1er novembre 1977

Sermon de la Toussaint 77

Mes bien chers amis
Mes bien chers frères,

C’est fête aujourd’hui au Ciel. Et ici-​bas, nous essayons de nous unir à cette fête du Ciel. Et nous essaye­rons, avec l’aide de la Sainte Église, de tout ce que la Sainte Église nous a ensei­gné, de nous ima­gi­ner un peu, ce que peut être cette fête au Ciel.

Vous venez de lire l’Épître qui cite un pas­sage de l’Apocalypse de saint Jean, où il est dit que des foules innom­brables entourent le trône de Dieu et de l’Agneau, avec les anges, les archanges, tous les élus du Ciel : les mar­tyrs, les confes­seurs, les vierges, tous ceux qui ont été choi­sis par Dieu pour être ses élus du Ciel, tous ceux qui, par leur sou­mis­sion à la volon­té de Dieu ici-​bas, ont conquis la cou­ronne de la gloire. Tous ceux-​là chantent la gloire de Dieu.

Et sans doute ils le font aujourd’hui avec une fer­veur, avec une ardeur encore plus grande, avec une joie, une allé­gresse incom­pa­rable, chan­tant la louange de Dieu : Gloire, hon­neur, paix, sagesse, force, ô Dieu, pour les siècles des siècles.

Nous chan­te­rons tout à l’heure l’Hosanna, et nous le chan­te­rons avec les saints Anges. Nous avons cou­tume, et c’est l’Église qui nous l’enseigne, de chan­ter la gloire de Dieu à la fin de tous nos psaumes : le Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, qui est comme le résu­mé, le conden­sé de toute la prière de l’Écriture sainte, de toute la prière que nous pou­vons adres­ser à Dieu, chan­tant sa gloire.

Saint Paul, lui-​même, lorsqu’il était encore sur cette terre, a dit : « J’ai connu un homme, il y a qua­torze ans… » (Saint Paul adres­sait alors cette lettre aux Corinthiens) … Il disait : « Il y a qua­torze ans, j’ai connu un homme qui dans son corps ou en dehors de son corps, je ne sais pas, mais qui est mon­té au troi­sième Ciel et qui a enten­du des paroles qu’il lui est impos­sible d’exprimer. »

Saint Jean, dans son Apocalypse, sur­tout dans les der­nières pages de l’Apocalypse, essaie de nous décrire ce que peut être le Ciel. Le Ciel en défi­ni­tive, ce n’est pas un lieu, en quelque sorte un lieu bien fixé ; le Ciel c’est Dieu.

Nous serons en Dieu et Dieu sera en nous. Et c’est Notre Seigneur Lui-​même qui disait de Lui, lorsqu’il était ici-​bas. Il disait à Nicodème : « Seul celui-​là peut par­ler du Ciel qui en vient et qui est dans le Ciel ».

Notre Seigneur ici-​bas, était dans le Ciel ; Il vivait dans le Ciel. Et alors nous pou­vons nous deman­der ce que doit être le Ciel pour nous dès ici-​bas. Rappelons-​nous tou­jours la parole de l’Écriture qui dit que nous n’avons pas ici notre demeure.

Non enim habe­mus hic manen­tem civi­ta­tem sed futu­ram inqui­ri­mus (He 13,14) : « Nous n’avons pas ici notre demeure per­ma­nente, mais nous cher­chons notre demeure future qui est notre demeure permanente. »

Que d’illusions à ce sujet ! Si nous son­gions, si nous pou­vions avec la science de Dieu, connaître ce qui se passe dans les âmes, dans les esprits, dans les cœurs des hommes qui habitent cette terre aujourd’hui, com­bien pensent au Ciel. Combien ont la pré­oc­cu­pa­tion de cette demeure future qui doit être la leur ? Il n’y en a pas d’autre.

Tous les hommes sont invi­tés, tous les hommes sont appe­lés à vivre un jour dans cette demeure éter­nelle. Que pensent-​ils ? Qu’ont pen­sé toutes les géné­ra­tions qui sont pas­sées avant nous ? Et en effet, nous avons bien rai­son de le croire, que notre demeure ici-​bas est une demeure éphé­mère, une demeure passagère.

Quand je songe à ceux qu’enfant, je pou­vais ren­con­trer, où sont-​ils main­te­nant ? À l’âge que le Bon Dieu m’a don­né jusqu’à pré­sent, comme à beau­coup d’entre nous, où sont ceux que nous avons connus ?

Je pense que les trois-​quarts de l’humanité qui vivaient lorsque j’étais enfant, n’existent plus. Ils ne sont plus sur cette terre ; d’autres les ont rem­pla­cés. Et il en est ain­si au cours de tous les âges. Les hommes passent. La moyenne dit-​on de la vie ici-​bas, sur cette terre, serait entre trente et qua­rante ans. Car enfin, il y a beau­coup d’enfants qui meurent deux jours après leur nais­sance, beau­coup de mor­ta­li­té infan­tile. Où sont toutes ces âmes ?

