Les origines et la fondation de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X racontées par S.E. Mgr Bernard Tissier de Mallerais, témoin de la première heure et biographe de Mgr Lefebvre. Conférence illustrée donnée le 9 octobre 2010 à Villepreux, lors des 10e journées de la Tradition.
La vidéo (texte en dessous)
Retranscription
Chers amis,
C’est un grand plaisir pour moi de pouvoir m’adresser à vous à l’occasion de ces 40 ans de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Il y a 40 ans en effet, jeune blanc-bec que j’étais, j’entrai au séminaire, j’avais 24 ans, j’étais déjà un peu vieux, mais c’est comme ça.
Je vais m’attacher de vous montrer les circonstances providentielles de la fondation de cette Fraternité, les circonstances qui ont poussé Mgr Lefebvre à faire une œuvre pour le sacerdoce, et vous montrer comment Mgr Lefebvre a réagi à ces circonstances providentielles.
C’est une pré-histoire. Elle commence en 1923 quand le jeune Marcel Lefebvre entre au séminaire français de Rome via Santa Chiara, séminaire dirigé par les Pères du Saint-Esprit, congrégation missionnaire fondée en 1703 par Claude-François Poulart des Places, un jeune séminariste français qui étudiait à Paris, non pas à la Sorbonne infestée de jansénisme et de gallicanisme mais au collège Louis-le-Grand dirigé par les Pères Jésuites par souci d’orthodoxie doctrinale.
Et ce jeune séminariste va fonder une congrégation sous l’invocation du Saint-Esprit et du Très Saint Cœur de Marie pour rassembler les séminaristes pauvres qui n’avaient pas de quoi manger et finalement faire de cette petite congrégation une congrégation missionnaire qui va lancer ses disciples dans les îles, c’est à dire à la Réunion je suppose, ou bien dans les Antilles, et plus tard ce sera le père Libermann au XIXe siècle qui continuera cette congrégation pour lancer ses disciples en Afrique.
Alors Mgr Lefebvre est pénétré de cet esprit missionnaire, néanmoins il n’a pas du tout l’intention de devenir missionnaire, il veut simplement être petit curé de campagne avec son petit troupeau pour lequel il se sanctifie, il se sacrifie, comme le saint Curé d’Ars. C’est son modèle : devenir un petit saint Curé d’Ars, c’est tout.
Il débarque à Rome, et là il est pris dans une ambiance tout à fait extraordinaire, un séminaire comme on n’en voit nulle part en France, un séminaire où on vous lit à table les encycliques des papes, en particulier le syllabus de Pie IX qui condamne les erreurs modernes. Et un séminaire où tout le monde, le règlement et tous les Pères les professeurs vous pénètrent d’enthousiasme pour le règne social du Christ-Roi.
Quel rapport avec le sacerdoce me direz-vous. Eh bien le Père le Floch insiste et affirme que le but intégral du sacerdoce n’est pas seulement la conversion et la sanctification des âmes individuelles mais la transformation des sociétés pour en faire des sociétés chrétiennes.
Voilà un séminaire comme il n’y en avait pas à l’époque.
Et j’ai des témoignages que j’ai cités dans mon bouquin qui a été publié il y a 6 ans, des témoignages des anciens condisciples de Mgr Lefebvre que je vous cite, qui quand le Père le Floch, directeur du séminaire, eut cinquante ans de sacerdoce, écrivirent à leur ancien maître pour le remercier des principes qu’il leur avait donnés au séminaire. Donc ceux qui ont été sur les mêmes bancs de séminaire que Mgr Lefebvre, je les fait parler.
Voilà ce que dit par exemple le chanoine Taillade, directeur du grand séminaire de Perpignan, qui écrit au Père le Floch : « Mon Père j’ai encore l’enthousiasme de mes 18 ans ». Le brave Père Taillade il avait 40 ans déjà, un homme de principes, eh bien il avait encore l’enthousiasme de ses 18 ans, et il dit : « Je vous le dois et à Santa Chiara où j’ai reçu les principes qui font le bonheur de ma vie ». Donc un prêtre qui mettait son bonheur dans les principes.
Un autre Roger Johan, qui deviendra évêque d’Agen, écrit au Père le Floch : « Quelle joie d’avoir été formé à vivre fortement de principes ».
Et un autre, Albert de Saint-Avic qui deviendra moine de Solesmes écrit au Père le Floch : « Vous nous avez enseigné l’amour, le culte même, le culte de la pleine vérité et l’horreur des vérités diminuées ». Voilà.
Et l’abbé Berto qui fondera plus tard un foyer pour orphelins avec ses futures dominicaines du Saint-Esprit en Bretagne, l’abbé Berto qui fut un ami très cher de Mgr Lefebvre, condisciple, écrit ceci : « Comment résumer l’esprit de ce séminaire ? C’était juger les choses, toute l’histoire de l’Eglise comme l’Eglise la juge, à la lumière des papes ».
Et Mgr Lefebvre était rempli d’admiration pour les papes, qui non seulement avaient gouverné l’église mais qui avait maintenu l’Eglise dans la pureté doctrinale. On apprenait dans ce séminaire à aimer les papes dans l’exercice de leur fonction doctrinale, et donc de combattre le libéralisme, c’est à dire ceux qui mettent sur le même pied d’égalité la vérité et l’erreur, la vertu et le vice. On leur apprenait donc à travailler pour la vérité du Christ et de l’Eglise.
Et Mgr Lefebvre, Marcel Lefebvre sort de son séminaire tout feu tout flamme pour combattre le libéralisme – oui – et il est nommé deuxième vicaire d’une paroisse ouvrière. Ce n’est pas du tout, évidemment, ce à quoi il était préparé. Pas question de lutter contre le libéralisme dans cette paroisse ouvrière, il fallait convertir des communistes, changement de programme.
