La ferme protestation de Mgr Lefebvre
contre l’injuste suppression du Séminaire d’Écône
Dans son homélie de Venise, Mgr Lefebvre résumait l’affaire, alors relativement récente, de la suppression de la Fraternité fondée par lui :
« Je vais à Rome cinq ou six fois par an pour supplier les cardinaux, le Pape lui-même, de revenir à la Tradition, pour redonner à l’Église sa vie catholique […]. Ma Fraternité, en effet, a été reconnue officiellement il y a dix ans par Rome et par l’évêque de Fribourg, en Suisse, dans le diocèse duquel elle a été fondée. Ensuite, des évêques progressistes et modernistes ont vu dans mes séminaires un danger pour leurs théories ; ils se sont fâchés contre moi et ils se sont dits : il faut détruire ces séminaires, il faut en finir avec Écône et avec l’œuvre de Mgr Lefebvre, parce qu’ils sont dangereux pour notre plan progressiste révolutionnaire. Ils se sont adressés à Rome sur le même ton, et Rome a cédé.
Mais, comme je l’ai dit à Sa Sainteté Jean-Paul II, la suppression a été faite d’une façon contraire au Droit Canon : même les soviets ne prononcent pas des jugements comme ceux prononcés à Rome par les cardinaux sur mon œuvre. Les soviets ont un tribunal, une espèce de tribunal pour condamner quelqu’un, mais moi, je n’ai même pas eu un tribunal, rien. Un beau jour est arrivée une lettre [le 6 mai 1975, de l’Ordinaire du lieu, S.E. Mgr Mamie, archevêque de Fribourg, en Suisse] pour me dire que le séminaire devait être fermé »[1].
La suppression du séminaire d’Écône doit être tenue pour invalide à tous les niveaux
Il y a trente ans, dans cette même revue, qui venait d’être fondée depuis peu par don Francesco Putti, complètement indépendante (alors comme aujourd’hui) de la FSSPX, un article détaillé révélait les différentes et graves irrégularités de la procédure mise en œuvre pour frapper la Fraternité, procédure invalidée à la racine par l’absence de « motifs graves ». Ces motifs graves n’ont jamais pu être définis, puisqu’ils n’existent pas : ce sont les « désordres moraux » ou les « déviations doctrinales » requis par le droit canon pour une mesure coercitive d’une telle gravité. « La fermeture d’un séminaire où étaient formés quelque cent élèves [ce qui était reconnu par les organes compétents eux-mêmes] – écrivions-nous – ne pouvait pas être décrétée pour une déclaration de son supérieur [Mgr Lefebvre], désapprouvée par l’Autorité ecclésiastique, la désapprobation eût-elle été fondée et juste [le 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre, qui avait déjà déclaré officiellement en 1971 son refus du Novus Ordo Missœ, indigné par les déclarations hétérodoxes faites à ses séminaristes par deux visiteurs apostoliques (11–13 nov. 1974), avait pris publiquement position contre les infiltrations « néomodernistes » dans l’Église officielle – et cela comportait une critique implicite du Pontife alors régnant, S.S. Paul VI – en proclamant son immuable fidélité à l’enseignement du Concile de Trente], […]. Il est arrivé de nombreuses fois que des supérieurs soient destitués pour une déclaration inacceptable ou pour un acte grave de désobéissance au Souverain Pontife, mais jamais les séminaires, les instituts n’ont été fermés pour un tel motif […]. Et si l’on a parfois constaté que les idées soutenues par le fondateur ou le supérieur exerçaient une influence néfaste sur la formation des élèves, on y a remédié par la nomination d’un visiteur permanent »[2].
L’article s’arrêtait aussi sur la question de la compétence de l’Ordinaire dans ce cas. Il rappelait que, d’après le Code de droit canonique (CIC) alors en vigueur, celui de 1917, l’évêque local ou Ordinaire ne peut pas « supprimer tout ce que lui-même ou ses prédécesseurs ont institué ou approuvé » : pour la suppression des « congrégations religieuses de droit diocésain », c’est-à-dire érigées légitimement par l’évêque dans son diocèse, seul le Saint Siège est compétent (can. 493, CIC). Un éventuel décret épiscopal de suppression nécessitait donc, pour être valide, une autorisation expresse, spécifique, du Saint Siège (du Pape, à travers la Congrégation compétente). C’est le Saint Siège qui devait « être mis en mouvement ». Mais cette « mise en mouvement » eut lieu de façon tellement irrégulière, qu’elle ne peut que nous amener à la conclusion que toute la procédure doit être tenue pour invalide, ce qui invalide à la racine la décision même de suppression[3].
