L’Académie Pontificale des Sciences avait organisé une semaine d’études des problèmes de microséisme ; les spécialistes de la question furent reçus en audience et le Pape prononça en cette occasion, le discours suivant :
Introduction : Dieu et la science
C’est une heure de joie sereine dont Nous remercions le Tout-Puissant que Nous offre cette réunion de l’Académie Pontificale des Sciences, en même temps qu’elle Nous donne l’agréable occasion de Nous entretenir avec une élite d’éminents cardinaux, d’illustres diplomates, de personnalités distinguées et spécialement avec vous, académiciens pontificaux, bien dignes de la solennité de cette assemblée. Vous, en effet, qui scrutez et dévoilez les secrets de la nature et enseignez aux hommes à en utiliser les forces pour leur bien, vous publiez, en même temps, avec le langage des chiffres, des formules, des découvertes, les ineffables harmonies du Dieu d’infinie sagesse.
La vraie science rapproche de Dieu :
La vraie science, en effet — quoi qu’on en ait inconsidérément affirmé dans le passé — plus elle progresse, et plus elle découvre Dieu, comme s’Il attendait aux aguets derrière chaque porte qu’ouvre la science. Disons plus : de cette découverte progressive de Dieu, fruit des accroissements du savoir, l’homme de science n’est pas seul à bénéficier, quand il pense en philosophe et comment pourrait-il s’en abstenir ? — mais encore tous ceux qui participent aux nouvelles trouvailles ou en font l’objet de leurs considérations, à commencer par les vrais philosophes ; car, prenant pour base de leur spéculation rationnelle les conquêtes scientifiques, ils en tirent une plus grande assurance dans leurs conclusions, de plus claires lumières pour dissiper d’éventuelles ombres, des secours plus convaincants pour donner aux difficultés et aux objections une réponse toujours plus satisfaisante.
Le Pape rappelle les « cinq voies » grâce auxquelles les philosophes scolastiques démontrent l’existence de Dieu.
Ainsi stimulé et guidé, l’intellect humain affronte la démonstration de l’existence de Dieu, cette démonstration que la sagesse chrétienne trouve dans les arguments philosophiques éprouvés au cours des siècles par des géants du savoir, et qui vous est bien connue sous la forme des « cinq voies » que le docteur angélique, saint Thomas, offre comme un rapide et sûr itinéraire de l’esprit vers Dieu [1]. Arguments philosophiques, avons-Nous dit ; mais non pour autant, à priori, comme en fait grief un positivisme étroit et inconséquent. Les arguments se fondent, en effet, sur des réalités concrètes et garanties par les sens comme par la science, même s’ils tirent leur force démonstrative de la vigueur de la raison naturelle.
De la sorte, philosophie et sciences opèrent selon des processus et des méthodes analogues et conciliables, utilisant dans des proportions diverses, éléments empiriques et éléments rationnels, et collaborant dans une harmonieuse unité à la découverte du vrai.
Les cinq voies doivent aujourd’hui être confrontées avec les données récentes des sciences :
Mais si l’expérience primitive des anciens put offrir à la raison des arguments suffisants pour la démonstration de l’existence de Dieu, aujourd’hui, l’élargissement et l’approfondissement du champ de cette même expérience font resplendir plus éclatante et plus précise, la trace de l’Éternel dans le monde visible. On pourrait donc, semble-t-il, avec profit, réexaminer sur la base de nouvelles découvertes scientifiques, les preuves classiques du Docteur angélique, spécialement celles qui sont tirées du mouvement et de l’ordre de l’univers ; autrement dit, rechercher si et dans quelle mesure la connaissance plus profonde du macrocosme et du microcosme contribue à renforcer les arguments philosophiques ; considérer ensuite si et jusqu’à quel point ils auraient été ébranlés, comme on l’entend dire parfois, du fait que la physique moderne a formulé de nouveaux principes fondamentaux, aboli ou modifié d’antiques concepts — dont le sens, dans le passé, était peut-être tenu pour stable et défini — comme par exemple ceux de temps, d’espace, de mouvement, de causalité, de substance, tous d’importance majeure pour la question qui nous occupe présentement. Ainsi, plus que d’une révision des preuves philosophiques, il s’agit ici d’un examen des bases physiques d’où ces arguments dérivent, et Nous devrons nécessairement, faute de temps, Nous limiter à quelques-unes d’entre elles. Aucune surprise n’est d’ailleurs à craindre : la science elle-même n’entend pas déborder les frontières de ce monde qui, aujourd’hui comme hier, se présente avec les « cinq modes d’être » d’où prend son essor et sa vigueur la démonstration philosophique de l’existence de Dieu.
