Le Cœtus internationalis Patrum – Histoire du concile Vatican II, par Giuseppe Alberigo – 01 août 1998

Tome II, pp. 236–242

Par le nombre et l’ac­tion effi­ca­ce­ment orga­ni­sée, le Cœtus inter­na­tio­na­lis Patrum fut le plus impor­tant de tous les groupes de ten­dance conser­va­trice. En plus des membres qui y adhé­raient expli­ci­te­ment, ce groupe demeu­rait lar­ge­ment ouvert aux sym­pa­thi­sants. Ses membres et sym­pa­thi­sants se com­por­tèrent tou­jours avec une grande fidé­li­té aux consignes trans­mises par la direc­tion du groupe : cette dis­ci­pline n’é­tait pas due à un quel­conque règle­ment interne, mais bien à des convic­tions communes.

Bien que l’on y trou­vât une sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière aux ques­tions juri­diques et pro­cé­du­rales (en géné­ral, il invo­quait l’ap­pli­ca­tion rigide du règle­ment pour faire obs­tacle à l’ap­pro­ba­tion de textes qu’il jugeait erro­nés), c’é­tait l’un des groupes que Gàmez de Arteche défi­nit par « l’i­déo­lo­gie glo­bale », autre­ment dit qui ne s’é­taient pas consti­tués pour influer sur une ques­tion par­ti­cu­lière, et dont le conser­va­tisme, se mani­fes­tait dans tous les domaines ou sujets des déli­bé­ra­tions conci­liaires. « Il repré­sen­tait la ligne conser­va­trice dans toute sa pure­té, soit par ses atti­tudes fon­da­men­tales : scru­pule quant à la for­mu­la­tion pré­cise de la véri­té ; ten­dance triom­pha­liste, et donc esprit méfiant face à tout chan­ge­ment ; peu d’in­té­rêt et véri­table appré­hen­sion face à l’ou­ver­ture oecu­mé­nique ; soit dans ses options les plus concrètes et les plus importantes ».

Geraldo de Proença Sigaud, arche­vêque de Diamantina (Brésil), de la Société du Verbe divin, fut le fon­da­teur et l’âme du groupe. Il était lié aux élé­ments et aux orga­ni­sa­tions les plus réac­tion­naires du Brésil et de l’é­tran­ger1. Quand il était encore évêque de Jacarézinho, sa réponse à la consul­ta­tion Tardini sur les objec­tifs du concile2 révé­lait son obses­sion contre-​révolutionnaire qui le condui­sait à acca­bler les chré­tiens sociaux ou démo­crates (« mari­tai­nistes », « dis­ciples de Teilhard de Chardin », « socia­listes catho­liques », « évo­lu­tion­nistes », etc.) avec encore plus de vio­lence que les com­mu­nistes, car il voyait le cler­gé et le peuple chré­tien infes­tés par les prin­cipes révo­lu­tion­naires et sou­mis à la stra­te­gia equi Troiani, face au silence de la majo­ri­té des évêques3. Il était convain­cu qu’en régime de chré­tien­té Dieu pou­vait plus faci­le­ment conqué­rir les âmes4. En 1965, il sera le grand pro­mo­teur de la péti­tion pour une condam­na­tion conci­liaire solen­nelle du com­mu­nisme dans le trei­zième sché­ma5. Il était conscient d’être mino­ri­taire dans l’é­pis­co­pat de son propre pays ; c’est pour­quoi, pro­mo­teur de la consé­cra­tion par tous les Pères conci­liaires de leurs dio­cèses et sur­tout de la Russie au Cœur imma­cu­lé de Marie, il sug­gé­ra que fût for­mée une com­mis­sion ad hoc, dif­fé­rente de la Conférence natio­nale des évêques du Brésil (CNBB)6. Selon ce qu’il décla­ra à Gômez de Arteche, Sigaud com­prit clai­re­ment dès le pre­mier moment la néces­si­té d’or­ga­ni­ser les forces dis­per­sées, en vue d’une action par­le­men­taire dis­ci­pli­née capable de résis­ter aux Pères conci­liaires de la majo­ri­té, qui se regrou­paient par nations ou dans le bloc centre-​européen. Au cours de la pre­mière ses­sion, il cher­cha en vain un groupe qui appuie­rait avec réso­lu­tion cet objec­tif et une per­son­na­li­té ecclé­sias­tique qui accep­te­rait d’en prendre la tête, mais ne les ayant pas trou­vés, il se rési­gna à jouer lui-​même ce rôle. La sou­ve­rai­ne­té dans le groupe reve­nait à une assem­blée plé­nière, mais un « petit comi­té », qui se réunis­sait chaque semaine, en était l’or­gane exé­cu­tif pour le gou­ver­ne­ment et l’ac­tion. Ce comi­té fut créé, selon Wiltgen, dès la pre­mière semaine de la pre­mière ses­sion, ou dans sa seconde moi­tié, comme le décla­ra per­son­nel­le­ment Sigaud à Gômez de Arteche.

