Le 13 juillet 2014, le pape François s’est de nouveau confié à Eugenio Scalfari, athée déclaré et fondateur du quotidien italien La Repubblica. Le souverain pontife, qui avait déjà accordé à ce journaliste un entretien, en octobre dernier, affirme cette fois-ci que selon « des données fiables » on évalue « la pédophilie dans l’Eglise au niveau de 2% », et de préciser que ces « 2% de pédophiles sont des prêtres et même des évêques et des cardinaux ». Sur la question du célibat ecclésiastique, on peut également lire dans cet entretien : « Peut-être ne savez-vous pas que le célibat a été établi au Xe siècle, c’est-à-dire 900 ans après la mort de Notre Seigneur. L’Eglise catholique orientale a, à ce jour, la faculté que ses prêtres se marient. Le problème existe certainement mais n’est pas d’une grande ampleur. Il faut du temps, mais il y a des solutions et je les trouverai. »
Quelques heures à peine après la publication de cet échange, le Père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, a réagi et démenti une partie de son contenu, tout en reconnaissant la validité du « sens général et l’esprit » du texte. Dans une note, le porte-parole du Saint-Siège a relevé « deux affirmations qui ont beaucoup attiré l’attention, mais qui ne sont pas attribuables au pape » : le fait qu’il y ait des « cardinaux » parmi les membres du clergé se rendant coupables d’actes de pédophilie, et la décision du souverain pontife de trouver des « solutions » concernant la question du célibat des prêtres.
A l’automne 2013, la publication du premier entretien avec Eugenio Scalfari avait alors suscité une polémique pour le manque de fiabilité de certaines phrases. La méthode de travail journalistique du fondateur de La Repubblica, qui opère sans enregistrement ni retranscription littérale, mais avec une simple prise de notes non exhaustive, avait mis le Saint-Siège dans l’embarras. Quelques semaines après la publication, l’entretien avait été retiré du site Internet du Vatican, afin de lui rendre sa nature journalistique et non magistérielle. Or cet entretien du 1er octobre 2013 a été remis en ligne sur le site du Vatican le 16 juillet, puis de nouveau retiré le 18.
On y lisait ces propos :
« – Q : Votre Sainteté, vous-même l’aviez écrit dans une lettre que vous m’avez adressée. La conscience est autonome, disiez-vous, et chacun doit obéir à sa conscience. A mon avis, c’est l’une des paroles les plus courageuses qu’un pape ait prononcée.
– R : Et je le répète ici. Chacun a une idée à lui du Bien et du Mal et chacun doit choisir de suivre le Bien et combattre le Mal selon l’idée qu’il s’en fait. Cela suffirait pour vivre dans un monde meilleur ».
Retirées du site du Vatican, ces affirmations parfaitement relativistes n’ont jamais fait l’objet d’un démenti de la part du pape ou de son porte-parole.
Le nouvel épisode pose une fois de plus la question du degré d’autorité qu’il faut accorder aux paroles du souverain pontife. Dès octobre 2013, certains observateurs avaient fait remarquer, notamment sur les réseaux sociaux, qu’il s’agissait peut-être de « l’entretien de trop », après la publication très rapprochée d’autres interventions du pape. Mais ce dernier ne s’était pas arrêté là, bien au contraire. Aussi beaucoup s’étonnent qu’une telle situation se présente à nouveau, avec le même journaliste. La dernière déclaration de Scalfari, dans La Repubblica du 20 juillet, n’arrange rien. Il ne s’y excuse nullement et affirme : « Il (François) transforme et renouvelle l’Eglise et ses structures qui en ont grand besoin ». Et cet athée affiché ajoute : « C’est un grand pape, il laissera une trace profonde dans l’histoire de l’Eglise qui a grand besoin de sortir d’un isolement trop long. Nul n’est infaillible, et Bergoglio sait que le pape ne l’est pas non plus ».
