Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs.
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Le post-synode est plus important que le synode, parce qu’il en représente l’auto-réalisation. Le Synode, en effet, confiera la réalisation de ses objectifs à la praxis pastorale. Si ce qui se transforme n’est pas la doctrine, mais la pastorale, ce changement ne peut se produire dans le Synode, il doit se produire dans la vie quotidienne du peuple chrétien et donc hors du Synode, après le Synode, dans la vie des diocèses et des paroisses de l’Eglise.
Le Pape François a annoncé, le 17 Octobre 2015, comment se conclura le Synode sur la famille. A quelques jours de la fin des travaux, l’assemblée des évêques est arrivée à une “impasse” (en français dans le texte) et la route pour en sortir serait, selon le pape celle de la décentralisation de l’Eglise [1].
L’impasse découle de la division entre ceux qui dans la Salle rappellent fermement le Magistère de toujours sur le mariage, et ces “novatores” qui voudraient renverser deux mille ans d’enseignement de l’Église, mais surtout la vérité de l’Evangile. C’est en effet Parole du Christ, loi divine et naturelle, que le mariage valide des baptisés, conclu et consommé, ne peut être, pour aucune raison au monde, dissous par quiconque.
Une seule exception annulerait la valeur absolue et universelle de cette loi, et si cette loi venait à tomber, l’édifice moral de l’Eglise tout entier s’écroulerait avec elle. Ou bien le mariage est indissoluble ou bien il ne l’est pas, et on ne peut pas admettre une dissociation entre l’énonciation du principe et son application dans la praxis. Entre la pensée et les mots et entre les mots et les faits, l’Eglise exige une cohérence radicale, la même dont ont témoigné les martyrs au long de l’histoire.
Le principe selon lequel la doctrine ne change pas, mais que son application pastorale change, introduit un coin (ndt : au sens de l’outil dont on se sert pour fendre du bois ou de la pierre avec un maillet) entre deux dimensions inséparables du christianisme : Vérité et Vie. La séparation entre la doctrine et la praxix ne provient pas de la doctrine catholique, mais de la philosophie hégélienne et marxiste, qui inverse l’axiome traditionnel selon lequel “agere sequitur esse” (l’action suit l” »être »). L’action, dans la perspective des novateurs, précède l” »être » et le conditionne, l’expérience ne vit pas la vérité, mais la crée. C’est le sens du discours prononcé par le cardinal Christoph Schönborn, commémorant le 50e anniversaire du Synode, le jour même où le pape François s’exprimait [2]. « La foi ne peut pas être représentée mais seulement témoignée », a affirmé l’archevêque de Vienne, réaffirmant la primauté du « témoignage » sur la doctrine.
Martyr, en grec, signifie témoin, mais pour les martyrs, témoigner signifiait vivre la vérité, tandis que pour les novateurs, cela signifie la trahir, la réinventer dans l’expérience.
La primauté de la praxis pastorale sur la doctrine est destinée à avoir les conséquences catastrophiques suivantes :
1) Le Synode « virtuel », comme cela a déjà été le cas pour le Concile Vatican II, est destiné à prévaloir sur le réel. Le message médiatique qui accompagnera les conclusions des travaux est plus important que le contenu des documents. La Relatio sur la première partie de l’Instrumentum Laboris du Circulus Anglicus C affirme avec clarté la nécessité de cette révolution du language : « Like Vatican II, this Synod needs to be a language-event, which is more than cosmetic ».
2) Le post-synode est plus important que le synode, parce qu’il en représente l’auto-réalisation. Le Synode, en effet, confiera la réalisation de ses objectifs à la praxis pastorale. Si ce qui se transforme n’est pas la doctrine, mais la pastorale, ce changement ne peut se produire dans le Synode, il doit se produire dans la vie quotidienne du peuple chrétien et donc hors du Synode, après le Synode, dans la vie des diocèses et des paroisses de l’Eglise.
3) L’auto-réalisation du Synode se déroule à l’enseigne de l’expérience des Eglises particulières, autrement dit de la décentralisation ecclésiastique. La décentralisation autorise les églises locales à expérimenter une pluralité d’expériences pastorales. Mais s’il n’y a pas une unique praxis cohérente avec l’unique doctrine, cela signifie qu’il y en a beaucoup, et toutes dignes d’être expérimentées. Les protagonistes de cette Révolution dans la praxis seront donc les évêques, les prêtres, les conférences épiscopales, les communautés locales, chacun selon sa liberté et sa créativité.
On voit se profiler l’hypothèse d’une Eglise « à deux vitesses » (two-speed Church) ou, toujours pour utiliser le language des eurocrates de Bruxelles, à « géométrie variable » (variable geometry). Face au même problème moral, on réagira de façon différente, selon l’éthique de la situation. A l’église des « catholiques adultes », de langue germanique, appartenant au « premier monde » sera autorisée la « marche accélérée » du « témoignage missionnaire » ; à l’église des catholiques « sous-développés », africains ou polonais, appartenant aux églises du deuxième ou troisième monde, sera concédée la « marche lente » de l’attachement à leurs traditions.
