Éminence,
Après un examen sérieux de la réponse de la Sacrée Congrégation pour la Foi, aussi bien aux Dubia qu’aux objections que nous lui avions soumises au sujet de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint notre appréciation sur cette réponse, afin de justifier autant qu’il est possible cette appréciation. Je me permets de joindre des documents qui manifesteront que ce jugement n’est pas une opinion personnelle, mais bien celui de personnes autorisées. Ayant eu l’occasion de faire paraître ces jours derniers un livre sur ce sujet : Ils l’ont découronné, je me fais un devoir de vous en faire l’hommage respectueux.
Nous avons reçu au cours de ces derniers mois plusieurs études importantes provenant des Universités romaines, et des Conférences épiscopales. Je vous communique la critique du document du R.P. Cesboué qui nous a été transmise par l’épiscopat français.
J’ajoute également quelques autres écrits divers sur le même sujet pour bien montrer que notre refus des principes libéraux de la déclaration conciliaire n’est pas fondé sur des opinions personnelles ou sentimentales, mais sur le Magistère infaillible de l’Église. Vous pouvez donc les trouver ci-joints : – la pensée du cardinal Brown, – les remarques du Cœtus Internationalis, c’est-à-dire du groupe des pères du Concile contre la liberté religieuse, – les appréciations de Mgr Husseau de l’Université catholique d’Angers, – les appréciations du R.P. de Sainte-Marie Salleron, ancien professeur du Thérésianum, – la lettre (1) avec le document joint de S.E. Mgr de Castro-Mayer, alors évêque de Campos au Brésil, adressée au Pape Paul VI.
Il me semble pouvoir conclure que la doctrine libérale de la liberté religieuse et la doctrine traditionnelle s’opposent radicalement. Il a fallu faire un choix entre le projet du schéma du cardinal Ottaviani et celui du cardinal Béa sur le même sujet.
À la dernière réunion de la Commission centrale préparatoire, ces deux cardinaux se sont opposés avec vigueur. Le cardinal Béa a alors affirmé que sa thèse s’opposait absolument à celle du cardinal Ottaviani. Rien n’a changé depuis. Le Magistère de la tradition s’oppose à la thèse libérale fondée sur une fausse conception de la dignité humaine, et une définition erronée de la société civile. Il s’agit de savoir qui a raison du cardinal Ottaviani ou du cardinal Béa.
Les conséquences pratiques de la thèse libérale adoptée par le Saint-Siège à la suite du Concile sont désastreuses et antichrétiennes. C’est le découronnement de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec la réduction au droit commun de toutes les religions aboutissant à un œcuménisme apostat comme celui d’Assise.
Afin d’enrayer l’auto-démolition de l’Église, nous supplions le Saint-Père, par votre intermédiaire, de procurer le libre exercice de la tradition en procurant à la tradition les moyens de vivre et de se développer pour le salut de l’Église catholique et le Salut des âmes, que soient reconnues les œuvres de la tradition, en particulier les séminaires, et que S.E. Mgr Castro-Mayer et moi-même puissions nous donner les auxiliaires de notre choix pour garder à l’Église les grâces de la Tradition, seule source de rénovation de l’Église.
Éminence, après bientôt vingt années de demandes instantes pour que soit encouragé et béni l’expérience de la Tradition, demandes toujours restées sans réponse, c’est sans doute l’ultime appel, et devant Dieu et devant l’histoire de l’Église ; le Saint-Père et Vous-même porteriez la responsabilité d’une rupture définitive avec le passé de l’Église et avec son Magistère.
Le Magistère d’aujourd’hui ne se suffit pas à lui-même, pour être dit catholique, s’il n’est la transmission du dépôt de la foi, c’est-à-dire de la Tradition. Un Magistère nouveau, sans racine dans le passé, et à plus forte raison contraire au Magistère de toujours, ne peut-être que schismatique, sinon hérétique.
Une volonté permanente d’anéantissement de la tradition est une volonté suicidaire qui autorise par le fait même, les vrais et fidèles catholiques à prendre toutes les initiatives nécessaires à la survie de l’Église et au salut des âmes.
Notre Dame de Fatima, j’en suis certain, bénit cet appel ultime en ce 70e anniversaire de ses apparitions et de ses messages. Puissiez-vous ne pas être une deuxième fois sourd à son appel.
Daignez agréer, Éminence, mes sentiments très respectueux et fraternels in Christo et Maria.
† Marcel LEFEBVRE, ancien Archevêque-Evéque de Tulle
(1) Lettre de S.E. Mgr de Castro-Mayer, alors évêque de Campos au Brésil, adressée au Pape Paul VI.
Campos, le 12 septembre 1969,
Très Saint Père,
Ayant examiné attentivement le « Novus Ordo Missae », qui doit entrer en vigueur le 30 novembre prochain, après avoir beaucoup prié et réfléchi, j’ai jugé de mon devoir, comme prêtre et évêque, de présenter à Votre Sainteté, mon angoisse de conscience, et formuler, avec la pitié et la confiance filiales que je dois au Vicaire de Jésus-Christ, une supplique.
Le « Novus Ordo Missae », tant par les omissions et changements introduits dans l’Ordinaire de la Messe, que par un grand nombre de ses normes générales indiquant le concept et la nature du nouveau Missel, n’exprime pas, dans ses points essentiels, comme il le devrait, la Théologie du Saint Sacrifice Eucharistique, établie par le Sacré Concile de Trente, dans sa session XXIIe. Fait, que le simple catéchisme ne parvient pas à contrebalancer. En annexe, je joins les raisons qui, je le pense, justifient cette conclusion.
Les raisons d’ordre pastoral qui, éventuellement, pourraient être invoquées en faveur de la nouvelle structure de la Messe, en premier lieu, ne peuvent arriver à faire oublier les arguments d’ordre dogmatique qui militent en sens contraire. De plus, ils ne paraissent pas conséquents. Les changements qui ont précédé et préparé le « Novus Ordo » n’ont pas contribué à augmenter la Foi et la piété des fidèles. Au contraire, ils nous ont laissés remplis d’appréhension, appréhension que le « Novus Ordo » a augmentée. Par voie de conséquence, a été favorisée l’idée qu’il n’y a rien d’immuable dans la Sainte Eglise, pas même le Très Saint Sacrifice de la Messe.
En outre, comme je le signale dans les annexes ci-jointes, le « Novus Ordo » non seulement n’inspire pas la ferveur, mais encore il exténue la foi dans les vérités centrales de la vie catholique, telle la présence réelle de Jésus dans le Très Saint Sacrement, la réalité du sacrifice propitiatoire, le sacerdoce hiérarchique.
J’accomplis ainsi un impérieux devoir de conscience, demandant humblement et respectueusement à Votre Sainteté qu’Elle daigne, par un acte positif qui élimine tout doute, nous autoriser à continuer à user de l’ « Ordo Missae » de S. Pie V, dont l’efficacité dans le développement de la Sainte Église et l’accroissement de la ferveur des prêtres et des fidèles, est rappelée, avec tant d’onction, par Votre Sainteté.
Je suis sûr que la Bienveillance Paternelle de Votre Sainteté ne laissera pas d’éloigner les perplexités que j’ai dans mon cœur de prêtre et d’évêque.
Prosterné aux pieds de Votre Sainteté, avec obéissance humble et pitié filial, j’implore la Bénédiction Apostolique.
+ Antonio de Castro Mayer, Évêque de Campos (Brésil)