Le 3 décembre, le Souverain Pontife a daigné honorer de sa présence l’inauguration de la quatrième année académique de l’Académie pontificale des sciences, dont le président est le R. P. Gemelli, O. F. M. Après avoir écouté le rapport sur l’activité de l’Académie durant l’année écoulée, le Saint-Père adressa à l’illustre assemblée un long et pénétrant discours sur les trois degrés de notre connaissance de Dieu : connaissance par la raison, par la foi, par la vision intuitive. En voici la traduction :
A l’agrément et à la complaisance que Nous prenons à inaugurer la nouvelle année scientifique de l’Académie pontificale des sciences, répond Notre satisfaction de Nous trouver au milieu de cette noble assemblée de cardinaux, de diplomates, de personnages distingués, d’illustres maîtres qui font des recherches sur les sciences physiques, mathématiques et naturelles et sur leur histoire. Dans une séance pareille, et dans cette même salle, déjà vous avez entendu une autre fois Notre modeste parole, messagère de Notre incomparable prédécesseur Pie XI, lorsque, pour remédier à la diminution des forces, non point de son âme ardente, mais de son corps affaibli, il soumit sa volonté au conseil de celui qui veillait sur sa précieuse existence. Son nom glorieux est désormais inscrit en caractères indélébiles dans les fastes de l’histoire, non moins qu’à la première page de cette Académie des sciences par lui constituée et qui, si sa structure et son titre rendent un son nouveau, ne fait en réalité, dans ses développements, ses desseins et son but, que reconstituer et relever à un plus moderne et universel niveau scientifique l’antique et illustre Académie dei Lincei (des lynx), déjà renouvelée par le grand pontife Pie IX, Notre prédécesseur d’impérissable mémoire.
Ce que l’Académie pontificale des sciences doit à Pie XI.
Vers Pie XI, assis lui-même, il y a un an, dans cette salle, laquelle maintenant se pare de son portrait vénéré, Notre souvenir se tourne, triste et déférent, ainsi que la gratitude de Notre âme, qui admirait dans son esprit et dans son cœur ces ascensions puissantes, ces hardiesses d’un esprit tout occupé du passé, du présent et de l’avenir ; elles entourèrent son trône des rayons de la plus haute piété, du sacrifice le plus continuel, de la plus vigilante sollicitude, de la plus ample dilatation de la foi, du plus ardent progrès de la science ecclésiastique, de l’accroissement et des fruits les plus modernes de l’investigation scientifique. Cette Académie, que lui-même avait déjà confiée aux soins du méritant et infatigable président, le P. Gemelli, vous proclame son plus vaillant titre de gloire.
Elle est une ascension alpestre, accomplie par lui sur le haut et vaste cirque des Alpes de la science, où la vérité lève altièrement la tête au-dessus des vallées et des plaines qui séparent régions et pays ; où la vérité, qui monte des abîmes de la terre et des mers et descend de la profondeur des cieux, réunit, ô illustres savants, votre génie scrutateur et votre docte voix pour chanter l’hymne de la raison humaine aux vestiges laissés dans l’univers par le Créateur, quand il eut achevé les cieux et la terre, avec tous leurs ornements (Gen., ii, 1–2).
Dieu se reposant de ses nouvelles œuvres, dit saint Augustin, ne partit point pour autant, en abandonnant le monde à lui-même [1] ; mais il conserva dans son éternel dessein la prévoyante pensée de l’homme et, soutenant sur le néant avec le doigt de sa toute-puissance l’univers en mouvement, il laissa celui-ci aux disputes des hommes sans que l’homme puisse comprendre l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin (Eccl., iii, 11). C’est une grande énigme que Dieu a proposée au genre humain déchu ; sa solution est épuisante (Eccl., i, 13) ; cette énigme du Dieu inconnu opérant dans la création, que l’apôtre saint Paul désignait aux philosophes stoïciens et épicuriens de l’aréopage d’Athènes, disant que ce Dieu inconnu avait répandu la race des hommes sur toute la terre, à travers les temps, afin qu’ils cherchassent Dieu, en admettant qu’ils le puissent trouver, encore qu’il ne soit pas loin de chacun de nous (Act., xvii, 18–27).