Le col­la­bo­ra­teur prin­ci­pal de Sigaud fut, dès le début, le supé­rieur géné­ral des Pères du Saint-​Esprit, Marcel Lefebvre. Celui-​ci mani­fes­tait une vive aver­sion pour le prin­cipe « col­lec­ti­viste », qui à son avis régnait dans tout ce que pro­po­saient les confé­rences épis­co­pales. Mais, selon ce qu’il expli­qua dans un entre­tien avec Wiltgen, il voyait moins dans l’exis­tence de confé­rences épis­co­pales puis­santes une menace contre le pape que contre l’au­to­ri­té magis­té­rielle et la res­pon­sa­bi­li­té pas­to­rale de cha­cun des évêques ; il pou­vait par­ler de ce pro­blème avec auto­ri­té, car il avait fon­dé les confé­rences épis­co­pales natio­nales de Madagascar, du Congo-​Brazzaville, du Cameroun et de l’Afrique occi­den­tale fran­çaise quand il était délé­gué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone, de 1948 à 1959. Avec Sigaud, il par­ta­geait aus­si le sen­ti­ment de l’im­por­tance accor­dée à la dimen­sion idéo­lo­gique, plus que natio­nale, dans l’im­por­tante ques­tion de la for­ma­tion et de la ren­contre des groupes conci­liaires. Toutefois, Sigaud ne vou­lait pas que son groupe se fon­dât sur la simple affi­ni­té doc­tri­nale, et il esti­mait qu’il gagne­rait en exten­sion et en vigueur s’il repo­sait sur des struc­tures pré­exis­tantes ; « en d’autres termes, il pro­po­sait un groupe mixte idéologico-​national, dans le style des comi­tés inter­na­tio­naux de la majo­ri­té et de la mino­ri­té au concile Vatican I ». Il cher­cha donc à recru­ter quelques pré­si­dents de confé­rences épis­co­pales, mais il ne réus­sit à en convaincre aucun. Son plan était de créer une « confé­rence de confé­rences », qui aurait pour orga­nisme suprême une « confé­rence des pré­si­dents de confé­rences épiscopales ».

Après Marcel Lefebvre, le prin­ci­pal adjoint de Sigaud fut Luigi M. Carli, évêque de Segni (Italie), qui s’é­tait déjà dis­tin­gué par son zèle dans la stricte obser­vance du règle­ment conciliaire.

Le Coetus orga­ni­sa chaque semaine, pen­dant toute la durée du concile, des confé­rences tenues par des Pères conci­liaires, par­fois des car­di­naux, pour dif­fu­ser son point de vue sur les thèmes débat­tus. Ces confé­rences repré­sen­taient autant d’oc­ca­sions de connaître d’autres Pères conci­liaires et de s’en faire connaître. Au début, le texte des confé­rences était dis­tri­bué aux Pères via les pré­si­dents des confé­rences épis­co­pales, mais quand le peu d’in­té­rêt de la grande majo­ri­té de ceux-​ci à dif­fu­ser leurs docu­ments devint mani­feste, les membres du Coetus pas­sèrent à la dis­tri­bu­tion directe aux évêques. En outre, le Coetus sus­ci­tait des inter­ven­tions dans l’au­la conci­liaire et y cher­chait un sou­tien. Il réus­sit par­fois à éla­bo­rer des contre-​projets, comme dans le cas de la liber­té religieuse.

Le Coetus « fut peut-​être, à l’in­té­rieur du concile, l’as­so­cia­tion la plus consciente de sa qua­li­té de groupe par­le­men­taire », d’au­tant plus qu’à cause de sa nature trans­na­tio­nale il était pri­vé du sou­tien d’ins­ti­tu­tions déjà exis­tantes, comme les confé­rences natio­nales ou régio­nales. Quand le Coetus s’a­dres­sait aux Pères uti sin­gu­li (par exemple dans les cir­cu­laires), il se pré­sen­tait ouver­te­ment comme une enti­té col­lec­tive, avec son nom de groupe, alors que, quand il inter­pel­lait les Pères uti uni­ver­si (l’as­sem­blée conci­liaire ou l’un quel­conque des orga­nismes offi­ciels du concile), il se pré­sen­tait comme un simple ras­sem­ble­ment de Pères, et la res­pon­sa­bi­li­té de leurs inter­ven­tions ou pro­po­si­tions était assu­mée sim­ple­ment, à titre per­son­nel, par cer­tains évêques, géné­ra­le­ment les plus impor­tants du groupe.

