L’ecclésiologie et la politique du pape François de retour de Grèce

Pape François. Crédit Photo : Antoine Mekary / Godong.

Le voyage du pape François à Chypre et en Grèce a été mar­qué par une insis­tance renou­ve­lée sur la ques­tion des migrants et de l’œcuménisme avec le monde ortho­doxe. Sur le vol de retour, le sou­ve­rain pon­tife a répon­du, comme d’habitude, aux ques­tions des jour­na­listes en impro­vi­sant et en s’en pre­nant à la doc­trine catholique.

Les décla­ra­tions du pape aux jour­na­listes lors de ce vol laissent presque toutes inter­dit, au point qu’il est dif­fi­cile de com­men­ter cer­taines d’entre elles. En voi­ci quelques-​unes d’entre elles, par­mi les plus remar­quables pour leur éloi­gne­ment de la saine doc­trine ou du bon sens.

Une ecclésiologie protestantisée

Une décla­ra­tion à la limite de l’hérésie est jetée au milieu d’une réponse. Outre l’éloge habi­tuel du modèle syno­dal ortho­doxe (que les catho­liques auraient mani­fes­te­ment oublié jusqu’à Paul VI), François ajoute un détail qui fait pen­ser aux synodes angli­cans, selon ce que l’archevêque auto­pro­cla­mé de Canterbury a décla­ré aux médias du Vatican il y a quelques semaines.

Le pré­lat anglais avait en effet rap­pe­lé com­ment, dans leur expé­rience, le synode incluait tou­jours l’intervention des laïcs. Et c’est ain­si que le Pape François a affir­mé, de façon presque inat­ten­due par rap­port à la ques­tion : « Sur l’aspect syno­dal : oui, nous sommes un seul trou­peau, c’est vrai. Et faire cette divi­sion – cler­gé et laïcs – est une divi­sion fonc­tion­nelle, oui, de qua­li­fi­ca­tion, mais il y a une uni­té, un seul troupeau. »

Nous étions désor­mais habi­tués à la concep­tion éga­li­taire du « peuple de Dieu » d’où jaillissent les « minis­tères », telle qu’exprimée dans Lumen Gentium et le nou­veau droit cano­nique. Le pape François va direc­te­ment aux sources des deux, en uti­li­sant des termes tout à fait ana­logues à ceux de Martin Luther dans sa Lettre à la noblesse chré­tienne de la nation alle­mande :

« Personne ne doit être inti­mi­dé par cette dis­tinc­tion [entre cler­gé et laïcs, ndlr], pour la bonne rai­son que tous les chré­tiens appar­tiennent vrai­ment à l’état ecclé­sias­tique : il n’y a pas de dif­fé­rence entre eux, sauf celle de la fonction… »

Nous sommes évi­dem­ment dans des concepts dia­mé­tra­le­ment oppo­sés à ceux du Concile de Trente.

Les excuses du pape François

Suivant une tra­di­tion éta­blie depuis Jean-​Paul II, le pape François a pré­sen­té ses excuses aux ortho­doxes pour les abus qu’ils auraient subis de la part de l’Eglise romaine. Ce qui est curieux, c’est que le pape nous informe qu’il s’est éga­le­ment excu­sé pour des faits que – selon ses propres termes – il ne connais­sait pas, à la simple demande de l’archevêque d’Athènes Hyeronime, sans aucune autre information.

Le pape s’est donc excu­sé parce que cer­tains Grecs catho­liques, au moment des guerres d’indépendance contre les Turcs, n’étaient pas favo­rables à la lutte natio­nale (pro­ba­ble­ment parce qu’ils crai­gnaient la dis­cri­mi­na­tion d’une nation ortho­doxe plus que du gou­ver­ne­ment otto­man lui-même).

Que le pape se sente obli­gé de s’excuser non seule­ment pour les actions de ses anciens pré­dé­ces­seurs, mais même pour la posi­tion pure­ment poli­tique de cer­tains catho­liques, frise l’improbable.

Si le Syllabus de Pie IX condam­nait ceux qui disaient que la sépa­ra­tion des Orientaux était due à « l’arbitraire exces­sif des Pontifes romains », le pape François est main­te­nant prêt à rendre les catho­liques cou­pables de tous les maux des Orientaux.