Rome resterait en arrière-plan, sans autorité réelle, avec une unique fonction d” »impulsion charismatique ». L’Eglise serait dé-vaticanisée, ou plutôt, dé-romanisée. A l’Eglise romanocentrique, on veut substituer une église polycentrique ou polyédrique. L’image du polyèdre a souvent été utilisée par le Pape François. « Le polyèdre – a‑t-il affirmé – est une unité, mais avec toutes les différentes parties ; chacune a sa particularité, son charisme. C’est cela l’unité dans la diversité. C’est sur cette route que nous, chrétiens, faisons ce que nous nommons l’œcuménisme théologique : nous essayons de faire en sorte que cette diversité soit davantage harmonisée par l’Esprit Saint et devienne unité » [3]).
Le transfert des pouvoirs aux conférences épiscopales est déjà prévu dans un passage d” »Evangelii Gaudium », qui les conçoit comme « sujets de pouvoirs spécifiques, incluant même quelque authentique autorité doctrinale. Une centralisation excessive, plutôt que d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire » (§32).
Aujourd’hui, François énonce ce « principe de collégialité », comme résultat final de l’assemblée en cours.
Les antiques hérésies du gallicanisme et du nationalisme ecclésiastique émergent à nouveau à l’horizon. La primauté de juridiction du Souverain Pontife est en effet un dogme de foi promulgué par le Concile Vatican I : dans cette primauté réside l’autorité suprême de l’Eglise, sur tous les pasteurs et sur tous les fidèles, indépendamment de tout autre pouvoir. Ce principe constitue la garantie de l’unité de l’Église : unité de gouvernement, unité de foi, unité des sacrements. La décentralisation est une perte d’unité qui conduit inévitablement au schisme. Le schisme est en effet la rupture qui se produit inexorablement quand viennent à manquer un point central de référence, un critère unitaire, tant sur le plan de la doctrine que sur celui de la discipline et de la pastorale. Les Églises particulières, divisées sur la praxis, mais aussi sur la doctrine qui dérive de la praxis, sont fatalement destinées à entrer en conflit et à produire fractures, schismes, hérésies.
La décentralisation ne sape pas seulement la Primauté romaine, mais nie le principe de non-contradiction, selon lequel « une même personne ne peut pas, dans le même temps et sous le même rapport, être ce qu’elle est et ne pas l’être ». C’est seulement sur la base de ce premier principe logique et métaphysique que nous pouvons utiliser notre raison et connaître la réalité qui nous entoure.
Qu’advient-il si le Pontife romain renonce, même seulement en partie, à exercer son pouvoir pour le déléguer aux Conférences épiscopales ou aux évêques individuels ? Il arrive évidemment que se crée une diversité de doctrine et de praxis entre les conférences épiscopales et d’un diocèse à l’autre. Ce qui sera interdit dans un diocèse, sera admis dans un autre et vice versa. Le concubin pourra recevoir le sacrement de l’Eucharistie dans un diocèse et pas dans un autre. Mais le péché est ou n’est pas, la loi morale est la même pour tout le monde ou elle n’est pas. Et de deux choses l’une : soit le Pape a la primauté de juridiction et il l’exerce, soit quelqu’un gouverne, dans les faits, en dehors de lui
Le pape admet l’existence d’un sensus fidei, mais c’est précisément le sensus fidei des évêques, des prêtres, des simples laïcs, qui est aujourd’hui scandalisé par les extravagances que l’on entend dans la Salle du Synode. Ces extravagances offensent le sens commun avant même le sensus Ecclesiae des fidèles. Le Pape François a raison quand il affirme que l’Esprit Saint n’assiste pas seulement le pape et les évêques, mais tous les fidèles [4]). Mais l’Esprit Saint n’est pas l’esprit d’innovation ; il guide l’Eglise, assistant nfailliblement sa Tradition. A travers la fidélité à la Tradition, l’Esprit Saint parle encore aux oreilles des fidèles. Et aujourd’hui, comme à l’époque de l’arianisme, nous pouvons dire avec saint Hilaire « Sanctiores aures plebis quam corda sacerdotum », les oreilles du peuple sont plus saintes que les cœurs des prêtres [5].
Roberto de Mattei
Sources : Il Foglio/Traduction de Benoit-et-Moi/LPL
- http://vaticaninsider.lastampa.it/documenti/dettaglio-articolo/articolo/sinodo-famiglia-44026/ [↩]
- http://vaticaninsider.lastampa.it/documenti/dettaglio-articolo/articolo/sinodo-famiglia-44028/ [↩]
- Discours aux pentecôtistes de Caserta, 28 Juillet 2014 (cf. http://benoit-et-moi.fr/2014-II‑1/actualites/le-pape-sadresse-a-ses-freres-pentecotistes.html [↩]
- Voir sur ce point Melchior Cano, De locis theologicis (Lib. IV, sect. 3, 117I[↩]
- Contra Arianos, vel Auxentium, n. 6, in PL, 10, col. 613.[↩]