CRC du 14 juillet 2007


Frére Bruno de Jésus – CRC du 14 juillet 2007 

Le motu pro­prioSummorum Pontificum don­né à Rome le 7 juillet 2007 par notre Saint-​Père le pape Benoît XVI, entre­ra en vigueur le 14 sep­tembre. Il réha­bi­lite, res­taure l’antique litur­gie romaine, après trente-​huit ans de pros­crip­tion ! « Il est donc per­mis de célé­brer le sacri­fice de la Messe sui­vant l’édition type du Missel romain pro­mul­gué par Jean XXIII en 1962 et jamais abro­gé. » (Art. 1)

On peut dire de cette auto­ri­sa­tion ce que l’abbé de Nantes écri­vait déjà de l’Indult pour l’utilisation du Missel romain de 1962, publié par la Sacrée Congrégation pour le Culte divin en 1984 : elle consti­tue « un total démen­ti à quinze ans d’explications et de jus­ti­fi­ca­tions du ban­nis­se­ment démen­tiel de l’antique messe romaine par Rome même. Toutes les para­li­tur­gies, toutes les messes réfor­mées, jusqu’aux plus abra­ca­da­brantes, jusqu’aux plus scan­da­leuses, et je n’hésite pas à dire : jusqu’aux plus blas­phé­ma­toires, et tout sim­ple­ment aux plus vul­gaires, j’entends par là : com­munes, laides, tié­dasses, insi­gni­fiantes ; jusqu’aux messes for­mel­le­ment inva­lides – car il y en eut, de noto­rié­té publique, et il y en a cer­tai­ne­ment encore –, toutes étaient offi­ciel­le­ment per­mises, ou du moins tolé­rées sans que jamais leurs auteurs en aient été sanc­tion­nés ni même bar­rés ou ralen­tis dans leur course aux hon­neurs et aux pré­bendes. Toutes ces messes, ou ces simu­lacres sacri­lèges, allaient dans le sens de la réforme pon­ti­fi­cale et conci­liaire, s’accordaient avec la doc­trine, le culte, la reli­gion réfor­mée de Vatican II.

« La seule litur­gie inter­dite, qui valait à ses sec­ta­teurs (!), à ses fidèles, dénon­cia­tions har­gneuses, mises en retraite, retrait des pou­voirs de juri­dic­tion et par­fois même du pou­voir d’ordre, était cette messe dite « de saint Pie V », ou « de rit tri­den­tin », laquelle remonte en sa forme qua­si immuable à mille ans et plus avant ce saint Pape et avant ce saint concile de Trente dont on laisse croire qu’elle fut de leur inven­tion. Cette liturgie-​là ne cadrait pas avec la Réforme conci­liaire ; y être atta­ché consti­tuait un aveu suf­fi­sant d’irrédentisme, de déso­béis­sance au Pape, de rébel­lion contre l’Église, bref ! de mau­vais esprit, voi­sin du schisme et de l’hérésie les pires sans doute, au moment où Rome réha­bi­li­tait tous les autres.

« Tout était per­mis qui chan­geait, qui bou­le­ver­sait l’atmosphère, l’esprit, la reli­gion du Saint-​Sacrifice de la messe, en même temps que ses paroles et que ses rites. Mais dans cette révo­lu­tion per­ma­nente et cette réforme uni­ver­selle, il était inter­dit, pour gar­der l’atmosphère, l’esprit, la reli­gion de jadis, de tenir fer­me­ment aux prières et aux rites de l’antique litur­gie romaine, de la Messe tra­di­tion­nelle. Et on nous seri­nait, ce qui nous était par trop évident, qu’être pour l’ancienne messe, c’était être contre la nou­velle reli­gion, contre l’Église conci­liaire et donc contre l’ « Esprit » qui y souffle en tempête.

« La Messe de tou­jours, c’était bien éta­bli, por­tait le cha­peau de la déso­béis­sance et ren­dait com­mode la chasse aux sus­pects puis leur pros­crip­tion : Quelle messe dit-​il ? – Eh bien, qu’avons-nous encore besoin de témoins ! Il mérite la mort… » ( « Rome revient », CRC n° 205, nov. 1984, p. 4)

L’abbé de Nantes com­pa­rait cet indult de 1984 à la « désta­li­ni­sa­tion des années 60 à Moscou », et Jean-​Paul II au tyran qui y régnait : « Quand un autre Père des peuples, Khrouchtchev, « en signe du sou­ci qu’il avait de tous ses enfants », concé­dait à tous les ban­nis la liber­té que, d’ailleurs, leur recon­nais­sait la Constitution de l’Urss intan­gible et sacrée. Ceux qui y crurent et pour en jouir firent mille actes d’allégeance au régime et toutes les auto­cri­tiques, confes­sions et rétrac­ta­tions dési­rées, se heur­tèrent ensuite à tant de bar­rages et de pièges dres­sés par l’administration mos­cou­taire qu’ils se trou­vèrent enfin rame­nés au gou­lag, ou contraints à la clan­des­ti­ni­té, à l’exil ou à la mort. »

