Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
Alors que s’achève le synode sur la famille, Aline Lizotte (1) estime que l’on risque d’aller en pratique, non vers un « divorce à la catholique » mais vers une sorte de conception protestante de la liberté de conscience.
LE FIGARO. – Même s’il n’a pas pris position pour éviter un vote négatif d’une partie des évêques, le synode a suggéré au pape, et cela a été voté, que la question de la communion des divorcés remariés ne soit plus réglée par un oui ou par un non, mais à travers un « discernement » au cas par cas, selon des critères préétablis par l’Eglise : est-ce une évolution notable de la théologie morale catholique ?
Aline LIZOTTE. – Les numéros 84, 85 et 86 de la relation synodale sont pour le moins confus sinon ambigus. On n’y parle pas directement d’interdiction ou de permission de communier, mais de trouver les divers modes d’intégration en vue d’une meilleure participation à la vie communautaire chrétienne. Parmi ces différents modes d’intégration, il y aurait la permission de devenir parrains, de faire la catéchèse, de lire les textes à la messe, bref, de participer aux actes qui préparent à la vie sacramentelle.
Mais il y a aussi la possibilité de communier. Jean Paul II n’était pas allé aussi loin. Tout en refusant fermement la possibilité de participer à la communion, il avait, lui aussi, bien affirmé que les divorcés faisaient partie de la communauté chrétienne – ils n’étaient pas excommuniés – et qu’ils devaient s’unir à la prière de l’Eglise, participer au sacrifice eucharistique et prendre part aux œuvres de charité sociales.
Aujourd’hui le numéro 84 du document final va plus loin, puisqu’il parle de « dépasser » les « exclusions » dans le domaine liturgique, éducatif, pastoral et … « institutionnel ». Ce mot est vague mais il est très important car il peut tout désigner dans l’Eglise. Qu’est ce qui empêcherait en effet un divorcé remarié de devenir diacre…
Quant au numéro 85, il exagère une distinction capitale pourtant clairement établie par Jean-Paul II et qui appartient depuis toujours à la théologie morale : cette distinction, exprimée dans Veritatis Splendor (nos 54–64) et dans la somme théologique de saint Tomas d’Aquin Ia-IIae, q.18, a.3, permet de faire une différence entre ce qui est « objectif » dans un choix moral et ce qui dépend des « circonstances ». Mais, le document final donne, aux circonstances, une importance démesurée qu’elle n’a pas dans l’équilibre classique de la théologie morale.
On introduit donc un déséquilibre ?
On veut donner plus de place, désormais, aux circonstances. Or la distinction classique montre qu’il y a des actes moraux qui sont objectivement graves, même si, effectivement, certaines circonstances, propres à la personne, permettent d’en diminuer la responsabilité, voire de l’annuler. Il y a donc une différence entre la réalité objective d’un acte et ce que l’on appelle « l’imputabilité » de l’acte, sa charge morale, si je puis dire, qui repose, ou non, sur les épaules de celui qui a commis cet acte. C’est ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique (no 1735). Jean-Paul II a d’ailleurs appliqué cette distinction au discernement pastoral des pasteurs et des confesseurs lors de la direction spirituelle des consciences.
Et cette distinction – appliquée à l’échec d’un mariage et le divorce – éclaire la culpabilité dans la conscience morale. Car une chose est une séparation qui aboutit à un divorce dont l’auteur a tout fait pour plaquer son conjoint en l’abandonnant à sa solitude avec la charge de ses enfants ; une autre chose est l’état du conjoint « ainsi répudié » qui a tout tenté pour conserver son engagement matrimonial et qui se trouve acculé à un état de vie, difficile ou quasi impossible. Un état dont il ne porte pas la responsabilité. C’est une victime. Surgit alors cette question cruciale : cette personne – homme ou femme – en se remariant commet-elle un péché « d’adultère » qui, en tant que péché, l’entrainerait à s’éloigner de la communion ? Et peut-on la juger de la même manière que son conjoint qui l’a plaquée et qui s’est remarié ?
Que répond sur ce point le Synode ?
Sur ce point la relation synodale est loin d’être claire…Elle est même ambigüe !
Pourquoi ?
