30e anniversaire des sacres – 1988 : secousse schismique ?

En 1988, lorsque Mgr Lefebvre eut sacré quatre évêques, Rome réagit aus­si­tôt par un docu­ment, Ecclesia Dei, où il est affir­mé : « C’est pour­quoi une telle déso­béis­sance, qui consti­tue en elle-​même un véri­table refus de la pri­mau­té de l’évêque de Rome, consti­tue un acte schis­ma­tique »1. Le texte expli­ci­tait un peu plus loin cette pen­sée : « Personne ne peut res­ter fidèle à la Tradition en rom­pant le lien ecclé­sial avec celui à qui le Christ, en la per­sonne de l’apôtre Pierre, a confié le minis­tère de l’unité dans son Église »2.

Epouvantées par ce pré­ten­du schisme, les com­mu­nau­tés dites désor­mais Ecclesia Dei sont nées. Le même docu­ment l’atteste. « A tous ces fidèles catho­liques qui se sentent atta­chés à cer­taines formes litur­giques […], je désire aus­si mani­fes­ter ma volon­té […] de leur faci­li­ter la com­mu­nion ecclé­siale… »2. Et un peu plus loin : « Une com­mis­sion est ins­ti­tuée […] dans le but de faci­li­ter la com­mu­nion ecclé­siale des prêtres, des sémi­na­ristes… »2.

Lorsqu’en 2009 fut déci­dée par Rome la levée des excom­mu­ni­ca­tions, le texte réaf­fir­mait l’existence du schisme : « Ce don de paix, […], veut aus­si être un signe pour pro­mou­voir l’unité dans la cha­ri­té de l’Église uni­ver­selle et arri­ver à sup­pri­mer le scan­dale de la divi­sion. On sou­haite que ce pas soit sui­vi de la réa­li­sa­tion rapide de la pleine com­mu­nion avec l’Église de toute la FSSPX… »3. La sus­pens a divi­nis était maintenue.

Cette éti­quette de schis­ma­tique a ser­vi d’épouvantail pour beau­coup. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre que ceux qui résistent tou­jours aux auto­ri­tés offi­cielles ont une atti­tude schis­ma­tique, qu’il y a un risque de s’ériger en petite église et par là de se cou­per défi­ni­ti­ve­ment de Rome sous pré­texte de refu­ser de se sou­mettre à ces mêmes auto­ri­tés offi­cielles. Une telle résis­tance serait-​elle donc vrai­ment schis­ma­tique ?4

Notion de société

L’Église catho­lique est une socié­té. Certes sur­na­tu­relle. Mais véri­table socié­té cepen­dant, puisque toute réa­li­té sur­na­tu­relle trouve son point d’ancrage sur une réa­li­té natu­relle. Rappelons donc pour com­men­cer quelques véri­tés philosophiques.

Une socié­té, n’est pas une sphère indé­fi­nis­sable dans laquelle on ren­tre­rait ou sor­ti­rait à son aise. Elle n’est pas une nébu­leuse qui exis­te­rait par elle-​même, qui serait consti­tuée dans son être et ache­vée une fois consti­tuée, tel un homme, un arbre, un ani­mal, une pla­nète. Les êtres sus-​nommés sont com­po­sés de par­ties qui forment le tout (les feuilles de l’arbre, les organes du corps, etc.) et n’existent pas indi­vi­duel­le­ment en dehors de ce tout ou cet être. C’est ce que l’on appelle un tout substantiel.

La socié­té n’est pas un tout sub­stan­tiel, pour cette rai­son que les par­ties ou les membres de la socié­té ont une exis­tence et une cer­taine auto­no­mie en dehors du tout consti­tué par la socié­té. Une famille, une entre­prise, ne cessent pas d’exister en dehors de la socié­té poli­tique. On dit alors qu’il s’agit d’un tout d’ordre parce que les par­ties sont réunies pour agir ensemble tout en gar­dant leur auto­no­mie. Un tout d’ordre, c’est un tout d’action, c’est une réa­li­té sans cesse mouvante.