L’énigme de l’univers, objet d’admiration, des recherches, des travaux des savants, dans tous les siècles.
L’énigme de la création a tenu en haleine, depuis des siècles, l’admiration et l’intelligence de toutes les nations ; de ses multiples solutions ont résonné les portiques et les écoles d’Académus, du Lycée et de Stoa ; ses volumes ont rempli les bibliothèques antiques et modernes ; les divergences sur les moyens de déchiffrer cette énigme ont suscité des luttes entre les savants investigateurs de la nature, de la matière et de l’esprit. Ces travaux, ces leçons, ces volumes, ces luttes ne sont pas autre chose que des recherches de la vérité cachée dans les replis de l’énigme. Qu’y a‑t-il, s’écrie le génie d’Hippone, qu’y a‑t-il que l’âme humaine désire le plus, sinon la vérité [2] ?
Oui, vos âmes, illustres académiciens, appellent et cherchent la vérité qui palpite dans l’enveloppe de ce que nous voyons, écoutons, sentons, goûtons, touchons, éprouvons de mille manières et suivons de notre pensée dans la complexité des poids, des nombres, des mesures, des mouvements visibles et invisibles où cette vérité se meut, se transforme, se montre et se cache pour apparaître plus voisine ou plus lointaine ; où elle défie notre perspicacité, nos machines, nos expériences, et souvent nous menace de la terreur d’une force plus puissante que nos instruments et que nos appareils qui sont pourtant de merveilleux prodiges de notre main et de notre art industrieux. Telle est la vigueur, la séduction, la beauté, la vie impalpable de la vérité, qui se dégage de l’aspect et de l’investigation de l’immense réalité qui nous entoure. Voix et parole, que la réalité des choses envoie à notre esprit par l’intermédiaire des sens admirables de notre nature formée de chair et d’esprit, telle est la vérité recherchée par nous par les immenses voies de l’univers.
Notre art est enfant de Dieu.
De même que nous ne créons pas la nature, nous ne créons pas davantage la vérité : nos doutes, nos opinions, nos négligences ou nos négations ne la changent pas. Nous ne sommes pas la mesure de la vérité du monde, ni de nous-mêmes, ni de la haute fin à laquelle nous sommes destinés. Notre art sagace mesure la vérité de nos appareils et de nos instruments, de nos outils et de nos machines ; il transforme, enchaîne et dompte la matière que la nature nous présente, mais il ne la crée pas. Et notre art doit se contenter de suivre la nature, comme le disciple son maître, dont il imite l’œuvre. Quand notre intelligence ne se conforme pas à la réalité des choses et veut rester sourde à la voix de la nature, elle s’égare dans l’illusion des songes et s’attache à de fallacieuses et trompeuses vanités. Aussi, affirmait-il avec raison le plus grand poète italien, que « la nature prend son cours de la divine intelligence et de son art… » et que « votre art, autant qu’il le peut, suit celle-là, comme le disciple son maître, de sorte que votre art est à Dieu comme un petit-fils » [3].
La vérité scientifique est fille de la nature et petite-fille de Dieu.
Mais non seulement notre art est enfant de Dieu, mais plus encore la vérité de notre intellect, parce que, dans l’échelle de la vérité connue, il se trouve tout en bas, pour ainsi dire, au troisième degré dans la descente, en dessous de la nature et en dessous de Dieu. Entre Dieu et nous, il y a la nature. Or, la vérité de la nature est inséparable au regard de l’art infaillible de l’intelligence créatrice qui la soutient dans l’être et dans l’agir et qui en mesure ainsi la vérité dans la réalité des choses. Au contraire, elle est accidentelle à la nature et aux choses, la relation de la vérité, dont les revêt, comme effet de sa contemplation et investigation, notre débile intelligence, qui ne possède pas, comme certains le croyaient, d’idées innées dès la naissance, mais qui, par la voie des sens, entreprend la connaissance des choses perçues dans leur accidentalité et qualité extérieures, qui par elles-mêmes sont sensibles ; tellement que notre intelligence peut à peine, par le moyen de ces phénomènes extérieurs, arriver à la connaissance interne des choses, même de celles dont les caractères accidentels sont parfaitement perçus par les sens[4]. Aussi, l’esprit humain, non obnubilé par les préjugés et les erreurs, comprend-il que comme la nature est fille de Dieu, mesurée dans sa vérité par l’intelligence divine, de même, mesurant elle-même la connaissance de notre esprit, qui l’apprend par le canal des sens, elle fait en sorte que la vérité de notre science soit fille de cette nature et donc petite-fille de Dieu.