Un chro­ni­queur défi­nit à l’é­poque le Coetus comme une « socié­té secrète » alors qu’il s’a­gis­sait seule­ment d’un groupe par­ti­cu­liè­re­ment clos. Quant à l’ex­ten­sion du groupe, il fau­drait dis­tin­guer entre les membres pro­pre­ment dits, peu nom­breux mais très dis­ci­pli­nés, et les simples sym­pa­thi­sants, les­quels, en pro­por­tion variable mais beau­coup plus nom­breux, sui­vaient les indi­ca­tions de vote du Coetus. On peut consi­dé­rer que les membres pro­pre­ment dits sont ceux dont les noms appa­raissent dans les inter­ven­tions du Coetus pen­dant cette pre­mière ses­sion7.

Même si le Coetus repré­sente le cata­ly­seur de la mino­ri­té, tous les Pères de cette mino­ri­té, stric­te­ment par­lant, n’y appar­te­naient pas, et cer­tains tinrent même à faire savoir clai­re­ment qu’ils ne fai­saient pas par­tie de ce groupe. Les évêques espa­gnols qui se trou­vèrent d’ac­cord avec le Coetus dans l’op­po­si­tion à la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse, et dans une large mesure aus­si sur l’exi­gence d’une condam­na­tion expli­cite du com­mu­nisme, décla­rèrent ouver­te­ment n’a­voir aucun lien avec le Coetus. Les épis­co­pats les plus influen­cés par la pro­pa­gande de ce groupe furent l’i­ta­lien, l’es­pa­gnol, le phi­lip­pin, le latino-​américain et le français.

Etaient éga­le­ment sym­pa­thi­sants les deux groupes for­més pour défendre le sta­tus reli­gieux, clas­sés par Gômez de Arteche comme « groupes cor­po­ra­tistes ». Au groupe d’é­vêques des mis­sions (Vriendenclub), le Coetus était asso­cié par l’in­ter­mé­diaire du père Schütte, supé­rieur géné­ral de la Congrégation du Verbe divin à laquelle, nous l’a­vons dit, appar­te­nait Sigaud, qui sera plus tard rap­por­teur du sché­ma De acti­vi­tate mis­sio­na­ria Ecclesiae.

Quant au sou­tien exté­rieur, il fau­drait men­tion­ner l’u­ni­ver­si­té du Latran (où Carli avait été for­mé) et le Séminaire romain. Plus loin­taine, mais avec une influence notable sur les intel­lec­tuels fran­çais les plus réac­tion­naires, rap­pe­lons la Cité catho­lique, qui appuya dès le début le Coetus et ses membres. Pour ses cam­pagnes, il béné­fi­cia aus­si de l’a­gence de presse de la Congrégation du Verbe divin, Divine Word News Service, dont le fon­da­teur, Wiltgen (sou­vent cité), appar­te­nait, comme Sigaud, à cette famille reli­gieuse. Tous deux rési­daient à la mai­son géné­ra­lice des Verbites. On peut signa­ler aus­si les liens du Coetus avec des orga­ni­sa­tions poli­tiques de droite en quête d’une cou­ver­ture idéo­lo­gique reli­gieuse, comme le mou­ve­ment « Tradition, famille, pro­prié­té », ori­gi­naire du Brésil mais enra­ci­né dans les milieux les plus conser­va­teurs et contre-​révolutionnaires de toute l’Amérique latine, et aus­si en Espagne8, qui avait Sigaud pour men­tor. Le groupe avait en outre accès à la Commission de coor­di­na­tion du concile, via le car­di­nal Siri, et au conseil de pré­si­dence, via le car­di­nal Ruffini. Le fait que le secré­taire géné­ral du concile, Felici, soit ori­gi­naire de Segni, dio­cèse de Carli, explique leur étroite relation.

Tome 3, pp. 190–196

Comparativement à de nom­breux autres regrou­pe­ments épis­co­paux (les confé­rences natio­nales ou conti­nen­tales, par exemple), le Coetus inter­na­tio­na­lis patrum a pour carac­té­ris­tique d’être « inter­con­ti­nen­tal », comme la Conférence des vingt-​deux, mais dans une tout autre orien­ta­tion d’esprit.