En particulier, les sciences nous montrent aujourd’hui, sous une clarté nouvelle, 1° le changement et le mouvement des choses ; 2° la fin de l’univers.
De ces « modes d’être » du monde, qui nous entoure, appréhendés, avec une pénétration plus ou moins grande, mais une égale évidence, par l’esprit du philosophe et par l’intelligence commune, il en est deux que les sciences modernes ont merveilleusement sondés et vérifiés, et approfondis au-delà de toute attente : 1° la mutabilité des choses, y compris leur origine et leur fin ; 2° l’ordre de finalité qui resplendit dans toutes les parties du cosmos. La contribution apportée ainsi par les sciences aux deux démonstrations philosophiques qui s’appuient sur elles et qui constituent la première et cinquième voies, est très notable. A la première, la physique, en particulier, a apporté une mine inépuisable d’expériences, révélant le fait de la mutabilité jusque dans les profondeurs cachées de la nature où, avant notre époque, aucun esprit humain n’en pouvait même soupçonner l’existence et l’ampleur, et fournissant une multiplicité de faits empiriques qui sont d’un puissant secours pour le raisonnement philosophique. Nous disons secours : car pour ce qui est de la direction de ces transformations — attestée elle aussi par la physique moderne — elle Nous semble dépasser la valeur d’une simple confirmation et atteindre presque à la structure et au degré d’une preuve physique en grande partie nouvelle et, pour beaucoup d’esprits, plus acceptable, plus persuasive et plus satisfaisante.
Avec une telle richesse, les sciences, surtout astronomique et biologique, ont fourni ces derniers temps à l’argument de l’ordre du monde un tel ensemble de connaissances et une vision, pour ainsi dire, si enivrante de l’unité de conception qui anime le cosmos, et de la finalité qui en dirige le mouvement, que l’homme moderne goûte par avance cette joie que le poète Dante imaginait dans le ciel empyrée, lorsqu’il vit comment en Dieu « est contenu — lié par l’amour en un volume — ce qui s’effeuille par l’univers » [2].
L’homme de science peut donc lire dans la nature, la présence de Dieu :
Toutefois la Providence a voulu que la notion de Dieu, si essentielle à la vie de chaque homme, puisse se déduire facilement d’un simple regard jeté sur le monde, à tel point que n’en pas comprendre le langage est une folie [3], et que d’autre part, elle reçoive une confirmation de tout approfondissement et progrès des connaissances scientifiques.
Pie XII exprime l’intention de démontrer cette thèse :
Voulant donc donner ici une rapide esquisse du précieux service que les sciences modernes rendent à la démonstration de l’existence de Dieu, Nous Nous limiterons d’abord au fait des mutations, en en faisant surtout ressortir le caractère d’ampleur, d’étendue et, pour ainsi dire, de totalité, que la physique moderne découvre dans le cosmos inanimé. Nous Nous arrêterons ensuite sur le sens et l’orientation de ces mutations, tel qu’il est également attesté. Ce sera prêter l’oreille à quelques accords du concert de l’immense univers, assez puissants toutefois pour chanter « la gloire de Celui par qui tout l’univers se meut » [4].