Nous sommes, en effet, face à deux actes objectivement différents : Une chose est de ne pas se juger coupable, au for interne, c’est-à-dire dans sa conscience, de l’échec de son mariage et même d’aller jusqu’à la conclusion intime que ce mariage était invalide. Autre chose est de s’appuyer sur cette seule conscience – même assisté par un conseiller spirituel, voire d’un évêque – pour prendre la décision de se remarier. En se disant, en somme, je ne suis pas coupable – en conscience – de l’échec de mon mariage, j’ai même la conviction intime que mon premier mariage est invalide ; en me remariant, je ne commets donc pas un adultère ainsi je peux communier.
Or, et c’est là le fond du problème, la condition de commettre, ou de ne pas commettre un adultère, ne dépend pas uniquement des conditions intérieures du jugement de conscience mais elle dépend de la validité, ou de la non validité du premier mariage.
Ce qui ne relève pas uniquement du for interne de l’un des conjoints, ou, autrement dit de sa seule conscience profonde, mais du for externe, c’est-à-dire des critères objectifs de la loi ! Donc, déterminer de la validité ou non, d’un consentement – fondateur du mariage – n’est pas une question de conscience qui n’appartiendrait qu’à un seul des deux conjoints. Ce sont les deux personnes qui sont engagées.
Il ne s’agit pas simplement de se dire : « je sens, j’ai toujours pensé, que mon mariage n’était pas valide»… Certes, la conscience peut-être loyale, mais elle peut-être aussi objectivement erronée. En ce sens, il est inexact de dire comme le proclame Mgr Cupich, l’archevêque de Chicago, que la conscience est toujours inviolable.
Je parle donc d’ambiguïté parce que les critères donnés au n°85 du document final du synode sont justement prévus pour aider la personne, son confesseur et même son évêque à juger de la droiture et de l’honnêteté de sa conscience. Mais, je regrette, ces critères ne sont pas suffisants pour conclure avec certitude de la validité ou de la non validité du premier mariage.
Quels risques voyez-vous ?
Agir dans ce sens va conduire à mettre en place une sorte de système de « consulting spirituel », de coaching interne qui aideront les consciences à ne plus se sentir coupables d’un remariage. Fortes de leur subjectivité elles estimeront avoir le droit à un remariage en bonne et due forme. Ce n’est pas par hasard que Jean-Paul II, pour énoncer l’interdiction de la communion pour les divorcés remariés, avait bien pris soin d’établir cette distinction qui démontrait que « l’examen de conscience » dont parle aujourd’hui le document final n’est pas suffisant pour évaluer la situation objective et la situation du conjoint lésé.
Cette ouverture, doublée de la facilitation des procédures d’annulation canonique du lien du mariage décidée par le pape François en septembre dernier, ne contribue-t-elle pas à créer, dans l’opinion, l’idée que l’Eglise vient d’inventer le « divorce catholique » ?
Pour l’Église catholique le problème auquel elle doit faire face n’est pas celui des divorcés remariés mais celui de la crédibilité de son mariage. En quoi sa doctrine du mariage a‑t-elle encore une influence sur la vie des gens et même sur ses propres fidèles… Mais d’où vient le problème ? Vient-il du changement sociétal, assez impressionnant ou vient-il des insuffisances d’une pastorale inadéquate ? On pensait la doctrine acquise, on s’aperçut que ce ne l’était pas. Dans cette perspective, il faut bien comprendre que le problème des divorces remariés apparaît comme un cas type, sur lequel on réfléchit comme sur un cas le plus difficile à résoudre. On a espéré le résoudre uniquement par la voie pastorale… sans changer les affirmations doctrinales. Mais cela touche à la quadrature du cercle car la pastorale découle de la doctrine ! Elle est, en prudence, son application. Changer une pastorale sans changer de doctrine dans les points essentiels de cette doctrine, c’est un problème impossible à résoudre. La doctrine de l’Église catholique est en effet claire et ferme : un mariage validement célébré (ratum) et consommé (consumatum) est indissoluble. J’ajoute que la facilité que donnent les législations civiles, divorce à l’amiable, pacs, admission du concubinage, rend l’engagement absolu et pour toute la vie moins tentant. Les difficultés conjugales s’amoncelant on recourt donc à une législation civile pour rompre un mariage et même en contracter un second ou un troisième. Mais, en doctrine, ces mariages, sont pour l’Église, « nuls » au sens juridique et aucun ne rompt la validité du premier mariage si ce dernier est déclaré valide.
