Terre Sainte, sinon cette recherche serait bien dif­fi­cile. Notons que le Saint- Père ne men­tionne que des véri­tés qui sont des conclu­sions de la seule rai­son, c’est ce que l’on appelle la théo­di­cée, la recherche ration­nelle sur Dieu indé­pen­dam­ment de toute Révélation. Or cette connais­sance des véri­tés ration­nelles reste insuf­fi­sante pour nous pro­cu­rer le salut : Dieu exige de nous la foi dans sa Révélation qui s’est ache­vée par la pré­di­ca­tion des apôtres et se trans­met fidè­le­ment dans l’Eglise catho­lique. Les reli­gions non chré­tiennes refusent cette Révélation et, selon l’en­sei­gne­ment de saint Jean, ne peuvent pré­tendre à cause de cela hono­rer Dieu et mener au Ciel : « Celui qui n’ho­nore pas le Fils n’ho­nore pas le Père qui l’a envoyé » (Io V, 23) ; « La vie éter­nelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé Jésus-​Christ » (Io, XVII, 3).

En lisant le pape, nous avons l’im­pres­sion que si la recherche de la véri­té s’im­pose à tous les hommes, et notam­ment la recherche de la véri­té reli­gieuse, cette der­nière est vidée de tout conte­nu objec­tif pré­cis auquel l’homme devrait don­ner son assen­ti­ment. Il ne reste plus qu’une démarche, une recherche qui emprunte des voies diverses qui toutes conviennent pour assu­rer le salut. Le pape affirme ain­si : « Encourager la volon­té d’o­béir à la véri­té, per­met en fait d’é­lar­gir notre concep­tion de la rai­son et son champ d’ap­pli­ca­tion et rend pos­sible le dia­logue authen­tique entre cultures et reli­gions qu’il est urgent de déve­lop­per aujourd’­hui. » et parle de « valeur uni­ver­selle de la croyance reli­gieuse ». Quelle est donc cette volon­té d’o­béir à la véri­té qui rend pos­sible le dia­logue entre les reli­gions consi­dé­ré comme une prio­ri­té et une néces­si­té pour notre époque ? J’avoue hum­ble­ment pour ma part me consa­crer à la pré­di­ca­tion de l’é­van­gile et ne rien don­ner au dia­logue oecu­mé­nique qui n’est qu’une impasse sté­rile. Que les res­pon­sables poli­tiques trouvent des moyens pra­tiques d’as­su­rer la paix civile lorsque mal­heu­reu­se­ment des por­tions de la popu­la­tion pro­fessent une foi contraire à celle de l’Eglise, c’est pré­ci­sé­ment dans leur domaine de com­pé­tence. Quant aux ministres de l’Evangile, ils doivent prê­cher la foi à temps et à contre-​temps. Une com­pa­rai­son peut être ten­tée avec une réa­li­té humaine bien actuelle, l’au­to­mo­bile, pour essayer de com­prendre la vision oecu­mé­niste des reli­gions. Posons comme prin­cipe que la liber­té de cir­cu­la­tion grâce à l’au­to­mo­bile est ins­crite dans le cœur de l’homme, consti­tue une exi­gence de sa nature. Pour ce faire, l’homme a le choix entre plu­sieurs construc­teurs, cha­cun pro­po­sant des modèles conformes à des prin­cipes indus­triels, finan­ciers et éthiques par­ti­cu­liers (la voi­ture fami­liale, la voi­ture éco­lo­gique, le véhi­cule tous-​terrains.) Les hommes choi­sissent donc leur construc­teur, cer­tains en fai­sant même une reli­gion, mais de toutes manières, chaque voi­ture per­met de se dépla­cer. De même pour les reli­gions : toutes per­mettent d’at­teindre Dieu et le salut, même si les dif­fé­rences existent. Un incon­di­tion­nel de Mercedes devra vivre en bonne intel­li­gence avec les pas­sion­nés de Volvo ou de Fiat car fina­le­ment toutes les voi­tures rendent le même ser­vice. Un chré­tien, un juif et un musul­man devront s’en­tendre car toutes ces tra­di­tions reli­gieuses mènent à Dieu. Vous com­pre­nez bien que cette com­pa­rai­son ne peut s’ap­pli­quer à la reli­gion : Notre-​Seigneur n’est pas une voie ou une véri­té, il est la voie, la véri­té et la vie.

Un autre point sur lequel je vou­drais reve­nir est celui du salut des Juifs qui refusent de recon­naître Jésus-​Christ pour le Messie. Bien sou­vent, les auto­ri­tés actuelles de l’Eglise citent des pas­sages de l’é­pître de saint Paul aux Romains, mais de manière tron­quée, de telle sorte que l’on puisse croire que les Juifs n’ont pas besoin de la foi en Jésus-​Christ et que la fidé­li­té à l’Ancienne Alliance, rebap­ti­sée Première Alliance pour lui enle­ver tout carac­tère caduc, suf­fit. Le dis­cours de Benoît XVI à l’aé­ro­port Ben Gurion à Tel Aviv le 15 mai com­porte ain­si cette phrase : « Paul décrit dans sa lettre aux Romains com­ment l’Eglise des gen­tils est comme un rameau d’o­li­vier sau­vage gref­fé sur l’o­li­vier culti­vé qui est le Peuple de l’Alliance ». Mais saint Paul pré­cise que les Juifs infi­dèles, qui ont refu­sé de recon­naître le Christ, sont des branches cou­pées de l’arbre, retran­chées de l’o­li­vier. Cette consi­dé­ra­tion doit pous­ser les chré­tiens issus du paga­nisme à l’hu­mi­li­té et à l’ac­tion de grâce : « Car si Dieu n’a pas épar­gné les branches natu­relles, il ne t’é­par­gne­ra peut-​être pas non plus » Rom XI, 21. Saint Paul enseigne éga­le­ment qu’a­vant la fin du monde les Juifs se conver­ti­ront en grand nombre et retrou­ve­ront ain­si la vie en étant enté sur l’o­li­vier franc, qui n’est pas le judaïsme, mais bien la fidé­li­té à la Révélation divine.

Benoît XVI a accom­pli ce qu’il appelle lui­même un « devoir oecu­mé­nique », en plus de nom­breuses paroles concer­nant le devoir de mémoire. Nous ne pou­vons que déplo­rer de telles paroles et de telles visites et nous éle­ver contre cet ensei­gne­ment si contraire à la foi et à l’en­sei­gne­ment de tou­jours de la sainte Eglise catholique.

Abbé Ludovic Girod,
Extrait de La Sainte Ampoule n° 175 de juin 2009
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Note : les cita­tions sans men­tion de source sont tirées du dis­cours aux res­pon­sables du dia­logue inter-​religieux du 11 mai. La tra­duc­tion des textes est celle pro­po­sée par le site Eucharistie miséricordieuse.