a) La mutabilité du cosmos
Le fait de la mutabilité se constate dans le macrocosme :
On est en droit de s’étonner à première vue, en constatant que la connaissance du fait de la mutabilité a toujours gagné du terrain dans le macrocosme et dans le microcosme, au fur et à mesure que les sciences progressaient, comme pour confirmer par de nouvelles preuves la théorie d’Héraclite : « Tout s’écoule, panta rhei ». On le sait, l’expérience quotidienne elle- même révèle une prodigieuse quantité de transformations dans le monde, proche ou lointain, qui nous entoure, notamment les mouvements des corps dans l’espace. Mais, outre ces mouvements strictement locaux, sont aisément observables aussi les multiples changements physico-chimiques, tels que le changement de l’état physique de l’eau dans ses trois phases de vapeur, de liquide et de glace ; les profonds effets chimiques obtenus par l’action du feu, déjà connus dès l’âge pré-historique ; la désagrégation des roches et la corruption des corps végétaux et animaux. A cette commune expérience vint s’ajouter la science de la nature qui enseigna à interpréter des phénomènes et d’autres semblables comme processus de destruction ou de formation des substances corporelles à partir de leurs éléments chimiques, c’est-à-dire de leurs parties les plus petites : les atomes. Allant même plus loin, elle rendit manifeste que cette mutabilité physico-chimique n’est en aucune façon limitée aux corps terrestres, selon la croyance des Anciens, mais s’étend à tous les corps de notre système solaire et de l’immense univers que le télescope et mieux encore le spectroscope ont montrés formés des mêmes espèces d’atomes.
Le fait de la mutabilité constaté dans le microcosme :
Contre l’indispensable mutabilité de la nature, même inanimée, se dressait l’énigme toutefois du microcosme, encore inexploré. Il semblait de fait, que la matière inorganique, à la différence du monde animé, fût en un certain sens immuable. Ses plus petits éléments pouvaient bien s’unir entre eux selon les modes les plus divers, mais ils paraissaient jouir du privilège d’une éternelle stabilité, et indestructibilité, puisqu’ils sortaient inchangés de n’importe quelle synthèse et analyse chimique. Il y a cent ans, on les croyait encore de simples, indivisibles et indestructibles particules élémentaires. On en pensait autant des énergies et des forces matérielles du cosmos, surtout sur la base des lois fondamentales de la conservation de la masse et de l’énergie.
Quelques savants se croyaient même autorisés, au nom de leur science, à une fantastique philosophie moniste, dont le souvenir mesquin est lié entre autres, au nom de Ernst Haeckel. Mais justement, à son époque, vers la fin du siècle dernier, cette conception simpliste de l’atome fut, elle aussi, balayée par la science moderne. La connaissance croissante du système périodique des éléments chimiques, la découverte des radiations corpusculaires des éléments radioactifs et de nombreux faits semblables ont montré que le microcosme de l’atome, aux dimensions de l’ordre du dix millionième de millimètre, est le théâtre de continuelles mutations, non moins que le macrocosme bien connu de tous.
Le fait de la mutabilité constaté dans la sphère électronique :
Le caractère de la mutabilité fut vérifié en premier lieu dans la sphère électronique. De la condensation électronique de l’atome émanent des radiations de chaleur et de lumière qui sont absorbées par les corps externes, en correspondance avec le niveau d’énergie des orbites électroniques. Dans les parties extérieures de cette sphère, s’accomplissent également l’ionisation de l’atome et la transformation de l’énergie dans la synthèse et dans l’analyse des combinaisons chimiques. On pouvait cependant encore supposer que ces transformations physico-chimiques laisseraient un refuge à la stabilité, puisqu’elles n’atteignaient pas le noyau même de l’atome, siège de la masse et de la charge électrique positive qui assignent à l’atome sa place dans le système naturel des éléments, noyau où l’on pensait avoir trouvé le type même de l’absolument stable et de l’absolument invariable.
Le fait de la mutabilité se constate dans le noyau atomique :
Mais dès l’aube du nouveau siècle, l’observation des processus radioactifs, se référant, en dernière analyse, à une scission spontanée du noyau, conduisait à exclure un tel mythe. Une fois donc vérifiée l’instabilité jusqu’en la retraite la plus profonde de la nature connue, un fait toujours demeurait qui laissait perplexe : il semblait que l’atome fût inattaquable au moins par les forces humaines, puisque, en principe, toutes les tentatives faites pour en accélérer ou en arrêter la naturelle désagrégation radioactive, ou encore pour scinder des noyaux non actifs avaient échoué. La première très modeste désagrégation d’un noyau (d’azote) remonte à peine à trente ans, et ce n’est que depuis peu d’années seulement qu’il a été possible après d’immenses efforts, d’effectuer en quantité considérable des processus de formation et de décomposition des noyaux. Bien que ce résultat qui, dans la mesure où il sert aux œuvres de paix, est certainement à inscrire à l’actif de notre siècle, ne représente qu’un premier pas dans le domaine de la physique nucléaire pratique, toutefois il fournit une importante conclusion à la question qui nous occupe : les noyaux atomiques sont bien, dans beaucoup d’ordres de grandeur, plus stables que les compositions chimiques ordinaires, mais néanmoins, ils sont eux aussi, en principe, soumis à des lois semblables de transformation et donc muables.