Si l’ouverture qu’amorce ce synode sur le jugement de conscience, jointe à la facilité des procédures qui sera mis en vigueur par le Motu Proprio Mitis Iudex Dominus Iesus e Mitis et Misericors Iesus du 8 septembre 2015, pour l’obtention d’un décret de nullité on risque d’aller en pratique, non vers un « divorce à la catholique » mais vers une sorte de conception protestante de la liberté de conscience.
Car la conscience, comme je viens de l’expliquer ne peut pas seulement se fonder sur le seul ressenti qu’elle perçoit, ou non, de la gravité de ses actes, mais sur des critères objectifs de la loi morale.
L’Eglise, sur ce point, manque-t-elle de « cœur » comme l’a dit le Pape ? N’est-elle pas trop dure en ne parlant que de « loi » ? Sur quoi l’Eglise se fonde-t-elle, au juste, pour affirmer qu’un premier mariage, s’il est valide, donc librement consenti et pour la vie, est par nature indissoluble ? Et pourquoi ne peut-elle pas évoluer sur l’indissolubilité du mariage ?
L’Église peut évoluer sur des questions qui découle de son droit propre. Ainsi elle évolue sur beaucoup de questions : réformes liturgiques, réforme de la pénitence pendant le carême, réforme sur les fêtes de préceptes, reforme sur l’état clérical, reforme sur l’exercice de l’autorité dans l’Église (collégialité), reforme de procédures sur les demandes de décret de nullité du mariage, réforme sur les vœux de religion. Depuis Vatican II, on a vu s’abattre une somme de réformes qui ont façonné de façon directe notre comportement extérieur vis-à-vis de Dieu et notre agir communautaire envers nos frères. Les réformes ont d’ailleurs été tellement importantes qu’il a fallu réécrire et promulgué un nouveau Droit Canon (1983).
Mais il y a des domaines qui ne sont pas du droit de l’Église. D’abord parce qu’aucun Pape n’a fondé et ne fonde l’Église. C’est toujours Jésus-Christ qui bâtit son Eglise. Ensuite parce que le Christ a laissé à l’Église des moyens de participer à sa vie, à sa prière, à son mystère de salut, moyens qui sont liés à sa volonté : ce sont les sacrements et leur substance sur lesquels l’Église n’a aucun pouvoir. Il faut toujours de l’eau pour baptiser ; il faut toujours du pain et du vin pour une consécration eucharistique ; il faut toujours une accusation orale des péchés – on ne peut faire cela par correspondance ou par internet – pour recevoir le sacrement de la Réconciliation. Enfin il faut toujours que l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, pour qu’un consentement matrimonial ait valeur de sacrement. Cette substance sacramentelle n’appartient pas à l’Église.
Ainsi, le mariage que Dieu a institué est hétérosexuel, monogame, indissoluble et ouvert à la vie. Ces propriétés du mariage l’Église ne les invente pas, elle les reçoit du Christ lui-même. Si elle peut changer la discipline, par exemple, l’âge de la première communion, le ministre du baptême, les conditions de l’onction des malades etc ; elle ne peut changer la substance du sacrement. Or, l’indissolubilité fait partie essentiellement du sacrement du mariage.. Et sur cette question l’Église n’a aucun pouvoir d’en changer.
Mais les personnes, ces couples qui ont vécu un échec, l’Eglise peut-elle ignorer leur souffrance ? Ce fut une demande constante pendant ces vingt jours de synode ?
Pour l’Église catholique, ce problème des divorcés remariés est un problème épineux. Il y a là une structure de péché, c’est-à-dire, une situation qui porte à user du mariage comme si on était marié alors qu’on ne l’est pas, puisque le premier mariage est toujours valide. Cependant, dans l’Église, ces personnes ne sont pas exclues de la communauté chrétienne. Elles sont comme tous les chrétiens, conviés à la participation à l’Eucharistie du dimanche. Cependant, elles ne peuvent pas communier. Convoquées à un sacrifice de communion, elles ne peuvent pas y participer pleinement. Poser la question sur les divorcés remariés c’est donc réfléchir sur le cas type par excellence.