Image de Dieu par son âme, l’homme monte jusqu’à Lui par l’échelle de l’univers.
Ne vous étonnez d’ailleurs pas, ô savants investigateurs de la nature et des choses sensibles, si Nous voyons en vous les puissants et profonds évocateurs des vérités les plus cachées au sein de la nature, selon le grand principe du philosophe de Stagire, à savoir que cognitio nostra incipit a sensu, principe qui nous fait connaître la place que Dieu donne ici-bas à ce divin étranger qu’est l’homme ; étranger, qui est « des choses créées la plus belle », et dont « le front regarde le ciel et tend au ciel », et dont « la main peut tout atteindre et tout saisir, et s’endurcissant au travail, hardiment et promptement élève des cités et, à l’opposé, rase les montagnes », et dont l’esprit, image de l’Eternel, esprit dont chacun de vous qui en connaît l’admirable prison de muscles, d’os, de nerfs, de veines, de sang, de fibres, doit sentir en soi la noblesse et la grandeur, en s’exclamant devant tout enfant d’Adam déchu, qui parmi le tumulte des passions conserve encore sur le visage les traces de l’antique beauté : « Je reconnais encore les signes sacrés de la haute origine divine ; jusque dans ta ruine, tu es encore beau et grand ! » [5]
L’homme, par l’échelle de l’univers, monte jusqu’à Dieu ; l’astronome, en parvenant jusqu’au ciel, ne peut être incrédule à la voix du firmament ; la pensée suivie par l’amour et l’adoration dépasse les soleils et les nébuleuses astrales et cingle vers un Soleil qui illumine et réchauffe, non l’argile de l’homme, mais bien l’esprit, qui l’avive.
Voilà la joie de savoir, de connaître, ne fût-ce qu’un peu, l’immense océan de vérité qui nous environne, nous qui naviguons dans la nacelle de notre vie avec la boussole de notre esprit. Mais dans cette croisière intellectuelle, « plus qu’inutilement, il s’éloigne de la rive, parce qu’il ne revient pas tel qu’il en était parti, celui qui va à la recherche du vrai sans avoir l’art de le trouver » [6].
Les recherches et les découvertes scientifiques révèlent les secrets de la nature et permettent des applications utiles à l’humanité.
A la joie de connaître, ô illustres savants, vous joignez l’art de la recherche du vrai, et vous retournez dans la retraite silencieuse de vos études et de vos laboratoires, non tels que vous en étiez sortis, mais enrichis d’une pensée qui est la conquête d’une énigme pour accroître le merveilleux patrimoine de la science. Telle est la voie du progrès humain, voie rude, voie marquée des traces des plus audacieux héros des découvertes, de Thalès, d’Aristote, d’Archimède, de Ptolémée, de Galien à Bacon, à Léonard de Vinci, à Copernic, à Galilée, à Kepler, à Newton, à Volta, à Pasteur, à Curie, à Hertz, à Edison, à Marconi, à cent autres ; à vous enfin, qui recevant de leurs mains le flambeau de la recherche et de la science, le transmettez plus lumineux à de plus jeunes héros que ne découragent pas les traverses et les épreuves de la route et que n’effrayent pas les monuments funéraires de leurs glorieux devanciers tombés en chemin. L’enseignement est le père de l’invention : « petite étincelle engendre grande flamme. » Aux découvertes des prédécesseurs s’ajoutent, développant et corrigeant, les nouveaux résultats des inventions des continuateurs, des prodiges de science physique, mathématique et industrielle, dont notre époque reste étonnée, dans son pressentiment et son avidité de plus ravissantes merveilles. Le secret de la vérité, caché depuis des siècles et enseveli dans l’univers, vous nous le révélez ; vous êtes sur le point de décomposer l’atome lui-même, pour tenter d’arriver à une connaissance plus intime de la constitution des corps ; vous éveillez et révélez des forces inconnues de nos aïeux, vous les maîtrisez et les dirigez comme il vous agrée, vous en propagez la voix et la multipliez jusqu’aux extrémités de la terre et, conjointement à la parole, vous vous préparez à faire resplendir devant notre regard l’image vivante de nos frères et du monde des antipodes, tandis que d’une aile vrombissante vous vous élevez du sol pour disputer aux aigles le royaume des vents et pour les vaincre en vitesse et en altitude.