Eh bien, que devons-​nous faire, mes bien chers frères ? Voilà la ques­tion que nous devons nous poser. En défi­ni­tive, le Bon Dieu nous appelle à cette cité future. Que devons-​nous faire pour l’acquérir, pour être sûr d’y arri­ver, pour être cer­tain d’aller au Ciel ? Voilà le pro­blème qui se pose pour cha­cun d’entre nous.

Et Notre Seigneur nous a répon­du. Lisez l’évangile d’aujourd’hui. Vous venez de l’entendre. Relisez-le.

Dans la mesure où nous sui­vons la loi que Notre Seigneur nous a don­née, dans cette mesure aus­si, nous serons assu­rés d’aller au Ciel. Et quelle est cette loi ? Ce n’est pas seule­ment le Décalogue ; la loi que Notre Seigneur nous demande d’observer est une loi plus parfaite.

Il nous le dit dans le Sermon sur la mon­tagne. Nous devons relire sou­vent ce Sermon sur la mon­tagne, qui est notre loi, qui est la loi des chré­tiens ; qui est la loi de ceux qui ont été bap­ti­sés en Notre Seigneur Jésus-​Christ et qui doivent être d’autres Christs ; qui doivent res­sem­bler à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et Notre Seigneur est très exi­geant pour nous, très exi­geant : « Soyez par­faits, comme votre Père céleste est par­fait ». Voilà ce que Notre Seigneur nous demande. Il résume toute cette loi dans ces paroles : « Soyez par­faits comme votre Père céleste est parfait ».

Et en quoi consiste cette per­fec­tion ? Il nous le dit. Il nous l’explique. Nous devons chan­ger, notre inté­rieur. Pas seule­ment un aspect exté­rieur. La loi ancienne était une loi qui deman­dait sim­ple­ment une satis­fac­tion et une obli­ga­tion qua­si maté­rielle, exté­rieure : faire l’aumône et même en public ; prier en public ; obser­ver stric­te­ment les com­man­de­ments de Dieu. Elle ne deman­dait pas davantage.

Notre Seigneur nous demande beau­coup plus, quand Il nous dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la jus­tice ». Je pense que c’est là une des béa­ti­tudes capi­tale, essen­tielle. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la jus­tice. Qu’est-ce que cela veut dire ?

La jus­tice, dans le sens de l’Écriture, c’est la sain­te­té. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de sain­te­té. Par consé­quent, faim et soif d’amour de Dieu et d’amour du prochain.

Nous devons en effet avoir ce zèle. Un zèle pro­fond, un zèle inté­rieur, un zèle constant de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain.

En quoi se mani­feste cet amour de Dieu, cet amour du pro­chain ? Notre Seigneur nous le raconte d’une manière admirable.

Pour la prière Il nous conseille de ne pas cher­cher une prière pure­ment for­melle, ver­bale, mais une prière inté­rieure, une prière véri­table. Et c’est pour­quoi Il conseille d’entrer dans sa chambre, de fer­mer sa chambre et de prier Dieu. Car Dieu nous ver­ra. Et ne pas faire comme ceux qui prient sur les places publiques, afin qu’on les voie prier et qu’on les croie saints.

Mais non, priez dans l’intimité de votre chambre et pro­non­cez ces paroles. Et alors Il nous enseigne cette magni­fique prière du Pater nos­ter, du Notre Père.

Voilà com­ment Notre Seigneur nous apprend à prier.

Et enfin. Il nous demande d’aimer notre pro­chain. Comment aimer notre pro­chain ? Là aus­si. Il est très exi­geant. Il ne demande pas seule­ment de ne pas haïr son pro­chain, mais Il demande de l’aimer et de l’aimer de telle sorte que jamais nous n’ayons d’insultes vis-​à-​vis de lui. Car celui qui pro­nonce le terme de rac­ca ou de fou, une insulte vis-​à-​vis de son pro­chain, celui-​là méri­te­rait la géhenne, le feu de la géhenne, de l’enfer.

Celui qui aurait de la haine pour son pro­chain, inté­rieure. Car Notre Seigneur pour­suit nos sen­ti­ments inté­rieurs. Si quelqu’un vous demande un emprunt, donnez-​lui. Si quelqu’un vous demande votre man­teau, donnez-​lui votre man­teau et votre tunique. Voilà les conseils de Notre Seigneur.

Et vous ne juge­rez pas. Pas de juge­ments témé­raires, pas de faux juge­ments. Parce que vous serez jugé, dans la mesure où vous serez jugé vous-même.

Soyez misé­ri­cor­dieux, comme votre Père est misé­ri­cor­dieux. Sachez par­don­ner les fautes qui sont faites envers vous, afin que l’on vous par­donne aus­si les vôtres. Quel admi­rable code de sain­te­té que le Bon Dieu nous donne.

Ah ! Si nous pra­ti­quions vrai­ment cela tous les jours de notre vie, nous serions vrai­ment près de la per­fec­tion de Dieu.