La socié­té n’est donc pas la simple jux­ta­po­si­tion de ses membres. C’est bien plu­tôt une réa­li­té qui se défi­nit par les actes des par­ties qui la com­posent. Par exemple, une famille n’est pas le simple assem­blage d’un homme, d’une femme et d’enfants. Ce qui défi­nit la famille, c’est l’agir com­mun de toutes ces per­sonnes qui prennent part à la vie fami­liale et qui gardent en même temps leur exis­tence auto­nome. Une socié­té se défi­nit et se réa­lise par la col­la­bo­ra­tion subor­don­née de ses membres.

On appar­tient donc à une socié­té quand on prend part à la vie même de cette socié­té, qu’on y contri­bue par ses actions. Impossible donc de défi­nir la socié­té (et ici l’Église) sans les actes qui sont posés par ses membres. En ce sens, il est impos­sible de dire que l’Église (comme toute socié­té) est une réa­li­té figée. C’est une réa­li­té qu’il faut sans cesse entre­te­nir par les actions coor­don­nées et subor­don­nées des indi­vi­dus qui la com­posent. C’est cela que l’on appelle un tout d’action ou un tout d’ordre.

L’exemple le plus sai­sis­sant est celui de l’orchestre. Un orchestre n’existe pas sans ses musi­ciens qui le com­posent. Et l’œuvre d’art exé­cu­tée mani­feste que l’orchestre est un tout d’ordre, un tout d’action.

L’unité de la société

Malgré les nom­breux membres qui com­posent une socié­té, mal­gré les actions mul­tiples et variées qui la défi­nissent, on parle cepen­dant de la socié­té au sin­gu­lier. C’est dire que ce qui défi­nit la socié­té, ce n’est pas tant la mul­ti­pli­ci­té de ceux qui la com­posent que l’unité qui en résulte.

Qu’est-ce à dire ? Dans un orchestre, pour reprendre cet exemple plus clair, on trouve plu­sieurs ins­tru­men­tistes. Le vio­lo­niste, le flû­tiste, le trom­pet­tiste et bien d’autres encore, ont une par­tie musi­cale dif­fé­rentes. Malgré ces dif­fé­rences (et grâce à elles), il est pour­tant pos­sible de réa­li­ser une belle œuvre musi­cale. Cette beau­té résulte non seule­ment de l’action com­mune de ces musi­ciens, mais aus­si de la col­la­bo­ra­tion uni­fiée de cha­cune de leurs parties.

Ainsi, la socié­té se définit-​elle par l’unification de ces membres, c’est-à-dire l’unité réa­li­sée dans l’action.

Tout comme un corps est com­po­sé5 de ses dif­fé­rents membres et organes, ain­si la socié­té est la com­po­si­tion de ses membres, en même temps qu’elle en est l’unité. Mais comme il s’agit d’un tout d’ordre ou d’action, et non d’un tout sub­stan­tiel, l’unité qui en résulte est beau­coup plus fra­gile dans la mesure où les socié­tés inter­mé­diaires et les membres même de la socié­té gardent une cer­taine autonomie.

Cette uni­té est donc une col­la­bo­ra­tion. Étymologiquement cela signi­fie que c’est un tra­vail com­mun, ce qui n’est pas le cas du tout sub­stan­tiel. Un tout sub­stan­tiel, un miné­ral ou un homme par exemple, est un être comme figé dans sa nature. Tandis qu’une socié­té, c’est une uni­fi­ca­tion des acti­vi­tés ou une acti­vi­té com­mune. Son uni­té relève donc de l’opération.

Mais qu’est-ce qui peut donc uni­fier toutes les acti­vi­tés de la socié­té ? C’est le bien com­mun, ce à quoi la socié­té est ordonnée.