Le « groupe inter­na­tio­nal de Pères » est cer­tai­ne­ment le plus impor­tant et le plus effi­cace de tous ceux de ten­dance conser­va­trice. Composé de membres for­mel­le­ment ins­crits9, il reste ouvert en per­ma­nence aux sym­pa­thi­sants, beau­coup plus nom­breux10. En rai­son d’une iden­ti­té de convic­tions, tant les uns que les autres font preuve d’une grande dis­ci­pline vis-​à-​vis des consignes éma­nant de la direc­tion. Spécialement atten­tif aux ques­tions de pro­cé­dure (sur­tout pour entra­ver l’ap­pro­ba­tion de textes jugés ambi­gus), le Coetus peut être consi­dé­ré comme un groupe d”«idéologie glo­bale », dont le conser­va­tisme pur et dur se mani­feste sur tous les thèmes des déli­bé­ra­tions conci­liaires : approche anhis­to­rique des véri­tés de foi, triom­pha­lisme catho­lique romain, méfiance à l’é­gard du chan­ge­ment, appré­hen­sion devant l’ou­ver­ture oecuménique.

Mgr de Proença Sigaud, arche­vêque de Diamantina (Brésil), membre de la Société du Verbe divin, est le fon­da­teur et l’a­ni­ma­teur du groupe. Il n’est pas « réac­tion­naire » qu’en matière ecclé­sias­tique : une obses­sion « contre-​révolutionnaire » le carac­té­rise, ain­si qu’une oppo­si­tion véhé­mente aux chré­tiens sociaux et démo­crates (H/​V II, p. 238). Dès le début du concile, il avait vu la néces­si­té d’or­ga­ni­ser les forces dis­per­sées en vue d’une action « par­le­men­taire » capable de résis­ter à la majo­ri­té conci­liaire. Ainsi, dès la seconde moi­tié de la pre­mière période11, avait-​il créé un petit comi­té, organe habi­tuel de déci­sion et d’ac­tion12, même si l’ap­pel­la­tion Coetus inter­na­tio­na­lis patrum évoque évoque plu­tôt une assem­blée plé­nière13. Il rêvait en fait d’un « groupe mixte idéologico-​national, à la manière des comi­tés inter­na­tio­naux de la majo­ri­té et de la mino­ri­té au pre­mier concile du Vatican » ; son plan était de consti­tuer, mais en vain, une « Conférence des confé­rences épis­co­pales », dont l’ins­tance suprême serait une « Conférence des pré­si­dents de conférence ».

Les prin­ci­paux col­la­bo­ra­teurs du pré­lat bré­si­lien avaient été, dès le départ, Mgr M. Lefebvre, arche­vêque fran­çais et supé­rieur géné­ral des Spiritains et ensuite Mgr L. Carli, évêque de Segni (Italie). C’est au cours de la 44è congré­ga­tion géné­rale du 7 octobre 1963, que le contact s’é­tait éta­bli entre Carli et de Proença. Ce der­nier, dans un dis­cours à l’as­sem­blée, venait de s’op­po­ser à l’exis­tence d’un col­lège apos­to­lique et épis­co­pal de droit divin. À peine reve­nu à sa place, il avait reçu un billet de Carli, le féli­ci­tant de cette inter­ven­tion. Était ain­si née une solide ami­tié ; de Proença l’a­vait ensuite pré­sen­té à Lefebvre et l’é­vêque de Segni avait accep­té de rejoindre leur comi­té14.

Le Coetus orga­nise chaque semaine des confé­rences, don­nées par des Pères, par­fois des car­di­naux, pour dif­fu­ser son point de vue sur les thèmes conci­liaires. Il dis­tri­bue aux Pères ces expo­sés, au début via les pré­si­dents des confé­rences épis­co­pales, puis direc­te­ment aux évêques. Il sus­cite des inter­ven­tions in aula et leur cherche des appuis par­mi les Pères15.

Sans qu’on puisse ni doive d’ailleurs tou­jours les rat­ta­cher expli­ci­te­ment au Coetus inter­na­tio­na­lis patrum16, plu­sieurs inter­ven­tions in aula de la deuxième période conci­liaire, à s’en tenir même au débat De epi­sco­pis, vont tout à fait dans le sens de ce groupe et par­tagent plus glo­ba­le­ment les convic­tions de la mino­ri­té. Ainsi notam­ment la Relatio Carli, les prises de parole de Ruffini et Browne (6 novembre), de Florit, Batanian, Del Pino Gômez et Mason (7 novembre), d’Ottaviani, Browne, de Castro Mayer, M. Lefebvre et Ruffini (8 novembre), de Carli (13 novembre)17. On est tout d’a­bord frap­pé par le « tir grou­pé » des pre­miers jours du débat sur les évêques et le gou­ver­ne­ment des dio­cèses. Quant au conte­nu ensuite, on retrouve cer­taines grandes carac­té­ris­tiques de la sen­si­bi­li­té mino­ri­taire, évo­quées ci-​dessus à pro­pos du Coetus : ultra­mon­ta­nisme radi­cal contre tout ce qui appa­raît comme une atté­nua­tion de l’ab­so­lu­tisme pon­ti­fi­cal (Relatio Carli, Ruffini, Batanian, Ottaviani, Browne, M. Lefebvre), quasi-​identification de la Curie au pape (Batanian, Del Pino Gômez, Mason, Ottaviani), résis­tance tenace à la « nou­velle » doc­trine de la col­lé­gia­li­té (Ruffini, Florit, Del Pino Gômez, Ottaviani, de Castro Mayer, M. Lefebvre, Carli), oppo­si­tion pro­cé­du­rière entre vote d’o­rien­ta­tion du 30 octobre et déci­sion finale du concile, voire oppo­si­tion de la Commission doc­tri­nale (Ruffini, Browne, Florit, Ottaviani, Carli)18.

