Dans son Motu Proprio du 28 octobre 1936, S.S. Pie XI explique les origines de cette Académie [1]. Le 17 août 1603, des savants furent réunis à Rome en une assemblée destinée à leur « permettre, d’acquérir la science et la sagesse par une voie droite et pieuse… et d’en faire part paisiblement aux autres hommes par la parole et la plume, sans causer de préjudice à personne. »
Pie IX en 1847, décidait que cette institution, dépendrait du Pontife romain ; à partir de ce moment, elle s’appela Pontificia academia novorum Lynceorum ; Léon XIII en 1887, lui donna de nouveaux statuts.
A son tour, Pie XI en 1936, donne de nouvelles régies à la Pontificia Academia Scientiarum. Il en nommait en même temps les 70 premiers membres [2] et le R. P. Agostino Gemelli O. F. M., professeur de psychologie appliquée à l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan, et recteur magnifique de cette Université, en fut nommé Président.
A l’occasion de l’ouverture de la douzième année de l’Académie Pontificale des Sciences, le Pape Pie XII a prononcé le discours suivant :
Souvenir de Pie XI :
En Nous retrouvant ici, au milieu de vous, illustres académiciens, pour l’inauguration de la nouvelle année de l’Académie pontificale des sciences, Notre pensée ne peut, en même temps, manquer d’évoquer encore une fois le souvenir de Notre inoubliable et incomparable prédécesseur, fondateur de ce très noble Institut, et de se représenter, dans son vêtement blanc, celui dont les neiges immaculées des Alpes parurent annoncer et augurer jadis la très haute paternité ; ces neiges qu’il foula d’un pied hardi et ferme, bravant les dangers, les abîmes et les orages, désireux qu’il était d’atteindre non seulement les cimes des montagnes naturelles, mais aussi les sommets de la vérité spéculative et pratique. Tandis qu’il escaladait les pentes, il lui semblait voir se dresser toujours plus haut les montagnes et s’abaisser les vallées — ascenderunt montes, descenderunt valles (Ps. CIII, 8), et lorsqu’il descendait, il admirait dans sa blancheur le Dôme de Milan, comme une alpe étincelante aux merveilleuses aiguilles, surgissant au milieu des plaines lombardes. Vous aussi, vous avez gravi les Alpes du savoir, atteint les cimes des sciences spéculatives, du calcul et de l’astronomie, les hauteurs où tourbillonnent les étoiles et les nébuleuses ; vous êtes descendus aussi dans les plaines des sciences pratiques aux mille formes de l’art, de la technique, de l’expérience ; car la grande puissance de l’intelligence humaine dans le domaine spéculatif lui permet d’étendre la main et d’agir, en faisant des lois immuables et des matières de la nature un guide et un soutien dans son action constamment dirigée et soutenue par le gouvernement et la providence de Dieu.
Au sommet des créatures se dresse l’homme. L’homme par le travail de ses mains exerce sa maîtrise sur la création :
Mais sur notre globe, apparaît à nos yeux, en maître dominant tous les êtres vivants de la nature, l’homme auquel Dieu ordonne de se multiplier et de peupler la terre et par son travail de se procurer le pain nécessaire à sa subsistance. Aussi, ne faut-il pas s’étonner si le grand philosophe de Stagire, Aristote, compare l’homme à la main, organe des organes (Περι ψυχὴς I. III, C. 8). Tout en effet, est dû à la main : les villes et les forteresses, les monuments, les codes de la sagesse, de la science, de l’art et de la poésie, l’héritage et le patrimoine des bibliothèques et de la civilisation humaine.
D’autre part, par son esprit, l’homme domine également les choses :
Pareillement, l’âme est donnée à l’homme, pour ainsi dire à la place de toutes les natures des choses, dans la mesure où notre âme, par les sens, et son intelligence, perçoit toutes les formes ou images des choses elles-mêmes. Laissez-Nous donc admirer votre main et votre intelligence de disciples de la nature, comme vous l’êtes dans vos écoles, dans vos laboratoires, dans vos officines, dans vos chantiers, dans vos arsenaux. Cependant, vous êtes en même temps des maîtres ; vous enseignez et projetez en dehors de vous-mêmes, non pas les formes sensibles et intellectuelles de votre âme, mais par elles ce que la nature a produit et projeté dans vos facultés intellectuelles. Dans votre imagination et dans votre esprit, vous formez, inventez et composez d’admirables images et plans d’appareils, d’instruments, de télescopes, de microscopes, de spectroscopes et de mille autres moyens de toutes sortes pour dompter, enchaîner et diriger les forces naturelles.