C’est dur à dire mais sur le plan canonique et philosophique ces personnes se sont mises volontairement et peut-être inconsciemment dans une situation impossible. Elles usent d’un droit qu’elles n’ont pas, car elles sont liées – par leur parole donnée sacramentellement – à une autre personne. Non seulement, elles ne respectent plus la parole donnée devant Dieu mais elles usurpent le droit de l’autre, de la femme abandonnée du mari humilié. Certes elles se justifient en invoquant l’échec du premier mariage et la réussite du second. Pourquoi leur refuserait-on donc le droit de « refaire leur vie » ? Pourquoi même, si l’on dit qu’elles ne sont pas exclues de la communauté chrétienne, leur refuserait-on le droit à la communion ? Cette communion n’est-elle pas le signe de l’appartenance à la communauté ? Toute la communauté est invitée, à la Messe, au festin des Noces de l’Agneau ? Pourquoi pas eux ? Souvent, ils vivent honnêtement, en toute fidélité et dévouement au nouvel époux ou épouse, ayant de nouveaux enfants, ayant une nouvelle famille ? Pourquoi ce durcissement de la pastorale qui se veut avant tout fidèle à une doctrine juste, mais qui semble surtout manquer de miséricorde ? Voilà le dilemme que l’on pose entre le doctoral et le pastoral ! Mais la question est de savoir si ce dilemme est réellement un dilemme doctoral vis-à-vis d’une pastorale inadéquate ? Ou une mauvaise façon de poser le problème…
Et permettez-moi d’ajouter que le fait d’avoir introduit le jugement de conscience dans la mêlée, n’a rien éclairci, au contraire, cela pose encore plus de problèmes. Quels sont les chrétiens, les catholiques, qui savent vraiment ce qu’est un jugement de conscience, qui sont capables du discours moral qu’il demande ou qui en ont même le courage ? Quels sont les pasteurs suffisamment aptes à aider le chrétien à poser ce jugement de conscience ? Car un jugement de conscience ne part pas de son état subjectif, de son psychisme, de son désir, mais il doit toujours partir de la loi ? Un épouse délaissée peut avoir conscience que dans l’échec de son mariage, elle n’y est pour rien – c’est un cas rare – mais lorsqu’elle examine une décision à prendre sur un remariage la conscience doit poser objectivement la question : en conscience, je ne suis pas coupable de l’échec de mon premier mariage, mais si ce premier mariage est valide, l’échec me donne-t-il le droit moral de me remarier civilement ?
En attendant, affirme le pape François, l’Église a comme le devoir de chercher une voie nouvelle pour venir en aide aux difficultés concrètes des divorcés remariés…
L’Église a toujours le devoir de venir en aide à tous ses enfants et l’obligation de ne pas alourdir le joug que peut constituer l’obéissance aux devoirs du chrétien. « Mon joug et doux et mon fardeau léger » Mt XI,30, dit le Seigneur. La mission de l’Église n’est pas de le rendre impossible à porter. Ce joug est doux et ce fardeau léger parce que le Seigneur donne la grâce de le porter. Mais quelles sont les vraies difficultés des divorcés remariés ? Celles de ne pas communier ? On nous parle d’eux comme des gens heureux ayant réussi un second mariage alors que le premier a échoué. Mais ce mariage échoué, cette femme abandonnée, cet homme méprisée, ces enfants ballotées, celui ou celle que l’on charge de tous les torts, de toutes les malveillances, on n’arrive pas à l’oublier. Même s’il y a eu divorce et qu’il était raisonnable de demander le divorce, la nouvelle femme, le nouvel homme qui habite un nouveau lit, n’y trouve pas en réalité un véritable lieu conjugal car le passé est toujours présent, chez un être humain il ne peut s’effacer. Cette plainte revient très souvent : je l’aime toujours, même si je trouve un bonheur sexuel avec l’autre. Et il faut affronter la révolte et la honte des enfants. Que l’on divorce, oui si c’est nécessaire, cela vaut mieux que les continuels affrontements, les violences verbales, les mensonges répétés. Mais que le conjoint qui part se remarie, cela créé une sourde révolte qui est un tabou dans notre société. Plus ils sont adultes, plus les enfants sont révoltés. Ils seront maintenant des enfants de divorcés. Et cela ne s’avale pas facilement !