Bien commun

Toute col­la­bo­ra­tion est une coor­di­na­tion. Et qui dit coor­di­na­tion dit, éty­mo­lo­gi­que­ment, ordi­na­tion com­mune. Or qu’est-ce qu’une ordi­na­tion sinon une ten­sion vers un but, une fin, un bien ? On com­prend dès lors qu’une coor­di­na­tion est une ten­sion vers un but com­mun, une fin com­mune, un bien com­mun. La fin est prin­cipe d’ordre en toute chose : voi­là le prin­cipe qu’il faut saisir.

Mais la dif­fi­cul­té sur­git lorsqu’il s’agit de défi­nir le bien com­mun. Penser à un bien, et qui plus est à un bien com­mun, c’est sou­vent s’imaginer une réa­li­té maté­rielle, une « chose » qui satis­fasse l’individu dans le cas d’un bien per­son­nel, ou une com­mu­nau­té lorsqu’il s’agit d’un bien com­mun. En effet, le bien est ce en quoi on peut se reposer.

Nous venons cepen­dant de voir que la socié­té est une uni­té d’action. Autrement dit, elle n’est pas sta­tique, elle n’est pas en repos. La vie poli­tique est tou­jours une acti­vi­té. Comment donc conci­lier l’activité en quoi consiste la socié­té avec le bien com­mun qui semble être un repos dans un bien pos­sé­dé. Car s’il y a repos dans un bien, il n’y a plus d’activité et la socié­té cesse d’être quand elle obtient son bien. Ou alors la socié­té conti­nue d’être une acti­vi­té et dans ce cas, elle n’obtient jamais de repos, autre­ment dit de bien commun.

Grande est donc la dif­fi­cul­té de par­ler du bien com­mun de la socié­té. Distinguons minutieusement.

La vie poli­tique étant une acti­vi­té ordon­née, elle n’est jamais en repos. De ce fait, elle ne peut être une fin en soi, mal­gré que l’homme ne puisse trou­ver son achè­ve­ment que par et dans la vie poli­tique. Comme toute acti­vi­té est ordon­née à une fin qui est son repos, il faut dire que la socié­té est elle-​même ordon­née à un bien com­mun qui lui est « exté­rieur ». Ainsi, en plus de son bien com­mun qui lui est inhé­rent, elle est ordon­née à un bien qui la dépasse et qui est son achè­ve­ment et son repos.

Pour le bien inhé­rent à la socié­té on par­le­ra de bien com­mun intrin­sèque ou imma­nent, et pour le bien com­mun qui la dépasse, et auquel elle est ordon­née, on par­le­ra de bien com­mun extrin­sèque ou trans­cen­dant6.

Le bien com­mun imma­nent est celui que réa­lisent les membres de la socié­té par leur acti­vi­té com­mune, en même temps qu’il boni­fie l’homme dans tous ses biens (exté­rieurs, cor­po­rels et spi­ri­tuels). Voilà pour­quoi saint Thomas appelle ce bien ordre, tran­quilli­té, paix, uni­té, ami­tié, bien-​être, san­té publique. Il s’agit tout sim­ple­ment de l’ordre poli­tique, de l’harmonieuse col­la­bo­ra­tion des par­ties. Pie XII le résume magni­fi­que­ment : « Le bien com­mun de la socié­té poli­tique est la coha­bi­ta­tion sociale dans la paix, la tran­quille coha­bi­ta­tion dans l’ordre »7.

Quant au bien com­mun trans­cen­dant ou extrin­sèque, il est le repos défi­ni­tif ou final, c’est-à-dire ce à quoi est ordon­née toute la socié­té. Or ce terme qui dépasse la socié­té créée ne peut être que Dieu lui-​même, Dieu connu, aimé et ser­vi, en quoi consiste la fin de tout. En un mot, la contem­pla­tion de Dieu est la fin ultime de la société.