Comme l’aviateur, l’homme doit monter utilisant la création pour aller plus avant dans la connaissance de Dieu.
Ce merveilleux élan que prend l’homme vers le ciel, au-dessus des cités, des plaines et des monts du globe, il Nous semble que Dieu l’a accordé à l’esprit humain en ce siècle, pour lui rappeler une fois de plus comment de « la petite aire qui nous rend si fiers » [7], l’homme peut monter vers Dieu par la voie même par laquelle descendent les choses créées ; et ainsi, alors que toutes les perfections des choses descendent en bon ordre de Dieu, qui domine comme d’un sommet toute l’échelle des êtres, l’homme, au contraire, en commençant par les créatures les plus inférieures et montant de degré en degré, peut avancer dans la connaissance de Dieu, cause première, toujours plus ennoblie de chacune de ses créations. La vérité que vous apprennent les choses inférieures dans leur variété et leur diversité n’est pas celle qui « produit la haine », mais bien cette vérité qui plane au-dessus des divisions et des dissensions entre les âmes, qui rapproche fraternellement les intelligences et les esprits dans l’amour du vrai, parce qu’une vérité aime l’autre et, comme des sœurs, filles d’une même mère, la sagesse divine, elles s’embrassent sous le regard de Dieu. En vous, qui avec un regard perspicace et scrutateur étudiez la nature, Notre prédécesseur, de vénérée mémoire, reconnut les grands amis de la vérité, dans cet amour commun, votre science vous rapproche et vous fait donner, au milieu des luttes qui ensanglantent le monde, un exemple insigne de cette union pour des buts pacifiques, que ne troublent pas les frontières des montagnes et des fleuves, des mers et des océans.
L’Eglise, progrès divin dans le monde et mère de la civilisation la plus parfaite.
Amie de la vérité, l’Eglise admire et aime le progrès du savoir humain à l’égal de celui des arts et de tout ce qu’elle sait être apte par sa beauté et sa bonté à exalter l’esprit et à promouvoir le bien. Est-ce que l’Eglise n’est pas elle-même le progrès divin dans le monde et la mère du plus haut progrès intellectuel et moral de l’humanité et de la vie civile des peuples ? Elle s’avance à travers les siècles, maîtresse de vérité et de vertu, luttant contre les erreurs, non contre les hommes qui errent, ne détruisant pas, mais édifiant, plantant des roses et des lis sans déraciner les oliviers et les lauriers. Elle garde, et souvent elle sanctifie les monuments et les temples de la grandeur païenne de Rome et de la Grèce. Si, dans ses musées, Mars et Minerve n’ont plus d’adorateurs, dans ses monastères et ses bibliothèques, Homère et Virgile, Démosthène et Cicéron parlent encore ; et sans hésiter, à côté de l’aigle d’Hippone et du soleil d’Aquin, elle place Platon et Aristote. Elle invite toutes les sciences dans les Universités qu’elle a fondées ; elle appelle autour d’elle l’astronomie et les mathématiques pour corriger l’antique mesure du temps ; elle appelle tous les arts, illuminés par la splendeur du vrai, à rivaliser en l’honneur du Christ avec les basiliques des Césars et à les dépasser même par leurs coupoles vertigineuses, leurs ornements, leurs images, leurs statues qui immortalisent le nom de ceux qui les exécutent.