La voie nouvelle n’est donc pas la communion eucharistique. Elle risque fort d’amplifier la souffrance comme, si en plus d’avoir trompé sa femme ou son mari, on en venait à tromper aussi Dieu. C’est terrible à dire mais chacun sait, au fond de lui, s’il y croit un tant soi peu qu’on ne trompe pas Dieu. Pour suivre et conseiller de nombreuses situations de ce genre dans le cadre de l’Institut Karol Wojtyla je peux vous affirmer, non sur la base d’une théorie, mais sur celle de l’expérience et de témoignages douloureux que ce sentiment intérieur, ce sensus fidei, qui demeure tapi dans la conscience profonde de ces époux brisés est plus fort que toute concession juridique si jamais l’autorisation de la communion devenait une concession juridique.
C’est pourtant la voie que François semble bien vouloir ouvrir…
Oui, il faut une pastorale nouvelle pour les divorcés remariés, comme il en faut une pour les concubins qui demandent le mariage, comme il en faut une pour ceux qui sont civilement mariés et qui « veulent se mettre en règle ». Il faut une pastorale qui fasse comprendre que le mariage sacramentel n’est pas une permission de « coucher ensemble » sans faire de péché. Mais que le sacrement de mariage donne, aux époux, une participation particulière à entrer dans le mystère d’alliance proposé par Dieu à toute l’humanité. Mystère dont le Christ est le garant en devenant l’Epoux de l’Église. La vérité du sacrement de mariage doit être proposée à toute personne qui passe d’une situation irrégulière à une situation de grâce.
Pour les divorcés remariés, c’est plus délicat. Le sacrement de mariage, le premier, le seul valide est encore vivant, il n’est pas mort. Les grâces de ce sacrement existent toujours. Comment les rendre efficaces pour accepter, de part et d’autre, entre l’époux blessé et lésé et l’époux unit « invalidement » à un autre conjoint, une vraie réconciliation dans le Christ, réconciliation toujours possible par un vrai pardon, par une nouvelle fidélité au jus corporis, du conjoint abandonné. Le jus corporis, c’est dans le droit romain, le ‘droit du corps” que chaque conjoint a sur le corps de l’autre. Arriver à mettre cela en acte serait une vraie pastorale du mariage ! On ne peut manquer de s’étonner que les Pères synodaux n’y aient pas songé.
Ils ont plutôt mis en avant la conscience intime pour justifier cette prise de distance de la loi morale objective, cela peut se comprendre aussi. La morale de l’Eglise n’était-elle pas trop sur « l’objectif » et pas assez sur le « subjectif » qui est tout de même le sanctuaire profond de la personne ?
La conscience intime n’est jamais une prise de distance vis-à-vis de la loi morale objective. La conscience intime pose deux actes dit saint Thomas d’Aquin : elle juge ou elle reproche. Elle juge de la bonté morale d’un acte particulier, personnel et singulier… à la lumière de la loi morale qui est là pour l’éclairer. Et elle doit juger à partir du droit. Par exemple : j’ai froid, je suis sans abri, il y a en face de moi, une maison désaffectée. Est-ce que je commets un vol si je la squatte pour l’habiter le temps de me trouver un autre logement ? Non, car le droit à l’usage des biens matériels dit l’Eglise est prioritaire sur le droit de propriété et tout propriétaire doit assistance à une personne en danger. Autre exemple : je suis seule, sans amour, je veux un père pour mes enfants, j’ai été abandonnée par mon premier mari ? Est-ce que j’ai le droit de me remarier civilement et de vivre matrimonialement avec cet homme que j’aime ? Si le Pasteur à qui la question est posée, répond, « oui, car vous n’êtes pas coupable dans l’échec de votre premier mariage » cela signifie que ce pasteur ne tient aucun compte de l’indissolubilité du mariage. Cette loi de l’indissolubilité n’aurait de force que dans une sorte d’idéal. Elle ne vaudrait que pour les « heureux », les « purs ». Chaque personne qui aurait des difficultés avec la loi morale, aurait donc le droit de faire tomber la loi. Personne n’est obligé de faire ce qui est objectivement mal pour qu’il en ressorte un bien subjectif. Cela peut sembler très dur… mais le respect de la volonté de Dieu, de ses exigences amène à plus de bonheur que d’en construire un autre en édulcorant ses propres lois sous prétexte de miséricorde.