En gar­dant l’analogie avec l’orchestre, il appa­raît que le bien com­mun de l’orchestre qui inter­prète une œuvre est l’unité dans l’activité, l’harmonieuse col­la­bo­ra­tion des dif­fé­rents musi­ciens entre eux d’une part (bien com­mun intrin­sèque : ils s’entendent bien!), et d’autre part l’agréable per­cep­tion et pos­ses­sion de l’œuvre accom­plie (bien com­mun extrin­sèque). Certes l’analogie a ses défi­ciences, mais elle per­met de mieux sai­sir la réa­li­té com­plexe de ce qu’est le bien commun.

Application à l’Église

Ces consi­dé­ra­tions phi­lo­so­phiques, illus­trées par l’exemple de l’orchestre vont ser­vir à mieux sai­sir le sujet qui nous concerne.
L’Église – et nous vou­lons par­ler de l’Église ici-​bas – est une véri­table socié­té par­faite. Comme toute socié­té donc, elle a son uni­té, son ordre, son bien com­mun intrin­sèque et extrinsèque.

Elle se défi­nit comme la socié­té des bap­ti­sés qui pro­fessent la même foi, obéissent à la même loi de Jésus-​Christ, pra­tiquent les mêmes sacre­ments, le tout sous l’autorité de son chef Notre-​Seigneur dont le vicaire est le pape

Ainsi, l’ordre ou l’unité de la paix de l’Église, bien com­mun imma­nent, n’est autre que la col­la­bo­ra­tion har­mo­nieuse des par­ties de l’Église entre elles, dans l’ordre vou­lu par Notre-​Seigneur lui-​même. Église ensei­gnante et Église ensei­gnée ont cha­cune leur place et leur rôle dans l’enseignement, la sanc­ti­fi­ca­tion et le gou­ver­ne­ment. Ainsi sont assu­rées l’unité, la paix, la tran­quilli­té, l’amitié, l’harmonie, et l’activité de l’Église, en quoi consiste son bien com­mun intrinsèque.

Mais ce même bien est ordon­né à un autre bien com­mun, dit trans­cen­dant, lequel consiste en la connais­sance et pos­ses­sion défi­ni­tive de Dieu qui pro­cure à l’homme sa plus grande féli­ci­té. Le bien com­mun extrin­sèque de l’Église est au ciel la contem­pla­tion de Dieu dans son inti­mi­té pour l’éternité, contem­pla­tion anti­ci­pée ici-​bas par la connais­sance de la foi que Dieu nous donne de lui-​même par la révé­la­tion. Voilà pour­quoi la cha­ri­té ici-​bas est ordon­née à la contem­pla­tion au Ciel. Mais voi­là aus­si pour­quoi la foi, connais­sance ici-​bas de Dieu dans l’obscurité et pré­lude de la contem­pla­tion, est le fon­de­ment de la cha­ri­té. « Celui qui croi­ra et sera bap­ti­sé sera sau­vé. »8

Hérésie et schisme

C’est fort de ces notions que l’on peut déve­lop­per plus pré­ci­sé­ment ce que sont l’hérésie et le schisme.

Le caté­chisme nous en donne les défi­ni­tions. L’hérésie est la néga­tion d’un ou plu­sieurs articles de foi. Le schisme est une oppo­si­tion à l’unité de la socié­té. C’est le refus, dit Cajetan, de se com­por­ter comme par­tie d’un tout.

Est héré­tique donc celui qui refuse de pro­fes­ser au moins une véri­té de foi. Il ne s’agit pas de déter­mi­ner la quan­ti­té de véri­tés crues ou refu­sées. Ce qui est en cause, c’est le rejet de l’autorité divine qui révèle. L’hérétique se met hors de l’Église car il fait de sa rai­son (de son sen­ti­ment ou de n’importe quoi d’humain) la rai­son de croire ou ne pas croire.

