8 juillet 1987

Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger du 8 juillet 1987

Éminence,

Après un exa­men sérieux de la réponse de la Sacrée Congrégation pour la Foi, aus­si bien aux Dubia qu’aux objec­tions que nous lui avions sou­mises au sujet de la décla­ra­tion conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse, je vous prie de bien vou­loir trou­ver ci-​joint notre appré­cia­tion sur cette réponse, afin de jus­ti­fier autant qu’il est pos­sible cette appré­cia­tion. Je me per­mets de joindre des docu­ments qui mani­fes­te­ront que ce juge­ment n’est pas une opi­nion per­son­nelle, mais bien celui de per­sonnes auto­ri­sées. Ayant eu l’occasion de faire paraître ces jours der­niers un livre sur ce sujet : Ils l’ont décou­ron­né, je me fais un devoir de vous en faire l’hommage respectueux.

Nous avons reçu au cours de ces der­niers mois plu­sieurs études impor­tantes pro­ve­nant des Universités romaines, et des Conférences épis­co­pales. Je vous com­mu­nique la cri­tique du docu­ment du R.P. Cesboué qui nous a été trans­mise par l’épiscopat français.

J’ajoute éga­le­ment quelques autres écrits divers sur le même sujet pour bien mon­trer que notre refus des prin­cipes libé­raux de la décla­ra­tion conci­liaire n’est pas fon­dé sur des opi­nions per­son­nelles ou sen­ti­men­tales, mais sur le Magistère infaillible de l’Église. Vous pou­vez donc les trou­ver ci-​joints : – la pen­sée du car­di­nal Brown, – les remarques du Cœtus Internationalis, c’est-à-dire du groupe des pères du Concile contre la liber­té reli­gieuse, – les appré­cia­tions de Mgr Husseau de l’Université catho­lique d’Angers, – les appré­cia­tions du R.P. de Sainte-​Marie Salleron, ancien pro­fes­seur du Thérésianum, – la lettre (1) avec le docu­ment joint de S.E. Mgr de Castro-​Mayer, alors évêque de Campos au Brésil, adres­sée au Pape Paul VI.

Il me semble pou­voir conclure que la doc­trine libé­rale de la liber­té reli­gieuse et la doc­trine tra­di­tion­nelle s’opposent radi­ca­le­ment. Il a fal­lu faire un choix entre le pro­jet du sché­ma du car­di­nal Ottaviani et celui du car­di­nal Béa sur le même sujet.

À la der­nière réunion de la Commission cen­trale pré­pa­ra­toire, ces deux car­di­naux se sont oppo­sés avec vigueur. Le car­di­nal Béa a alors affir­mé que sa thèse s’opposait abso­lu­ment à celle du car­di­nal Ottaviani. Rien n’a chan­gé depuis. Le Magistère de la tra­di­tion s’oppose à la thèse libé­rale fon­dée sur une fausse concep­tion de la digni­té humaine, et une défi­ni­tion erro­née de la socié­té civile. Il s’agit de savoir qui a rai­son du car­di­nal Ottaviani ou du car­di­nal Béa.

Les consé­quences pra­tiques de la thèse libé­rale adop­tée par le Saint-​Siège à la suite du Concile sont désas­treuses et anti­chré­tiennes. C’est le décou­ron­ne­ment de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ avec la réduc­tion au droit com­mun de toutes les reli­gions abou­tis­sant à un œcu­mé­nisme apos­tat comme celui d’Assise.

Afin d’enrayer l’auto-démolition de l’Église, nous sup­plions le Saint-​Père, par votre inter­mé­diaire, de pro­cu­rer le libre exer­cice de la tra­di­tion en pro­cu­rant à la tra­di­tion les moyens de vivre et de se déve­lop­per pour le salut de l’Église catho­lique et le Salut des âmes, que soient recon­nues les œuvres de la tra­di­tion, en par­ti­cu­lier les sémi­naires, et que S.E. Mgr Castro-​Mayer et moi-​même puis­sions nous don­ner les auxi­liaires de notre choix pour gar­der à l’Église les grâces de la Tradition, seule source de réno­va­tion de l’Église.

Éminence, après bien­tôt vingt années de demandes ins­tantes pour que soit encou­ra­gé et béni l’expérience de la Tradition, demandes tou­jours res­tées sans réponse, c’est sans doute l’ultime appel, et devant Dieu et devant l’histoire de l’Église ; le Saint-​Père et Vous-​même por­te­riez la res­pon­sa­bi­li­té d’une rup­ture défi­ni­tive avec le pas­sé de l’Église et avec son Magistère.