On a pu constater en même temps, que de tels processus ont la plus grande importance dans l’économie de l’énergie des étoiles fixes. Au centre de notre soleil, par exemple, s’accomplit, selon Bethe, à une température d’environ vingt millions de degrés, une réaction en chaîne, en circuit fermé, dans laquelle quatre noyaux d’hydrogène sont condensés en un noyau d’hélium. L’énergie qui est ainsi libérée vient compenser la perte due à l’irradiation du soleil. Dans les laboratoires modernes de physique, on réussit également, moyennant le bombardement par des particules douées d’une énergie très élevée, ou par des neutrons, à effectuer des transformations de noyaux, comme on peut le voir dans l’exemple de l’atome d’uranium. A ce sujet, il faut d’ailleurs mentionner les effets de la radiation cosmique, qui peut scinder les atomes plus lourds, libérant ainsi assez souvent des essaims entiers de particules subatomiques.
Nous avons voulu citer seulement quelques exemples susceptibles cependant de mettre hors de doute la mutabilité indiscutable du monde inorganique, grand et petit : les mille transformations des formes d’énergie, spécialement dans les décompositions et combinaisons chimiques du macrocosme, et tout autant la mutabilité des atomes jusqu’à la particule subatomique de leurs noyaux.
Dieu immuable est aujourd’hui saisi avec plus de profondeur, face à cette mutabilité universelle :
Le savant d’aujourd’hui, pénétrant du regard l’intime de la nature plus profondément que son prédécesseur d’il y a cent ans, sait donc que la matière inorganique, pour ainsi dire dans sa moëlle la plus secrète, est marquée par l’empreinte de la mutabilité et que, dès lors, son être et sa subsistance exigent une réalité entièrement diverse et invariable par nature.
Comme dans un tableau en clair-obscur, les visages ressortent sur le fond sombre et n’obtiennent qu’ainsi leur plein effet plastique et vivant, de même l’image de l’éternellement immuable ressort claire et splendide, du torrent qui emporte avec lui toutes les choses matérielles du macrocosme et du microcosme et les entraîne en un changement intrinsèque qui jamais ne cesse. Le savant arrêté sur la rive de l’immense torrent trouve le repos dans ce cri de vérité par lequel Dieu se définit lui- même : « Je suis Celui qui suis » [5] et que l’Apôtre loue comme « le Père des lumières, en qui n’existent aucune vicissitude, ni ombre de changement » [6].
b) La direction des transformations.
Dans le macrocosme joue la loi de l’entropie :
Mais la science moderne n’a pas seulement élargi et approfondi nos connaissances sur la réalité et l’ampleur de la mutabilité du cosmos ; elle nous offre aussi de précieuses indications sur la direction suivant laquelle se réalisent les processus de la nature. Il y a encore cent ans, spécialement, après la découverte de la loi de la conservation, on pensait que les processus naturels étaient réversibles et, de ce fait, selon les principes de la stricte causalité, ou mieux de la stricte détermination de la nature, on estimait possible un continuel renouvellement et rajeunissement du cosmos ; mais depuis, grâce à la loi de l’entropie découverte par Rodolphe Clausius, on s’est rendu compte que les processus spontanés de la nature sont toujours accompagnés d’une diminution de l’énergie libre et utilisable : ce qui dans un système matériel clos, doit conduire finalement à la cessation des processus à l’échelle macroscopique. Ce destin fatal que, seules des hypothèses parfois trop gratuites, comme celle de la création continue supplétive, s’efforcent d’épargner à l’univers, mais qui ressort au contraire, de l’expérience scientifique positive, postule éloquemment l’existence d’un Etre nécessaire.
