La honte

Le 26 sep­tembre der­nier, le vote du Peuple suisse a vou­lu don­ner sa légi­ti­mi­té à l’ab­jecte PMA. Il signi­fie que, aux yeux de la Constitution du Peuple Suisse, la pater­ni­té n’est plus une néces­si­té inhé­rente à la nature humaine. Il signi­fie l’exil de saint Joseph, deve­nu par­fai­te­ment inutile.

Paul Claudel aimait à évo­quer, dans une for­mule savou­reuse, empreinte d’ironie sal­va­trice et ven­ge­resse, cette « grande et un peu mys­té­rieuse figure de saint Joseph, dont le nom seul fait sou­rire les gens supé­rieurs » [1]. Un peu mys­té­rieuse : c’est peut-​être là que l’ironie de Claudel se fait le plus jus­te­ment féroce … Car le grand mys­tère de saint Joseph n’est autre que celui-​là même du Verbe Incarné, le mys­tère de Notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, unique Sauveur et Rédempteur de tout le genre humain. C’est le car­di­nal Billot qui l’a sou­li­gné [2] : saint Joseph a été pré­des­ti­né et vou­lu par Dieu d’abord pour rem­plir son rôle de père nour­ri­cier de Jésus, avant de l’être pour rem­plir le rôle d’époux de Marie. En effet, son mariage vir­gi­nal (josé­phin, dira-​t-​on désor­mais en ver­tu de l’antonomase) a été vou­lu de Dieu d’abord et avant tout en fonc­tion de l’Enfant-Dieu dont il fal­lait assu­rer la nutri­tion et l’éducation. Comme Marie, mais d’une autre manière, Joseph n’est d’abord et avant tout vou­lu de Dieu que pour Jésus.

2. Tel est d’ailleurs – selon la lec­ture qu’en donne Billot – le sens de la parole de l’ange, rap­por­tée en saint Matthieu dans son Évangile, cha­pitre I, ver­sets 20–21 : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie pour ton épouse ; en effet, ce qui est né en elle est du Saint Esprit : elle met­tra au monde un fils et tu lui don­ne­ras le nom de Jésus » [3]. Le com­man­de­ment que l’ange donne à saint Joseph de prendre Marie pour épouse est une consé­quence ; et celle-​ci découle d’une cause. Cette cause est que la Vierge doit mettre au monde un fils. Peut-​être, dira-​t-​on, cette lec­ture est-​elle seule­ment accom­mo­da­tice. Mais elle pré­sente l’intérêt de mettre en évi­dence la mis­sion propre et la rai­son d’être de saint Joseph. C’est d’abord l’Enfant Jésus – avant Marie – qui a besoin d’un homme, c’est-à-dire d’un indi­vi­du de sexe mas­cu­lin. Et, bien qu’il n’en ait pas besoin pour venir au monde (sa concep­tion est en effet vir­gi­nale) Jésus en a besoin pour par­ve­nir à l’état d’homme ache­vé. Le père humain n’est donc pas seule­ment un géni­teur, d’un point de vue exclu­si­ve­ment bio­lo­gique. Il est néces­saire à l’enfant, selon les lois de la nature humaine, pour que celui-​ci par­vienne à son plein achè­ve­ment, en par­ti­cu­lier sur le plan psycho-​affectif. Et comme tous les autres mys­tères, celui de l’in­car­na­tion se doit de res­pec­ter ces lois plei­ne­ment néces­saires. Le miracle divin n’aura jamais rien de com­mun, rien de sem­blable avec l’abjecte PMA. Celle-​ci équi­vaut au refus et au rejet de la pater­ni­té, divine et humaine. Rejet de la pater­ni­té de Dieu à tra­vers le rejet de la pater­ni­té humaine, dont Dieu est l’auteur et le sou­ve­rain légis­la­teur. Ce rejet com­pro­met l’épanouissement de la per­sonne humaine et conduit à la déchéance. Il ne sau­rait trou­ver son issue ailleurs que dans une huma­ni­té manquée.


