Nous fêtons en ce début d’été un anniversaire de taille, celui des vingt ans des sacres épiscopaux conférés à nos quatre évêques par Monseigneur Marcel Lefebvre. C’était le 30 juin 1988. Et avec une certaine fierté je puis dire, comme mes deux confrères : « j’y étais ». Sauf qu’eux étaient déjà soit diacre, soit prêtre depuis cinq ans, alors que je n’étais qu’un petit lycéen sortant de son bac de français et embauché comme moniteur pour un camp de la Croisade Eucharistique.
La cérémonie, grandiose sous cette cathédrale de toile dressée au pied des montagnes du Valais, fut un véritable événement historique, ce fut l’ « opération survie » de la Tradition, c’est-à-dire de la foi catholique et du sacerdoce catholique. De ce séjour à Ecône, je me rappelle la foule nombreuse et reconnaissante du jour des sacres, mais aussi l’atmosphère bien plus calme du séminaire dans les premiers jours de juillet. L’évêque de fer, calme et souriant, mangeait à la table commune qui rassemblait le nombre plus réduit des résidents estivaux du séminaire. Un séminariste me proposa de le remplacer pour servir la messe privée de Monseigneur : je m’empressais d’accepter, non sans avoir failli y perdre mon latin à cause de l’émotion.
Mais fi des souvenirs personnels : il nous faut vingt ans après remercier Monseigneur pour sa clairvoyance, sa prudence surnaturelle et son courage.
Car vingt ans après, nous voyons bien que la crise que traverse l’Eglise n’est pas un petit rhum des foins qu’il suffit de laisser passer. C’est une crise de la foi dont les effets dévastateurs se révèlent mois après mois à travers la crise des vocations, la fermeture des églises et leur démolition programmée, l’alignement complet des écoles catholiques sur les écoles républicaines, l’apostasie des pays autrefois catholiques qui se gargarisent de laïcisme avant de devoir courber le front sous le yatagan de l’Islam. Monseigneur a réagi comme un évêque devait le faire : en fondant des séminaires et en y assurant à la fois une solide formation doctrinale et une profonde éducation spirituelle : « doctrina cum pietate ».
Et cette œuvre avait besoin d’évêques pour continuer. Alors que les autorités vaticanes, après des mois de tractation, refusaient d’arrêter une date précise mais laissaient traîner les choses, Monseigneur décida de passer outre le mandat pontifical au vu de l’état de grave nécessité dans lequel se trouvait l’Eglise. Il encourut pour cela les épithètes infamantes de schismatiques et d’excommunié.
Merci Monseigneur ! Si la Tradition est bien vivante un peu partout dans le monde, c’est bien le fruit béni des sacres de 1988. Si le Motu Proprio de juillet dernier déclarant enfin que la messe de saint Pie V n’avait jamais été abrogée a pu être publié par Benoît XVI, c’est que vos prêtres ont continué à la célébrer contre et marées. Même les communautés dites Ecclesia Dei doivent aussi, paradoxalement, leur existence à Mgr Lefebvre. Car Ecclesia Dei est le nom du Motu Proprio de Jean-Paul II qui l’excommunie et qualifie son acte de schismatique. Et si ces communautés obtiennent quelques miettes d’apostolat d’épiscopats modernistes, c’est souvent parce que la Fraternité Saint Pie X exerce déjà non loin son ministère.
Il est tout de même symptomatique que le seul lieu de culte accordé à l’Institut du Bon Pasteur, à l’exception de Saint-Eloi à Bordeaux et de l’église de Courtalain, soit l’église de Rolleboise, dans le diocèse de Versailles, située à moins de 10 km du prieuré de Mantes-la-Jolie. Et l’Abbé Laguérie, Philippe, qui a conservé le sens de l’humour malgré qu’il en ait, n’hésite pas à qualifier de « fructueuse » cette collaboration (blog de l’Abbé Laguérie, article du 31/01/08).
L’Institut du Christ Roi vient d’obtenir un lieu d’apostolat dans l’immense Afrique. Je vous laisse deviner l’endroit : au Gabon, à Libreville, tout près de notre Mission Saint Pie X.
Mais si Monseigneur a permis la survie de la Tradition, c’est à chacun d’entre nous à travailler à son extension dans l’espace, à sa pérennité dans le temps et surtout à sa restauration dans l’Eglise. Pour cela, il faut des prêtres, de nombreux prêtres, qui offrent aux quatre coins du globe le sacrifice de la croix renouvelé sur nos autels, afin que le sang rédempteur de la Passion sanctifie jour après jour les âmes chrétiennes. Un jeune homme fidèle à sa vocation, ce sont des milliers d’âmes baptisées, rassasiées de l’Eucharistie, purifiées de leurs péchés, éclairées des vérités de la foi et soutenues sur le chemin qui mène au ciel. Ce sont des centaines, des milliers d’âmes arrachées à l’enfer. Par le seul fait qu’il dise la messe, le prêtre contribue au salut des âmes, même si bien sûr son zèle apostolique doit l’engager à agir sur les âmes elles-mêmes. Dom Marmion écrivait :
« Un prêtre ne ferait-il qu’offrir chaque matin le Saint- Sacrifice – ne l’aurait-il offert qu’une seule fois dans sa vie – il aurait fait quelque chose d’infiniment plus grand que toutes les grandes actions qui passionnent les hommes ».
Mgr Lefebvre écrivait lui-même en 1966 :
« Car quoiqu’il en soit du succès ou de l’insuccès de son apostolat, il sait que par le Saint Sacrifice Eucharistique il accomplit l’acte essentiel de son sacerdoce par lequel il offre tous ceux auxquels il est envoyé, par lequel les bénédictions de Dieu descendent sur le monde et sur ceux qui l’entourent en particulier ».
Le monde a besoin de prêtres, comme une moisson arrivée à maturité a besoin des moissonneurs : il faut prier sans relâche le Maître de la moisson d’y envoyer des ouvriers.
Abbé Ludovic Girod
Source : La sainte Ampoule n° 165 de juillet 2008