Les réactions à l’entretien du 13 juillet ont été nombreuses en Italie. Le vaticaniste de La Stampa, Marco Tossati, écrit :
« Malheureusement, de nombreuses questions demeurent. La première : dès lors que l’épisode n’est pas nouveau (c’est la deuxième fois que cela arrive) pourquoi le faire ? Un milliard deux cents millions de catholiques ont le droit de savoir précisément ce qu’a dit le pape. Spécialement sur ces thèmes délicats et intéressants. Si l’intervieweur, pour des raisons qui lui sont propres, dédaigne l’utilisation de l’enregistreur, et du moment que déjà lors de la première rencontre il y avait eu des problèmes, il serait peut-être approprié que le Saint-Siège en achète un. Afin de protéger “les lecteurs ingénus” (d’après la déclaration du P. Lombardi), et ne pas passer – pour la deuxième fois que cela arrive – pour des naïfs. A moins que, et c’est aussi une possibilité, tout cela fasse partie d’une stratégie. Lancer des phrases ou demi-phrases, qui sont saisies avidement, et laisser à la responsabilité volontaire de l’intervieweur la tâche de les rendre plus sensationnelles qu’elles ne l’étaient au début, pour ensuite les démentir. Peut-être, selon les paroles d’une chanson “pour voir l’effet que cela fait”. Dans l’incertitude générale, cela peut aussi être ainsi. Mais de l’incertitude, et pas seulement, dans le monde des croyants, il y en a déjà assez. »
Le 14 juillet, sur le site italien, Il papa emerito, on pouvait lire une lettre ouverte au pape d’un fidèle qui se défend d’être traditionaliste :
« (…) Qu’avez-vous dit vraiment, Sainteté ? Je pense que ces millions de catholiques épars dans le monde entier ont le droit de savoir ce que vous avez vraiment dit à votre interlocuteur. Chacun de nous a le droit (et le devoir) d’écouter son pasteur et de savoir ce qu’il pense et comment il agit. Vous comprendrez certainement notre difficulté d’écouter votre haut magistère à travers des entretiens qui, d’ailleurs, sont rapportés par quelqu’un qui continue à cracher sur nous toute sa rancœur. Parce que vous, Sainteté, vous le savez très bien : ce qui intéresse Scalfari, ce n’est pas le dialogue avec le catholicisme et ses fidèles, mais avec l’homme Bergoglio, le puissant chef de l’Eglise catholique. Ceci parce que de toute évidence il en tire beaucoup d’avantages, médiatiques et économiques. (…)
« Vous n’avez pas à trouver une solution au problème de la mafia, au problème de la pédophilie, au “problème” du célibat. Ce qui m’a mis très mal à l’aise, c’est d’entendre des expressions telles que “Je vais tout changer …” “Je vais trouver la solution …”, je, je, je. Vous, Très Saint Père, vous êtes au service du Christ et vous n’avez à faire que ce qu’il vous dit ; tout le reste est le fruit de la subjectivité humaine.
« Une autre chose m’a blessé : que pour la seconde fois vous (ou vos collaborateurs) soyez tombé dans le piège de Scalfari, conduisant une fois de plus à la confusion les catholiques qui sont habitués à voir le pape comme une figure sûre qui indique avec certitude (et j’insiste) le chemin de la foi. Saint-Père, vous n’êtes pas Paul qui doit prêcher aux païens, vous êtes Pierre qui doit confirmer la foi des frères ! Et, pardonnez-moi, depuis ces dernières affirmations, je ne me sens absolument pas confirmé dans la foi, mais s’ajoutent en moi des doutes supplémentaires sur l’Eglise en laquelle je crois. Peut-être ne le réalisez-vous pas (parce que bien que vivant à Santa Marta, vous vivez malgré tout une vie isolée), mais ici, dehors il y a beaucoup de catholiques qui ne savent plus à quoi croire. Et ceux qui étaient déjà plongés dans la confusion, le sont maintenant encore plus. Ce n’est pas normal surtout quand vous me dites que les catholiques qui ont des certitudes posent problème. Sainteté, puis-je vous avouer quelque chose ? Beaucoup de catholiques ont choisi le silence face à ces déclarations, et à d’autres, pour éviter d’aller contre leur propre pape. (…) Puis-je vous dire une dernière chose ? “Renie-toi toi-même”, cesse d’être le Bergoglio impulsif, et endosse enfin les vêtements de Pierre, celui qui paît son troupeau et le protège des loups. (…)»
Sources : Apic/Imedia/Stampa/ilpapaemerito/benoitetmoi – du 01/08/14