La question de la compétence constituait naturellement l’argument clé du recours présenté par Mgr Lefebvre au Tribunal de la Signature Apostolique, et déclaré irrecevable par ce dernier. Mgr Lefebvre arguait de l’invalidité intrinsèque de la décision et donc de sa nullité radicale, à tous les niveaux, à cause de l’incompétence aussi bien de l’Ordinaire local pour la prononcer que de la « commission cardinalice » pour juger l’appelant en matière de foi. Mgr Lefebvre s’appuyait sur le fait que l’Ordinaire n’avait jamais reçu aucune autorisation valide du Saint Siège, c’est-à-dire conférée dans les formes requises par le droit.
La vraie nature juridique de la FSSPX
Sur le point capital de l’incompétence de Mgr Mamie, qu’il nous soit permis de faire quelques considérations. La FSSPX, comme il ressortait de ses statuts et de son activité, était une société sacerdotale de vie commune sans vœux [publics], à l’exemple des sociétés des Missions Étrangères (chap. I, 1 des statuts), dont la fin était la formation sacerdotale selon les principes traditionnels de l’Église, principes qui impliquaient, entre autres, le maintien de la sainte Messe tridentine (chap. II, 2–3 des Statuts). Ces « sociétés », dans le droit canon alors en vigueur (CIC, 1917), étaient considérées comme des congrégations (religiones) au sens large, par rapport aux congrégations « au sens strict », comme les ordres, dont les membres avaient une communauté de vie et professaient publiquement les trois vœux de chasteté, pauvreté et obéissance. Ces vœux pouvaient être solennels (ils rendaient ipso iure invalide un acte accompli en leur violation), ou simples (ils rendaient illicite mais non invalide ce même acte)[4].
L’existence de vie en commun sans vœux se déroulait « à l’imitation de celle des congrégations, sans en avoir les obligations strictes, et pour des buts semblables, c’est-à-dire viser à une plus grande perfection spirituelle et également accomplir des œuvres de charité chrétienne ou exercer un apostolat religieux ou social. Plus précisément, elles sont proches des congrégations religieuses, avec lesquelles elles se confondent parfois extérieurement. Le code reconnaît leur existence, dans la mesure où les membres (sodales) de ces sociétés – qui peuvent être aussi bien masculins que féminins – vivent en commun, sous le gouvernement de supérieurs et selon leurs propres constitutions, dûment approuvées, mais sans prononcer les trois vœux publics habituels. Ces sociétés, comme le dit expressément le code, ne sont pas exactement des congrégations, et leurs membres ne peuvent pas précisément être qualifiés de religieux ; toutefois elles se répartissent, comme les congrégations, en sociétés cléricales et en sociétés laïques [quand elles ne se composent pas majoritairement de prêtres], et en sociétés de droit pontifical et de droit diocésain. Elles sont soumises, quant à leur érection et à leur suppression, aux règles en vigueur pour les congrégations, ainsi qu’en général, par analogie, et dans la mesure du possible, aux règles du droit commun relatives à ces dernières […]. Les dénominations spécifiques que ces sociétés ont coutume de prendre en pratique (oratoires, retraites, béguinages, conservatoires, sociétés pieuses, etc.) ne sont pas soumises à des règles précises »[5].
Dans la pratique, la terminologie était plutôt souple. Mais ce qui importe, au regard de notre discours, c’est la discipline alors en vigueur pour l’érection et la suppression (ce dernier événement étant plutôt rare) des sociétés en question, qui était en substance celle des congrégations. Les religiones se partageaient (ex. can. 488 3°) en congrégations de droit pontifical, si elles avaient obtenu l’approbation ou au moins le décret d’approbation du Saint Siège, et en congrégations de droit diocésain si, érigées par l’évêque, elles n’avaient pas encore obtenu le décret d’approbation[6]. Le c. 492, § 2 du CIC établissait par ailleurs qu’une congrégation de droit diocésain, même si elle était « répartie sur plusieurs diocèses », demeurait de droit diocésain, c’est-à-dire soumise à l’évêque du diocèse, tant qu’elle n’avait pas reçu « l’approbation pontificale ou le décret d’approbation ». Toutefois, « une fois fondée légitimement », sa suppression était réservée au Saint Siège : supprimi nequit nisi a Sancta Sede (c. 493). De cette façon, le droit canon introduisait des limites au pouvoir de l’évêque à la juridiction duquel la congrégation était soumise[7]. Cette règle a joué un rôle fondamental dans l’affaire de la suppression de la Fraternité, étant donné que la discipline de l’érection et de la suppression des congrégations était expressément étendue par le c. 674 aux sociétés de vie en commun sans vœux, appelées elles aussi congrégations, dans la terminologie élastique de l’époque.