Le Magistère d’aujourd’hui ne se suf­fit pas à lui-​même, pour être dit catho­lique, s’il n’est la trans­mis­sion du dépôt de la foi, c’est-à-dire de la Tradition. Un Magistère nou­veau, sans racine dans le pas­sé, et à plus forte rai­son contraire au Magistère de tou­jours, ne peut-​être que schis­ma­tique, sinon hérétique.

Une volon­té per­ma­nente d’anéantissement de la tra­di­tion est une volon­té sui­ci­daire qui auto­rise par le fait même, les vrais et fidèles catho­liques à prendre toutes les ini­tia­tives néces­saires à la sur­vie de l’Église et au salut des âmes.

Notre Dame de Fatima, j’en suis cer­tain, bénit cet appel ultime en ce 70e anni­ver­saire de ses appa­ri­tions et de ses mes­sages. Puissiez-​vous ne pas être une deuxième fois sourd à son appel.

Daignez agréer, Éminence, mes sen­ti­ments très res­pec­tueux et fra­ter­nels in Christo et Maria.

† Marcel LEFEBVRE, ancien Archevêque-​Evéque de Tulle

(1) Lettre de S.E. Mgr de Castro-​Mayer, alors évêque de Campos au Brésil, adressée au Pape Paul VI.

Campos, le 12 sep­tembre 1969,

Très Saint Père,

Ayant exa­mi­né atten­ti­ve­ment le « Novus Ordo Missae », qui doit entrer en vigueur le 30 novembre pro­chain, après avoir beau­coup prié et réflé­chi, j’ai jugé de mon devoir, comme prêtre et évêque, de pré­sen­ter à Votre Sainteté, mon angoisse de conscience, et for­mu­ler, avec la pitié et la confiance filiales que je dois au Vicaire de Jésus-​Christ, une supplique.

Le « Novus Ordo Missae », tant par les omis­sions et chan­ge­ments intro­duits dans l’Ordinaire de la Messe, que par un grand nombre de ses normes géné­rales indi­quant le concept et la nature du nou­veau Missel, n’ex­prime pas, dans ses points essen­tiels, comme il le devrait, la Théologie du Saint Sacrifice Eucharistique, éta­blie par le Sacré Concile de Trente, dans sa ses­sion XXIIe. Fait, que le simple caté­chisme ne par­vient pas à contre­ba­lan­cer. En annexe, je joins les rai­sons qui, je le pense, jus­ti­fient cette conclusion.

Les rai­sons d’ordre pas­to­ral qui, éven­tuel­le­ment, pour­raient être invo­quées en faveur de la nou­velle struc­ture de la Messe, en pre­mier lieu, ne peuvent arri­ver à faire oublier les argu­ments d’ordre dog­ma­tique qui militent en sens contraire. De plus, ils ne paraissent pas consé­quents. Les chan­ge­ments qui ont pré­cé­dé et pré­pa­ré le « Novus Ordo » n’ont pas contri­bué à aug­men­ter la Foi et la pié­té des fidèles. Au contraire, ils nous ont lais­sés rem­plis d’appréhension, appré­hen­sion que le « Novus Ordo » a aug­men­tée. Par voie de consé­quence, a été favo­ri­sée l’i­dée qu’il n’y a rien d’immuable dans la Sainte Eglise, pas même le Très Saint Sacrifice de la Messe.

En outre, comme je le signale dans les annexes ci-​jointes, le « Novus Ordo » non seule­ment n’ins­pire pas la fer­veur, mais encore il exté­nue la foi dans les véri­tés cen­trales de la vie catho­lique, telle la pré­sence réelle de Jésus dans le Très Saint Sacrement, la réa­li­té du sacri­fice pro­pi­tia­toire, le sacer­doce hiérarchique.

J’accomplis ain­si un impé­rieux devoir de conscience, deman­dant hum­ble­ment et res­pec­tueu­se­ment à Votre Sainteté qu’Elle daigne, par un acte posi­tif qui éli­mine tout doute, nous auto­ri­ser à conti­nuer à user de l’ « Ordo Missae » de S. Pie V, dont l’efficacité dans le déve­lop­pe­ment de la Sainte Église et l’accroissement de la fer­veur des prêtres et des fidèles, est rap­pe­lée, avec tant d’onc­tion, par Votre Sainteté.

Je suis sûr que la Bienveillance Paternelle de Votre Sainteté ne lais­se­ra pas d’é­loi­gner les per­plexi­tés que j’ai dans mon cœur de prêtre et d’évêque.

Prosterné aux pieds de Votre Sainteté, avec obéis­sance humble et pitié filial, j’im­plore la Bénédiction Apostolique.

+ Antonio de Castro Mayer, Évêque de Campos (Brésil)

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.