Un an après le Brésil, le pape François a effectué son deuxième grand voyage en se rendant en Terre sainte, du 24 au 26 mai dernier. Le souverain pontife a commencé cet itinéraire par la Jordanie ; puis il s’est rendu en Palestine, précisément à Bethléem ; enfin il a visité Jérusalem et ses multiples lieux saints. Que peut-on retenir de ce voyage ?
Le souverain pontife s’est arrêté, pendant quelques jours, sur la terre du Sauveur. En retiendrons-nous le souvenir des invitations qu’a multipliées François à la paix entre les hommes et à la réconciliation ? Le refus (au moins théorique) par le pape d’une unité entre dissidents orientaux et catholiques qui reposerait sur la recherche d’un « plus petit dénominateur commun » doctrinal (déclaration du 25 mai) ? La célébration œcuménique dans la basilique du Saint-Sépulcre ? Les appels de François au « droit à la liberté religieuse » (par exemple dans son discours au roi de Jordanie) – comme si les discriminations, voire les persécutions, subies par les catholiques au Proche- Orient pouvaient être évitées par le recours à un faux principe ?
Il faut le reconnaître, et c’est une incise qui mérite d’être développée, les voyages qu’effectuent les papes depuis environ cinquante ans constituent une réalité devant laquelle le catholique de Tradition peut se trouver désarçonné par manque d’éléments de comparaison. Il n’en est pas de même pour le reste des actions pontificales. Jean XXIII convoque un concile ? Paul VI réforme la liturgie ? Jean-Paul II édite un Code de droit canonique ? Il nous est possible d’aborder ces actes pontificaux en nous souvenant de ceux du même genre posés par leurs prédécesseurs : car de nombreux papes ont, auparavant, convoqué des conciles, réformé la liturgie ou décidé du droit. En revanche aucun pape, avant Paul VI, n’a effectué des voyages lointains qui nous permettraient de les comparer aux voyages des papes actuels et d’user de la règle indiquée par saint Paul : « Omnia probáte, quod bonum est tenéte », « Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 21), donc aussi mettez l’ivraie de côté. Sans doute quelques souverains pontifes, par exemple au xviiie siècle, ont effectué des voyages loin des États pontificaux, mais ces déplacements offrent peu de ressemblance avec les voyages récents. Et ce, notamment en raison de la croissance extraordinaire des techniques de transport, qui a caractérisé les soixante dernières années. À quoi il faut ajouter l’essor sans précédent des relations internationales, essor auquel participe l’État du Vatican.
Une invitation originale
Ce préambule étant posé, restreignons l’objet de notre intérêt au moment peut-être le plus mémorable de ce voyage : l’invitation que le pape François a faite au président de l’État d’Israël, Shimon Pérès, et à son homologue palestinien, Mahmoud Abbas, de se rendre au Vatican pour y prier en faveur de la paix – invitation formulée le 25 mai. C’est un bon exemple de ce que le manque d’éléments de comparaison dans les pontificats antérieurs ne s’avère pas toujours nécessaire. MM. Pérès et Abbas ont répondu à l’invitation. Le 8 juin, une cérémonie de prière pour la paix a donc eu lieu dans les jardins du Vatican. Des représentants du judaïsme (côté Pérès) ont d’abord lu des psaumes et formé des prières : prière de la fête du Yom Kippour ; prière du rabbin ukrainien Nahman de Breslav, etc. Puis les chrétiens ont pris la parole, orthodoxes et catholiques mêlés, le patriarche de Constantinople Bartholomée Ier étant présent. Enfin l’on a écouté les représentants musulmans prononcer diverses prières en langue arabe. Finalement, le pape, Shimon Pérès et Mahmoud Abbas ont tour à tour pris la parole.
Plusieurs commentateurs catholiques se sont choqués, à la suite de Bernard Antony et d’Yves Daoudal, que l’un des représentants musulmans ait achevé sa prière par le dernier verset de la deuxième sourate du Coran : « Tu es notre Maître, accorde-nous donc la victoire sur les peuples infidèles » (verset 286), comme le révèle la retransmission de l’épisode [1]. Comme chacun sait, les chrétiens sont, aux yeux de l’islam, des « peuples infidèles ». Un imam, dans les jardins du Vatican et en présence du vicaire de Notre-Seigneur, invoque la divinité pour qu’elle lui donne, mieux que la paix, la victoire sur les chrétiens, grande émotion et scandale inouï, n’est-ce pas ?
Le mal vient de plus loin
Il ne faudrait cependant pas que l’arbre cache la forêt. Se scandaliser que l’imam conclue ainsi sa prière avec une insolence tranquille ; ou que le Vatican ait caché, dans la publication de ces prières qu’il a ordonnée sur son site officiel, cette conclusion de la prière de l’imam sur les « peuples infidèles », est louable. Mais en rester là ne suffit pas. Car cela laisse entendre que la petite « cérémonie » organisée par le pape dans les jardins du Vatican, parce qu’elle s’est faite en faveur de la paix, n’avait rien de déplorable en elle-même. Il ne faut pas s’étonner qu’un musulman appelle, à Rome, à la victoire des mahométans sur les chrétiens, dès lors qu’on lui donne la parole. Le mal, c’est qu’il ait reçu cette dernière dans un pareil cadre. Tout cela fait penser aux cris d’orfraie que d’aucuns poussent devant les abus de la nouvelle messe, sans reconnaître que la nouvelle messe constitue elle-même un abus. Prononcer devant le pape le verset 286 de la deuxième sourate n’est qu’un scandale inscrit dans un autre, à la façon d’une poupée russe. Comme l’a rappelé Fideliter dans son numéro 200 (mars-avril 2011, page 14), la morale catholique interdit d’inviter autrui à toute prière d’une religion non catholique.
Le pape souhaite user de son autorité pour éviter de trop grandes souffrances des peuples orientaux qui s’entre-déchirent. Dans un contexte conflictuel au plus haut point et dont les catholiques sont aussi les victimes, il invite deux chefs d’État à se serrer la main, à échanger des sourires et de bonnes paroles : pourquoi pas ? Démunis de repères antécédents – faut-il le répéter ? – nous gagnons à rester circonspects dans l’appréciation de ces initiatives pontificales. Mais nous bénéficions de suffisamment de repères antérieurs pour nous attrister de la cérémonie au contenu ébouriffant qui s’est faite le 8 juin. L’invite, faite à des musulmans et à des juifs, à prier dans leurs rites respectifs reste inconcevable. Le verset 286 récité audacieusement, le 8 juin, par l’imam, est une illustration des risques que fait courir le partenariat interreligieux, insouciant des principes les plus établis de la morale catholique.
Sources : Fideliter n° 220 de juillet-août 2014
- Une « prière pour la paix » qui tourne à l’appel à combattre les infidèles[↩]