Dieu seul a cependant le pouvoir créateur ; l’homme n’a que le pouvoir de transformer :
Toutefois, votre art ne crée pas la matière, qui est dans vos mains, mais par un artifice savant il la modifie seulement, en dirige l’action suivant les lois que vous avez découvertes, en combinant et en accordant votre connaissance pratique et technique de la réalité des choses avec votre connaissance spéculative de ces choses réelles.
Le savant découvre par son labeur, les lois profondes, cachées dans la nature :
De cette façon, la véritable loi de la nature que le savant formule à la suite d’une observation et d’une attention patiente dans son laboratoire, est bien plus et mieux qu’une simple description ou qu’un simple calcul intellectuel n’ayant pour objet que des phénomènes et non des substances réelles avec leurs propriétés. Elle ne s’arrête pas à l’apparence ni à l’image sensible, dont elle ne se contente pas, mais elle pénètre dans la profondeur de la réalité, recherche et découvre les forces intimes et occultes des phénomènes, en montre l’activité et les rapports. Il est donc facile de comprendre que la connaissance des lois naturelles rend possibles à l’homme la domination des forces de la nature et leur mise à son propre service dans la technique moderne toujours en progrès. De cette manière seulement la pensée humaine peut s’élever et comprendre comment l’ordre régulier des lignes spectrales, que le physicien observe et distingue aujourd’hui dans son laboratoire, ouvrira peut-être demain à l’astrophysicien une vision et une connaissance plus profondes des mystères de la constitution et du développement des corps célestes.
Ainsi du fondement de la loi naturelle, de l’aide efficace de la technique moderne, de la connaissance positive et véritable des tendances internes des éléments et de leurs effets sur les phénomènes naturels, le savant, malgré toutes les difficultés et tous les obstacles arrive à des découvertes ultérieures, en insistant avec constance et persévérance dans ses recherches.
Aujourd’hui, la science a réussi à démonter l’atome ; et à se servir de la puissance extraordinaire qui y est contenue.
Le plus grandiose exemple des résultats d’une si intense activité semble devoir être le fait que les inlassables efforts de l’homme ont finalement abouti à une connaissance plus profonde des lois relatives à la formation et à la désintégration de l’atome, de façon à déterminer expérimentalement, jusqu’à un certain degré, la libération de la puissante énergie qui s’en dégage en de nombreux cas, et tout cela non pas en quantité microscopique, mais dans une mesure véritablement gigantesque. L’usage d’une grande partie de l’énergie interne du noyau d’uranium dont Nous avons parlé dans Notre discours en cette Académie, le 21 février 1943, en Nous référant à un écrit du grand physicien Max Planck (récemment décédé) [3] est devenu une réalité et a eu son application dans la construction de la « bombe atomique » ou « bombe à énergie nucléaire », arme la plus terrible que l’esprit humain ait imaginée jusqu’à ce jour [4].
Le Pape montre son aversion pour l’emploi d’engins destructeurs aussi nocifs que la bombe atomique.
A ce propos, Nous ne pouvons Nous abstenir d’exprimer une pensée qui pèse lourdement sur notre âme, comme sur celle de tous ceux qui ont un véritable sens de l’humanité ; et à ce sujet, Nous viennent à la pensée les paroles de Saint Augustin, dans son livre De Civitate Dei (L. XIX, c. 7), où il parle des horreurs de la guerre, même juste : « Ces maux, écrit-il, si je voulais les décrire comme il convient, si je voulais montrer les nombreuses et multiples dévastations, les dures et cruelles angoisses qu’ils provoquent, il me serait impossible de le faire, comme le mériterait pareil exposé, et je ne sais quand on arriverait à épuiser une si longue discussion !… Quiconque considère avec douleur ces maux aussi horribles et aussi funestes, doit avouer que c’est là une triste condition ; mais celui qui les supporte ou les envisage sans être angoissé en son âme, est bien plus misérable de se croire heureux, car il a perdu tout sentiment humain. » Que si les guerres d’alors justifiaient déjà un si sévère jugement du grand Docteur, quelle sentence devrions-nous prononcer aujourd’hui contre celles qui ont accablé nos générations et plié au service de leur œuvre de destruction et d’extermination une technique incomparablement plus perfectionnée ? Quelles calamités n’aurait pas à attendre l’humanité d’un futur conflit, si l’on venait à prouver l’impossibilité d’arrêter ou de freiner l’emploi d’inventions scientifiques toujours nouvelles et toujours plus surprenantes[5] ?