Mais l’Église n’a-t-elle pas à un vrai problème avec sa morale – suivie par très peu – ce synode lui offre la possibilité de changer cette culture morale familiale pour mieux s’adapter. N’est-il pas temps de le faire ?
J’ai été amené un jour à conseiller une religieuse. Je lui demande ‘combien y avait-il d’enfants chez-vous”? Elle me répond avec un léger sourire pressentant le sursaut que me causerait sa réponse : ‘nous étions vingt-deux”! Devant ma surprise, elle me dit, ‘oui mon père qui était ministre avait trois femmes et nous, les enfants, nous savions très bien qui était notre mère. Notre père, lui, s’occupait de nous tous. Tous les matins, avant de partir au travail, il nous réunissait, nous faisait le catéchisme et après l’avoir embrassé nous partions chacun dans notre école ou à notre travail”. C’est un vrai modèle de famille patriarcale qui semblait fonctionner pas trop mal… Mais je n’ai jamais vu ce modèle en Occident. Ce que je vois de plus en plus, c’est un homme ou une femme qui me dit : ‘j’ai cinq ou même dix frères et sœurs, mais, si nous avons tous la même mère, nous n’avons pas tous le même père. Et l’homme avec qui vit ma mère aujourd’hui, n’est pas mon père…” C’est une famille recomposée. Jamais je n’ai trouvé de bonheur sur le visage de celui ou de celle qui me parle de cette famille nouveau genre…
Est-ce là la nouvelle culture familiale ? J’ai rencontré une toute jeune fille qui disait à sa petite amie, ‘moi j’ai de la chance, à Noël, j’ai deux papas qui me donnent plein de cadeaux”. Cela a duré jusqu’au jour où, la petite amie, a invité la jeune fille, à un week-end dans sa famille, une famille où il n’y avait qu’un papa qui ne donnait pas souvent des cadeaux mais qui aimait sa femme et ses enfants. Et la jeune fille comblée de cadeaux est sortie songeuse de ce week-end. ‘Tu as bien de la chance, toi”, dit-elle à son amie !
Entretien recueilli par Jean-Marie Guenois pour le FigaroVox du 26 octobre 2015.
(1) Aline Lizotte est une écrivain, enseignante, philosophe et théologienne, née en 1935 au Québec (Canada). Elle obtient un doctorat canonique et d’État en philosophie en 1969 à l’Université Laval à Québec où elle suit les cours du philosophe et théologien Charles De Koninck et de Jacques de Monléon qui dirige sa thèse intitulée La définition du fait social dans les théories sociologiques contemporaines. La même année, professeur de philosophie au grand séminaire de Montréal, elle fonde à Paris avec Marcel Clément la Faculté libre de Philosophie Comparée et y enseigne deux décennies. Elle est titulaire de la chaire de logique et enseigne la métaphysique et la philosophie de la nature. Philippe Barbarin, futur Primat des Gaules, est son élève. En 1991, elle fonde l’Association pour la formation chrétienne de la personne (AFCP) qui organise des sessions intitulées « Amour, Sexualité et Vie chrétienne » où la sexualité est abordée sur un plan à la fois psychologique, physiologique et théologique. Partant du principe que « On ne peut former une personne équilibrée si elle n’a pas une vision claire et positive de la sexualité », Aline Lizotte propose également des sessions spécifiques pour les formateurs à la vie consacrée. En 2000, Aline Lizotte s’installe près de l’Abbaye Saint-Pierre de Solesmes et obtient en 2004 la nationalité française. En septembre 2012, elle prend la direction de l’Institut Karol Wojtyla, un institut de formation continue habilité à délivrer une formation universitaire en vue d’un certificat d’accompagnement des personnes.