Charles de Foucauld : une pensée au rebours de l’œcuménisme conciliaire

Le 3 mai 2021, le pape François a déci­dé la cano­ni­sa­tion de Charles de Foucauld, sans que la date en soit ren­due publique. La modi­fi­ca­tion des pro­cé­dures de cano­ni­sa­tion, sim­pli­fiées et accé­lé­rées depuis le pape Jean-​Paul II, laisse pla­ner de graves doutes sur leur valeur. Mais une chose est sûre, le P. de Foucauld n’est pas le père de l’œcuménisme moderne, bien au contraire.

A une époque mar­quée par la mon­tée inexo­rable de l’islamisme en France et dans le monde, la contri­bu­tion de Charles de Foucauld, émi­nent spé­cia­liste du monde musul­man de son temps, n’a pas pris une seule ride en 2021, comme en témoigne la lettre écrite en juillet 1916, quelques mois avant son assas­si­nat, sur­ve­nu le 1er décembre sui­vant, à René Bazin, socié­taire de l’Académie française.

Les modernes vou­draient faire du P. de Foucauld un pré­cur­seur de l’œcuménisme de Vatican II. Mais à qui accepte d’ouvrir les yeux, le P. de Foucauld demeure sin­gu­liè­re­ment éloi­gné de l’esprit de la décla­ra­tion d’Abou Dabi sur la Fraternité uni­ver­selle, signée en 2019 par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar (Egypte), Ahmad Al-Tayyeb.


Tamanrasset, par Insalah, via Biskra, Algérie, 29 juillet 1916.

Monsieur,

Je pour­rais, m’écrivez-vous, vous dire uti­le­ment la vie du mis­sion­naire par­mi les popu­la­tions musulmanes. (…)

I — Vie du missionnaire parmi les populations musulmanes

Habituellement chaque mis­sion com­prend plu­sieurs prêtres, au moins deux ou trois. (…) Je ne suis pas en état de vous décrire cette vie qui, dans ma soli­tude au milieu de popu­la­tions très dis­sé­mi­nées et encore très éloi­gnées d’esprit et de cœur, n’est pas la mienne…

Les mis­sion­naires iso­lés comme moi sont fort rares. Leur rôle est de pré­pa­rer la voie, en sorte que les mis­sions qui les rem­pla­ce­ront trouvent une popu­la­tion amie et confiante, des âmes quelque peu pré­pa­rées au chris­tia­nisme, et, si faire se peut, quelques chrétiens. (…)

Il faut nous faire accep­ter des musul­mans, deve­nir pour eux l’ami sûr, à qui on va quand on est dans le doute ou la peine, sur l’affection, la sagesse et la jus­tice duquel on compte abso­lu­ment. Ce n’est que quand on est arri­vé là qu’on peut arri­ver à faire du bien à leurs âmes. Inspirer une confiance abso­lue en notre véra­ci­té, en la droi­ture de notre carac­tère, et en notre ins­truc­tion supé­rieure, don­ner une idée de notre reli­gion par notre bon­té et nos ver­tus, être en rela­tions affec­tueuses avec autant d’âmes qu’on le peut, musul­manes ou chré­tiennes, indi­gènes ou fran­çaises, c’est notre pre­mier devoir : ce n’est qu’après l’avoir bien rem­pli, assez long­temps, qu’on peut faire du bien.

Ma vie consiste donc à être le plus pos­sible en rela­tion avec ce qui m’entoure et à rendre tous les ser­vices que je peux. À mesure que l’intimité s’établit, je parle, tou­jours ou presque tou­jours en tête à tête, du bon Dieu, briè­ve­ment, don­nant à cha­cun ce qu’il peut por­ter, fuite du péché, acte d’amour par­fait, acte de contri­tion par­faite, les deux grands com­man­de­ments de l’amour de Dieu et du pro­chain, exa­men de conscience, médi­ta­tion des fins der­nières, à la vue de la créa­ture pen­ser à Dieu, etc., don­nant à cha­cun selon ses forces et avan­çant len­te­ment, prudemment.

– Le but de cette mis­sion « soli­taire » est net­te­ment fixé par le P. de Foucauld : il ne veut rien d’autre que la conver­sion de ceux qui l’entourent. Mais il leur apporte ce qu’ils peuvent absor­ber dans l’état où ils se trouvent, afin de les pré­pa­rer à rece­voir davan­tage. Sa pen­sée rejoint celle de saint François d’Assise qui décrit ces deux modes d’apostolat dans sa pre­mière règle.

Il y a fort peu de mis­sion­naires iso­lés fai­sant cet office de défri­cheur ; je vou­drais qu’il y en eût beau­coup : tout curé d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc, tout aumô­nier mili­taire, tout pieux catho­lique laïc (à l’exemple de Priscille et d’Aquila), pour­rait l’être. (…)

Il y a toute une pro­pa­gande tendre et dis­crète à faire auprès des indi­gènes infi­dèles, pro­pa­gande qui veut avant tout de la bon­té, de l’amour et de la pru­dence, comme quand nous vou­lons rame­ner à Dieu un parent qui a per­du la foi… (…)

II — Comment franciser les peuples de notre empire africain

– Dans le pas­sage qui suit, le P. de Foucauld fait preuve d’un réa­lisme poli­tique prémonitoire.

Ma pen­sée est que si, petit à petit, dou­ce­ment, les musul­mans de notre empire colo­nial du nord de l’Afrique ne se conver­tissent pas, il se pro­dui­ra un mou­ve­ment natio­na­liste ana­logue à celui de la Turquie : une élite intel­lec­tuelle se for­me­ra dans les grandes villes, ins­truite à la fran­çaise, sans avoir l’esprit ni le cœur fran­çais, élite qui aura per­du toute foi isla­mique, mais qui en gar­de­ra l’étiquette pour pou­voir par elle influen­cer les masses. (…)

Le sen­ti­ment natio­nal ou bar­ba­resque s’exaltera dans l’élite ins­truite : quand elle en trou­ve­ra l’occasion, par exemple lors de dif­fi­cul­tés de la France au dedans ou au dehors, elle se ser­vi­ra de l’islam comme d’un levier pour sou­le­ver la masse igno­rante, et cher­che­ra à créer un empire afri­cain musul­man indé­pen­dant. (…) Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chas­se­ront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. (…)

En me recom­man­dant fra­ter­nel­le­ment à vos prières, ain­si que nos Touaregs, et en vous remer­ciant encore de votre lettre, je vous prie d’agréer l’expression de mon reli­gieux et res­pec­tueux dévouement.

Votre humble ser­vi­teur dans le Cœur de Jésus.

Charles de Foucauld

Source : Fsspx.Actualités