Par contre dans son usage pacifique, l’énergie atomique peut rendre des services éminents à l’humanité :
Mais faisant abstraction pour le moment de l’usage belliqueux de l’énergie atomique, et avec l’espoir qu’elle servira, au contraire, uniquement à des œuvres de paix, il faut la regarder comme une recherche et une application vraiment géniales des lois de la nature qui régissent l’essence et l’activité intimes de la matière inorganique.
Le Saint-Père donne un rapide aperçu historique sur les origines de cette découverte :
A proprement parler, il ne s’agit ici, en réalité, que d’une seule et grande loi naturelle, qui se manifeste surtout dans ce qu’on appelle « le système périodique des éléments ».
Lothaire Meyer et Démétrius Mendéléev, en 1869, se basant sur les rares données chimiques connues alors, l’entrevirent génialement et donnèrent à ce système la première forme provisoire. Mais il avait beaucoup de lacunes et d’incohérences ; son sens profond était encore obscur ; il faisait toutefois conjecturer une intime affinité des éléments chimiques et une structure uniforme de leurs atomes en égales particules subatomiques. Par la suite, le tableau s’éclaira d’année en année, les défauts et imperfections s’évanouirent et le sens plus profond se révéla. Nous nous bornerons ici à rappeler brièvement quelques étapes plus importantes de ce chemin : la découverte des éléments radio-actifs due aux époux Curie ; le modèle atomique de Rutherford et les lois qui le régissent proposées pour la première fois par Bohr ; la découverte de l’isotope par Francis William Aston ; les premières dissociations du noyau au moyen des rayons alpha naturels, et peu après la synthèse de nouveaux noyaux lourds, grâce au bombardement avec des neutrons lents ; la découverte des transuraniques[6] entrevue par Fermi, et la production des éléments transuraniques en quantité pondérable, et parmi ceux-ci, en premier lieu, du plutonium, qui constitue la partie active de la bombe, et est obtenu dans les gigantesques « piles d’uranium » ; en un mot, un développement et un perfectionnement cohérents du système naturel des éléments chimiques en ampleur et en profondeur.
Ensuite Pie XII jette un regard sur l’avenir :
Si donc, Nous embrassons d’un seul coup d’œil le résultat de ces merveilleuses recherches, Nous voyons qu’il représente non pas tant une conclusion qu’un acheminement vers de nouvelles connaissances et le début de l’ère qui a été dénommée « l’ère atomique ». Jusqu’à ces derniers temps, la science et la technique s’étaient occupées presque exclusivement des problèmes concernant la synthèse et l’analyse des molécules et des composés chimiques ; actuellement, au contraire, l’intérêt se concentre sur l’analyse et sur la synthèse de l’atome et de son noyau. Principalement, les savants ne se donneront pas de trêve aussi longtemps qu’on n’aura pas trouvé le moyen facile et sûr de diriger le processus de scission du noyau atomique, de façon à faire servir ses sources si riches d’énergie aux progrès de la civilisation.
Admirables conquêtes de l’intelligence humaine qui scrute et recherche les lois de la nature, entraînant ainsi l’humanité vers de nouvelles voies ! Pourrait-il y avoir conception plus noble ?