L’intervention de Carli le 13 novembre pré­sente en outre la par­ti­cu­la­ri­té d’être faite au nom de plu­sieurs autres Pères. Les neuf signa­tures sont toutes de membres for­mels du Coetus inter­na­tio­na­lis patrum. C’est l’oc­ca­sion de rap­pe­ler une des manières de faire de l’as­so­cia­tion. Quand elle vise chaque père en par­ti­cu­lier comme dans la dif­fu­sion de cir­cu­laires, elle se pré­sente expli­ci­te­ment comme enti­té col­lec­tive19 ; en revanche, quand elle s’a­dresse à l’en­semble des Pères comme dans les dis­cours in aula, chaque inter­ve­nant parle en son nom propre, et éven­tuel­le­ment comme Carli au nom de quelques autres Pères indi­vi­duels ou en fai­sant réfé­rence à des ora­teurs anté­rieurs, mais pas au nom du Coetus.

L’organisation tra­di­tio­na­liste, outre des appuis exté­rieurs à l’u­ni­ver­si­té du Latran, au Séminaire romain ou dans la revue fran­çaise La Pensée catho­lique, peut aus­si comp­ter sur l’a­gence de presse Divine Word News Service du ver­bite Ralph Wiltgen, déjà men­tion­né, sans par­ler de liens avec des milieux poli­tiques conser­va­teurs d’Amérique latine et d’Espagne. C’est Wiltgen qui inter­vie­we­ra le car­di­nal Ottaviani le 13 novembre sur la Curie et la col­lé­gia­li­té ; il devait accueillir aus­si dans ses colonnes le rap­port de Mgr Romoli, o. p., évêque de Pescia et ancien membre du Saint-​Office, sur la pro­cé­dure de condam­na­tion sui­vie par ce dicastère.

Le Coetus béné­fi­cie donc non seule­ment de sou­tiens impor­tants, mais il est aus­si intro­duit dans les organes direc­teurs du concile : au Conseil de pré­si­dence grâce aux car­di­naux Ruffini et Siri ; au Secrétariat géné­ral et à la Commission de coor­di­na­tion : Mgr Felici, ori­gi­naire de Segni, est un pré­cieux allié de Mgr Carli, et donc du « Comité ». C’est seule­ment le 29 sep­tembre 1964 qu’un car­di­nal appor­te­ra offi­ciel­le­ment son sup­port à l’or­ga­ni­sa­tion. Dès lors, le car­di­nal Santos, arche­vêque de Manille (Philippines), lui ser­vi­ra de porte-​parole jus­qu’au sein du Sacré Collège et d’autres car­di­naux (Ruffini, Siri, Larraona et Browne20 ) patron­ne­ront les réunions-​conférences du groupe le mar­di soir. L’audience de celui-​ci, conso­li­dée, lui per­met­tra de recueillir jus­qu’à quatre cent cin­quante signa­tures de Pères pour cer­taines péti­tions21.

de Manille ; Garibi y Rivera, de Guadalajara ; de Arriba y Castro, de Tarragone ; les car­di­naux Castaldo, de Naples, et Quiroga y Palacios, de Saint-​Jacques-​de-​Compostelle, étaient absents. Il s’a­gis­sait d’a­na­ly­ser le décret sur l’oe­cu­mé­nisme et de se concer­ter en vue de la réunion des orga­nismes direc­teurs du len­de­main. Si Ruffini appuie la démarche du Coetus, Siri hésite (Berto note cepen­dant son ral­lie­ment le 9 novembre 1963).