3. Le 26 sep­tembre der­nier, le vote du Peuple suisse a vou­lu don­ner sa légi­ti­mi­té à cette abjec­tion. Aucun des 26 can­tons ne s’est oppo­sé à la pos­si­bi­li­té offerte aux couples homo­sexuels de contrac­ter un mariage civil, et aux couples de femmes d’accéder à la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée. Aucun. Le plus grand pour­cen­tage de voix contre est mon­té seule­ment – dans le Tessin – à 47 %, lais­sant der­rière lui le can­ton du Valais – pour­tant cen­sé le can­ton tra­di­tion­nel­le­ment catho­lique par excel­lence – où le refus ne s’est expri­mé qu’à 44,5 % [4]. C’est une honte : la honte d’un véri­table crime contre l’humanité, désor­mais condam­née à périr, faute de pater­ni­té. Ne nous mépre­nons pas, en effet : ce crime est exces­si­ve­ment grave, car c’est d’abord celui d’une exem­pla­ri­té, pré­ci­sé­ment celui d’un droit. Que ceux qui use­ront de ce droit soient nom­breux ou non, majo­ri­taires ou non, le droit est acquis en prin­cipe et il signi­fie que, aux yeux de la Constitution du Peuple Suisse, la pater­ni­té n’est plus une néces­si­té inhé­rente à la nature humaine. Il signi­fie l’exil de saint Joseph, deve­nu par­fai­te­ment inutile.

4. La pater­ni­té humaine n’en res­te­ra pas moins néces­saire, aux hommes de notre temps, comme à ceux du temps du Christ – comme à l’Enfant-Dieu Lui-​même. Car les lois de la nature humaine sont impres­crip­tibles. Comme les autres can­tons de la Suisse, le Valais vient d’ouvrir la brèche de ce qui, à terme, abou­ti­ra à un véri­table sui­cide social. Pour le contre­car­rer, et essuyer cette honte, le Peuple suisse devra se rendre compte que la pater­ni­té n’est pas une simple alter­na­tive. En atten­dant, la Loi de Dieu a été mise aux urnes, dont on sait aujourd’hui – en ces temps de mani­pu­la­tion média­tique [5] – tout l’aléatoire ; et les pauvres citoyens de la Confédération pour­raient bien se repo­ser la ques­tion sou­le­vée jadis par le regret­té René Berthod : « La démo­cra­tie serait-​elle le gou­ver­ne­ment du peuple par une mino­ri­té » ?… [6]

Source : Le Courrier de Rome n°646

Notes de bas de page
  1. Cité par Charles De Koninck, La pié­té du Fils, Laval, 1954 dans l’annexe 3 p. 177–222 qui montre quels sont les véri­tables fon­de­ments du culte de saint Joseph, à la lumière des prin­cipes de saint Thomas et de la tra­di­tion sub­sé­quente.[]
  2. Dans son De Verbe Incarnate ou Traité du Verbe Incarné, thèse XLIV, p. 421.[]
  3. « Joseph fili David, noli timere acci­pere Mariam conju­gem tuam ; quod enim in ea natum est de Spiritu sanc­to est : pariet autem Filium et voca­bis nomen ejus Jesus ».[]
  4. Cf. le site Fsspx.Actualités, qui repro­duit les sta­tis­tiques offi­cielles.[]
  5. Selon la pro­fonde remarque du socio­logue Pierre-​André Taguieff : « Le désir d’éviter le pire s’impose comme une rai­son suf­fi­sante de voter en faveur du can­di­dat qui incarne, dans le contexte, l’évitement le plus effi­cace » (Pierre-​André Taguieff, Macron : miracle ou mirage ?, Éditions de l’Observatoire, 2017, p. 21).[]
  6. René Berthod, Rembarre. Billets (1978–1990), Éditions L’Âge d’homme, p. 57.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.