Dans le microcosme se dessine également une direction pareille à celle qu’affecte le macrocosme :
Dans le microcosme, cette loi, statistique au fond, n’a pas d’application et, en outre, au temps où elle fut formulée, on ne connaissait presque rien de la structure et du comportement de l’atome. Toutefois, les plus récentes recherches sur l’atome, et aussi le développement inattendu de l’astrophysique, ont rendu possibles dans ce domaine d’étonnantes découvertes. Le résultat, qui ne peut être que brièvement indiqué ici, est qu’un sens de direction est clairement assigné aussi au développement atomique et intraatomique.
Pour illustrer ce fait, il suffira de recourir à l’exemple déjà mentionné du comportement des énergies solaires. La condensation électronique des atomes dans la photosphère du soleil dégage à chaque seconde une gigantesque quantité d’énergie qui rayonne, sans en revenir, dans l’espace qui l’entoure. La perte est compensée, dans l’intérieur du soleil, par la formation d’hélium à partir de l’hydrogène. L’énergie ainsi libérée, provient de la masse des noyaux d’hydrogène qui, dans ce processus, se convertit pour une faible part (7 pour 1000) en énergie équivalente. Le processus de compensation se déroule donc aux dépens de l’énergie qui originairement, dans les noyaux d’hydrogène, existe comme masse. Ainsi cette énergie, au cours de milliards d’années, lentement, mais irréparablement se transforme en radiations. Une chose semblable se vérifie dans tous les processus radioactifs soit naturels, soit artificiels. Ainsi donc, au cœur même du microcosme, nous rencontrons aussi une loi qui indique la direction de l’évolution et qui est analogue à la loi de l’entropie dans le macrocosme. La direction de l’évolution spontanée est déterminée du fait de la diminution de l’énergie utilisable dans la condensation électronique et dans le noyau de l’atome, et on ne connaît pas jusqu’ici de processus qui pourraient compenser ou annuler cette déperdition grâce à la formation spontanée de noyaux de haute valeur énergétique.
c) L’univers et ses développements
En fixant ses regards sur l’avenir, on découvre que l’univers vieillit :
Si donc l’homme de science détache son regard de l’état présent de l’univers, le tourne vers l’avenir, même le plus lointain, il se voit obligé à reconnaître, dans le macrocosme comme dans le microcosme, le vieillissement du monde. Ainsi, même les quantités de noyaux atomiques apparemment inépuisables perdent, au cours de milliards d’années, de l’énergie utilisable et, pour parler en images, la matière s’achemine vers l’état d’un volcan éteint et scoriforme. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que si le cosmos, aujourd’hui tout palpitant de rythmes et de vie, ne suffit pas comme on l’a vu, à rendre raison de lui-même, encore sera-ce d’autant moins possible au cosmos sur lequel aura, peut-on dire, passé l’aile de la mort.
Par contre, le passé montre aux origines le développement d’énergies aujourd’hui amoindries :
Qu’on tourne maintenant le regard vers le passé. A mesure qu’on recule, la matière se présente toujours plus riche d’énergie libre et théâtre de plus grands bouleversements cosmiques. Ainsi tout semble indiquer que l’univers matériel a pris, en des temps finis, un puissant élan initial, chargé comme il l’était d’une incroyable surabondance de réserves énergétiques en vertu desquelles, rapidement d’abord, puis avec une lenteur croissante, il a évolué vers l’état actuel.
Aussi deux questions se présentent-elles spontanément à l’esprit : La science est-elle en mesure de dire quand ce puissant commencement du cosmos a eu lieu ? Et quel était l’état initial primitif de l’univers ?
