Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
Sandro Magister revient sur les stupéfiants propos tenus par le Pape à La Croix – mettant sur le même plan le mandat missionnaire de Jésus aux apôtres et la volonté de conquête par la violence de l’Islam – et sur sa récente rencontre avec l’Imam d’Al Azhar (1). Il pose la question qui découle de cet entretien et de cette rencontre : Jésus et Mahomet avaient-ils la même idée de la « conquête » ?
L’entretien s’est tenu dans la bibliothèque du Vatican, un cadre moins formel et sans le protocole réservé d’habitude aux chefs d’Etat en visite officielle. Le pape François a offert à son invité son encyclique sur l’environnement, « Laudato si », ainsi qu’un médaillon de la paix.
Peut-on, objectivement et sans scandaliser les fidèles, établir une égalité entre la conquête des âmes par Notre Seigneur et celle des territoires – dar al islam (2) – lancée par Mahomet lors de l’Hégire en 622 par le biais du djihad ?
Oremus pro Pontifice nostro.
La Porte Latine du 1er juin 2016
Article de Sandro Magister – Les notes sont de la rédaction de LPL
Le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmed al-Tayeb, et le pape François
Plus de cinq ans après avoir claqué la porte à Benoît XVI, coupable d’avoir publiquement prié pour les victimes des attentats contre les églises chrétiennes d’Égypte, le grand imam d’Al Azhar, le Sheikh Ahmad Muhammad al-Tayyib, a accepté de rétablir des relations (3) avec le siège de Pierre en rencontrant le pape François au Vatican, le lundi 23 mai à midi.
Le communiqué diffusé après la rencontre précise :
« L’entretien, très cordial, a duré environ 30 minutes. Les deux importants interlocuteurs ont souligné la grande signification de cette nouvelle rencontre dans le cadre du dialogue entre l’Église catholique et l’Islam. Ils se sont ensuite entretenus principalement sur le thème de l’engagement commun des autorités et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, le refus de la violence et du terrorisme, la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions au Moyen et Proche Orient et de leur protection. »
Ce que le pape François pense de l’islam, il l’a déjà fait comprendre à plusieurs reprises, bien qu’avec une parcimonie toute diplomatique. La dernière fois, il y a quelques jours, dans un entretien au quotidien La Croix, dans laquelle, entre autres, il a dit :
« Je ne crois pas qu’il y ait aujourd’hui une peur de l’islam, en tant que tel, mais de Daech et de sa guerre de conquête, tirée en partie de l’islam. L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter, avec la même idée de conquête, la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations. »
Presque personne (4) n’a réagi à cette incroyable assimilation de la propagation de l’islam avec l’épée, prêchée par Mahomet, au commandement missionnaire de Jésus.
Heureusement, Aldo Maria Valli, un des commentateurs parmi les plus compétents et mesurés (5), numéro un des vaticanistes de la télévision italienne d’État, s’en est chargé dans un commentaire de son blog personnel dans un article intitulé François, l’Europe, l’Islam dans lequel il analyse aussi avec acuité d’autres passages discutables de l’interview à La Croix, comme le refus de toute référence à l’identité judéo-chrétienne de l’Europe, qui, selon le pape, « pourrait être triomphaliste et vindicative » ou même « colonialiste ».
Voici ce qu’écrit Valli sur ce point, citant un islamologue qualifié, très écouté dans les années de Benoît XVI, le jésuite copte Samir Khalil Samir (6) :
« Passons sur le fait qu’il y ait aujourd’hui davantage de peur de Daesh, c’est à dire de l’État islamique, que de l’islam en tant que tel : on peut en discuter. Les paroles vraiment problématiques sont celles avec lesquelles François dit qu’avec la même mesure de jugement, on peut interpréter comme une activité de conquête aussi la mission confiée par Jésus aux apôtres. Le pape reprend ici une idée déjà exprimée dans Evangelii gaudium, lorsqu’il affirme que les fondamentalismes existent des deux côtés, aussi bien chez les chrétiens que chez les musulmans, et les place ainsi en substance sur le même plan. C’est une affirmation qui ne tient pas debout. Pour l’expliquer, nous nous référons à ce qu’écrit un spécialiste de l’islam comme le père Samir Khalil Samir, jésuite lui aussi, qui, à propos d’Evangelii Gaudium et du parallèle fait par le pape, affirme (Asianews, 19 décembre 2013):