Quant au schis­ma­tique, il n’est pas ques­tion de véri­té de foi. Au contraire, il peut bien gar­der la foi (un temps durant). Mais il refuse d’appartenir à l’unité d’un corps social, ce qui peut se faire de deux façons : soit en refu­sant de com­mu­ni­quer avec les par­ties ou les membres de ce corps (c’est le refus de l’agir com­mun), soit en refu­sant de se sou­mettre à l’autorité de ce corps. En réa­li­té, ce qui le défi­nit, c’est qu’il n’agit plus comme par­tie du tout social et politique.

Le bien commun de l’Église

Il est alors impor­tant de com­prendre qu’au-delà des défi­ni­tions qui viennent d’être don­nées, schisme et héré­sie s’opposent direc­te­ment au bien com­mun de l’Église.

En tant que refus de l’unité, le schisme brise le bien com­mun imma­nent de l’Église. En tant que refus de Dieu véri­té, l’hérésie s’oppose au bien com­mun trans­cen­dant de l’Église. Voilà pour­quoi tous deux sont hors de l’Église.

Thomas est très expli­cite sur cette véri­té : « Si le bien de la mul­ti­tude (c’est le bien com­mun imma­nent) est plus grand que le bien d’un seul (bien per­son­nel), en revanche, il faut dire que ce bien de la mul­ti­tude (bien com­mun imma­nent) est moindre que le bien com­mun extrin­sèque auquel est ordon­née la mul­ti­tude. […] Ainsi, le bien de l’unité de l’Église (bien com­mun imma­nent), auquel est oppo­sé le schisme, est moindre que le bien de la véri­té divine (bien com­mun trans­cen­dant) auquel est oppo­sé l’infidélité (l’hérésie) »9.

Difficile d’être plus clair : il est plus grave d’être héré­tique que schis­ma­tique. La rai­son est simple : l’infidélité est un péché contre Dieu. Or Dieu est le bien abso­lu. Tandis que le schisme est un péché contre l’unité de l’Église. Or cette uni­té est un vrai bien, mais un bien par­ti­ci­pé du bien absolu.

fait, l’unité de l’Église, vrai bien com­mun, est une par­ti­ci­pa­tion au bien abso­lu, lequel est le bien com­mun extrin­sèque. Pour sai­sir cette véri­té, pre­nons l’exemple de cou­reurs. Dans quel ordre les désigne-​t-​on dans une course ? Par leur proxi­mi­té à la fin. Autrement dit, toute ordi­na­tion sup­pose un prin­cipe d’ordre, lequel gou­verne tous les infé­rieurs. Et ce prin­cipe, c’est la fin.

L’unité de l’Église est donc entiè­re­ment dépen­dante de la véri­té divine. Saint Thomas est si clair sur le sujet qu’il va jusqu’à affir­mer que tout héré­tique est schis­ma­tique mais pas inver­se­ment bien que le schisme soit une voie qui mène à l’hérésie10.

Voilà pour­quoi aujourd’hui, il faut pri­vi­lé­gier le vrai com­bat de la foi pour pré­ser­ver l’unité de l’Église ! Non pas que l’un exclue l’autre. Mais celui qui com­bat pour gar­der la foi com­bat pour gar­der l’unité de l’Église. La hié­rar­chie entre le bien com­mun imma­nent et le bien com­mun trans­cen­dant donne la hié­rar­chie des objets de notre com­bat. Et c’est ain­si qu’il faut com­prendre com­ment l’unité de l’Église, autre­ment dit l’unité d’agir (car telle est l’unité d’une socié­té) repose d’abord et avant tout sur l’unité de la foi. Les mises en garde de saint Jean prennent tout leur sens avec ces notions phi­lo­so­phiques : « Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doc­trine (le dépôt révé­lé, la foi), ne le rece­vez pas dans votre mai­son, et ne le saluez point. Car celui qui le salue par­ti­cipe à ses œuvres mau­vaises »11.