Les plus excellents experts de la physique de l’atome, en collaboration avec les astronomes et les astrophysiciens, se sont efforcés de faire la lumière sur ces deux difficiles mais fort intéressants problèmes.
d) Le commencement dans le temps
On s’attache maintenant à éclaircir le mystère de l’origine de l’univers :
Tout d’abord, dans sa recherche, pour citer quelques chiffres, sans autre prétention que d’exprimer un ordre de grandeur dans l’évaluation de l’aube de notre univers, c’est-à-dire de son commencement dans le temps, la science dispose de plusieurs voies, assez indépendantes l’une de l’autre, et pourtant convergentes ; Nous les indiquons brièvement :
1° On calcule la durée des mouvements de nébuleuses :
L’examen de nombreuses nébuleuses spirales, exécuté en particulier par Edwin E. Hubble à l’observatoire du Mont- Wilson, amena à ce résultat significatif — quoique tempéré de réserves — que ces lointains systèmes de galaxies tendent à s’éloigner l’un de l’autre à une vitesse telle que l’intervalle entre deux de ces nébuleuses spirales double en 1.300 millions d’années environ. Si l’on parcourt d’un regard rétrospectif le temps de ce processus de « l’Expanding Universe », on doit conclure qu’il y a, de 1 à 10 milliards d’années, la matière de toutes les nébuleuses spirales se trouvait comprimée dans un espace relativement restreint quand commencèrent les processus cosmiques.
2° On calcule l’âge de la croûte terrestre :
Pour calculer l’âge des substances originaires radioactives, des données très approximatives sont fournies par la transmutation de l’isotope de l’uranium 238 en un isotope du plomb (RaG), de l’uranium 235 en actinium D (AcD) et de l’isotope du thorium 232 en thorium D (Th D). La masse d’helium qui se forme ainsi peut servir de contrôle. Par cette voie on arriverait à la conclusion que l’âge moyen des minéraux les plus anciens est au maximum de cinq milliards d’années.
3° On calcule l’âge des météorites :
La méthode précédente appliquée aux météorites pour calculer leur âge, a donné environ le même chiffre de cinq milliards d’années : résultat qui acquiert une importance particulière du fait qu’est communément admise par tous aujourd’hui l’origine interstellaire des météorites.
4° On détermine la stabilité des systèmes stellaires :
Les oscillations de la gravitation à l’intérieur de ces systèmes restreignent à nouveau leur stabilité — à l’instar du frottement des marées — dans les limites de cinq à dix milliards d’années.
Ces données peuvent parfaitement se concilier avec les textes de la Genèse :
Si ces chiffres peuvent provoquer l’étonnement, ils n’apportent pas toutefois, même au plus simple des croyants, un concept nouveau et différent de celui que lui ont appris les premiers mots de la Genèse In principio, à savoir le concept de commencement des choses dans le temps. Ils donnent à ces mots une expression concrète et presque mathématique : en même temps il en jaillit un nouveau réconfort pour ceux qui partagent l’estime de l’Apôtre à l’égard de cette Ecriture divinement inspirée, qui est toujours utile « pour enseigner, pour reprendre, pour redresser, pour éduquer » [7].
e) L’état et la qualité de la matière originaire
De quoi était faite la matière originaire ?
C’est avec la même application et une égale liberté d’enquête et de vérification qu’après la question de l’âge du cosmos, les savants ont affronté, dans leur audacieux génie, l’autre question signalée plus haut et certainement plus ardue, celle qui concerne l’état et la qualité de la matière primitive.
Selon les théories que l’on prend pour bases, les calculs ne diffèrent pas peu les uns des autres. Toutefois, les hommes de science s’accordent à retenir que, outre la masse, la densité, la pression et la température doivent aussi avoir atteint des proportions absolument énormes, comme on peut le voir dans le récent travail de A. Unsoeld, directeur de l’Observatoire de Kiel [8]. C’est seulement dans ces conditions qu’on peut comprendre la formation des noyaux lourds et leur fréquence relative dans le système périodique des éléments.
D’autre part, l’esprit avide de vérité insiste avec raison pour demander comment la matière a jamais pu arriver à un semblable état, si inconcevable pour notre commune expérience d’aujourd’hui, et pour rechercher ce qui l’a précédée. En vain attendrait-on une réponse des sciences de la nature qui déclarent, au contraire, se trouver devant une énigme insoluble.
Il est bien vrai que ce serait trop exiger de la science comme telle ; mais il est également certain que l’esprit humain versé dans la méditation philosophique pénètre plus profondément dans le problème.