  1. Dans ses archives, on peut voir l’af­fec­tueuse cor­res­pon­dance échan­gée avec Plinio Corréa de Oliveira et avec Georges Bidault, ex-​ministre des Affaires étran­gères fran­çais, un démocrate-​chrétien qui avait com­men­cé sa car­rière poli­tique plu­tôt à gauche, mais qui avait fini à l’ex­trême droite, aux côtés des mili­taires révol­tés de l’OAS, et avait dû s’exi­ler au Brésil. Dans une lettre de Bidault à Sigaud (Belo Horizonte, 22 avril 1963), le pre­mier se défi­nit comme pros­crit et remer­cie Sigaud pour l’ac­cueil réser­vé au palais archi­épis­co­pal de Diamantina et pour les livres dédi­ca­cés qu’il lui a envoyés (Fonds Sigaud, Institut pour les sciences reli­gieuses de Bologne). []
  2. Datée de Jacarézinho, 22 août 1962 (AD II/​VII, p. 180–195). Minute ori­gi­nale dans Fonds Sigaud. []
  3. « Raro sacer­dos qui Revolutionem impu­gnat ad Episcopatum eve­hi­tur ; fre­quen­ter ii qui ei favent ». []
  4. « In socie­tate revo­lu­tio­na­ria Deus ani­mas pis­cat hamo. In socie­tate chris­tia­na ani­mae pis­can­tur reti­bus ». []
  5. Dans ses archives per­son­nelles, on peut voir la liste des évêques du monde entier qui signèrent cette péti­tion. Le groupe prin­ci­pal est l’i­ta­lien (cent quatre), sui­vi de celui de Chine (trente évêques expul­sés). []
  6. Sigaud à Joao Pereira Venancio, évêque de Leiria, Diamantina, 15 février 1963 (Fonds Sigaud, ISR). []
  7. Gomez de Arteche a iden­ti­fié comme pre­miers signa­taires, en dehors des trois grands diri­geants (Geraldo de Proença Sigaud, Marcel Lefebvre et Carli), Antonio de Castro Mayer, évêque de Campos (Brésil) et Pierre de La Chanonie, évêque de Clermont-​Ferrand. Vinrent ensuite les signa­tures de Luis Gonzaga Da Cunha Marelim, évêque de Caxias do Maranhào (Brésil) ; Joào Pereira Venancio, évêque de Leiria (Portugal) ; Carlos Eduardo Saboia Bandeira de Mello, ofm, évêque de Palmas (Brésil) ; Jean Rupp, évêque de Monaco ; Xavier Morilleau, évêque de La Rochelle ; José Nepote Fus, des mis­sion­naires de la Consolata, pré­lat nul­lius de Rio Branco (Brésil) ; Giocondo M. Grotti, des Servites de Marie, nom­mé au tout début du concile (16 novembre 1962), pré­lat nul­lius d’Acre et Purùs (Brésil) ; Auguste Grimault, de la Congrégation du Saint-​Esprit, comme Marcel Lefebvre, évêque titu­laire de Maximianopolis de Palestine (ori­gi­naire du Canada et rési­dant en France) ; dom Jean Prou, abbé de Solesmes, supé­rieur géné­ral de la Congrégation béné­dic­tine de France ; Luciano Rubio, supé­rieur géné­ral de l’ordre des Ermites de Saint-​Augustin. On note­ra que ces seize Pères sont sur­tout bré­si­liens et fran­çais. Outre les évêques et supé­rieurs géné­raux, le Coetus comp­tait aus­si quelques per­iti et cer­tains membres de la Curie, mais les diri­geants furent tou­jours des Pères conci­liaires. []
  8. Le nom offi­ciel de l’or­ga­ni­sa­tion espa­gnole est actuel­le­ment Sociedad Espanola de Defensa de la Tradiciôn, Familia y Propiedad (TFP-​Covadonga). Selon un bul­le­tin de pro­pa­gande de la branche espa­gnole de cette orga­ni­sa­tion (1990), qui se défi­nit comme « la plus grande force civique et cultu­relle anti­com­mu­niste d’ins­pi­ra­tion catho­lique au monde », « son point de départ fut la ville de Sào Paulo (Brésil) où en 1928 le pro­fes­seur Plinio Corréa de Oliveira, alors jeune étu­diant en droit, com­men­ça à mili­ter dans le mou­ve­ment des congré­ga­tions mariales. Sous sa direc­tion se for­ma dans les années 1930 un groupe de catho­liques qui élar­git pro­gres­si­ve­ment son influence et don­na nais­sance plus tard à la TFP bré­si­lienne ». []