Les deux livres d’études de l’homme : l’univers et la Bible.
Comme tous les arts, toute science sert Dieu, parce que Dieu est le « Maître des sciences et enseigne à l’homme la science » (Ps., xciii, 10). Dans ses études profondes, l’homme a deux livres : celui de l’univers, où la raison humaine étudie, cherchant la vérité des choses bonnes faites par Dieu ; celui de la Bible et de l’Evangile, où l’intelligence étudie à côté de la volonté, en quête d’une vérité supérieure à la raison, sublime comme le mystère intime de Dieu, connu de lui seul. A l’école de Dieu, se rencontrent philosophie et théologie, parole divine et paléontologie, la séparation de la lumière des ténèbres et l’astronomie, la terre subsistant toujours (Eccl., i, 4) et son mouvement autour du soleil, le regard de Dieu et le regard de l’homme. La bonté de Dieu, semblable à celle d’une mère, balbutie en quelque sorte le langage humain (cf. I, Thess., ii, 7) pour faire retenir à l’homme la vérité sublime qu’elle lui manifeste dans une école de vérités amies, qui l’élèvent et font de lui, dans l’étude de la nature et de la foi, le disciple de Dieu. Cette école, l’Eglise la fait sienne et elle en fait son magistère.
La raison et la foi, rapports réciproques.
La raison n’est-elle pas au service de la foi, à laquelle elle rend — en précisant ses fondements et en la défendant — ce rationabile obsequium (Rom., xii, 1), cet hommage qui provient de la marque de la ressemblance divine d’où la raison tire sa beauté ? Et la foi, à son tour, n’exalte-t-elle pas la raison et la nature, conviant à bénir le Seigneur toute la multitude variée des créatures de l’univers, du ciel et de la terre, dans le cantique des trois enfants dans la fournaise de Babylone ? Et vous voyez l’Eglise, en son Rituel, bénir les œuvres de la raison et du génie humain, les presses des imprimeries et les bibliothèques, les écoles et les laboratoires, les télégraphes et les voies ferrées, les centrales électriques et les aéroplanes, les voitures et les navires, les fours et les ponts, et tout ce que l’esprit et le talent de l’homme apportent au véritable et sain progrès de la vie et de la société humaines.
La foi et la raison s’aident l’une l’autre.
Non, l’hommage de la raison à la foi n’humilie pas la raison, mais l’honore et l’élève, parce qu’il est tout à la gloire du progrès et de la civilisation humaine d’aider la foi dans sa marche évangélique à travers le monde. La foi n’est pas orgueilleuse, ce n’est pas une maîtresse qui tyrannise la raison ou la contredit ; le sceau de la vérité n’est pas diversement imprimé par Dieu dans la foi et dans la raison. Bien plutôt, au lieu de s’opposer, elles s’aident l’une l’autre, comme Nous l’avons déjà dit, puisque la droite raison démontre les fondements de la foi et, à sa lumière, en éclaire les termes, et que la foi préserve la raison de l’erreur, qu’elle l’en sauve lorsqu’elle y est tombée, et l’instruit par ses connaissances de tous genres. C’est pourquoi Nous ne doutons pas qu’il soit tout à l’honneur de cette Académie pontificale des sciences de rappeler devant vous ce que définissait le grand Concile du Vatican quand il affirmait : « Tant s’en faut que l’Eglise s’oppose au développement des sciences et des arts, au contraire elle le favorise et le fait progresser de multiples manières. Elle n’ignore pas, en effet, ni ne méprise les avantages qui en dérivent pour la vie humaine ; bien plus, de même que les sciences viennent de Dieu, Maître des sciences, c’est un fait reconnu qu’elles conduisent à Dieu, avec l’aide de sa grâce, ceux qui les étudient selon les règles. » [8]
Liberté de la méthode et des recherches scientifiques.
