Nicodème croit parce qu’il sait que Jésus est venu de la part de Dieu, « car nul ne peut faire les miracles qu’il a faits si Dieu n’est pas avec lui ». C’est en cela que Nicodème est un modèle.
Nicodème était un homme de bonne foi, sa loyauté était réelle. Il était droit et courageux ; il n’hésitera pas à prendre la défense du Seigneur devant le Conseil, et à l’heure la plus critique, lorsque les passions seront les plus violentes et que tout semblera perdu, il n’hésitera pas à s’afficher disciple dévoué et fidèle, en s’occupant du corps sans vie de son Maître. La tradition dit qu’il fut maltraité par les Juifs au cours de la tourmente qui suivit la mort de saint Étienne, sans obtenir la gloire du martyre.
Nicodème était pharisien, et au temps de Notre-Seigneur, les Pharisiens étaient la secte la plus en vue. Il était aussi prince des Juifs, c’est à dire qu’il faisait partie du grand conseil du sanhédrin. Sa venue la nuit tombée à Notre-Seigneur ne pouvait demeurer longtemps secrète.
Nicodème vient à Notre-Seigneur au soir d’une de ces journées si bien remplies, au moment où l’âme libérée des contraintes matérielles peut respirer. C’est lui-même qui nous éclaire sur ses intentions.
Rabbi, dit-il à Jésus, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur, car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui.
Scrutez cette entrée en matière et dites si elle donne une idée piètre du caractère ou de l’intelligence de ce haut personnage.
Il n’hésite pas à donner à Jésus le titre de Rabbi. Même s’il faut reconnaître que la politesse orientale est souvent prodigue de ces appellations honorifiques, Nicodème s’incline devant une science autre que la doxa officielle. Le docteur juif, dans une rare impartialité, n’hésite pas à avouer son impression nettement favorable.
Nicodème est aimable, il est respectueux ; disons mieux, il commence par un acte de foi. Lui, personnage âgé et considérable ; il se met à l’école de ce rabbi de 30 ans. Il lui donne, comme l’ont fait André et Jean, le titre de « Maître ». Et de peur que ce titre ne semble être qu’une simple appellation d’honneur, il affirme la réalité de ce qu’il implique :
Personne n’est capable d’accomplir les miracles que vous faites, à moins que Dieu ne soit avec lui.
Nicodème n’a pas de préjugé, il regarde avant tout les faits, et les miracles sont des faits. Sa foi est appuyée sur du positif, elle ne sera pas une conjecture chancelante. Il croit à la valeur probante des miracles et raisonne comme le fera l’aveugle-né. Le miracle a ce rôle providentiel de provoquer l’intelligence humaine à un effort d’attention et la conscience à un acte de vertu… il s’agit de reconnaître l’incompréhensible, l’inaccessible à la raison humaine, il s’agit de reconnaître le sceau divin, de s’incliner devant l’autorité divine, de faire un acte de foi.
Alors, pour Nicodème, ces miracles que Jésus a réalisés suffisent, et il en conclut, sinon que Jésus est Dieu – ceci n’a pas été mis en pleine lumière – du moins que Jésus vient de la part de Dieu, qu’il est le Messie.
Pour Nicodème, la foi découle directement du miracle. S’il l’on ne peut dire que cette loi de la foi découlant du miracle est universelle et de tous les temps, on doit tout au moins reconnaître qu’elle était nécessaire pour le peuple juif. « Les juifs exigent des miracles et les grecs la Sagesse », dira saint Paul aux Corinthiens. Historiquement, la foi, dans le milieu juif qui entourait Jésus, n’est née et ne pouvait naître que du miracle.
Jusqu’à présent, Notre-Seigneur n’a qu’agi ; les paroles qu’ils avait prononcées se rattachaient aux actes accomplis et ne représentaient pas encore un enseignement. Par la manière dont Nicodème salue Jésus et dont il affirme sa foi dans l’origine divine de son autorité, en tant qu’elle est affirmée par le miracle, Nicodème mérite de servir de modèle aux croyants de tous les temps.
Nicodème n’est pas « né » avec la foi : il ne croit pas par héritage ou transmission héréditaire. Il ne croit pas par « besoin mystique », cette sorte d’ébullition intérieure du sentiment du moi. Il ne croit pas par l’inconscience de son âme, cette sorte de foi romantique aussi précaire qu’est le grain de blé tombé sur le chemin de pierres qui sera piétiné par les hommes et balayé par le vent. Il ne croit pas plus par routine, par paresse d’esprit, par imagination ou par penchant incoercible à l’espérance d’un au-delà. Nicodème croit parce qu’il sait que Jésus est venu de la part de Dieu, « car nul ne peut faire les miracles qu’il a faits si Dieu n’est pas avec lui ». C’est en cela que Nicodème est un modèle.
Loin du bruit des affaires humaines, dans le recueillement et le silence de la nuit, allons, nous aussi, trouver le Sauveur, pour nous mettre à son École. Et, pas plus que Nicodème, nous n’avons besoin de nous expliquer longuement sur ce que nous attendons de lui.
Car Nicodème ne dit rien ; dans son acte de foi, il sait que le Sauveur sait ce qu’il attend. Et nous voyons Jésus s’adapter à lui, à ses besoins d’âme. Jésus ne lui parle pas avec la simplicité familière qu’il emploiera vis-à-vis des humbles pêcheurs et des paysans de Galilée. Jésus l’invite à pénétrer avec lui dans la sphère de la haute théologie ; Il lui ouvre les plus sublimes perspectives spirituelles.
Admirons comment ce docteur juif, en se mettant à l’école de Jésus, se place implicitement dans l’atmosphère convenable : il ne vient pas le questionner sur des choses futiles ou profanes, sur des contingences. Il sait que, venant de Dieu, Jésus ne lui parlera que de choses divines. Il n’attend visiblement de lui que la solution de l’éternel problème humain : que puis-je attendre de la vie présente ? Quelles espérances puis-je nourrir de cette terre ? Qu’est-ce que le Salut ? En quoi consiste-t-il et quelles sont ses conditions ? Admirons l’attention de ce docteur juif qui attend la réponse du Christ sans lui apposer de préjugé, de réponses attendues. Le Christ va le surprendre, mais il est prêt.
Nicodème n’est-il pas le représentant providentiel de l’intelligence humaine en quête de l’unique nécessaire ?