L’ordre que les savants découvrent dans la nature n’est pas le fait des hommes mais de Dieu :
Mais loi dit ordre ; et la loi universelle dit ordre dans les grandes choses comme dans les petites. C’est un ordre que votre intelligence et votre main retrouvent dérivant directement des tendances intimes renfermées dans les choses naturelles ; ordre que nulle chose ne peut créer ou se donner par elle-même, pas plus qu’elle ne peut donner l’être ; ordre qui dit Raison ordonnatrice dans un esprit, qui a créé l’univers et de qui « dépendent le ciel et toute la nature » (Dante, Divine Comédie, Paradis XXVIII, 42) ; ordre qu’ont reçu avec l’être ces tendances et ces énergies et avec lequel, les unes et les autres collaborent à un monde bien ordonné. Ce merveilleux ensemble des lois naturelles, que l’esprit humain a découvert grâce à une inlassable observation et à une étude approfondie et que vous continuez à rechercher toujours davantage, ajoutant victoire à victoire sur les occultes résistances des forces de la nature, qu’est-il, sinon une pâle et imparfaite image de la grande idée et du grand dessein divins, conçus dans l’esprit créateur de Dieu, comme une loi de cet univers, depuis les jours de son éternité ? Alors dans l’inépuisable pensée de sa sagesse, il préparait les cieux et la terre : berceau de l’univers créé également par lui, il imprimait au temps et aux siècles le mouvement et leur vol, et appelait à l’existence, à la vie et à l’action, toutes les choses suivant leur espèce et leur genre, jusqu’au plus impondérable atome. Avec combien de raison, toute intelligence comme la nôtre, contemplant et pénétrant les cieux et examinant les astres et la terre, ne doit-elle pas s’écrier en se tournant vers Dieu « Omnia in mensura et numero et pondere posuisti ! » Vous avez tout réglé avec mesure, avec nombre et avec poids. (Sap. XI, 21.) Ne sentez-vous pas en votre âme que le firmament qui nous enveloppe et le globe que nous foulons aux pieds racontent, grâce à vos télescopes, à vos microscopes, à vos balances, à vos mètres, à vos appareils multiples, la gloire de Dieu et reflètent à vos yeux un rayon de cette sagesse incréée, qui attingit a fine usque ad finem fortiter, et disponit omnia suaviter. La sagesse atteint avec force d’une extrémité du monde à l’autre, et dispose tout avec douceur. (Sap. VIII, I.)
L’ordre se manifeste par la relation de toutes choses à l’unité. De fait, les savants retrouvent par leurs découvertes des bribes du plan unique de la création :
Le savant sent pour ainsi dire palpiter cette sagesse éternelle, lorsque ses recherches lui révèlent que l’univers est formé par une sorte de jet dans l’incommensurable forge du temps et de l’espace. Non seulement les cieux stellaires sont composés en leur splendeur des mêmes éléments, mais ils obéissent encore aux mêmes et grandes lois cosmiques fondamentales, toujours et partout où ils apparaissent, dans leur action intérieure et extérieure. Les atomes du fer, excités par l’arc ou par l’étincelle électrique, émettent des milliers de raies bien définies identiques à celles que l’astrophysicien découvre dans ce qu’on appelle le flashspectrum, quelques moments avant l’éclipse solaire totale. Les mêmes lois de la gravitation et de la pression de radiation déterminent la quantité de la masse pour la formation des corps solaires dans l’immensité de l’univers jusqu’aux plus lointaines spirales nébuleuses ; les mêmes lois mystérieuses du noyau atomique régissent par la composition et la désintégration atomique, l’économie de l’énergie de toutes les étoiles fixes.
Cette unité absolue de dessein et de composition, qui se manifeste dans le monde inorganique, vous la constatez non moins grande dans les organismes vivants. Limitez aussi vos observations à la causalité, et faites délibérément abstraction de la finalité proprement dite, que vous montre un simple coup d’œil sur la composition et sur les plus récentes découvertes et conclusions de l’anatomie et de la physiologie comparées ? Voici la construction du squelette des êtres vivants supérieurs doués d’organes homologues et spécialement la disposition et la fonction des organes sensitifs, par exemple, de l’œil, depuis les formes les plus simples jusqu’à l’organe visuel très perfectionné de l’homme ; voici dans tout l’empire des êtres vivants les lois fondamentales de l’assimilation, de l’échange et de la génération. Tout cela n’est-il pas l’expression d’une magnifique et générale conception unitaire, réalisée et resplendissant sous de multiples formes et en des manières très variées ? N’est-ce pas là l’unité fermée et absolument fixe des lois naturelles ?
Cet ordre que Dieu a créé, Il s’y conforme Lui-même si on peut ainsi s’exprimer :
Oui, c’est l’unité fermée avec la clé de cet ordre universel des choses, contre lequel, dans la mesure où il dépend de la première cause qui est Dieu créateur, Dieu Lui-même ne peut agir ; car s’il le faisait, Il agirait contre sa prescience, ou sa volonté, ou sa bonté ; or, en Lui, il n’y a pas de changement, ni ombre de variation (Jac. I, 17).
