L’amour des ennemis ne doit jamais être un prétexte pour léser la justice.
En lisant l’Évangile, nous sommes surpris de la doctrine que nous livre le Christ. Entre nous, qui aurait la folie de l’appliquer ? « Quelqu’un te frappe-t-il sur la joue droite, présente-lui encore l’autre. Quelqu’un veut-il te faire un procès pour te prendre ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau. » Lorsqu’on s’est fait voler son téléphone, on n’aurait pas idée de donner en plus au voleur son portefeuille. S’il nous arrive d’être frappés dans la rue, il est souvent prudent de fuir. Mais qui accepterait de se présenter à son agresseur pour se faire bastonner ?
Le Christ semble exiger de notre part une naïveté qui dépasse les limites de la raison. Il est vrai que la charité et l’amour des ennemis est la note particulière du christianisme, mais de là à accepter le triomphe de l’injustice sur la vertu, non, c’est trop ! Si tous les chrétiens tendaient toujours l’autre joue, le mal prendrait le dessus sur le bien.
Comment alors comprendre ces paroles du Sermon sur la montagne ? Saint Thomas d’Aquin a commenté ces lignes et affirme qu’il ne faut pas les entendre dans un sens littéral. Nous ne sommes heureusement pas tenus de donner le bâton pour se faire battre.
Nous avons à ce sujet deux exemples. Durant sa Passion, un garde frappe Notre Seigneur sur la joue. Face à cet outrage, le Christ ne présente pas son autre joue mais il répond avec autorité. « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23)
Plus tard quand saint Paul est frappé, loin de s’enfermer dans un mutisme passif, il avertit son agresseur du jugement de Dieu : « Dieu te frappera, muraille blanchie ! Toi, tu sièges pour me juger selon la Loi et violant la Loi, tu ordonnes de me frapper. » (Act 23, 3)
Face au péché, personne ne doit rester indifférent. Or, qui ne dit mot consent ; donc, le chrétien ne peut pas demeurer indifférent quand la foi et la morale sont en jeu. On pourrait très bien traduire la parole de Notre Seigneur ainsi : le chrétien n’a pas le droit de laisser insulter sa religion, il a le devoir de défendre ce que le Christ a voulu confier à son Église, le dépôt de la foi.
Dans ce passage, Notre Seigneur nous apprend aussi l’amour des ennemis, chose incompréhensible pour ceux qui n’ont pas la grâce. Si c’est notre seule personne qui est insultée, il est bon de supporter avec patience ce mal. Refuser la vengeance est certainement le meilleur moyen de faire revenir son ennemi au repentir.
La religion de Jésus-Christ n’a donc rien à voir avec la pensée de Mahatma Gandhi qui fait déborder la non-violence jusqu’aux animaux et dont la pensée n’atteint pas le surnaturel. Pas question pour nous de laisser chacun vivre tranquillement dans son péché. Le pardon et l’amour des ennemis ne peuvent exclure la défense courageuse de la justice. L’amour des ennemis ne doit jamais être un prétexte pour léser la justice.
Abbé Cyrille Perriol
Source : L’Aigle de Lyon n°374