C’est pour­quoi, il est vain (mais c’est le propre des épou­van­tails de vou­loir effrayer avec des loques) d’agiter les qua­li­fi­ca­tifs de schis­ma­tique, ou de ten­dance schis­ma­tique, style petite église, contre ceux qui refusent ne serait-​ce qu’une union (pour ne pas par­ler d’unité) avec des héré­tiques. C’est même d’ailleurs le contraire. Refuser toute coopé­ra­tion reli­gieuse avec un héré­tique, c’est sau­ve­gar­der le bien com­mun et trans­cen­dant (en pro­té­geant la foi) et imma­nent (puisque l’unité de l’Église en découle). La sou­mis­sion à un gou­ver­ne­ment (juri­dic­tion) d’hérétique est un agir com­mun qui qua­li­fie pré­ci­sé­ment l’unité d’une société.

Une crise sans précédent

Le drame de notre époque est de devoir consta­ter le foi­son­ne­ment d’hérésies chez les évêques conci­liaires et chez le pape lui-​même. Ils ne sont pas décla­rés héré­tiques for­mel­le­ment, c’est enten­du. Mais ils n’apportent pas non plus la doc­trine de Jésus-​Christ selon l’expression de saint Jean. Bien au contraire. Si l’on suit saint Thomas à la lettre, ces héré­tiques sont schis­ma­tiques12… Autrement dit, ils ne sont plus par­ties du tout qu’est l’Église. Là se trouve le mys­tère de cette crise sans pré­cé­dent. Et on com­prend que le seul objec­tif de Mgr Lefebvre, qui avec le temps mesu­rait davan­tage l’ampleur du désastre, n’ait été que de rame­ner les auto­ri­tés romaines à la foi. Et par là à la com­mu­nion de l’Église…

L’Église ici-​bas a les pro­messes de l’indéfectibilité. D’une façon toute divine, elle est une socié­té qui per­dure dans le temps par la Tradition. Être atta­ché à la Tradition est un gage d’unité, car c’est vou­loir res­ter par­tie de l’Église telle qu’elle a tou­jours été. Au contraire, le refus de la Tradition est une forme de schisme.

Les sacres, un schisme ?

Lors de la céré­mo­nie du 30 juin 1988, Monseigneur Lefebvre a répon­du très clairement :

« Il est néces­saire que vous com­pre­niez bien que nous ne vou­lons pour rien au monde que cette céré­mo­nie soit un schisme. Nous ne sommes pas des schis­ma­tiques. Bien au contraire, c’est pour mani­fes­ter notre atta­che­ment à Rome que nous fai­sons cette céré­mo­nie. C’est pour mani­fes­ter notre atta­che­ment à l’Église de tou­jours, au pape, et à tous ceux qui ont pré­cé­dé ces papes qui, mal­heu­reu­se­ment, depuis le concile de Vatican II ont cru devoir adhé­rer à des erreurs, des erreurs graves qui sont en train de démo­lir l’Église et de détruire tout le sacer­doce catho­lique. »((Sermon des sacres, consul­table sur le site lapor​te​la​tine​.org ))

L’opération appe­lée « sur­vie » dans ce même ser­mon n’avait fina­le­ment qu’un seul but : sau­ver le bien com­mun total de l’Église. En com­bat­tant pour la res­tau­ra­tion de la foi et la sau­ve­garde du sacer­doce, mon­sei­gneur Lefebvre a fina­le­ment sau­vé l’unité de l’Église. Ce n’est pas lui qui a fait schisme. Tout simplement.

Abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Qu’en disait Mgr Lefebvre ?

« Dans la mesure où le pape s’éloignerait de cette tra­di­tion, il devien­drait schis­ma­tique, il rom­prait avec l’Église.
Ce concile repré­sente une nou­velle Église qu’ils appellent l’église conci­liaire. Nous croyons pou­voir affir­mer que celui-​ci est un concile schismatique.