Et dès lors, nobles champions des sciences et des arts humains, l’Eglise vous reconnaît la juste liberté de la méthode et des recherches, liberté sur laquelle Notre immortel prédécesseur Pie XI fondait cette Académie, sachant bien ce qu’enseigne le même Concile du Vatican, que l’Eglise « ne défend nullement que les disciplines de ce genre se servent chacune dans son domaine de principes qui
9 leur sont particuliers et d’une méthode propre ; mais, reconnaissant cette juste liberté, elle veut éviter avec soin qu’elles acceptent des erreurs contraires à la divine doctrine, ou que, franchissant leurs limites propres, elles s’occupent de choses touchant à la foi et y jettent le désordre. » [9]
Dans ces paroles du Sénat universel et sacré de l’Eglise catholique, se trouve sanctionnée toute votre juste liberté scientifique et exprimé le plus haut éloge qui vous puisse être adressé pour les avantages procurés par vous à la civilisation et dont l’Eglise elle-même tire profit pour sa mission dans le monde. C’est, en effet, tout à la louange des sciences et de leurs admirables inventions, si le héraut du Christ devance les saisons, prévoit les ouragans et les tempêtes, vole au-dessus des plaines et des montagnes, visite rapidement mille lieux déserts et glacés, multiplie sa voix et ses bienfaits, abrège la durée de ses voyages, se fait médecin et soigne les corps pour régénérer les âmes. C’est tout à l’éloge de votre incomparable collègue, le regretté Marconi, si Notre parole paternelle et Notre Bénédiction résonnent au-delà des mers et des océans et portent aux peuples lointains l’affection et les espérances de Notre cœur, tandis que les obélisques de Rome répercutent puissamment Notre voix. Les sciences ne sont-elles donc pas dignes à juste titre de toute Notre estime et de Notre louange ?
« L’école d’Athènes », peinture saisissante du portique que la science et les arts dressent à l’entrée du temple de la foi.
De cet admirable et légitime lien entre les sciences et la foi, de ce portique que la science et les arts dressent à l’entrée du temple de la foi, il est dans les Chambres de la Signature au Vatican une composition qui, depuis des siècles déjà, étonne le monde : la science et la foi s’y contemplent et s’illuminent l’une l’autre dans la lumière sublime de la pensée, sous le pinceau de l’incomparable peintre d’Urbino [10]. Certainement, vous vous êtes arrêtés, remplis d’admiration, devant la scène connue sous le nom d’« école d’Athènes ». Dans ces personnages, vous avez reconnu vos plus anciens prédécesseurs dans les recherches scientifiques sur la matière et sur la vie, dans la contemplation et la mensuration des cieux, dans l’étude de la nature et de l’homme, dans les calculs mathématiques et les discussions savantes. La recherche du vrai anime et colore ces visages et les mouvements de ces images qui semblent parler de l’une ou de l’autre des sciences spéculatives ou pratiques, de leurs veilles, de leur esprit concentré et comme ravi hors de lui-même dans une discussion intérieure, vérifiant et vérifiant encore, pour arriver à trouver un peu de vérité vraie au milieu d’un amas de prétendues vérités, afin d’édifier un monde de mondes divers qui, évidemment, ne peuvent être tous réels ! Ainsi vous voyez en ce temple de la science Platon placer la source du savoir dans le ciel, Aristote sur la terre, et s’opposer l’un à l’autre, d’ailleurs incomplètement satisfaits de leurs hautes conclusions. Ils conservent inapaisée la soif quasi infinie de l’intelligence humaine qui veut tout embrasser ; ils sentent qu’au-delà de la nature d’ici-bas, vit et domine une puissance suprême en un monde caché. Ils sentent en eux un esprit immortel qui les pousse en haut, mais ils ne sentent pas l’esprit qui pourrait les vivifier et leur donner des ailes pour voler.
Les trois degrés de notre connaissance de Dieu : connaissance par la raison, par la foi, par la vision intuitive. – « La dispute du Saint Sacrement ».