Toutefois Dieu demeure le Maître absolu de l’univers et de ses lois :
Mais si l’on considère cet ordre, en tant qu’il dépend des causes secondes, Dieu en possède la clé et il peut le laisser fermé ou l’ouvrir et agir ensuite de Lui-même. Dieu, en créant l’univers, se serait-il assujetti à l’ordre des causes secondes inférieures ? Cet ordre ne lui est-il pas soumis en tant que procédant de Lui, non pas par nécessité de nature mais par fibre choix de la volonté ? Il peut donc agir, quand il veut en dehors de l’ordre institué ; par exemple, en produisant les effets des causes secondes sans elles, ou en produisant d’autres effets qu’elles ne comportent pas [7]. C’est pourquoi le grand docteur Augustin avait déjà écrit : Contra naturam non incongrue dicimus aliquid Deum facere, quod facit contra id quod novimus in natura… Contra illam vero summam naturae legem… tam Deus nullo modo facit, quam contra se ipsum non facit. Cependant ce n’est pas s’exprimer d’une manière inexacte que de dire que Dieu fait quelque chose contre la nature, quand il fait quelque chose contre ce que nous connaissons des lois de la nature…, mais pour ce qui est de cette loi suprême de la nature…, il est aussi impossible à Dieu d’agir en quelque manière que ce soit contre elle, que d’agir contre lui-même. (Contra Faustum, I, XXVI, c. 3 ; Migne, P. L., t. XLII, col. 481.) Quelles sont donc ces actions ? Ce sont celles dont Dieu seul tient secrètement la clé et qu’il s’est réservé au cours des âges au sein de l’ordre particulier des causes inférieures ; actes accomplis, ainsi que chantait le divin poète, « sans que la nature ait chauffé le fer ni battu l’enclume, a che natura non scaldo ferro mai, né batte ancude » (Paradis, XXIV, 101). En présence de ces œuvres insolites ou par la substance même du fait, ou par le sujet dans lequel ils se produisent, ou par la façon et l’ordre de leur accomplissement (cf. Somme théologique, la Pars, q. 105 a, 8) ; le peuple et le savant s’arrêtent, stupéfaits car la merveille se produit alors que les effets sont manifestes et la cause cachée. Mais l’ignorance de la cause cachée, qui stupéfie l’incrédule, rend plus perçant l’œil du fidèle et du savant qui, dans certaines limites, savent et mesurent d’où vient l’action de la nature avec ses lois et ses forces, au-delà desquelles ils découvrent une main supérieure cachée et toute- puissante, cette main qui créa l’ordre universel des choses, et dans le processus des ordres particuliers des causes et des effets marqua le moment et les circonstances de son admirable intervention [8].
Le savant en lisant la puissance créatrice et ordonnatrice de Dieu dans les choses, est amené à admirer la grandeur du Créateur :
« Ce gouvernement divin de l’univers créé dans son ordre général et dans ses ordres inférieurs particuliers ne peut, certes, manquer de susciter un sentiment d’admiration et d’enthousiasme chez le savant qui, au cours de ses recherches, découvre et reconnaît les traces de la sagesse du Créateur et du suprême législateur du ciel et de la terre, lequel, de sa main de pilote, invisible, guide toutes les natures,
… a diversi parti,
Per lo gran mar dell’essere, e ciascuna,
Con istinto a lei dato che la porti,… vers des ports différents sur le vaste océan des êtres,
Paradis, I, 112–114.
et chacune s’y porte suivant l’instinct qui lui a été donné.
Cependant, les gigantesques lois de la nature, que sont-elles, sinon une ombre et une pâle idée de la profondeur et de l’immensité du dessein divin dans le temple grandiose de l’univers ?
« Le souverain privilège du savant, a écrit Képler, est de reconnaître l’esprit de Dieu et d’en retracer la pensée. » Souvent (il convient de confesser la faiblesse humaine, devant la vision des choses et des images de nos sens), cette pensée s’obscurcit et recule ; mais, si la pensée de Dieu pénètre le travail du savant, celui-ci ne la confond pas avec les mouvements et les images qu’il voit à l’intérieur ou en dehors de lui-même, et cette disposition d’âme à rechercher et à reconnaître Dieu lui imprime dans sa laborieuse étude un bel élan et compense largement les fatigues éprouvées au cours de ses recherches et de sa découverte, et loin de le rendre orgueilleux et superbe, elle lui enseigne l’humilité et la modestie.