  9. Outre les trois grands lea­ders dont il va être ques­tion (de Proença Sigaud, M. Lefebvre et Carli), les pre­miers signa­taires sont A. de Castro Mayer (Campos, Brésil), P. de La Chanonie (Clermont, France) ; par­mi les membres ulté­rieurs, on relève L. G. da Cunha Marelim (Caxias do Maranhâo, Brésil), J. Pereira Venâncio (Leiria, Portugal), C. E. Saboia Bandeira de Mello, o. f. m. (Palmas, Brésil), J. Rupp (Monaco), X. Morilleau (titu­laire de Cappadoce, France), J. Nepote-​Fus, des mis­sion­naires de la Consolata (titu­laire de Elo, Brésil), G. M. Grotti, des Servites (pré­lat nul­lius de Acre y Punis, Brésil). A. Grimault, spi­ri­tain (titu­laire de Maximianopolis de Palestine, ori­gi­naire du Canada, rési­dant en France), J. Prou (abbé de Solesmes, supé­rieur géné­ral de la congré­ga­tion béné­dic­tine de France), L. Rubio (supé­rieur géné­ral des Ermites de saint Augustin). Une majo­ri­té de Brésiliens et de Français donc, et plu­sieurs reli­gieux, aux­quels il faut ajou­ter quelques per­iti et des membres de la Curie. []
  10. Les sym­pa­thi­sants vien­dront, entre autres, des oppo­sants à la col­lé­gia­li­té, à la fusion du De bea­ta et du De Ecclesia, et à la liber­té reli­gieuse. Contre cette der­nière, mili­te­ra, par exemple, l’a­na­lyse cri­tique du De liber­tate reli­gio­sa, pro­duite à la fin de l’in­ter­ses­sion 1965 par le Comitatus epi­sco­pa­lis inter­na­tio­na­lis seu Coetus inter­na­tio­na­lis patrum, inti­tu­lée Animadversiones cri­ti­cae in tex­tum ree­men­da­tum (28 mai 1965) Schema decla­ra­tio­nis de liber­tate reli­gio­sa » et sti­pu­lée « Patribus conci­lia­ri­bus reser­va­tum », Fonds Dupont, n° 1516 20 p.. []
  11. Selon l’in­di­ca­tion per­son­nelle de Mgr de Proença Sigaud à Gômez de Arteche (t. II/​3, p. 243, n. 8). L. Perrin, dans son inter­ven­tion au col­loque bolo­nais pré­ci­té de décembre 1996 («« Il Coetus inter­na­tio­na­lis patrum » e la mino­ran­za conci­liare », Evento, p. 173–187), se montre réser­vé quant à l’exis­tence d’un « pic­co­lo comi­ta­to » dès 1962 : « Je n’en ai pas trou­vé la moindre trace et il est inté­res­sant de noter que le dos­sier CIP de Mgr Lefebvre ne contient aucun docu­ment anté­rieur à 1963. Ce n’est d’ailleurs qu’à l’é­té 1963 que le Supérieur géné­ral des Spiritains demande l’as­sis­tance de l’ab­bé V. Berto comme théo­lo­gien per­son­nel ». Le même his­to­rien retient comme date de nais­sance du Coetus inter­na­tio­na­lis patrum le 3 octobre 1963 (selon le procès-​verbal de Berto) ou le 2 (selon l’a­gen­da de dom Prou). Ajoutons une pré­ci­sion : d’a­près le diaire de G. Barabino, secré­taire du car­di­nal Siri, ce der­nier a par­ti­ci­pé à une réunion du groupe (une tren­taine de Pères insa­tis­faits par les tra­vaux in aula) le 22 octobre 1963, réunion qui pren­drait la déno­mi­na­tion de Coetus inter­na­tio­na­lis patrum et où les Pères ont déci­dé de se revoir tous les mar­dis (Siri a conti­nué d’être infor­mé, mais sans plus prendre part aux ren­contres). []
  12. Il se réunis­sait chaque semaine. []
  13. Au cours de la qua­trième période, ce nom lui vau­dra des dif­fi­cul­tés de la part de Paul VI lui-​même, esti­mant qu’un « Groupe inter­na­tio­nal de Pères par­ta­geant les mêmes opi­nions en matière théo­lo­gique et pas­to­rale », créé au sein du concile, était de nature à por­ter pré­ju­dice aux libres débats de celui-​ci. Aussi le Coetus deviendrait-​il sim­ple­ment Comitatus, mais sans rien chan­ger à son esprit. []
  14. Sur l’a­nec­dote, voir R. WILTGEN, p. 88–89. Notons, à ce pro­pos, que Wiltgen, fon­da­teur de l’a­gence de presse Divine Word News Service, est lui-​même ver­bite comme de Proença et habite comme lui à la mai­son géné­ra­lice de leur congré­ga­tion (via dei Verbiti). Toujours selon R. WILTGEN (p. 148), le 9 novembre 1963 (au len­de­main, peut-​on spé­ci­fier, de l’in­ter­ven­tion remar­quée de Lercaro in aula), Carli aurait pré­pa­ré à l’in­ten­tion du pape une lettre dans laquelle il le sup­pliait « de deman­der aux car­di­naux modé­ra­teurs de s’abs­te­nir abso­lu­ment d’in­ter­ve­nir en public en leur nom propre, tant à l’in­té­rieur de l’au­la conci­liaire qu’au-​dehors », car ils appa­rais­saient comme « les inter­prètes de la pen­sée du Souverain Pontife », tout en étant soup­çon­nés de pen­cher « dans une cer­taine direc­tion, bien pré­cise » ; c’est le car­di­nal Ruffini qui l’au­rait dis­sua­dé d’en­voyer cette lettre. []