Et bien pendant cette année, pendant une année de vicariat, il trouve le moyen de rétablir la procession du Saint-Sacrement qui avait été abolie par peur des communistes. Il va sortir avec Jésus-Hostie publiquement pour proclamer la royauté sociale de Jésus-Christ dans la rue. Que Notre-Seigneur ne règne pas seulement dans les sacristies ou dans le fond obscur des églises, mais publiquement dans la rue.
Voilà, nous découvrons le jeune Marcel Lefebvre rempli de ce zèle pour le règne de Jésus-Christ, qui a bien compris son sacerdoce.
Et il redonne courage à son curé qui était un petit peu timoré, qui se disait « que vont faire les communistes ».
- « Monsieur le curé, allons‑y ! » et pendant la procession : Pan ! Un coup de feu, Ouh ! Le curé sursaute avec le Saint-Sacrement, et le Père Marcel sourit : « Ce n’était qu’un pétard lancé par un paroissien enthousiaste ». Voilà.
Alors le brave vicaire écrit à sa maman : « Maman, je ne serai jamais plus heureux qu’ici ». Il était heureux, il était aux anges. C’était idéal pour lui. Pratiquement, c’est lui qui dirigeait un peu la paroisse. Il y avait un premier vicaire qui s’occupait de l’action catholique. Le curé laissait un peu faire. L’abbé Marcel était vraiment, était un peu en train de prendre en main une paroisse, ce qu’il rêvait.
Qu’est ce qu’il va se passer ? Catastrophe, changement de programme. Son frère René, broussard au Gabon, missionnaire du Saint-Esprit, lui écrit lettres sur lettres : « Marcel, qu’est ce que tu fais encore en France, tu n’as rien à faire, viens au secours en Afrique, nous convertissons les païens, nous avons des baptêmes, nous baptisons des païens, viens au secours, nous n’arrivons plus ».
Et bien l’abbé Marcel Lefebvre va se laisser entrainer par son frère. Il le dira : « C’est mon frère qui m’a entraîné, je ne voulais pas être missionnaire, c’est mon frère qui m’a entrainé ». C’est pas les éléphants ou les léopards ou les girafes ou ces bestioles-là qui l’ont attiré, c’est l’exemple de son frère. Vivre une vie plus donnée, plus sacrifiée, plus renoncée, plus utile, plus utile.
Et il suit, il suit ce que la providence lui dit par la bouche ou la plume de son frère, suivre la providence, voilà.
Et il entre au noviciat des Pères du Saint-Esprit, il reçoit la permission du père Liénart qui n’était pas du tout contre les vocations missionnaires, bien qu’il fût libéral néanmoins il favorisait les missions.
Et donc l’abbé Marcel Lefebvre devient le Père Marcel qui débarque au Gabon un beau jour de novembre 1932, nommé s’il vous plaît professeur de séminaire. Ouh la la ! Il avait mal à tête rien que d’y penser. Il ne voulait surtout pas être professeur de séminaire, il voulait être en brousse directement avec les africains.
Mais Mgr Tardy lui a dit : « Ecoutez Père Marcel, puisque vous êtes docteur en philosophie et en théologie de la grégorienne s’il vous plaît, je vous nomme professeur à mon séminaire ». Voilà, et puis il n’y avait pas de discussions.
Et à deux, deux prêtres, lui et le Père Berger bientôt, eh bien, ils vont donner tous les cours du petit et du grand séminaires. C’est comme si deux prêtres, deux professeurs donnaient les cours de tout un collège, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Ils se débrouillent.
Mais au bout de six ans de ce régime-là il est épuisé, il dit à son évêque : « Monseigneur, je vous prie, permettez-moi de prendre une petite vacance, je n’en peux plus, je suis épuisé ».
Alors Mgr Tardy lui dit, avec un petit sourire, quand même, gentiment, mais écoutez on faisait pas de cadeau à ce moment-là, c’était l’évêque et il était obéi : « Puisque vous êtes fatigué, allez vous reposer en brousse ». Toc, comme ça. Et il n’attendait que ça le Père Marcel. Quelle joie ! Enfin ! Finis les bouquins, il met tous ses bouquins dans une caisse et ils sont restés au séminaire. Saint Thomas, la somme de Saint Thomas, tout ça dans une caisse, on n’en parle plus. Maintenant l’apostolat direct. Mais saint Thomas dans la tête … attention hein !
Et le voilà donc nommé à Ndjolé puis ensuite à Donguila, et à Libreville encore, et puis finalement à Lambaréné. Quatre étapes.
Et pendant donc douze ans, ou treize ans encore, il va être en brousse avec ses africains. Son travail se résume eh bien à diriger une mission c’est à dire tous les travaux matériels. Tout le souci de la comptabilité, des denrées alimentaires, des réserves à faire, on va pêcher dans les grands lacs pour faire des tonneaux de poissons qu’on va garder pour l’hiver, il faut bien vivre.
Et puis les cultures, les cultures vivrières, les cultures pour manger chaque jour, et les cultures industrielles pour gagner de l’argent, tout ça, il organise ces choses-là.
Ensuite, il organise bien le programme des Pères avec les Frères et puis les Sœurs, séparés, qu’il y ait bien la clôture, on respecte bien tout. Ensuite les cours à donner. Il y a les écoles, bien sûr. Dans chaque station il y a des grandes écoles, écoles secondaires, primaires et secondaires, dans lesquelles l’élite du Gabon est formée. A côté des écoles de brousse qu’il visite trois fois par an ou deux fois par an, alors il y a les grandes écoles des stations d’où viennent les meilleurs élèves des écoles de brousse pour acquérir les connaissances nécessaires pour avoir un métier ou quelquefois écouter l’appel du Seigneur et devenir prêtre, ou frère ou religieux ou religieuse.