Le savant découvre encore dans les lois de l’univers, la petitesse de la créature :
Assurément, plus l’érudit et le savant poussent profondément leurs recherches parmi les merveilles de la nature, plus ils constatent leur propre insuffisance à pénétrer et à épuiser la richesse du concept de la construction divine et des lois et normes qui la régissent, et vous entendez le grand Newton dire avec une incomparable éloquence : « Je ne sais comment j’apparais au monde, mais je m’apparais à moi- même comme un petit enfant, qui joue sur le rivage de la mer et se réjouit parce qu’il trouve de temps à autre un caillou plus lisse ou une coquille plus belle que d’ordinaire, tandis que le grandiose océan de la vérité s’étend devant lui inexploré. »
Ces paroles de Newton, aujourd’hui après trois siècles, au milieu de l’effervescence des sciences physiques et naturelles, retentissent plus vraies que jamais. On raconte que Laplace, malade au lit et entouré d’amis qui lui rappelaient sa grande découverte, leur dit avec un amer sourire : « Ce que nous connaissons est peu de choses, mais ce que nous ignorons est immense. » Non moins finement s’exprime l’illustre Werner von Siemens, qui découvrit le principe de l’auto-excitation de la dynamo, lorsque dans la 59e réunion des savants et des médecins allemands, il affirma : « Plus nous pénétrons intimement dans l’harmonieuse disposition des forces de la nature, régie par des lois éternelles immuables, et néanmoins si profondément voilée à notre pleine connaissance, plus nous nous sentons portés à une humble modestie, plus nous apparaît restreint le cercle de nos connaissances, plus vigoureux devient notre effort pour puiser toujours davantage à cette inépuisable source de la connaissance et de la puissance, plus enfin grandit notre émerveillement devant l’infinie sagesse ordonnatrice qui pénètre la création tout entière. »
De fait les découvertes demeurent limitées et imparfaites :
En vérité, nos connaissances de la nature sont modestes quant à leur extension et souvent imparfaites quant à leur contenu. Au sujet d’un traité de la théorie électromagnétique de la lumière, on pouvait lire les mots suivants : « Est-ce un Dieu qui a écrit ces formules ? » Géniales sont assurément les équations de Maxwell et, cependant, à l’instar de tout progrès similaire de la physique théorique, elles supposent et impliquent pour ainsi dire, une simplification et une idéalisation de la réalité concrète, sans lesquelles est impossible une fructueuse élaboration mathématique. Que de fois aujourd’hui, l’on ne peut proposer autre chose que des règles au lieu de lois exactes, ou seulement des solutions générales ! Là où apparaît un procédé régulier pour la contribution, à première vue sans règle, à d’innombrables phénomènes particuliers, le savant doit se contenter de signaler le caractère et la forme du composé des masses d’après des considérations de probabilité et, ignorant comme il l’est en particulier de leur base dynamique, formuler des lois relevant de la statistique.
Souvent d’ailleurs le chemin qui conduit à la vérité se trouve semé d’obstacles… et le but qu’on croyait atteindre bientôt se trouve parfois subitement éloigné hors de portée :
Incessant est le progrès de la science. Il est bien vrai que les étapes successives de son avancement n’ont pas toujours été placées sur le chemin qui, des premières observations et découvertes, mènent directement à l’hypothèse, de l’hypothèse à la théorie, et enfin à l’obtention sûre et indubitable de la vérité. Il y a, au contraire, des cas où la recherche décrit plutôt une courbe, c’est-à-dire des cas où des théories — qui semblaient avoir conquis le monde et atteint le haut sommet de doctrines indiscutées, et dont l’admission provoquait l’estime dans les milieux scientifiques — retombent au niveau d’hypothèses pour être ensuite, peut-être tout à fait abandonnées.
Néanmoins la science progresse :
Cependant malgré les inévitables incertitudes et errements que tout effort humain comporte, le progrès des sciences ne connaît ni haltes ni soubresauts, tandis que les chercheurs de vérité se transmettent l’un à l’autre le flambeau des recherches, destiné à éclairer et à développer les pages du livre de la nature, remplies d’énigmes. De même — dit l’Angélique Docteur Saint Thomas — que dans les choses qui sont engendrées naturellement, on arrive peu à peu de l’imparfait au parfait, de même les hommes parviennent graduellement à la connaissance de la vérité. En effet, dès le commencement, ils conquirent un peu de la vérité, puis, petit à petit, ils arrivent à une connaissance plus entière.