  15. Cela ira jus­qu’à la rédac­tion de contre-​projets de sché­mas, comme sur la liber­té reli­gieuse. []
  16. En effet, si le Coetus est bel et bien le cata­ly­seur de la mino­ri­té conci­liaire, tous les Pères de celle-​ci n’ap­par­tiennent pas au sens strict à ce « groupe inter­na­tio­nal » et cer­tains nient expli­ci­te­ment une telle appar­te­nance. Les épis­co­pats ita­lien, espa­gnol, phi­lip­pin, latino-​américain et fran­çais sont les plus influen­cés par la pro­pa­gande du groupe. Un lien existe aus­si avec le groupe des évêques mis­sion­naires (Vriendenclub) par l’in­ter­mé­diaire du père Schütte, supé­rieur géné­ral de la Congrégation du Verbe divin, futur rap­por­teur du De acti­vi­tate mis­sio­na­ria Ecclesiae. On peut rele­ver aus­si que des Pères conci­liaires de sen­si­bi­li­té conser­va­trice, sans se récla­mer for­mel­le­ment du Coetus, orga­nisent des réunions entre eux. Ainsi, pour la période qui nous concerne, le 14 novembre 1963, les car­di­naux Siri et Ruffini se sont réunis avec quatre confrères étran­gers : les car­di­naux Caggiano, de Buenos Aires ; Santos, []
  17. On note­ra l’o­ri­gine mas­si­ve­ment « latine » de ces inter­ve­nants : ita­lienne, « romaine » (curiale), espa­gnole, bré­si­lienne, fran­çaise. []
  18. On constate une par­faite conver­gence avec l’ob­jet décla­ré de la pre­mière réunion du Coetus (procès-​verbal de V. Berto, 3 octobre 1963) : l’op­po­si­tion au thème de la col­lé­gia­li­té dans le sché­ma De Ecclesia avec comme éten­dard la défense des droits du sou­ve­rain pon­tife et, secon­dai­re­ment, ceux de l’é­vêque indi­vi­duel­le­ment. []
  19. Ce sera le cas, par exemple, pour la cir­cu­laire du 2 novembre 1964 (adres­sée à « Venerabilis Pater »). Elle traite du vote du nou­veau sché­ma De pas­to­ra­li epi­sco­po­rum munere in Ecclesia le sur­len­de­main et invite à voter non pla­cet ; elle est signée « Nomine Coetus inte­ma­tio­na­lis patrum Geraldo de Proença Sigaud ». La même feuille annonce pour le len­de­main la réunion publique du Coetus à 17 heures à l’Hôtel Columbus (via del­la Conciliazione, 33) ; y pren­dra la parole Mgr Franic, Fonds Prignon, n° 971. []
  20. Browne, rappelons-​le, est vice-​président de la Doctrinale (le seul jus­qu’en décembre 1963), aux côtés du pré­sident Ottaviani ; Santos est lui-​même membre de cette Commission, ain­si que d’autres de même ten­dance, Florit et Franic. Larraona était à la tête de la Commission litur­gique jus­qu’à la fin de la deuxième période, et dom Prou en était membre. Ces quelques indi­ca­tions, par­tielles, contri­buent à dres­ser le tableau des « antennes » du Coetus dans dif­fé­rents lieux stra­té­giques des assises conci­liaires. []
  21. Par exemple : sur la péti­tion du Coetus inter­na­tio­na­lis patrum contre l’ab­sence d’une condam­na­tion expli­cite du com­mu­nisme mar­xiste dans le sché­ma XIII. La tac­tique rete­nue par le « grou­pe­ment inter­na­tio­nal » est de « fédé­rer les Romains », dira l’ab­bé Berto en 1964, afin d’empêcher « l’u­na­ni­mi­té morale » autour des sché­mas majo­ri­taires. II esti­me­ra réa­liste de ral­lier un quart des Pères à ses thèses. L’objectif sera presque atteint à deux reprises : en sep­tembre 1964, avec la péti­tion sur la consé­cra­tion du monde au Cœur imma­cu­lé de Marie (510 signa­tures), et avec la péti­tion pré­ci­tée rela­tive au com­mu­nisme en 1965 (exac­te­ment 454 signa­tures selon le décompte de Mgr Carbone). Le plus sou­vent, on oscille cepen­dant entre 100 et 250. []