Et donc il a tout ça à faire spécialement les tournées, les tournées de stations, vérifier le travail des catéchistes, ensuite écouter les confessions pour des séances interminables, célébrer la Sainte Messe, prêcher, baptiser, marier, autant que possible, voilà.
Un jour, on l’appelle pour donner une extrême-onction, alors il prend la pirogue, quatre heures de route, pas de route mais de fleuve. Arrivé au port, le brave mourant accueille le Père Marcel au débarcadère les bras ouverts : « Ah Père Marcel, je voulais justement vous parler ». Il a fait venir le Père Marcel simplement pour lui parler, il n’était pas du tout mourant.
C’est pour vous dire que ce travail amenait des surprises.
Et il est heureux là-bas, il est venu là-bas, il se donne à fond à son travail et il prêche la dernière retraite en 1938 aux futurs prêtres dont Mgr N’Dong qui est devenu évêque d’Oyem, un futur évêque parmi les retraitants, avant leur ordination sacerdotale.
Il prêche la retraite et il leur dit ceci : « Messieurs », à des africains, s’il vous plaît, ces jeunes gens qui viennent de sortir de leur brousse, voilà ce qu’il leur dit : « Chers amis, deux principes, premièrement, il faut avant tout aimer la Vérité, y voir vraiment le salut des âmes. Il essaie de leur inculquer les principes, ce qu’il a reçu au séminaire. Il faut avant tout aimer la Vérité, la Vérité de l’Eglise, la Vérité de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, puis la Vérité sur les vertus et sur le péché, avant tout aimer la Vérité parce qu’il n’y a que ça qui fait du bien, il n’y a que la Vérité qui fasse du bien, il n’y a que la Vérité qui sauve.
Et deuxièmement, deuxième principe, chers amis, n’ayez pas d’idées personnelles mais les principes de Jésus-Christ et de l’Eglise, c’est ça la vraie Charité. N’ayez pas des principes personnels mais les principes de l’Eglise et c’est ça qui va diriger toute sa vie, il va être mené par les principes de l’Eglise, Mgr Lefebvre, pas par une idée personnelle. Voilà.
Alors il leur apprend des choses solides et sérieuses à ses africains, et en 1945 juste à la fin de la guerre, une pirogue avec quelqu’un debout tenant une lettre en main s’approche du Père Marcel qui était en train de faire la tournée sur les lacs près de Lambaréné : « Père Marcel voilà un pli pour vous qui vient d’arriver de la mission, de la station de Lambaréné ». Il ouvre, c’est l’écriture du Père supérieur des Pères du Saint-Esprit Mgr Le Hunsec : « Le supérieur général des Pères du Saint-Esprit aimerait bien que le Père Lefebvre revînt en France, il a l’intention de le nommer supérieur de notre scolasticat de philosophie de Mortain. Scolasticat, ouh ! Enseigner … philosophie, ouh ! Mortain ! Qu’est-ce que c’est que ça ! Un trou perdu. Voilà, et quitter l’Afrique.
Quand un missionnaire veut quitter l’Afrique, c’est fini. Il verse quelques larmes, nous a‑t-il raconté, puis il a obéi, sans état d’âme. Il nous a dit : « On quitte ce qu’on faisait, sans trop de chagrin – c’est pas tout à fait vrai – et on se donne tout entier au nouveau travail. Quel exemple !
Et il arrive à Mortain où là il n’y a rien d’intéressant à faire. C’est une maison sinistre quand vous voyez ça, une maison haute, de granit grisâtre et noirâtre, sinistre. Il y a juste le petit cloître gothique qui est joli. Et là il faut tout refaire, les vitres il n’y en a plus, le toit est percé par des bombes, la maison est pleine des vieillards réfugiés de la ville qui a été détruite en cendres, avec les séminaristes de philosophie qui sont cent vingt, qui reviennent de la guerre, une bonne partie sont des soldats, qui reviennent soit des troupes de Leclerc, soit du front de l’Est, le front de l’Est vous devinez comment. Voilà. Il faut réaccorder tout ce monde-là ensemble, vous vous rendez compte. Alors, et en plus il fait froid, il n’y avait rien pour se chauffer.
Alors le Père Marcel dit : « Messieurs, bientôt vous aurez une deuxième couverture. Bientôt vous aurez une table pour deux pour faire votre débarbouillage le matin ». De toute façon, ils se laissaient pousser la barbe ces jeunes gens, alors c’est pas compliqué. « Bientôt vous aurez une armoire pour mettre vos vêtements ». C’est vous dire qu’est ce qu’il y avait dans cette maison.
Et il réussit à reconstruire cette maison. Ensuite, eh bien, tous les matins après la messe il prend sa voiture. Non pas sa voiture, la voiture de son père, mort en déportation à Sonnenburg, en Pologne maintenant, déporté parce que vrai résistant. Et on sait, voiture que Marcel a transformée en camionnette, et avec cette camionnette il parcourt la campagne normande pour ramasser du lait, du beurre, la viande, la farine, les pommes, et du camembert.
Et il s’ouvre la reconnaissance éternelle de ses séminaristes, qui m’ont dit, lorsque je les ai rencontrés, les anciens de Mortain, ils m’ont dit : « Ecoutez nous avons eu froid cette année mais ce n’est pas de sa faute. Nous n’avons pas eu faim, il nous a nourris. Il se retroussait les manches. Il mettait la main à la pâte, on sentait qu’il nous aimait. Moi j’ai aimé cet homme ». Voilà les témoignages des anciens de Mortain. Et avec çà, il y avait un courant qui passait, avec ces soldats, oh quelquefois il laissait passer quelques cigarettes, c’était absolument strictement interdit par le règlement du séminaire, mais à ces anciens soldats, il laissait passer quelquefois des cigarettes.