N’attribuant pas au hasard ou à la fortune l’origine du monde et des choses susceptibles d’être engendrées, mais regardant la vérité avec une grande attention, ils déduisent d’indices évidents et de raisons évidentes que les choses naturelles sont gouvernées par une Providence. Car, comment découvrirait-on le cours invariable et sûr dans le mouvement du ciel et des étoiles et dans les autres effets de la nature si tout cela n’était pas gouverné par une intelligence souveraine ? (S. Thom. in Libr. Job Prolog.)
Devant le spectacle que fournit le développement actuel des sciences, il n’y a qu’à s’incliner devant Dieu et le louer.
Sur des voies nouvelles et plus larges, l’humanité s’avance, telle un éternel pèlerin, vers des connaissances plus profondes des lois de l’univers exploré et inexploré, poussée par sa soif naturelle de la vérité ; cependant, même après des milliers d’années, les connaissances humaines des lois internes et des forces motrices de l’évolution et du progrès du monde, et plus encore du dessein divin et de l’impulsion divine qui pénètre, meut et dirige tout, seront et resteront une image imparfaite et pâle des idées divines. En face des prodiges de la Sagesse éternelle qui dans l’océan des êtres gouverne et dirige toute chose dans un ordre immuable vers des ports cachés, aveugles et muettes sont les pensées investigatrices du savant qui éprouve aussi un sentiment d’humble et admirative adoration, à la vue du prodige de la création auquel il n’a pas été présent et que ne peut imiter la main de l’homme, mais dans laquelle l’œil humain peut reconnaître un éclair subit de la puissance de Dieu. En présence des multiples et insondables énigmes de l’ordre et de l’enchaînement des lois du cosmos immensément grand et immensément petit, il faut que l’esprit humain répète l’exclamation : « O altitudo divitiarum sapientiæ et scientia Dei : quam incomprehensibilia sunt judicia ejus et investigabiles viæ ejus ! O abîme de la richesse de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables et incompréhensibles ses voies ! » (Rom. XI, 33.)
Heureux le savant, si en parcourant les vastes champs célestes et terrestres, il sait lire dans le grand livre de la nature et écouter la voix qui monte de son sein, dévoilant aux hommes la trace laissée par le pas divin dans la création et dans l’histoire de l’univers !
Les empreintes du pied de Dieu et les lettres écrites de sa main sont indélébiles : aucune main humaine ne peut les effacer, empreintes et lettres sont les faits d’où se dégage le divin pour tous les esprits ; et c’est précisément pour les sages intelligences des chercheurs que semblent écrites les paroles du Docteur des nations : Quod notum est Dei, manifestum est in illis ! Deus enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quæ facta sunt intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque ejus virtus et divinitas. Ce qui est connu de Dieu est manifeste pour eux : Dieu le leur a fait connaître, car ses perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. (Rom. I, 19–20.)
L’une des inscriptions qui ornaient le tombeau du grand astronome Angelo Secchi, le jour de ses funérailles, était ainsi conçue : « A cœli conspectu ad Deum via brevis. Court est le chemin qui va, de la vue du ciel, à Dieu. »
On comprend mieux, à la suite de ces constatations, combien la nature est, tout entière, sous la domination totale de Dieu et Lui obéit sans défaillance ;
En regardant de cet observatoire plus élevé, le monde entier qui est aux pieds de Dieu, il est aisé de comprendre comment les choses naturelles agissent immanquablement et sans exception conformément aux tendances de leur nature variée, et de constater aussi qu’aucune tendance naturelle ne peut s’opposer au suprême Créateur, Conservateur et Ordonnateur qui est au-dessus des choses, et des lois promulguées et données par Lui aux créatures ; car, pour de sages motifs, il reste libre d’empêcher ou de guider vers une autre direction, dans des cas particuliers, les effets et les activités de ces tendances, En présence de la merveilleuse réalité du cosmos, que le savant contemple, étudie et scrute, l’esprit universel, imaginé par Laplace, avec sa formule qui, du moins suivant la conception des matérialistes, devrait embrasser aussi les événements dépendant de la pensée et de la libre volonté, apparaît comme une fiction et une utopie ; vérité infiniment réelle est, au contraire, la sagesse divine, qui connaît et mesure chaque atome, jusqu’au plus petit, avec ses énergies, et lui assigne sa place dans l’ensemble du monde créé ; cette souveraine sagesse, dont la gloire pénètre partout dans l’univers et brille d’un plus grand éclat dans le ciel. (Paradis, I, I.)