Tous ceux qui coopèrent à l’application de ce bou­le­ver­se­ment acceptent et adhèrent à cette nou­velle église conci­liaire et entrent dans le schisme. »(Mgr Lefebvre, inter­view au Figaro du 02 août 1976 )

« Vous avez pris le risque d’un schisme ? Quel schisme ? Je serai schis­ma­tique pour des gens que je consi­dère comme étant hors de l’Église catho­lique et qui sont eux-​mêmes schis­ma­tiques. » (Mgr Lefebvre, entre­tien au Figaro, 17 juin 1988)

« Cette Église conci­liaire (Cette expres­sion d’Eglise conci­liaire est fré­quente dans la bouche de Mgr Lefebvre, elle exprime la rup­ture et le vrai schisme avec la Tradition.) est une église schis­ma­tique, parce qu’elle rompt avec l’Église catho­lique de tou­jours. Cette Église conci­liaire est schis­ma­tique parce qu’elle a pris pour base de sa mise à jour des prin­cipes oppo­sés à ceux de l’Église catho­lique. L’Église qui affirme de pareilles erreurs est à la fois schis­ma­tique et héré­tique. Cette Église conci­liaire n’est donc pas catho­lique. » (Réflexions, 29 juillet 1976, Itinéraires, La condam­na­tion sau­vage, n°40. Il y a dans ces pro­pos de l’archevêque à la fois la den­si­té théo­lo­gique du doc­teur et la sim­pli­ci­té de la colombe de l’homme de Dieu qui rend com­pré­hen­sible aux fidèles les véri­tés dif­fi­ciles. On retrouve là un reflet de la pré­di­ca­tion de Notre-​Seigneur qui par sa sim­pli­ci­té et son uni­ver­sa­li­té s’opposait aux sub­ti­li­tés des pharisiens.)

« Ceux qui nous excom­mu­nient sont déjà excom­mu­niés eux-​mêmes depuis long­temps. Pourquoi ? Parce qu’ils sont moder­nistes. D’esprit moder­niste, ils ont fait une Église conforme à l’esprit du monde. » (Sermon don­né à Bitche le 10 juillet 1988)

Sources : Le Chardonnet n° 339 de juin 2018

  1. Lettre apos­to­lique Ecclesia Dei du sou­ve­rain pon­tife Jean-​Paul II sous forme de Motu pro­prio, du 2 juillet 1988 []
  2. Ibid. [] [] []
  3. Décret pour la levée de l’excommunication latæ sen­ten­tiæ aux évêques de la Fraternité de Saint Pie X, du 21 jan­vier 2009. []
  4. En par­lant de schisme et d’hérésie, il n’est ques­tion ici que de la réa­li­té théo­lo­gique de ces termes et non de leur défi­ni­tion cano­nique. []
  5. L’étymologie du mot dit bien la chose : com­po­sé vient du latin cum ponere qui signi­fie poser ensemble, dans l’unité. []
  6. Pour ces ques­tions dif­fi­ciles de phi­lo­so­phie poli­tique, on se réfé­re­ra à l’excellent ouvrage du Père Jean-​Dominique, O.P., Sept leçons de poli­tique, Editions du Saint Nom, 2015. Pour ceux d’ailleurs que la seule réflexion phi­lo­so­phique sans réfé­rence à saint Thomas effraie, ils seront ras­su­rés par les nom­breuses réfé­rences de l’auteur… []
  7. Message de Noël 1942 []
  8. Mc XVI, 16 []
  9. II II q39 a2 ad2 Les pas­sages en ita­lique sont des ajouts de l’auteur de l’article. []
  10. II II q39 a1 ad3 []
  11. II Jn 10–11 []
  12. D’un point de vue théo­lo­gique, non cano­nique, c’est enten­du. Mais nous ne pro­fes­sons pas non plus de posi­ti­visme juri­dique, et le sens théo­lo­gique reste plus impor­tant que le sens cano­nique auquel il confère sa valeur. Si les pro­blèmes n’étaient que cano­niques, il n’y aurait pas de pro­blème en fait… []