Le courant passait, et avec ça les principes passaient. Il pouvait leur enseigner quoi donc, je les ai interrogés, qu’est ce qu’il vous racontait le Père Marcel : « Oh ! Le Père Marcel, c’était saint Thomas, saint Thomas, saint Thomas ». Voilà. Saint Thomas d’Aquin, la somme de saint Thomas, les vertus, tout. Comme il nous a fait à Ecône. Et alors, ils disaient : « C’était un peu pénible mais on l’écoutait quant même ». On l’écoutait quand même. Ces jeunes gens, un peu rebelles, regardez un petit peu les circonstances, trouvaient ça un peu pénible, parce que c’est vrai, monseigneur Lefebvre n’est pas un orateur enthousiasmant, sauf dans les sermons, mais en conférence spirituelle, il nous le disait lui-même, j’ai la réputation d’être un peu endormant, bon, c’était un peu vrai, mais enfin c’était toujours intéressant.
Et eux, les séminaristes « on l’écoutait ». Voilà. Ils prenaient goût, les séminaristes, à saint Thomas. Il arrivait à leur faire goûter saint Thomas d’Aquin, et c’est ce qu’il nous faisait aussi à Ecône plus tard.
Alors, voilà, vous comprenez, on arrive bien à comprendre cet homme, cet homme pénétré des principes de la doctrine solide du séminaire français formé au père le Floch, au combat contre le libéralisme, et le voila qui met la main à la pâte, qui repeint la façade du séminaire, qui remet des vitres, qui met du mastic aux vitres, qui grimpe à l’échelle. Quelquefois, les visiteurs demandent : « On voudrait parler au supérieur », « Attendez on va voir ». Il descend de l’échelle, il va dans sa chambre, il se change. Le supérieur c’est lui, c’est le même.
Donc un homme si vous voulez tout simple, généreux, donné, et la force des principes, et la bonté et la charité
Voilà le Père Marcel Lefebvre.
Père Marcel qui va devenir évêque. Un beau jour un coup de téléphone change son orientation, il est nommé par le pape Pie XII : vicaire apostolique de Dakar. Retour en Afrique, quelle joie ! Oui seulement Dakar, Dakar, c’est le Sahara pratiquement, et puis l’Islam. Il ne connaît personne en plus, il doit obéir.
Et la première chose qu’il fait, c’est visiter son diocèse, être sacré évêque évidemment, visiter son diocèse, visiter les Pères, les Sœurs, les Frères, voir ce qu’il faut faire, puis se fixer des objectifs. Et les anciens de Dakar m’ont dit : « Il s’est fixé des objectifs, cinq ou six, bien précis dans sa tête, qu’il a accomplis ».
Premier objectif, c’est l’essentiel, la reconquête du Sine c’est à dire, il fallait recommencer la mission parce que pendant la guerre la mission était en train de s’effilocher, il n’avait pas les moyens peut-être à leur redonner le zèle à ses Pères missionnaires pour reconquérir le pays païen du Sine, pour les gagner au christianisme, faire quelque chose pour ces païens afin qu’ils ne soient pas conquis par l’islam qui descend du nord, et qui menace, eh bien, les quelques stations catholiques des missionnaires. Et grâce au zèle de ces missionnaires, il va pouvoir conquérir le Sine.
Et deuxième objectif, eh bien, établir un couvent de contemplatifs, et ce sera le carmel de Sebikotane. Il va faire venir des carmélites de Cholet, les établir près de Dakar à Sebikotane, petit oasis près de Dakar, où il va leur bâtir un carmel.
Il est nommé délégué apostolique du pape pour tous les pays français d’Afrique mais il dit « priorité aux carmélites ». « Il pleut dans ma chambre ». Il n’a pas moyen de refaire son toit, mais « les 50 000 francs que j’ai reçus de France pour ma délégation apostolique je les donne aux carmélites », et 50 000 francs de cette époque c’était bien. Il fait construire le carmel de Sebikotane pour ses carmélites, voilà. Priorité aux contemplatives pour obtenir par leurs prières des grâces pour ses missionnaires, priorité du spirituel, voilà. Quel exemple.
Alors, il est à Dakar, il est tellement actif que le pape pie XII content de lui le nomme donc deux ans après, délégué apostolique. Il doit visiter toute l’Afrique, nommer des évêques, faire de nouveaux diocèses, aller à Madagascar en particulier, et partout, et au Maroc aussi. Et puis voir Pie XII tous les ans, à Rome. Une fois par an. Il voit le pape Pie XII (Voir la photo ci-dessus), ce grand pape, il nous a dit : « Entre moi et lui, il y a eu un courant de sympathie, non pas d’amitié parce que Pie XII était si grand, si élevé, un peu intimidant, mais un courant de sympathie s’établit entre nous deux, une compréhension.
Le Père Marcel insiste : « Très saint Père, il y aura toujours besoin de la mission en Afrique, ne nous faisons pas d’illusions, le clergé africain ne se suffira pas à lui-même, il y aura toujours besoin de missionnaires ».
Est ce que ces principes plaisent à Rome ? Pie XII les entend, mais ces principes ne plaisent pas à Rome.
Et quand Jean XXIII monte sur le trône, Marcel Lefebvre est chassé d’Afrique. Voilà. Nous comprenons les choses maintenant. Premièrement il n’est plus délégué apostolique, en 1959, et trois ans après, deux ans et demi après, il n’est plus archevêque de Dakar, il doit rentrer en France.
Il accepte tout cela. Apprenant qu’il n’était plus délégué apostolique, il était de visite chez son frère à Bayonne, il reçoit la grande lettre armoriée du Saint-Siège que lui présente son frère Joseph. Il dit :« Bon je vais lire ça chez moi ». Il monte dans sa chambre. Il ouvre et il voit que Jean XXIII lui dit : « Puisque vous avez exprimé le désir de vous dégager de la délégation apostolique et de rester archevêque de Dakar, eh bien, nous avons accéder à votre désir, cher monseigneur, et nous vous laissons l’archevêché de Dakar. » Mgr Lefebvre n’avait rien demandé, bien sûr. Il descend, et dit à son frère Joseph : « Bon, maintenant c’est simple, je ne suis plus délégué apostolique ». Et puis c’est tout. Il avait surmonté le coup de l’émotion, puis accepté la décision du pape, avec grande obéissance.