Les recherches scientifiques rejoignent ici encore les données de la Révélation :
On ne peut nier qu’un esprit éclairé et enrichi par les connaissances scientifiques modernes, et qui envisage avec sérénité ce problème est conduit à briser le cercle d’une matière totalement indépendante et autonome — parce que ou incréée ou s’étant créée elle-même — et à remonter jusqu’à un Esprit créateur. Avec le même regard limpide et critique dont il examine et juge les faits, il y entrevoit et reconnaît l’œuvre de la Toute-Puissance créatrice, dont la vertu, suscitée par le puissant Fiat prononcé il y a des milliards d’années par l’Esprit créateur, s’est déployée dans l’univers, appelant à l’existence, dans un geste de généreux amour la matière débordante d’énergie. Il semble en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat lux initial, de cet instant où surgit du néant, avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies.
Toutefois jusqu’à présent la science ne donne pas, sur le problème de l’origine de l’univers autant de clarté que les textes scripturaires :
Il est certes vrai que les faits jusqu’ici constatés ne constituent pas un élément de preuve absolue en faveur de la création dans le temps, comme c’est le cas contraire des arguments tirés de la métaphysique et de la Révélation, pour tout ce qui concerne la simple création, et de la Révélation seule, s’il s’agit de la création dans le temps.
Les faits relatifs aux sciences de la nature, auxquels Nous Nous sommes référé, attendent encore de plus grandes recherches et confirmation et les théories fondées sur eux ont besoin de nouveaux développements et de nouvelles preuves pour offrir une base sûre à une argumentation qui est, comme telle, hors des sphères propres des sciences de la nature.
Pie XII souligne l’évolution de la pensée des savants en ce qui concerne l’origine du monde :
Toutefois, il est remarquable que des savants modernes, versés dans l’étude de ces sciences, estiment l’idée de la création de l’univers parfaitement conciliable avec leurs conceptions scientifiques et qu’ils y soient même plutôt conduits spontanément par leurs recherches, alors qu’il y a encore quelques dizaines d’années une telle « hypothèse » était repoussée comme absolument inconciliable avec l’état présent de la science. En 1911, le célèbre physicien Svante Arrehnius déclarait encore que « l’opinion que quelque chose puisse naître de rien est en contradiction avec l’état présent de la science, selon laquelle la matière est immuable [9] ». De même, elle est de Plate cette affirmation : « La matière existe. Rien ne naît de rien ; en conséquence la matière est éternelle. Nous ne pouvons admettre la création de la matière. » [10]
Combien différent et plus fidèle reflet de visions immenses est, au contraire, le langage d’un savant moderne de premier ordre, sir Edmund Whittaker, Académicien pontifical, quand il traite des recherches dont Nous parlions plus haut sur l’âge du monde : « Ces différents calculs convergent vers la conclusion qu’il y eut une époque, il y a un ou dix milliards d’années, avant laquelle le cosmos, s’il existait, existait sous une forme totalement différente de tout ce qui nous est connu, aussi cette époque représente-t-elle l’ultime limite de la science. Nous pouvons, peut-être, sans impropriété, nous référer à elle comme à la création. Elle fournit un arrière-plan en harmonie avec la vision du monde suggérée par l’évidence géologique, selon laquelle tout organisme existant sur la terre a eu un commencement dans le temps. Si ce résultat devait être confirmé par des recherches ultérieures, il pourrait bien se faire qu’il soit considéré comme la plus importante découverte de notre époque, puisqu’il représente un changement fondamental dans la conception scientifique de l’univers, semblable à celui qui résulta, il y a quatre siècles, de l’œuvre de Copernic. » [11]
Le Pape conclut qu’aujourd’hui on peut donner de nouveaux arguments qui renforcent les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu :
Quelle est donc l’importance de la science moderne vis-à-vis de la preuve de l’existence de Dieu tirée de la mutabilité du cosmos ? Grâce à des investigations précises et détaillées dans le macrocosme et le microcosme, elle a élargi et approfondi considérablement les bases d’expérience sur lesquelles se fonde l’argument et d’où l’on conclut à l’existence d’un « Ens a se », immuable par nature. En outre elle a suivi le cours et la direction des développements cosmiques, et comme elle en a entrevu le terme fatal, de même a‑t-elle indiqué que leur commencement se situe il y a quelque cinq milliards d’années : elle confirmait ainsi, avec le caractère concret propre aux preuves physiques, la contingence de l’univers et la déduction fondée que vers cette époque le cosmos est sorti des mains du Créateur.