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte italien des A. A. S., XL, 1948, p. 75, traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLV, col. 257.
- On trouvera les documents suivants concernant l’Académie pontificale des Sciences :
- Pie XI Motu Proprio In multis solaciis, 28 octobre 1936 (A. A. S., XXVIII, 1936, p. 421, traduction française dans Actes de SS. Pie XI. t. XIV, p. 146).
- Pie XI Discours à la séance inaugurale de la troisième année de l’Académie pontificale des Sciences, 18 décembre 1938. (Osservatore Romano du 19–20 décembre 1938, traduction française dans Actes de SS. Pie XI, tome XVII, p. 235.)
- Pie XII, Discours lors de l’ouverture de la quatrième année de l’Académie pontificale des Sciences, 3 décembre 1939. (Osservatore Romano 4–5 décembre 1939, traduction française dans La Documentation Catholique, tome XLI, col. 195.)
- Pie XII Discours lors dehttps://laportelatine.org/formation/magistere/allocution-a-lacademie-pontificale-des-sciences l’ouverture de la septième année de l’Académie pontificale des Sciences, 21 février 1943 (A. A. S., XXXV, 1943, p. 69.)
- Pie XII Allocution à la Semaine d’Etudes de l’Académie pontificale des Sciences sur le Cancer, 8 juin 1949. (Osservatore Romano, 9 juin 1949.)
[↩]
- On trouvera la liste des membres de l’Académie dans les A. A. S., XXVII, 1936, p. 447.[↩]
- Max Planck, professeur à l’Université de Berlin, était membre de l’Académie pontificale des Sciences. Le Saint-Père, en 1943, faisait allusion à son article Sinn und Grenzen der exakten Wissenchaft (Europäische Revue, février, 1942). Planck était l’auteur de la théorie des quantas. Né à Kiel en 1858, prix Nobel de physique en 1918 ; il a publié de nombreux ouvrages ; citons :
- Das Prinzip der Erhaltung der Energie (1887);
- Vorlesungen über Thermodynamik (1897);
- Die Entstehung und Bisherige entwicklung der Quanten Theorie (1920);
- Einführung in die Theoretische Physik (1926).
Il est mort le 4 octobre 1947, à Goettingen. Max Planck n’était pas catholique, mais il avait un sens religieux très profond et une respectueuse vénération pour l’Église et son Chef.[↩]
- La bombe atomique fut fabriquée à la suite de travaux de laboratoire effectués en secret aux États-Unis. La première bombe fut lancée sur Hiroshima le 6 août 1945 et la deuxième le 10 août sur Nagasaki. Ces deux bombes firent plus de 100.000 victimes. (Cf. Gérard de Vaucouleurs : La Conquête de l’Energie atomique, Éd. Hermann, Paris, 1946 ; H. D. Smith : Atomic Energy. A General account of the Development of Methods of using Atomic Energy for military Purposes under the Auspices of the United States Government. Ed. U. S. A. Government Printing Office, Washington, 1945.) [↩]
- Le Saint-Père répondant à une interview de M. Guptil, directeur pour l’Italie de l’Associated Press déclarait à propos de l’usage de la bombe atomique :
« La question de la bombe atomique n’est qu’un élément d’un problème beaucoup plus général ; le développement des moyens modernes d’offensive est lié au développement de la technique et est directement connexe à l’idée de guerre totale, de cette guerre qui ne fait aucune distinction entre combattants et non-combattants, comme on l’a vu si clairement et si douloureusement dans le dernier conflit. Il faudrait persuader les chefs des Nations qu’ils sont obligés en conscience d’établir des pactes capables d’assurer la paix au monde et qu’ils sont tenus à assurer sur leur honneur la responsabilité de rendre la vie possible aux peuples, en limitant de quelque façon leur droits souverains respectifs. » (Rome, II Quotidiano 14 mars 1947.) [↩]
- Corps simples qui dans la classification de la Table de Mendéléev viennent par leur poids atomique à la suite de l’uranium.[↩]
- cf. Somme théologique, Ia Pars, q. 105, a. 6[↩]
- cf. Somme théologique, I, q. 105, a, 7[↩]