Il connaissait Jean XXIII, il connaissait les faiblesses de ce pape, néanmoins c’était le pape. Obéissance.
Et alors donc vient la belle époque des six mois de Tulle où il a passé en tout et pour tout trente jours dans ce petit diocèse bien pauvre mais où le clergé était encore fidèle et zélé et fervent, mais un clergé un peu déprimé à cause du manque de vocations, où les séminaristes étaient dispersés dans les séminaires à droite et à gauche. Les séminaires avaient été fermés, il n’y avait plus assez de séminaristes.
Alors Mgr Lefebvre a dit : « On va remettre le séminaire et pour cela il faut faire des collèges secondaires, on va multiplier les collèges secondaires, et je ferai venir des curés de Vendée, de mon ami Monseigneur, je ne sais plus comment il s’appelle l’évêque de Vendée, pour faire des vicaires instituteurs dans les écoles secondaires de paroisse, et puis nous allons former de nouveaux collèges secondaires, un à Brive par exemple ». Il avait des idées. Et si il était resté évêque de Tulle, il aurait réalisé ces buts, il aurait remonté son séminaire, et son diocèse.
Grâce aux écoles, revenant d’Afrique, il avait compris l’importance des écoles. Arrivé à Tulle, il applique ces principes. Il nous faut des écoles catholiques, voilà, pour remonter mon séminaire, et pour faire des familles catholiques, pour remonter une chrétienté.
Mais Jean XXIII qui voulait le laisser à Tulle ne peut pas puisque ses confrères les pères du Saint-Esprit l’élisent en automne 1962 supérieur général des Pères du Saint-Esprit. Donc il quitte Tulle il arrive à Paris. Deux choses importantes : A Tulle et à Paris.
A Tulle il écrit à Jean Ousset, fondateur de la Cité Catholique. Cette association de laïcs catholiques, hommes qui veulent reconstruire une société catholique selon les principes des papes, le règne social et politique de Jésus-Christ.
L’épiscopat français libéral a condamné la société catholique comme d’extrême droite, des calomnies stupides, Mgr Lefebvre monte au créneau et publiquement défend Jean Ousset et sa Cité Catholique.
Et ça, pour les catholiques, rassasiés de la veulerie de l’épiscopat complices du FLN à ce moment-là, fin de la guerre d’Algérie, vous vous souvenez, eh bien, c’est un signe de ralliement pour tous les vrais catholiques.
Et deuxième chose, arrivé chez les pères du Saint-Esprit comme supérieur général, il écrit une lettre, pratiquement sa première lettre sur le port de la soutane. « Pas de théorie. Messieurs portez votre habit religieux. D’abord ». D’abord des actes. Voilà. Votre soutane est un habit religieux, je demande que chaque missionnaire porte sa soutane, comme une profession de foi dans son sacerdoce, et c’est le meilleur moyen de faire de l’apostolat, comme il nous dira à Ecône : « Votre soutane c’est le meilleur outil d’apostolat parce que ça attire les yeux et ça ouvre les cœurs ».
Voilà, et cette lettre est publiée dans les journaux quotidiens : « Lettre de Mgr Lefebvre sur le port de la soutane », alors que les évêques viennent de décider le clergyman.
Alors son cousin, l’archevêque de Bourges Mgr Lefebvre, son cousin, lui écrit : « Monseigneur, il est très désagréable que vous vous désolidarisiez de notre décision prise à notre assemblée des cardinaux et archevêques, etc ».
Monseigneur, peu lui chaut l’avis de son beau cousin de Bourges, ce qu’il veut, c’est que ses missionnaires portent leur habit religieux, sa soutane.
Alors tous les catholiques voient ça : « Enfin un évêque catholique ». Voilà. Et tous se précipitent pour présenter leur fils : « Voilà, Monseigneur, notre fils, il veut devenir prêtre, quel séminaire nous conseillez-vous ? » Ah, bien embarrassé, alors il y a des tas de familles qui viennent, les unes après les autres, rue Lhomond à Paris.
« Bien écoutez, je n’en connais qu’un, c’est mon séminaire à Rome, j’espère au moins qu’on a gardé les bonnes traditions du Père le Floch ». Il espérait.
Il va envoyer pratiquement vingt séminaristes les années passant, il vont arriver à vingt séminaristes traditionnalistes, dans un séminaire moderniste hélas, parce qu’entre temps le séminaire de Rome était devenu moderniste, avec des bons Pères qui revenaient de mission. Le père Barré c’était un bon Père, plein de doctrine, mais faible. Ensuite celui qui avait démissionné, Diego Suarez à Madagascar, un bon missionnaire mais pas fait pour ça, pas fait pour diriger un séminaire, surtout en pleine tempête du concile qui commence, quand les évêques français viennent visiter le séminaire et raconter tout ce qui se passe dans la basilique vaticane.
C’est la pagaille.
Alors ces vingt séminaristes, un beau jour, on leur dit : « Messieurs vous êtes refusés aux ordres, vous ne deviendrez pas prêtres ». Ils n’ont plus qu’à partir. Alors Mgr Lefebvre doit chercher des solutions de rechange, et c’est là qu’il trouve Fribourg. Je saute les étapes. Fribourg, parce que l’université dirigée par les Pères Dominicains est encore bonne. Alors c’est très bien, je vais envoyer ces séminaristes, quelques uns, à Fribourg, je leur trouverai un foyer d’étudiants, se dit-il, et puis ils iront suivre les cours à l’université, et puis après, eh bien, je leur trouverai un évêque pour les ordonner, ou bien ils seront ordonnés par leur évêque diocésain. Voilà, une solution, n’est ce pas, solution pratique, facile.