Ainsi, création dans le temps : et pour cela un Créateur : et par conséquent Dieu ! Le voici donc – encore qu’implicite et imparfait – le mot que Nous demandions à la science et que la présente génération humaine attend d’elle. C’est le mot qui surgit de la considération mûre et sereine d’un seul aspect de l’univers, à savoir de sa mutabilité ; mais il suffit déjà pour que l’humanité entière, sommet et expression rationnelle du macrocosme et du microcosme, prenant conscience de son sublime auteur, se sente sa chose, dans l’espace et dans le temps, et tombant à genoux devant sa souveraine Majesté, commence à en invoquer le nom : « Dieu, force et soutien du monde – Toujours immuable en vous-même – Qui, par la marche du soleil — Réglez la succession des temps. » [12]
La connaissance de Dieu, unique Créateur, commune à beaucoup de savants modernes est certainement l’extrême limite à laquelle peut arriver la raison naturelle ; mais elle ne constitue pas – comme vous le savez bien – l’ultime frontière de la vérité. De ce même Créateur, que la science rencontre sur son chemin, la philosophie et plus encore la Révélation – collaborant harmonieusement parce que toutes trois instruments de vérité et rayons d’un même soleil – contemplent la substance, dévoilent les contours, décrivent les traits. Par-dessus tout, la Révélation en rend la présence comme immédiate, vivifiante, pleine d’amour : c’est celle que le simple croyant et le savant expérimentent dans l’intime de leur cœur, quand ils répètent avec assurance les concises paroles de l’antique Symbole des Apôtres : « Je crois en Dieu le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre ! »
Aujourd’hui, après tant de siècles de civilisation – parce que siècles de religion – il ne s’agit plus de découvrir Dieu pour la première fois : il importe bien plutôt de Le connaître comme Père, de le révérer comme Législateur, de le craindre comme Juge ; il est urgent pour le salut des nations, qu’elles en adorent le Fils plein d’amour, Rédempteur des hommes, et qu’elles se plient aux suaves impulsions de l’Esprit, fécond Sanctificateur des âmes.
Cette persuasion, à laquelle la science fournit ses premiers éléments est couronnée par la foi : celle-ci pourra, en vérité, si elle est toujours plus enracinée dans la conscience des peuples, apporter un facteur fondamental de progrès au déroulement de la civilisation.
C’est une vision du tout – du présent comme de l’avenir, de la matière comme de l’esprit, du temps comme de l’éternité – qui, illuminant les esprits, épargnera aux hommes d’aujourd’hui une longue nuit de tempête.
Cette foi, elle Nous fait en ce moment élever vers Celui que Nous venons d’appeler Force immuable et Père, cette fervente supplication pour tous ses fils, confiés à Notre garde : « Dispensez-nous la lumière le soir, afin que notre vie ne s’éteigne jamais [13] ; lumière pour la vie du temps, lumière pour la vie éternelle.
Source : Traduction de la Documentation Catholique, selon le texte italien des A. A. S., XXXXIV, 25 janvier 1952, p. 31.
- Saint Thomas, Ire p., q. 2, art. 3.[↩]
- Paradis, XXXIII, 85–87.[↩]
- Cf. Sagesse, XIII, 1–2.[↩]
- Paradis, I, 1.[↩]
- Ex., III, 14.[↩]
- Jac., I, 17.[↩]
- II. Tim., III, 16. [↩]
- Kernphysik und Kosmologie, dans Zeitschrift für Astrophysik, 24, B, 1948, pp. 278–305. [↩]
- Die Vorstellung vom Weltgebäude im Wandel der Zeiten, 1911, p. 362.[↩]
- Ultramontane Weltanschauung und moderne Lebenskunde, 1907, p. 55.[↩]
- Space and Spirit, 1946, pp. 118–119.[↩]
- Brev. Rom., Hymne de None.[↩]
- Ibid.[↩]