La FSSPX avait été régulièrement constituée par le prédécesseur de Mgr Mamie, S.E. Mgr Charrière, qui en approuva formellement les statuts le 1er novembre 1970. Par conséquent, la Fraternité ayant été régulièrement constituée selon le droit, Mgr Mamie ne pouvait la supprimer qu’avec une autorisation expresse du Pape, une sorte de délégation de pouvoir. Mais il n’apparaît pas qu’une telle autorisation ait jamais été donnée. Il n’apparaît pas non plus que le pontife alors régnant, S.S. Paul VI, ait approuvé dans sa forme spécifique toute la procédure, irrégulière à bien des égards, qui aboutit à la lettre de suppression de la FSSPX. Cette approbation, qui doit être formelle, expresse, aurait régularisé toute éventuelle irrégularité et tout abus, à moins que n’aient été violées la loi naturelle ou la loi divine. Et en effet, le Tribunal de la Signature Apostolique déclara irrecevable le recours de Mgr Lefebvre, avançant précisément l’argument de l’approbation spécifique par le Pape de la mesure contestée, alléguant donc un fait dont l’existence n’a jamais été prouvée.
Société de vie en commun, ou pia unio ?
Le fait est que quand Mgr Charrière, « toutes les prescriptions canoniques étant observées », accorda son autorisation, il érigea la FSSPX « au titre de Pia Unio », et non au titre de « société sacerdotale de vie commune sans vœux » (vulgo, « congrégation », comme il résulte de l’art. 1 des statuts)[8]. Alors, peut-être Mgr Mamie avait-il raison ?
En effet, pour la suppression d’une « pia unio » non érigée par le Saint Siège et agissant dans le diocèse, c’est l’Ordinaire local qui était compétent, sans nécessité d’une autorisation pontificale ad hoc, avec toujours une possibilité de recours auprès du Tribunal de la Signature Apostolique.
Mais qu’est-ce qu’une pieuse union ?
Les instituts dont nous parlons ici appartiennent désormais à l’histoire du droit canon, puisque le nouveau CIC, celui de 1983, en a partiellement modifié la discipline, tout en innovant aussi dans la terminologie. Il n’est donc pas facile de s’en faire une idée précise aujourd’hui. Les pieuses unions, comme les tiers ordres séculiers, les confréries, étaient des associations traditionnellement constituées de fidèles laïcs, auxquelles pouvaient évidemment aussi participer des clercs et des religieux. Les fidèles qui les composaient, n’étant pas liés par des vœux ni par « le lien organique et durable avec l’association » (c’est-à-dire la vie en commun), vivaient dans le siècle « en vaquant à leurs occupations normales », tout en se proposant d’accomplir des « œuvres spéciales » de piété et de charité dans un but surnaturel. Un exemple célèbre de pia unio est donné par les Congrégations mariales, qui, malgré leur nom, étaient des associations de laïcs qui se proposaient d’accomplir un apostolat, en répandant particulièrement le culte de la très sainte Vierge (par exemple avec les Filles de Marie)[9].