Notre Seigneur va plus loin encore. Il ne suf­fit pas d’avoir une appa­rence et même un amour pro­fond et intime pour son pro­chain, savoir sup­por­ter les dif­fi­cul­tés, mais même nous devons aller jusqu’à aimer nos enne­mis, jusqu’à prier pour eux. Voilà ce que demande Notre Seigneur.

Et enfin, nous devons éga­le­ment avoir en nous, des dis­po­si­tions inté­rieures qui nous per­mettent d’arriver à pra­ti­quer ces commandements.

Car nous n’arriverons pas à les pra­ti­quer, si nous n’avons pas un cœur pur. Notre Seigneur nous demande d’avoir le cœur pur. Il dit : « Autrefois, la loi vous défen­dait l’adultère, moi, je vous défends le simple regard, le simple désir de l’adultère. »

Non seule­ment vous ne devez pas aimer les richesses, vous devez aimer la pau­vre­té. Non pas que ceux qui ont des richesses ne puissent pas uti­li­ser ces richesses, sui­vant la volon­té de Dieu, mais ils ne doivent pas atta­cher leur cœur à ces richesses.

Et c’est pour­quoi Il nous dit que nous devons nous aban­don­ner à la Providence. Être comme ces oiseaux du Ciel, qui ont tou­jours de la nour­ri­ture et qui cepen­dant n’amassent pas l’hiver. Être comme ces lys des champs qui ne font rien non plus pour être revê­tus de cette splen­deur, de cette beau­té que Dieu leur a don­née, qui ne se sou­cient pas du len­de­main, mais qui sont pour­tant mieux que Salomon dans toute sa splen­deur, dit Notre Seigneur.

Alors, pour­quoi êtes-​vous inquiets ; pour­quoi êtes-​vous dans le sou­ci, dans l’angoisse du len­de­main. Faites donc confiance à Dieu. Soyez aban­don­né dans les mains de Dieu. Faites votre devoir, votre devoir d’état, et ensuite soyez aban­don­né dans les mains de Dieu.

Et enfin. Notre Seigneur nous demande d’être dans l’esprit de pau­vre­té. Esprit de déta­che­ment des choses de ce monde. Beati mites : « bien­heu­reux les doux, car ils pos­sé­de­ront la terre ». Bienheureux les pacifiques.

Pacifiques, doux et pauvres. Voilà ce que Notre Seigneur nous conseille. Et même si nous sommes per­sé­cu­tés, si nous sommes pour­sui­vis par ceux qui nous en veulent, à cause de son Nom, à cause du nom de Notre Seigneur Jésus-​Christ, non seule­ment nous sup­por­tons ces souf­frances, mais remer­cions Dieu, soyons heu­reux : bea­ti. Soyez heu­reux vous qui êtes per­sé­cu­tés, vous qui êtes pour­sui­vis à cause du Nom de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Voilà tout ce que Notre Seigneur nous demande. Voilà le code de la sain­te­té catho­lique, de la sain­te­té chré­tienne de ceux qui sont bap­ti­sés en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Si nous vou­lons donc suivre ceux qui avant nous ont pra­ti­qué cette jus­tice, cette sain­te­té, eh bien entrons dans le che­min qu’ils ont sui­vi, mar­chons cou­ra­geu­se­ment à la suite des saints, à la suite de ceux qui sont au Ciel, qui sont dans la gloire main­te­nant et dans la joie.

Ne nous arrê­tons pas à ce moment de la mort comme si tout était fini après la mort.

On pour­rait com­pa­rer la mort aux chry­sa­lides, quit­tant le cocon dans lequel la chry­sa­lide se trouve enfer­mée, sort et s’envole vers la lumière.

Eh bien c’est un peu cela. Notre âme quitte notre corps, pour s’en aller vers la lumière. Alors ne soyons pas effrayés par la mort, mais pen­sons que la mort est la déli­vrance de notre âme, afin qu’elle ne soit plus esclave de notre corps. Mais qu’elle soit tout entière dans les mains de Dieu, tout entière dans la joie, dans l’allégresse, si tou­te­fois nous avons ici-​bas accom­pli la loi du Seigneur.

Demandons à la très Sainte Vierge Marie, qui l’a accom­plie d’une manière si par­faite, de nous aider à pra­ti­quer cette loi. Vous vous sou­ve­nez que c’est la plus belle louange que Notre Seigneur a fait de sa mère, lorsqu’Il a dit qu’Il hono­rait sa mère et qu’il aimait sa mère parce qu’elle fai­sait sa volon­té. Et non pas tant parce qu’elle l’avait allai­té, mais parce qu’elle avait fait sa volonté.

C’est-à-dire, en résu­mé, Notre Seigneur disait : Je loue ma mère bien plus parce qu’elle a dit son fiât, que parce qu’elle est ma mère. Mais elle est ma mère, parce qu’elle a dit son fiât. Par consé­quent. Notre Seigneur nous donne là une leçon, pour nous mon­trer que nous devons aimer la Mère de Jésus et que nous devons la suivre pour accom­plir aus­si la volon­té de Dieu et sa loi et ain­si aller la rejoindre un jour au Ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.