Mais telle n’est pas la volonté de Dieu.
Alors il arrive en 1968, il essaie de rétablir la situation dans sa congrégation du Saint-Esprit, il n’y arrive pas, c’est la rébellion ouverte. Au Pays-Bas, les novices à la fin du noviciat refusent de faire les vœux. Voilà, c’est terminé, c’est la fin de la congrégation. Ils refusent de prendre les vœux. Ils ne peuvent pas être religieux, ils ne peuvent pas être missionnaires, c’est terminé. Donc Mgr Lefebvre n’a plus que partir. Qu’est ce que vous voulez faire. Et donc pendant le chapitre général spécial de 1968, il donne sa démission, il est libre.
Il a l’âge de la retraite, il pourrait se la couler douce, et dire maintenant j’ai bien travaillé. Je me repose, je reste à Rome tranquillement, j’ai juste de quoi manger, j’ai une petite fonction au Saint-Siège : je m’occupe des catéchismes en Afrique. C’est tout.
Je reçois une petite rétribution de 90 000 lires par mois, ce qui me permet de louer un petit appartement chez les sœurs lithuaniennes, de manger et de survivre. Voilà j’ai tout ce qu’il me faut, je me retire. Voilà ce qu’il pourrait faire. Qu’est ce que vous feriez à son âge, à l’âge de la retraite. Prendre sa retraite ?
Et c’est là qu’il y a encore la Providence qui intervient, à savoir le professeur Bernard Faÿ, chose extraordinaire parce que c’est un professeur, il a eu des tas d’histoires pendant la guerre – je ne vais pas insister là-dessus – mais bref, il s’est fait très mal voir par les francs-maçons et par le général de Gaulle si bien qu’il a été emprisonné, embastillé, il s’échappe miraculeusement, enfin, il organise son évasion, il se réfugie en Suisse. Et le professeur Faÿ, spécialiste de la franc-maçonnerie connaissait Mgr Lefebvre, je ne sais pas pourquoi, ils s’estimaient mutuellement.
Alors le professeur invite Mgr Lefebvre à Fribourg : « Venez voir Mgr, je fais une petite réunion avec le Père Abbé d’Hauterive un ami, dom Bernard Kaul, et puis le père Marie-Dominique Philippe, dominicain, professeur de philosophie à l’université de Fribourg. « Ils ont quelque chose à vous dire, Mgr. On va vous dire quelque chose, Mgr, pendant cette réunion ».
Monseigneur vient, il y avait deux séminaristes de Rome, qui étaient témoins, ils étaient en vacances, ils étaient là, c’était le 6 juin 1969. Et là ça se passe mal, ces messieurs prennent Mgr Lefebvre au collet : « Mgr, voyez ces séminaristes, faites quelque chose pour eux ».
- « Je les ai mis dans un foyer d’étudiants, ils ont les cours .. »
- « Non, Monseigneur, il faut faire un séminaire pour eux ».
Ah, un séminaire, c’est qu’il y pensait, bien sûr, à faire un séminaire, mais : « Faire un séminaire à mon âge. Créer quelque chose à mon âge, à l’âge de la retraite, qui ne va pas marcher. »
« Mgr faites quelque chose ». Et le père Philippe dit : « Mgr je vous en trouve des vocations à l’université » « Bon » dit Mgr Lefebvre, pris à la gorge, acculé un peu devant ces encouragements imprévus venant d’un laïc, d’un Père Abbé et puis d’un Père Dominicain. Voilà. Ce sont eux qui l’ont poussé. Il dit bien : « Eh bien, après-demain, je verrai avec Mgr Charrière, évêque de Fribourg, et s’il me donne la permission, je ferai quelque chose ».
Accueilli les bras ouverts à l’évêché de Fribourg par son ami Mgr Charrière, ami depuis l’Afrique, puisque Mgr Charrière a aidé les missions par la générosité des catholiques suisses, spécialement fribourgeois, de là leur amitié, Mgr Charrière lui dit : « Monseigneur, faites votre séminaire dans mon diocèse, pas de problème, je vous encourage au contraire, regardez mon pauvre séminaire dans quel état il est mon pauvre séminaire, ouvrez votre maison, faites venir vos séminaristes, choisissez une maison. Ah, voilà, monseigneur Lefebvre voit là la Providence, les encouragements de ses amis, l’accueil de l’évêque, l’encouragement de son ami évêque, c’est ce qu’il fallait, il fallait que cette œuvre soit une œuvre d’Eglise, donc il fallait la permission et l’encouragement d’un évêque local.
Il loue deux appartements au foyer Dom Bosco, route de Marly, et nous écrit à nous autres qui attendions, moi en particulier. Je l’avais vu deux ans auparavant dans son grand bureau rue Lhomond, présenté à Mgr Lefebvre par un de ses condisciples de Rome, prêtre, et j’avais admiré, disons cet homme simple et pourtant imposant, derrière son grand bureau, supérieur général de congrégation missionnaire, qui me disait : « Oui j’ai l’intention de fonder un séminaire international, je vous appellerai, je vous ferai signe ». Voilà.
Et le 13 octobre 1969 fête de Notre-Dame de Fatima des apparitions de la Sainte Vierge, 13 octobre 1969 donc, j’étais là à la gare de Fribourg, je prenais un taxi, et j’arrivais au foyer Dom Bosco, c’est un séminariste en soutane qui m’accueillait, Paul Aulagnier, il me faisait monter dans le bureau modeste de monseigneur Lefebvre :
- « Cher ami, bienvenu ».
- « Où est le directeur ?» demandè-je à Paul Aulagnier.