La FSSPX devait-elle être considérée comme une « pia unio », au même titre que les Filles de Marie ? Certainement pas. Sa nature juridique intrinsèque, comme nous l’avons déjà vu, était celle d’une société de vie commune sans vœux, comparable aux congrégations au sens strict. Comment expliquer, alors, qu’elle soit née avec l’étiquette de « pia unio » ? Le terme ne doit pas être compris dans un sens générique, mais technique. Son emploi montre l’adoption de ce qui devait être une pratique affermie des évêques. Comme il devait toujours y avoir une période d’essai (renouvelable) de quelques années, en général six, avant d’arriver à l’approbatio définitive, on commençait par ériger « au titre de pia unio » la société qui allait par la suite se transformer en congrégation. Lorsque ce titre ne correspondait pas à la nature et à l’activité effective de l’entité, c’est-à-dire d’une entité qui, née en tant que « pia unio » effective (composée majoritairement de clercs, en l’occurrence), allait ensuite se transformer en société de vie commune sans vœux, alors on était en présence d’une fiction légale, qui présentait l’avantage de permettre à l’Ordinaire une approche la plus prudente possible de la nouvelle réalité ecclésiale et une plus grande liberté d’action à l’égard du Saint Siège, étant donné que l’érection d’une entité au titre de « pia unio » n’était pas liée à un nihil obstat préalable du Saint Siège, obligatoire en revanche pour les congrégations (c. 492 § 1) : « Episcopi […] condere possunt Congregationes religiosas ; sed eas ne condant neve condi sinant, inconsulta Sede Apostolica ». Dans le cas de la « pia unio » fictive, si d’aventure on décidait de la supprimer, qu’allait-on supprimer : la « pia unio » formelle (et alors la compétence de l’Ordinaire était indiscutable)[10] ou la société concrète de vie commune sans vœux ? Nous sommes de ceux qui pensent que, dans certains cas, l’organisation juridique concrète doit prévaloir sur l’organisation juridique formelle, surtout quand elle est purement formelle. Et nous sommes convaincus que cette façon de sentir est conforme à l’esprit du droit canon. C’est l’entité dans sa réalité institutionnelle concrète, c’est ce qu’elle est selon ses statuts, confirmés par le comportement effectivement adopté, c’est cette entité que l’autorité décide à un certain moment de supprimer. La réponse à la question ci-dessus nous semble donc évidente. La FSSPX a agi depuis le début de son existence comme congrégation à tous points de vue, il n’y a pas eu de période préliminaire pendant laquelle ses membres auraient vécu sans pratiquer la vie en commun, sans observer l’obligation de conformer chacune de leurs actions quotidiennes aux prescriptions des statuts.
Deux confirmations de notre thèse
Le fait que la FSSPX a toujours été considérée comme une société de vie commune sans vœux est également prouvé, à notre avis, par deux autres faits. Entre 1971 et 1975, le Saint Siège autorisa trois prêtres extérieurs à la Fraternité à y être incardinés canoniquement[11]. Cela démontre que la Fraternité était considérée comme une congrégation, et non comme une pia unio. En outre, dans le protocole d’accord signé par le Saint Siège et la Fraternité le 5 mai 1988, et auquel, comme chacun sait, il ne fut donné aucune suite, on affirmait au sujet des « questions juridiques » à régler : « En tenant compte du fait que la Fraternité […] a été conçue depuis 18 ans comme une société de vie en commun […] la forme canonique la plus adaptée [à son encadrement selon le nouveau Code] est celle d’une Société de vie apostolique »[12]. On constate donc ici que son érection « au titre de pia unio » est oubliée, car sans signification pour la détermination de la nature juridique spécifique de la Fraternité.
Ces affirmations ont été, à l’époque, signées par le cardinal Ratzinger. Cela signifie que le Saint Siège n’avait aucune objection à l’affirmation que la Fraternité « avait été conçue pendant 18 ans [et donc depuis sa constitution] comme société de vie en commun [sans vœux publics] ». Le régime juridique que le protocole d’accord prévoyait pour elle, en conformité avec la discipline du nouveau CIC, était celui de la « société de vie apostolique ». Or ces societates vitœ apotolicœ sont précisément, mutatis mutandis, les héritières directes, comme l’on sait, des societates in communi viventium sine votibus du code précédent : « Dans le CIC de 1917 aussi (c. 673–681), ces sociétés [de vie apostolique] avaient reçu un traitement du législateur, également sous la dénomination de sociétés de vie en commun sans vœux. Il y a donc, chez le législateur d’hier et d’aujourd’hui, une volonté évidente de les exclure de la catégorie des religieux au sens strict […]. Toutefois, cela n’empêche pas qu’elles soient considérées [par le code lui-même] comme semblables aux instituts de vie consacrée [c’est la nouvelle dénomination des religions] soit parce qu’elles ont une vie commune, soit parce qu’elles professent des vœux religieux, soit parce qu’elles observent les constitutions [leurs statuts][13].
Puisque la FSSPX était une societas de vie en commun sans vœux, son intégration dans la forme juridique de la societas vitœ apostolicœ du nouveau code constituait une sorte de débouché naturel, débouché contre lequel personne n’avait la moindre objection. Du protocole d’accord du 5 mai 1988, on peut donc retirer, à notre avis, une indéniable confirmation post factum de la vraie nature juridique de la Fraternité, qui n’est pas et n’a jamais été celle de la pia unio. Les « pieuses unions » ont disparu du nouveau code, en tant que catégorie autonome. Elles sont comprises dans les prescriptions générales du c. 304 sur les « consociationibus christifidelium », c’est-à-dire sur les « associations » de fidèles, publiques ou privées, « quelle que soit leur appellation ». Des anciennes associations de fidèles, seuls les Tiers Ordres ont été maintenus comme forme autonome, au c. 303.
