On peut, au moins grossièrement, diviser la résistance intellectuelle, théologique, à la « révolution conciliaire » en trois périodes.
Les « anciens »
La première période est celle des « anciens », selon la conception que peut s’en faire un jeune traditionaliste d’aujourd’hui.
Ces « anciens » sont des clercs et des laïcs formés sous les grands papes du XXe siècle (de Pie X à Pie XII), riches d’expérience et ayant connu l’Église au temps de sa splendeur.
Ceux-ci réagissent, avec toute leur science et tout leur discernement, au jour le jour des événements catastrophiques qui se déroulent sous leurs yeux, éclairant les enjeux, les présupposés et les erreurs. Le pionnier, il faut le reconnaître, a été l’abbé de Nantes avec ses Lettres à mes amis puis sa Contre-Réforme catholique.
Mais il a été rejoint dans ce combat par une pléiade d’esprits supérieurs. Il y eut donc l’abbé Dulac avec Le courrier de Rome, dom Guillou avec Nouvelles de chrétienté, l’abbé Lefèvre avec La pensée catholique, l’abbé Barbara avec Forts dans la foi, l’abbé Coache avec les Lettres d’un curé de campagne, pour ne citer que les plus connus.
Comment ne pas rappeler en particulier la fantastique équipe réunie par Jean Madiran dans Itinéraires, avec le père Calmel, Henri Charlier, Marcel De Corte, le père Guérard des Lauriers (un des auteurs du Bref examen critique), Michel de Saint Pierre (auteur des Nouveaux prêtres), Louis Salleron (auteur de La nouvelle messe) ?
Le temps de la survie
Ces écrivains remarquables n’ont toutefois pas entrepris une étude systématique du Concile. D’abord, avons-nous dit, parce qu’à cette époque les remises en cause les plus formidables se succédaient chaque jour. Ensuite parce que survint en 1969 un événement majeur : la nouvelle messe.
Alors il fallut courir au plus pressé : maintenir vivante, coûte que coûte, la messe catholique. Cet enjeu mobilisa l’essentiel des énergies pendant de très longues années.
Lorsque certains, la bouche en cœur, reprochent aux catholiques de Tradition de ne pas s’être assez intéressés de façon « académique » au Concile, il faut leur mettre sous les yeux les efforts énormes, héroïques, insensés pourrait-on dire, qui furent accomplis entre 1970 et 1985 pour que la France soit irriguée d’un réseau de chapelles où la messe traditionnelle serait célébrée.
Du travail, néanmoins
Même si, durant cette période de survie, il fut plus difficile de s’adonner au travail intellectuel approfondi, celui-ci se poursuivit toutefois.
Parmi les contributions importantes, il convient de citer La nouvelle messe de Paul VI par Da Silveira en 1975, J’accuse le Concile par Mgr Lefebvre en 1976, Le mouvement liturgique par l’abbé Bonneterre en 1980, le Manifeste épiscopal par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer en 1983, les Dubia sur la liberté religieuse par Mgr Lefebvre en 1985, Iota unum par Romano Amerio en 1987, L’étrange théologie de Jean-Paul II et l’esprit d’Assise par Johannes Dörmann en 1992.
L’étude méthodique
Puis, la pérennité de la messe traditionnelle étant peu à peu assurée, le nombre des prêtres jeunes et dynamiques étant de plus en plus grand, sans compter les laïcs désireux de servir l’Église et la foi, est apparu de façon assez généralisé un désir d’attaquer de front le Concile, de l’étudier en profondeur, d’affronter ses questions, ses difficultés comme sa cohérence interne.
On peut avancer deux dates pour l’amorce de l’étude plus systématique du Concile par les catholiques de Tradition : les sacres en 1988, avec une foule d’études pour ou contre, qui oblige les protagonistes à replonger dans le corpus conciliaire ; l’année 1994, avec le premier Congrès Sì sì no no, qui donne une impulsion majeure et qui sera à l’origine de l’idée des Symposiums de théologie.
Cela entraînera une floraison d’ouvrages, tels que Ils l’ont découronné par Mgr Lefebvre, les livres de l’abbé Barthe comme Quel avenir pour Vatican II ?, ou encore Vatican II et l’Évangile par l’abbé de Tanoüarn.
« Ministère critique »
En cet anniversaire de la clôture de Vatican II, c’est donc sur ce « ministère critique » de la Tradition catholique à l’égard du Concile et de ses conséquences que nous avons voulu braquer le projecteur.
Toutefois, il ne s’agit pas de vivre exclusivement dans le passé, dans des textes morts. Le Concile est plus vivant que jamais, il est toujours l’âme de l’Église conciliaire, même s’il s’agit d’un Concile « reçu dans le sens de la tradition ».
Voilà pourquoi notre dossier [celui de la revue Fideliter 168 de novembre 2005, intitulé Vatican II : une remise en question] se termine par une étude du tout récent Compendium publié par le pape Benoît XVI. Cette étude avait d’autant plus sa place ici qu’elle a été remise par Mgr Fellay au pape, comme un symbole des difficultés doctrinales actuelles.
Seule la vérité libère
On ne peut que désirer, souhaiter, espérer, demander même que ce mouvement d’étude systématique grandisse, et qu’enfin, au-delà des intuitions (justes) et des analyses fragmentaires (utiles), une étude vraiment globale, vraiment systématique et vraiment scientifique (au sens traditionnel) du Concile soit réalisée, à un échelon international, en mobilisant les ressources de la Tradition et, autant que de besoin, en libérant des hommes de valeur pour ce travail.
Les échéances qui se profilent, et notamment la confrontation doctrinale assez ouvertement proposée par Rome, rendent ce travail (dont il ne faut pas se cacher la dimension colossale) utile et même, disons-le sans hésiter, absolument nécessaire.
Par cette étude seront éliminés des quiproquos, des illusions fondées sur la nouveauté des mots (mais pas forcément celle des idées), des faux sens et contresens. L’essentiel sera distingué de l’accessoire. De la sorte, notre critique du Concile se clarifiera et se purifiera.
Au-delà, il restera le noyau d’affirmations contestables ou inacceptables du Concile, qu’il conviendra de préciser, d’éclairer et d’argumenter de façon décisive, afin de pouvoir le présenter à Rome de façon convaincante.
Ce sera notre meilleure contribution à cet « accord dans la vérité » (donc dans la charité) qui est le terme, ardemment désiré par tous, des contacts avec Rome.
Abbé Grégoire Celier