- « Mais c’est Monseigneur »
- « Ah c’est bien »
- « Et nos professeurs ?»
- « Mais c’est Monseigneur »
Monseigneur Lefebvre était seul, seul prêtre pour commencer un séminaire. Au dernier moment, le prêtre qui lui avait promis sa collaboration, un bon prêtre, je ne le critique pas, le cœur lui avait manqué, il avait écrit à monseigneur : « Monseigneur, j’hésite ». Alors Monseigneur lui répond :
- « Cher Père, si vous hésitez, je vous en prie, ne venez pas ». Voilà, mais c’est un bon prêtre que je respecte, qui est maintenant près du Bon Dieu, qui nous a aidé beaucoup du reste.
Alors il est tout seul, et nous avons les cours à l’université, puis nous rentrons chaque soir, et là monseigneur Lefebvre commence à nous enseigner la vie spirituelle dans des conférences spirituelles, à nous apprendre des choses que je ne connaissais pas à ma honte – je vais vous montrer ce que je ne connaissais pas, ça. Je ne connaissais pas ça, j’avais reçu un chapelet à ma première communion mais je ne savais pas comment m’en servir. Ca vous choque ? C’est comme ça, tous les neuf nous étions des blancs-becs, de bonne volonté quand même.
Il nous apprend des choses élémentaires sur la vie spirituelle.
Et puis ensuite il y a le repas pris en commun, où nous étions les neuf avec monseigneur Lefebvre à la même table. Puis le dimanche soir, comme il n’y avait pas de cuisinier, il n’y avait pas la cuisinière, c’est nous qui faisions la vaisselle et Monseigneur Lefebvre se retroussait les manches et venait essuyer les plats avec nous. Voilà, et dans la cour du séminaire à la récréation, se passait entre deux rangs, ceux qui avancent, et puis ceux qui reculent, quatre contre quatre, monseigneur avec nous, on faisait les cent pas comme ça, un rang qui avance, un rang qui recule, dans la cour du foyer Dom Bosco avec Monseigneur Lefebvre, l’intimité dans laquelle nous avons été introduits auprès de lui. Lui, délégué apostolique de Pie XII, archevêque de Dakar, supérieur de 5 000 missionnaires, nous ne comprenions pas ce qu’il avait été, il était si simple.
Et aussitôt première visite, première sortie de dimanche, Notre-Dame de Bourguillon, le pèlerinage marial fribourgeois à Notre-Dame de Bourguillon gardienne de la Foi, où c’est comme une consécration de notre séminaire à la sainte Vierge, gardienne de la Foi, celle qui avait protégé Fribourg des bernois et des protestants, qui avait sauvé l’Eglise catholique à Fribourg, procession que le gouvernement fribourgeois, s’il vous plaît, pas les prêtres, pas l’évêque qui avait été chassé, l’évêque de Lausanne avait été chassé de son diocèse, mais pas les prêtres qui avaient peur, dont certains devenaient pasteurs, ce sont les fidèles, le gouvernement fribourgeois qui organisait les processions à Notre-Dame de Bourguillon pour sauver la ville et l’état de Fribourg.
Alors là nous allons nous donner à la sainte Vierge, pour garder la Foi.
Et puis première conférence spirituelle presqu’un mois après : « Chers amis, une petite vue sur l’avenir, vous voyez, est-ce que nous allons nous disperser dans les diocèses après votre ordination, ne serait-il pas mieux de rester ensemble, pour travailler plus efficacement ensemble, et protéger aussi votre sacerdoce contre l’atmosphère délétère des diocèses.
Et nous autres nous ne savions pas trop, nous disions : « Monseigneur, peut-être ». Alors il était un peu dépité de cette réponse évasive de ses séminaristes, ses troupes d’élite que nous étions censés être. On n’était pas très enthousiaste, on ne comprenait pas bien la situation.
Alors il a eu un moment de faiblesse chez Mgr Lefebvre. Il va en Valais, va voir Mgr Adam, son cher ami du concile, évêque de Sion, pour lui demander : « Vous pourriez pas mettre à ma disposition une maison en Valais, que les chevaliers de Notre-Dame seraient prêts à nous prêter ? » « Oui dit Mgr Adam, mais vous savez uniquement pour votre année préparatoire », pas très chaud, « pour l’année de spiritualité, pas plus ».
Alors Mgr Lefebvre rentre à Fribourg un soir, un peu dépité, et même verse quelques larmes.
Puis il nous réunit le lendemain je pense, conférence spirituelle, j’ai gardé ça dans mes papiers, c’était vers mai 1970, mai mille neuf cent septante comme on dit, et là il nous dit : « Mes chers amis, vous voyez, vous n’êtes plus que quatre ou cinq maintenant, de neuf que nous étions au début, vous n’êtes plus que cinq ou quatre je crois, alors je crois que l’expérience n’est pas très réussie. Je pense à vous mettre au salesianum ». C’était un foyer d’étudiants. « Vous continuerez vos études, et puis je vous trouverai des évêques pour vous ordonner ».
Alors voilà, vous voyez, la faiblesse, un moment de faiblesse.
Alors, eh bien, nous avons dit : « Monseigneur, on reste avec vous, voilà, monseigneur, on a confiance en vous, nous avons commencé avec vous ». Alors ça l’a remonté, voilà, vous voyez, ça l’a remonté.
Nous, nous ne voyions pas le problème, nous avions commencé avec monseigneur, on continuait avec lui, pas de problème, qu’est ce que c’est que ça le salesianum, monseigneur enfin, c’est pas un séminaire ça.
« Mgr on reste avec vous ». Alors ça, ça l’a remonté. Et puis aussi l’annonce que des séminaristes arrivaient pour l’année suivante. Alors il nous disait, il se disait : « Très bien, je fais ce séminaire, je vais maintenant faire cette Fraternité, et il faut recevoir l’approbation de l’évêque. C’est de rester ensemble, faire une Fraternité Sacerdotale, je dois obtenir l’approbation de monseigneur Charrière ».