Le sens authentiquement religieux de la « croisade » invoquée par Mgr lefebvre
On le sait, Mgr Lefebvre ne plia pas devant l’injustice qu’on lui faisait subir, il refusa de fermer son séminaire (aujourd’hui encore bien vivant et florissant), et il procéda aux ordinations épiscopales prévues pour le 29 juin 1975. Il fut, pour cela, suspendu a divinis. Quelle valeur doit-on accorder à cette « suspense » ? Nous pensons n’offenser personne en affirmant qu’elle doit être considérée comme contestable, en raison d’une absence de prémisses légitimes, car prononcée sur la base d’un acte qui constituait un abus de pouvoir de la part de l’autorité, et qu’elle est de toute façon invalide. En effet, la « désobéissance » de Mgr Lefebvre, dans la mesure où elle avait été provoquée par l’état de nécessité dans lequel il s’était trouvé soudainement et injustement, soit ne pouvait pas constituer un motif d’accusation (car le c. 2205 § 2 admettait la situation de « nécessité » parmi celles qui supprimaient l’imputabilité même du « délit » éventuellement commis), soit devait être punie (dans l’esprit du code de droit canon, qui tenait en particulier au principe de juste proportion entre peine et délit – c. 2218 § 1) par une sanction moins sévère. Cette « désobéissance », en effet, aurait très bien pu se voir appliquer les prescriptions du § 3 de ce même canon, qui énumérait certains types d’actes accomplis en état de nécessité, lesquels ne supprimaient pas l’imputabilité mais l’atténuaient. Parmi ces actes se trouvaient justement les actes accomplis « in contemptum ecclesiasticae auctoritatis », auxquels pouvait être assimilé un comportement considéré comme désobéissant (cf. c. 2331 § 1).
Mais ce qui est arrivé par la suite à Mgr Lefebvre fut encore pire, nous le savons, avec l’excommunication de 1988 qui lui infligeait l’étiquette de « schismatique » parce qu’il avait consacré quatre évêques comme ses successeurs pour conduire la FSSPX, n’observant pas la volonté du Pontife alors régnant, qui l’avait invité à surseoir, à continuer les négociations en cours depuis quelque temps avec le Saint Siège au sujet du choix de son ou ses successeurs. Sur la question de l’excommunication et du « schisme » supposé de Mgr Lefebvre, notre revue s’est déjà prononcée dans deux études ad hoc, parues il y a quelques années (Les consécrations épiscopales de S.E. Mgr Lefebvre nécessaires malgré le « non » du Pape. Étude théologique, par Hirpinus (1999); Une excommunication invalide – un schisme inexistant. Réflexions dix ans après les sacres d’Écône. Étude canonique, par Causidicus, 1999). Il nous semble donc inutile de revenir sur le sujet. Nous sommes de ceux qui pensent que Mgr Lefebvre a toujours agi avec la plus grande bonne foi. Nous sommes certains, et tout son comportement le démontre, qu’il a pris sa décision convaincu de se trouver en état de nécessité, à cause des réticences et des ambiguïtés qui se prolongeaient du côté du Vatican, au sujet des modalités et de la date du choix des successeurs (un exposé détaillé et impartial des événements qui ont conduit au sacre des quatre évêques d’Écône est proposé par Bernard Tissier de Mallerais, op. cit., pp. 557–595).
Excommunication invalide, donc, parce qu’exclue expressément par le CIC de 1983 en tant que punition s’appliquant à une désobéissance motivée par une telle conviction, et schisme inexistant, car les faits démontrent que jamais Mgr Lefebvre n’a voulu instituer une Église parallèle, pas plus que les quatre évêques qu’il a consacrés. La FSSPX doit toujours être considérée comme membre à part entière de l’Église militante, dont personne ne peut être exclu par des mesures invalides.
La « croisade » à laquelle Mgr Lefebvre invitait les catholiques n’était donc pas celle d’un prêtre rebelle à l’enseignement de l’Église, accusé carrément de schisme !