Devant cette scène et cette assemblée de « grands esprits »[11] qu’un art admirable représente à notre regard, nous inclinons la tête et demeurons troublés, en pensant à la difficulté de la marche dans les sentiers de la science et en songeant que toute la science acquise au prix de grandes fatigues n’apaise pas dans le bonheur les espérances et les aspirations de l’âme humaine. Nous sommes immortels, nous sommes nés destinés à un autre monde, à ce monde caché à la raison qu’en face de « l’école d’Athènes » nous révèle et nous représente la grande composition à laquelle fut donné le nom de « Dispute du Saint Sacrement ». Il semble que dans le dessin de ces deux scènes vivantes, le génie de Thomas d’Aquin a guidé la main de Raphaël, lui indiquant les trois degrés de la connaissance par rapport à Dieu : le premier représenté dans l’assemblée des sciences par lesquelles l’homme monte des créatures jusqu’à Dieu par la seule lumière de sa raison ; le second, symbolisé dans l’autel du Saint Sacrement, synthèse et centre de la vérité divine transcendante à l’intelligence humaine et descendant vers nous ici-bas par une révélation présentée à notre croyance ; et le troisième, exprimé dans l’apparition de la cour céleste entourant Dieu visible au regard de l’esprit humain surélevé jusqu’à voir parfaitement les vérités révélées [12]. De la science à la foi ; de la foi à la vision intuitive de la première et suprême Vérité, source de toute vérité.
Les trois écoles où l’esprit humain trouvera complète satisfaction. Dans l’école de la nature, le monde visible est notre maître.
Il y a trois écoles hiérarchisées par lesquelles, en s’élevant de l’une à l’autre, on atteint par degrés le plein apaisement de l’intelligence humaine. Dans l’école de la nature, pendant que les cieux racontent la gloire de Dieu, nous avons pour maîtres les corps qui cachent leurs causes dernières, mais qui par leurs formes et leurs mouvements permettent à nos sens de les découvrir, désireux qu’ils sont, semblerait-il, eux qui ne peuvent connaître, de se faire du moins connaître. Ils nous parlent par leur beauté, par leur ordre, par leur force et leur grandeur démesurée. Si vous interrogez les astres, le soleil, la lune, la terre, la mer, les abîmes, et tous les vivants qui s’y meuvent, ils vous répondront comme à Augustin de Tagaste : « Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous » [13]. Oh ! homme, effrayé en présence du monde, ne fais pas avec les débris de la nature, selon les paroles de la sagesse divine, un dieu à ton image et qu’il te faudrait fixer avec du fer à la muraille, pour qu’il ne tombe pas (Sag., xiii, 15–16) ; ne demande pas la santé à un malade, la vie à un mort, l’aide à un être inutile, protection pour un voyage à qui ne peut marcher (Sag., xiii, 18).
A l’école de la foi, le Maître infaillible est le Dieu de l’Eucharistie.
Au-dessus de l’école de la nature se trouve l’école de la foi, dont le Maître infaillible est le Dieu présent et caché dans le sacrement de l’autel, Sagesse divine incarnée, Verbe du Père. Sa voix toute-puissante qui enseigne aux philosophes anciens et modernes l’origine de l’univers à partir du néant envoie aussi ses apôtres apprendre à toutes les nations une science plus haute que la raison, à laquelle aucun de ses adversaires ne peut résister ni contredire (Luc, xxi, 15) ; et il enrôle parmi ses disciples, à côté des grands pontifes romains et de la cohorte des Pères et des Docteurs, les plus hauts génies de la poésie, des sciences et des arts, et, mêlées aux princes de la terre, les âmes extasiées et priantes des simples fidèles. Dans cet ostensoir se concentre toute la foi chrétienne ; là se trouve le même Dieu, Voie, Vérité et Vie, que désigne du doigt dans le ciel le Docteur qui se tient près de l’autel.
Le ciel, école divine la plus sublime. – Contemplation du Christ, le Maître des maîtres, et, dans la lumière divine, connaissance de Dieu et de ses œuvres.