Poursuivant sa com­pa­rai­son, l’abbé de Nantes pré­ve­nait alors qu’il avait fort bien com­pris la « manœuvre duplice ». Elle consis­tait, de la part du pape Jean-​Paul II, à « atti­rer à lui tous les inno­cents qui résis­taient encore à son charme pour l’amour de la Tradition et par fidé­li­té à la vraie reli­gion. Leur octroyer la Messe qu’ils aiment, en latin, en gré­go­rien, à condi­tion qu’ils nous tournent le dos et adhèrent à la Réforme héré­tique, schis­ma­tique et apos­tate de Vatican II. La Messe vaut bien une apos­ta­sie, un ral­lie­ment ! Ainsi serons-​nous théo­lo­giens sans audience, prêtres sans minis­tère, oppo­sants sans voix […].

« La manœuvre oblique doit abou­tir sans aucune condam­na­tion doc­tri­nale, sans nulle sen­tence cano­nique, à notre excom­mu­ni­ca­tion de fait, en sépa­rant de nous les der­niers fidèles de la Messe et donc de la reli­gion de tou­jours, par de spé­cieuses pro­messes de liberté. »

En un quart de siècle, nous avons vu s’accomplir à la lettre la pré­vi­sion de l’abbé de Nantes : le pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II a lami­né le traditionalisme.

D’un tout autre esprit est le motu pro­prioSummorum Pontificum qui semble répondre aux vœux de l’abbé de Nantes.

BON GRÉ, MAL GRÉ, ROME REVIENT

Sous ce titre, celui-​ci écri­vait en effet en 1984 : « Imaginez main­te­nant que l’Indult ait été rédi­gé tran­quille­ment par Mgr Mayer [ alors pro-​préfet de la Sacrée Congrégation pour le Culte divin], en toute sain­te­té et bien­veillance. Il se serait gar­dé d’interjeter entre la libé­ra­li­té du Saint-​Père et son appli­ca­tion toutes ces condi­tions res­tric­tives, et encore moins d’en livrer l’exécution à l’arbitraire épis­co­pal. Il y a dans ce texte un remugle de basse police, de ven­geance et de guerre civile. »

Rien de tel dans le motu pro­prio de Benoît XVI. Fidèle à son des­sein de faire pré­va­loir une « her­mé­neu­tique de la conti­nui­té », le Saint-​Père décide ce qui suit :

« Art. 1 : Le Missel romain pro­mul­gué par Paul VI est l’expression ordi­naire de la Lex oran­di de l’Église catho­lique de rite latin. Le Missel romain pro­mul­gué par Pie V et réédi­té par Jean XXIII doit être consi­dé­ré comme l’expression extra­or­di­naire de la même Lex oran­di de l’Église et être hono­ré en rai­son de son usage véné­rable et antique. Ces deux expres­sions de la Lex oran­di de l’Église n’induisent aucune divi­sion de la Lex cre­den­di de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain. »

Abolissant donc toute dis­po­si­tion contraire, même prise par son pré­dé­ces­seur, Benoît XVI décide :

« Art. 2 : Aux Messes célé­brées sans peuple, tout prêtre catho­lique de rite latin, qu’il soit sécu­lier ou reli­gieux, peut uti­li­ser le Missel romain publié en 1962 par Jean XXIII ou le Missel romain pro­mul­gué en 1970 par Paul VI, et cela quel que soit le jour, sauf le Triduum sacré. Pour célé­brer ain­si selon l’un ou l’autre mis­sel, le prêtre n’a besoin d’aucune auto­ri­sa­tion, ni du Siège apos­to­lique ni de son Ordinaire. »

Et avec peuple ? Aussi ! (Art. 4 ).

La seule exi­gence est d’éviter la dis­corde et de favo­ri­ser l’unité de toute l’Église (Art. 5 § 1).

Et si le curé ne veut pas ? En appe­ler à l’évêque ! Et si l’évêque ne veut ou ne peut pas ? En appe­ler à la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei (Art. 7–8).

L’abbé de Nantes sou­hai­tait encore que tout fidèle puisse deman­der, « sans qu’on lui doive oppo­ser aucun refus qui ne soit néces­si­té par de justes et sérieux motifs, la célé­bra­tion de messes selon le rit romain ancien en par­ti­cu­lier pour les grands évé­ne­ments de la vie fami­liale, tels que mariages, bap­têmes, com­mu­nions solen­nelles, funérailles… »

Benoît XVI y consent (Art. 5 § 3).