Canonicus in Sì Sì No No, Année XXXIX, n°286 Mensuel – Nouvelle Série Février 2006
- Homélie de Venise, cit. Le séminaire devait être fermé immédiatement.[↩]
- Voir Si Si No No, 1 (1975), n°9 (il s’agit de la version italienne du périodique – ndr) : Au sujet de la fermeture du Séminaire d’Écône de la Fraternité Saint Pie X : Illégalité d’un procès – iniquité d’une décision, pp. 4–5, par Ulpianus. Il s’agissait de Mgr Arturio de Iorio, juge au tribunal de la Rota. La lettre par laquelle on supprimait le séminaire avec effet immédiat, en retirant l’autorisation d’existence à la FSSPX, avait été précédée par une convocation informelle à Rome de Mgr Lefebvre face à trois cardinaux pour un simple « échange d’idées », face à une commission informelle (illégale pour diverses raisons, comme le démontrait l’article, si constituée et agissant en tant que tribunal) qui lui avait durement reproché sa déclaration du 21 novembre 1974, en l’accusant de « vouloir faire l’Athanase » (l’évêque qui avait commencé pratiquement seul la lutte contre l’hérésie arienne, au IVe siècle, injustement excommunié par deux fois). La lettre de Mgr Mamie faisait référence à l’autorité de cette « commission cardinalice » pour justifier son action, déclarant agir « en plein accord » avec le Saint Siège, déclaration qui ne démontre pas, en tant que telle, l’existence d’une autorisation spécifique (qui n’a jamais été donnée), conférée dans les formes requises par le droit canon.[↩]
- Si Si No No, cit.[↩]
- Ces détails sur l’institution de la société de vie commune sans vœux proviennent principalement de : A. Bertola, La Constitution de l’Église, cours de droit canon, Turin, 1958, éd. revue et augmentée ; Eichmann-Mörsdorf, Lehrbuch des Kirchenrechts [Manuel de droit canon], 1964, 11e édition, München, Paderborn, Wien, vol. I, 2e et 3e parties.[↩]
- Bertola, op. cit., pp. 240–1.[↩]
- Op. cit., p. 212.[↩]
- Eichmann-Mörsdorf, cit., p.493.[↩]
- Statuts de la Fraternité des Apôtres de Jésus et de Marie ou (selon le titre public) de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.[↩]
- Pour plus de détails sur l’institution de la pia unio, voir : v. Del Giudice, Notions de droit canon, Giuffré, Milan, 1970.[↩]
- Sur ce point : Bernard Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre. Une vie, Clovis 2002, p, 508. S.E. Mgr Tissier de Mallerais, dans cet ouvrage fondamental pour la compréhension de la figure de Mgr Lefebvre, considère comme juridiquement (mais non moralement) légitime la suppression de la FSSPX par Mgr Mamie : « Le 25 avril, en effet, le cardinal Tabera [l’un des membres de la « commission cardinalice » dont nous avons déjà parlé] assure Mgr Mamie qu’il « possède l’autorité nécessaire pour retirer les actes et concessions » de son prédécesseur. C’est bien exact, hélas ! La Fraternité, n’ayant pas même reçu le Nihil obstat de Rome, n’est pas devenue société de droit diocésain, mais en est restée au stade préliminaire de pia unio. L’évêque peut donc la dissoudre (cf. canon 492, § 1–2, et 493) pour une raison grave. Raison grave, la « déclaration » [du 21 novembre 1974, déjà citée] l’est devant les hommes en place, même si elle ne l’est pas devant Dieu ». Voir aussi pp.459–460, où l’on révèle que le recours à la formule de la « pia unio » fut suggéré par des cardinaux amis de Mgr Lefebvre. Ainsi, ajoutons-nous, on évitait de devoir dépendre de l’autorisation préalable du Saint Siège (non requise pour les pieuses unions – c. 708 : sufficit Ordinarii approbatio), au sein duquel Mgr Lefebvre avait des ennemis puissants. Mais l’érection « au titre de pia unio » ne transformait pas la FSSPX en une pia unio, elle ne la faisait pas être quelque chose de différent de ce qu’elle était, elle se limitait à lui coller une étiquette ne correspondant pas au contenu, pour des raisons de prudence et d’opportunité parfaitement compréhensibles, imposées par la situation à quelqu’un qui, dans la Hiérarchie, face à la grave crise dans laquelle se trouvaient les séminaires investis par les « réformes » promues par Vatican II, se préoccupait d’en faire naître un qui soit fidèle à l’enseignement traditionnel.[↩]
- A Rome and Écône Handbook, Q 2.[↩]
- Texte dans Cor Unum, n°30, juin 1988, p. 31.[↩]
- Commentaire du CIC de 1983, par Mgr Pio Vito Pinto, 1985.[↩]