« Personnellement, je ne mettrais pas les deux fondamentalismes sur le même plan : les fondamentalistes chrétiens ne portent pas d’armes ; le fondamentalisme islamique est critiqué, en premier lieu, justement par les musulmans, car ce fondamentalisme armé tente de reproduire le modèle mahométan. Dans sa vie, Mahomet a fait plus de soixante guerres : or, si Mahomet est le modèle excellent, (comme l’affirme le Coran, 33:21) il n’est pas surprenant que certains musulmans utilisent eux aussi la violence à imitation du fondateur de l’islam. » J’ai longuement cité les paroles du père Samir car elles sont claires et posent le problème de la juste perspective. L’islam a un problème avec la violence de matrice religieuse, comme l’avait signalé Benoît XVI à Ratisbonne en 2006. Le nier signifie en premier lieu ne pas aider l’islam à se confronter à lui-même. Certes, toute religion, dans une mesure plus ou moins accentuée, peut avoir un problème avec la violence, car toute religion, y compris la chrétienne, peut être utilisée de manière fanatique et violente. Mais affirmer que le christianisme et l’islam sont, dans ce sens, l’image en miroir d’un de l’autre (voir) n’est pas correct, car le Nouveau Testament et le Coran ne sont pas la même chose. Un chrétien fanatique, qui interprète comme un mandat de conquête la tâche confiée par Jésus aux apôtres, dénature complètement l’Évangile. Un islamique fanatique qui interprète comme un mandat de conquête certains messages de Mahomet, peut trouver dans le Coran des paroles qui soutiennent sa thèse. » Au paragraphe 253 [d’Evangelii Gaudium] on peut lire : « Le vrai islam et une interprétation adéquate du Coran s’opposent à toute violence ». Cette phrase est très belle et exprime une attitude très bienveillante du pape envers l’islam. Il me semble toutefois qu’elle exprime davantage un désir qu’une réalité. Que la majorité des musulmans puisse être contraire à la violence, cela peut même se discuter. Mais dire que le vrai islam est contraire à toute violence ne me semble pas vrai : la violence est dans le Coran. Dire ensuite qu’une interprétation adéquate du Coran s’oppose à toute violence nécessite beaucoup d’explications. Si l’islam veut rester aujourd’hui dans cette vision liée au temps de Mahomet, alors il y aura toujours violence. Mais si l’islam – et de nombreux mystiques l’ont fait – veut retrouver une spiritualité profonde, alors la violence n’est pas acceptable. Aujourd’hui l’islam est à une croisée des chemins : ou bien la religion est une voie vers la politique et vers une société politiquement organisée, ou bien la religion est une inspiration à vivre avec davantage de plénitude et d’amour. Ceux qui critiquent l’islam au sujet de la violence ne font pas une généralisation injuste et odieuse : ils indiquent des questions présentes, vivantes et sanglantes dans le monde musulman. En Orient, on comprend très bien que le terrorisme islamique est religieusement motivé, avec citations, prières et fatwas de la part d’imams qui poussent à la violence. Le fait est que dans l’islam il n’y a pas d’autorité centrale, qui corrige les manipulations. Cela fait en sorte que chaque imam se croit un mufti, une autorité nationale, autorisée à émettre des jugements inspirés du Coran jusqu’à ordonner de tuer. |
POST SCRIPTUM de Sandro Magister – Dans un article du Figaro du 24 mai 2016, intitulé « ne pas renvoyer dos à dos islam et christianisme », l’historien de l’Église et des civilisations Rémi Brague, français, a lui aussi critiqué l’assimilation par le pape François entre l’expansion guerrière de l’islamisme et le mandat de Jésus d’instruire et de baptiser tous les peuples.
Sources : Settimo Cielo/Benoit-et-moi/Le Figaro
Notes de La Porte Latine
(1) La mosquée Al-Azhar, fondée en 970, est une des plus anciennes mosquées du Caire et le siège de l’université al-Azhar, la plus ancienne université islamique encore active au monde après Quaraouiyine au Maroc et l’université Zitouna en Tunisie. L’imam de la mosquée Al-Azhar – actuellement le Sheikh Ahmad Muhammad al-Tayyib – est considéré par beaucoup comme la plus haute autorité de l’islam dit « modéré ». Il n’est pas reconnu par l’islam « radical » majoritaire dans le monde.
(2) Dar al-Islam » désigne initialement les pays où s’applique la charia après leur conquête.
(3) Après 10 ans de relations tendues entre leurs deux institutions en raison de propos controversés de Benoît XVI semblant associer islam et violence, lors d’un discours à Ratisbonne (Allemagne) en 2006, les liens se sont peu à peu resserrés avec l’arrivée du pape François qui a fait du dialogue interconfessionnel l’une de ses priorités. Il avait notamment salué les musulmans en 2013 à l’occasion de la fin du ramadan.
(4) Sauf Maurizio Blondet qui l’a fait… de façon plutôt radicale, titrant sans ambages« Qu’il cesse d’insulter Jésus ! ».
(5) Aldo Maria Valli est classé parmi les « bergogliens », au moins au départ, en tout cas ne pouvant en aucun cas être catalogué parmi les « nostalgiques de Benoît XVI ».
(6) Samir Khalil Samir est prêtre jésuite égyptien, islamologue, orientaliste et théologien catholique. Professeur à l’université Saint-Joseph de Beyrouth au Liban, il est professeur invité dans de nombreuses institutions académiques d’Europe et des États-Unis.