Et dans le ciel, Raphaël élève au sublime sa propre foi, essayant avec son pinceau de représenter le Christ siégeant au-dessus des nuées de la foi, dans la splendeur manifestée de l’éclatante lumière éternelle, sur le trône de l’amphithéâtre céleste, entouré de la couronne des saints et des anges, avec le Père et le Saint-Esprit. Ce ciel est la plus haute école divine ; ce trône est la chaire du Maître des maîtres, « en qui se trouvent tous les trésors de la sagesse et de la science » (Col., ii, 3). Il possède la sagesse de toutes choses et des mystères divins ; il a la science de toutes les choses créées, parce qu’il est le Verbe par qui tout a été fait et sans lequel rien de ce qui existe n’a été fait (Jean, i, 3). Oh ! quand nous sera-t-il donné d’aller là-haut nous faire les disciples d’un tel Maître, de le contempler et de l’écouter ; et à son école ineffable et dans sa lumière divine, par l’œil de l’âme, de connaître les sciences spéculatives et pratiques, les causes et les effets, la matière, la formation et l’ordre de tout ce qui est dispersé et contenu dans le ciel et la terre, de tout ce qui forme le monde et la nature ; et enfin, dans le livre des idées éternelles et infinies du Verbe divin, de tout comprendre, en un seul regard, beaucoup plus que nous ne le ferions au cours de mille années d’études, et mieux que si nous possédions la pénétration d’esprit de tous les plus grands génies de la terre, et plus parfaitement que si nous contemplions les choses en elles-mêmes. « Quand donc irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? » (Ps., xli, 2).
Vœux et prières du Vicaire du Christ.
Là-haut, à cette école béatifiante et la plus sublime, à cette connaissance en Dieu de toutes les sciences humaines et divines, où trouve sa satisfaction notre insatiable désir de comprendre et de pénétrer tous les genres et les espèces, les forces et l’ordre de l’univers, par quoi se complète la perfection même naturelle de notre nature spirituelle ; à ce festin de sagesse et de science, inépuisable et perpétuel où s’effacent toutes les erreurs passées ; Nous demandons à Dieu — en élevant vers le ciel des vœux jaillis de la profondeur de Notre affection de Vicaire de Jésus-Christ et de Père commun — qu’il nous accorde à tous un jour d’aller recevoir la récompense impérissable de nos fatigues terrestres, dans ces parvis de gloire. Oubliant alors jusqu’à la splendide fresque de Raphaël, fruit de concepts mortels, nous verrons vraiment se consommer en nous l’ardeur de notre désir, et avec la divine vision de Dante, arrivé à l’Empyrée lors de son voyage dans l’autre monde, et entrant en « la sublime lumière, qui est vraie par elle-même » [14], nous verrons comment « dans sa profondeur… est contenu, lié par l’amour en un volume, ce qui est dispersé en feuillets dans l’univers » [15].
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1939, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, I, p. 399 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XLI, col. 195.
- S. Augustin, De Genesi ad litteram, 1. IV, c. XII, n. 22 — Migne, P.L., t. XXXIV, col. 304.[↩]
- S. Augustin, In Joannis Evang, tract. XXVI, n. 6. — Migne, P. L., t. XXXV, col. 1609.[↩]
- Dante, La Divine Comédie, Enfer, XI, 99–105.[↩]
- Contra Gentes, l. IV, c. I.[↩]
- Monti, La bellezza dell’universo.[↩]
- Divine Comédie, Paradis, XIII, 121[↩]
- Ibid. Paradis, XXII, 151.[↩]
- Conc. Vatic., Sess. III, can. IV.[↩]
- Conc. Vatic., Sess. III, can. IV.[↩]
- Raphaël est né à Urbino, ville de la province de Pesaro (Italie).[↩]
- Dante, Enfer, IV, 19.[↩]
- Contra Gentes, l. IV, c. 1.[↩]
- Confessions, l. X, c. VI, n. 9.[↩]
- Paradis, XXXIII, 54.[↩]
- Paradis, XXXIII, 85–88.[↩]