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Le Père Alexandre Siniakov est le tout jeune – et brillant – responsable en France des relations qu’entretient l’Eglise russe avec les autres Eglises et la société civile. Il connaît bien Cyrille Ier. Le nouveau patriarche de Moscou était son supérieur direct lorsqu’il était métropolite de Smolensk, alors qu’il se trouvait en charge auprès d’Alexis II d’une sorte de ministère des affaires extérieures de toute l’Eglise russe. Affichant un sourire juvénile comme pour cacher son sens aigu de la répartie, le jeune hiéromoine que j’ai en face de moi est aussi à l’aise dans l’interprétation de l’événement que dans le maniement des concepts théologiques. Il répond sans fard aux questions de Monde & Vie sur l’avenir de l’Eglise mais aussi sur la Tradition et le respect qui lui est dû. Vous savez, me dit-il en guise d’au-revoir, il y a une boutade chez nous qui dit que « le plus traditionnel des catholiques serait encore moins traditionnel que le premier orthodoxe venu ». Voyons ça !
Quels sont les objectifs du nouveau patriarche de Moscou ?
En tant que primat, il entend d’abord renforcer l’unité interne du Patriarcat de Moscou et l’unité du monde orthodoxe en général. Il faut souligner la continuité de pensée entre le Patriarche Cyrille et son prédécesseur le patriarche Alexis, dont il a été le plus proche collaborateur et cela même s’il y aura sans doute quelques différences d’accent. Par exemple, le patriarche Cyrille insiste beaucoup sur la nécessité pour l’Église de mener un dialogue ouvert avec la société. Il souhaite donner une plus grande place aux jeunes dans l’Église.
Des amis orthodoxes m’ont dit qu’ils craignaient une réforme de la liturgie orthodoxe.
Le Patriarche Cyrille a dit qu’il ne sera pas un réformateur de la liturgie ni d’aucune autre tradition de l’Eglise. Il considère que l’actualisation des traditions ecclésiales ne doit pas venir de la hiérarchie de l’Eglise mais du peuple de Dieu. Je crois que lorsqu’il dit cela, il pense entre autre aux réformes qui ont eu lieu dans l’Eglise catholique au cours des années 60. Certes il souhaite une plus grande accessibilité de la liturgie. Cet objectif est prioritaire pour lui, parce qu’il veut toucher davantage les jeunes et élargir à tous les hommes le message de l’Eglise. Mais cette accessibilité ne se fera pas par un appauvrissement ou par des simplifications. Ce qu’il faut chercher, c’est avant tout une meilleure formation des fidèles.
On lit ici ou là que Cyrille est un ami personnel du pape Benoît XVI. Qu’en est-il ?
Ils se connaissent depuis plus de vingt ans. Notre patriarche a rencontré le cardinal Ratzinger lorsqu’il était encore archevêque de Munich (entre 1977 et 1979 NDLR), au cours d’une réunion de la Commission de dialogue catholiques/orthodoxes. Ils sont proches l’un de l’autre par l’ouverture d’esprit qu’ils manifestent vis-à-vis des problèmes de l’époque. On pourra constater cette proximité en consultant le livre du patriarche traduit en français aux éditions du Cerf (2006): L’Evangile et la liberté, livre qui est sous-titré : les valeurs de la tradition dans la société laïque.
Pensez-vous que le dialogue théologique va s’accélérer entre catholiques et orthodoxes ? Il y a eu, en 2006, les accords de Ravenne, avec le Patriarche de Constantinople, Bartolomeos. Les Russes avaient alors quitté la table des négociations.
L’Eglise russe continue à attacher une grande importance à ce dialogue théologique. Mais on ne doit pas passer par des compromis qui iraient à l’encontre de la tradition canonique de l’Eglise orthodoxe. ARavenne, il y a eu deux problèmes : premièrement, la composition de certaines délégations orthodoxes qui a mis le feu aux poudres. Je pense bien sûr à l’Estonie, où le Patriarcat de Constantinople a créé une juridiction, concurrente de l’Église autonome érigée trois ans auparavant par le patriarcat de Moscou. Le deuxième problème est doctrinal : dans un paragraphe, on établit un parallèle entre la primauté de l’évêque de Rome en Occident et la primauté de l’évêque de Constantinople en Orient. Pour nous, il ne peut y avoir de comparaison entre le ministère de l’évêque de Rome et celui du patriarche de Constantinople. L’Église orthodoxe a toujours reconnu la première place au siège de Rome, mais il ne s’agit pas bien sûr, pour nous, d’une primauté de juridiction. Elle a néanmoins une dimension historique et canonique réelle. Il nous faut continuer à réfléchir ensemble sur la primauté de l’Église dans sa dimension universelle.
Qu’avez-vous pensé, en tant qu’orthodoxe, de la levée des excommunications frappant les quatre évêques sacrés en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre ?
Nous nous trouvons en face d’une affaire avant tout interne à l’Eglise catholique, mais en tant qu’orthodoxes, cela nous a concernés à cause de l’ampleur des débats médiatiques. Nous ne pouvons que nous réjouir qu’il y ait eu des pas en avant dans la communion eucharistique entre les évêques de la Fraternité Saint-Pie X et le pape Benoît XVI. On a fait beaucoup de reproches au pape, en mélangeant la levée des excommunications et les opinions personnelles de tel évêque en matière historique. Si inadmissibles soient-elles, ces opinions ne concernent pas la raison pour laquelle les évêques avaient été excommuniés.
J’ai été étonné de constater l’absence de solidarité de certains catholiques par rapport à la décision du pape. Il n’a rien fait d’autre qu’exercer son ministère de l’unité ; il est un peu triste de voir que cela divise l’Eglise catholique. Je crois pouvoir dire que, de leur côté, les médias orthodoxes russes ont perçu plutôt positivement la levée des excommunications. Il nous semble que le pape ne veut pas trancher avec la tradition d’avant Vatican II et il souhaite laisser les fidèles vivre cela sereinement, sans les contraindre. Selon nous, on ne peut pas imposer aux fidèles des réformes, fussent-elles conciliaires, sans le plein consensus et la totale réception du peuple de Dieu.
Ce serait faire violence au Corps du Christ ! L’Eglise russe a connu un schisme pour des raisons liturgiques, après le concile de 1666–1667. C’est le schisme des vieuxcroyants. Les réformes étaient pourtant beaucoup moins importantes que celles qui ont marqué le concile Vatican II. Mais des excommunications ont été lancées à l’époque et le schisme dure toujours. En 1970, le patriarcat de Moscou, à l’initiative du métropolite Nicodème (Rotov), a levé ces excommunications et anathèmes. Mais, d’une certaine façon, c’était trop tard.
Je crois modestement que le pape a eu raison : lever les excommunications rapidement est une chose nécessaire pour ne pas laisser un schisme perdurer !
Propos recueillis par Alain Hasso pour Monde et Vie n° 807 du 21 février 2009