Bien plus : « Le curé, tout bien consi­dé­ré, peut concé­der l’utilisation du rituel ancien pour l’administration des sacre­ments du bap­tême, du mariage, de la péni­tence et de l’onction des malades, s’il juge que le bien des âmes le réclame. » (Art. 9 § 1)

« Quant aux évêques, ils peuvent célé­brer le sacre­ment de la confir­ma­tion en uti­li­sant le Pontifical romain ancien, s’ils jugent que le bien des âmes le réclame. »

Enfin, « tout clerc dans les ordres sacrés a le droit d’utiliser aus­si le Bréviaire romain pro­mul­gué par Jean XXIII en 1962 ».

C’est pré­ci­sé­ment ce que récla­mait l’abbé de Nantes en 1984 : « Un Indult de paci­fi­ca­tion aurait été tel. On aurait su alors que l’Église romaine se sou­ve­nait de sa «  catho­li­ci­té » et renon­çait au sec­ta­risme des réfor­ma­teurs. Et même si les dis­putes ou diver­gences dog­ma­tiques n’en auraient pas été abo­lies, du moins la cha­ri­té aurait de nou­veau brillé de Rome sur tout l’univers… »

Benoît XVI régnant et le Cœur Immaculé de Marie aidant, il semble que la cha­ri­té recom­mence à brû­ler en effet dans l’Église catho­lique romaine. Sinon, à qui irions-​nous ? Souhaitons aus­si que les dif­fi­cul­tés éprou­vées par cer­tains à accep­ter ce motu pro­prio démontrent à Benoît XVI que « deux reli­gions s’affrontent dans l’unique Église du Christ » depuis Vatican II, parce que cer­taines affir­ma­tions sont incon­tes­ta­ble­ment en rup­ture avec « la doc­trine anté­rieure de l’Église ».

Une nou­velle preuve vient d’en être four­nie, à son corps défen­dant, par le Saint-Siège.

CATHOLIQUE

Trois jours après le motu pro­prio du same­di 7 juillet, la Congrégation pour la doc­trine de la foi éprouve le besoin d’affirmer sans équi­voque que l’Église catho­lique, « gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les évêques en com­mu­nion avec lui », est « l’unique Église du Christ, que nous confes­sons dans le sym­bole : une, sainte, catho­lique et apos­to­lique ».

Elle le fait en réponse aux « erreurs et ambi­guï­tés » qui ont carac­té­ri­sé « la réflexion théo­lo­gique » depuis le concile Vatican II. En cinq ques­tions – réponses, comme au catéchisme…

« Première ques­tion : Le concile œcu­mé­nique Vatican II a‑t-​il chan­gé la doc­trine anté­rieure sur l’Église ? »

« Réponse » : Non ! Alors, pour­quoi ne pas dire tout sim­ple­ment que l’Église du Christ est l’Église catho­lique, au lieu de « sub­siste dans » comme le dit la « Constitution dog­ma­tique » Lumen gen­tium (no 8) ? Parce que les « Églises et com­mu­nau­tés sépa­rées, bien que nous les croyions vic­times de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se ser­vir d’elles comme de moyens de salut dont la force dérive de la plé­ni­tude de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Église catho­lique. »

Dans ce cas, il est à craindre que cette « réponse » ne laisse sub­sis­ter… « erreurs et ambi­guï­tés » dans la mesure où elle semble encore signi­fier en pre­mier lieu que l’Esprit du Christ ras­semble une com­mu­nau­té plus vaste que la com­mu­nau­té catho­lique, que Dieu seul connaît, et qu’il tient pour sienne.

En outre, elle laisse entendre que les com­mu­nau­tés schis­ma­tiques, héré­tiques ou excom­mu­niées sont encore des moyens de salut, à cause des richesses chré­tiennes conser­vées, non­obs­tant leur vice fon­da­men­tal qui les oppose à l’Église de Jésus-Christ.

Or, Benoît XVI sait per­ti­nem­ment que ces deux consé­quences sont évi­dem­ment contraires à « la doc­trine anté­rieure sur l’Église », selon laquelle « Jésus n’a vou­lu et n’a fon­dé qu’une Église, sur un seul Roc, visible, repé­rable à tous, inébran­lable, qui est Pierre, et cette Église est incon­tes­ta­ble­ment l’Église romaine dont le Pape est le chef. Elle est Une, Sainte, Catholique, Apostolique. Elle seule. Tous ceux qui ont déci­dé de la quit­ter, indi­vi­duel­le­ment ou en groupe, se sont sépa­rés de l’Unité, mais l’Unité sub­siste sans eux. » (Georges de Nantes, L’œcuménisme catho­lique, sché­ma pré­pa­ra­toire au concile Vatican III, CRC n° 57, p. 12)

Frère Bruno de Jésus.

CRC du 17 juillet 2007