Et pendant tout l’été septante, il téléphone sans cesse et rien ne venait. Au mois d’octobre, il téléphone, novembre :
« Alors Mgr, et mes statuts, mes constitutions de la Fraternité, vous avez lu ? »
- « Oui, en effet, venez, venez, je vais signer tout ça«
Monseigneur arrive.
- « Donnez-moi ce papier, c’est très bien«
C’était un brouillon d’approbation de la Fraternité.
- « Très bien Monseigneur, je vais faire taper ça par mon secrétaire et je vais le signer »
Monseigneur va vite prier à la chapelle : « Pourvu que ça marche ! »
Et puis quand il revient de la chapelle, le papier est là : « Décret d’érection de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X », signé François Charrière avec le cachet.
Il était à la fin de son épiscopat, il allait démissionner, il s’est dit : « Il faut que je fasse quelque chose pour monseigneur Lefebvre, je ne peux pas le laisser en plan comme ça, je dois faire quelque chose pour lui, j’approuve les statuts ».
C’était la naissance de la Fraternité, in extremis.
Et nous ne revenions pas, arrivés de l’université, nous regardions : « Mais oui, c’est bien en ordre, ils nous avaient acceptés, l’Eglise nous avait enfantés ce jour-là. »
Les statuts de la Fraternité, vous ne les lisez pas, eh bien je vais vous lire quelque chose parce que c’est très beau. C’est un petit compendium de spiritualité sacerdotale, en quelques articles très brefs, pleins de richesse doctrinale, de quoi méditer, mais tout simples.
Si vous regardez par exemple les vertus des prêtres de la Fraternité, les vertus que nous devons pratiquer : « Alimentée par cette prière intérieure constante, la charité envers le prochain se manifestera dans toute la vie apostolique des membres de la Fraternité. » Regardez cette expression : « Alimentée, donc la charité apostolique, alimentée par cette prière intérieure constante ». Qu’est ce que c’est que ça, ça existe ça ? Une prière intérieure constante ? C’est bon pour les contemplatifs, c’est bon pour les carmélites ? C’est pour ses prêtres. Voilà ce qu’il veut pour ses prêtres : la prière intérieure constante qui alimente le zèle apostolique. Et alors qu’est ce que c’est le zèle apostolique : « Avide du désir de sauver les âmes, ils accepteront avec joie toutes les contradictions, humiliations, épreuves, à la suite de Notre-Seigneur. »
C’est ce qu’il va avoir, lui, il va être rassasié d’épreuves et d’opprobres. Quand Paul VI va le convoquer à Rome, il va obtenir cette fameuse audience de Paul VI, où Paul VI va l’accuser de choses très vilaines. Et quand ensuite il va voir sa Fraternité supprimée, par le Saint-Siège, quand il va se voir suspens a divinis. Et ensuite après l’acte héroïque des sacres épiscopaux dont je ne fais pas l’apologie, bien sûr c’est pas à moi à le faire, il va être soi-disant excommunié, n’est ce pas cela ? : « Il accepteront avec joie toutes les contradictions, humiliations, épreuves, à la suite de Notre-Seigneur. Comme Lui, Jésus, ils gagneront les âmes par l’humilité, la douceur, la discrétion, la magnanimité. »
Et puis ensuite vous avez le règlement des séminaires qu’il a écrit aussi pour nous à Fribourg, règlement du séminaire qui est aussi un compendium, un petit trésor de spiritualité.
Mes chers anciens d’Ecône, qui sont là, se souviennent. Le directoire du séminaire, regardez ça, il y a des choses très belles aussi :
« Les prières de la journée, l’oraison, exprimeront leur désir – les prêtres, les séminaristes et les prêtres – de s’offrir à Dieu avec Jésus-Hostie, de participer à ses souffrances expiatrices, de s’unir à sa louange et à ses actions de grâce, ils aspireront à vivre cette vie de prière dès le séminaire, persuadé qu’elle sera l’âme de leur apostolat. »
C’est pareil, toujours pareil, cette vie de prière. Et regardez bien : « S’offrir à Dieu avec Jésus-Hostie, participer à ses souffrances expiatrices ». N’est ce pas l’esprit du sacerdoce de toujours ? N’est ce pas cela qui restaure le sacerdoce de toujours ? Ce rêve qu’il a eu à Dakar, c’était en 1960 dans sa cathédrale, lui, archevêque de Dakar, il a eu un rêve, une sorte de rêve, dans lequel il a vu tout l’avenir qui se disposait en quelques tableaux mystérieux : le sacerdoce, transmettre en ce moment de crise, transmettre le sacerdoce de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, dans toute sa pureté doctrinale, et toute sa charité missionnaire, tel que l’Eglise l’avait reçu des apôtres, et l’avait transmis incorrompu. Transmettre ce sacerdoce coûte que coûte. C’est ce qu’il a fait, chers fidèles, et c’est ce que nous continuons de faire dans nos séminaires, partout, transmettre le sacerdoce afin que l’Eglise continue.
Alors vous voyez, cet homme a été pénétré, préparé de longue date à une mission qu’à Rome il ne pouvait pas deviner. On leur enseigne à Rome à entrer de façon vive dans l’histoire de l’Eglise, et un jour, s’il plaisait à Dieu, d’écrire eux-mêmes une page, une belle page de cette histoire de l’Eglise. Vous, chers fidèles, avec nous, vous êtes en train d’écrire cette belle page d’histoire de l’Eglise, cette résistance, cette reconstruction miraculeuse, à laquelle nous continuerons à œuvrer, Dieu aidant, et la Sainte Vierge aidant.
Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Villepreux, le 9 octobre 2010