En tout cas, il nous informe que l’unité des Eglises ne doit pas néces­sai­re­ment venir de la théo­lo­gie, mais du tra­vail en com­mun, citant en exemple la Suède, où catho­liques et luthé­riens ont une seule asso­cia­tion cari­ta­tive où ils tra­vaillent ensemble. Quant aux théo­lo­giens, qu’ils dis­cutent : l’unité dans la véri­té est réser­vée à l’au-delà. En atten­dant, lui et ses frères héré­tiques sont unis pour « tra­vailler et prier ensemble ».

Que l’on relise l’encyclique Mortalium ani­mos de Pie XI pour une condam­na­tion détaillée d’une telle vision des rela­tions avec les non-​catholiques. La lec­ture com­plète de cette (courte) lettre du Pape Ratti est un tré­sor néces­saire en ces temps de confu­sion sur la vraie doc­trine du Christ et de l’Eglise.

Le pape François et la démocratie en danger

Des jour­na­listes ont aus­si deman­dé au pape des éclair­cis­se­ments sur ses affir­ma­tions concer­nant le recul de la démo­cra­tie en Europe. Le pape com­mence par affir­mer que la démo­cra­tie – enten­due comme la démo­cra­tie libé­rale euro­péenne, condam­née comme telle par l’Eglise à plu­sieurs reprises – est un tré­sor qui doit être préservé.

En ce qui concerne les dan­gers, le Pape aurait pu faire réfé­rence aux dérives auto­ri­taires et aux abus de pou­voir évi­dents que les gou­ver­ne­ments occi­den­taux se per­mettent sans scru­pules avec l’excuse de la pan­dé­mie. Mais le pape fait réfé­rence au « popu­lisme » qu’il com­pare direc­te­ment au nazisme.

Il dénonce ensuite éga­le­ment, en citant Le Maître de la terre de Benson (un livre qui lui est cher), un gou­ver­ne­ment mon­dial qui nivelle tout, autre enne­mi de la démo­cra­tie. Cela reste un grand mys­tère qu’un homme qui a fait l’éloge de l’Union euro­péenne peu de temps aupa­ra­vant et qui par­ti­cipe avec enthou­siasme aux ini­tia­tives du gou­ver­ne­ment mon­dial sur le chan­ge­ment cli­ma­tique, à la manière d’un pré­sident d’un par­le­ment des reli­gions aux côtés de l’ONU, puisse par­ler ainsi.

S’il avait mieux lu le roman de Robert-​Hugh Benson, le pape François aurait pu s’inspirer des deux pon­tifes qui y appa­raissent, pro­cla­mant fer­me­ment la royau­té du Christ et de l’Eglise romaine face au gou­ver­ne­ment uni­ver­sel d’un anti­christ, com­bat­tant le monde de front, sans le moindre com­pro­mis libéral.

L’archevêque de Paris et le droit de l’Eglise

Le Pape est aus­si Interrogé sur la démis­sion de Mgr Michel Aupetit de Paris, rapi­de­ment accep­tée pour des fautes “mineures” (selon le Pape lui-​même) contre le sixième com­man­de­ment, remon­tant à plu­sieurs années.

Il convient de rap­pe­ler ici un curieux res­crit du 3 novembre 2014, dont l’article 5 dis­po­sait : « Dans cer­taines cir­cons­tances par­ti­cu­lières, l’autorité com­pé­tente peut esti­mer néces­saire de deman­der à un évêque de pré­sen­ter la renon­cia­tion à sa charge pas­to­rale, après lui avoir fait connaître les rai­sons d’une telle demande et avoir écou­té atten­ti­ve­ment ses rai­sons dans un dia­logue fraternel. »

Malgré le pou­voir du pape de révo­quer les évêques à tout moment, voire de deman­der leur démis­sion de manière infor­melle afin de ne pas avoir à pro­cé­der léga­le­ment, on ne voyait pas bien à quoi cela pou­vait ser­vir de l’écrire dans un docu­ment officiel.

De toute évi­dence, il s’agit une fois de plus de pro­cé­der sans les for­ma­li­tés légales, qui devraient garan­tir les per­sonnes contre l’arbitraire de l’autorité et véri­fier la res­pon­sa­bi­li­té. Les pro­pos du pape dans l’avion à pro­pos de cette affaire sont pour le moins embarrassants.

Il semble vou­loir mini­mi­ser les véri­tables fautes de l’archevêque, pour nous faire savoir qu’il a accep­té sa démis­sion sans sour­ciller à cause du “com­mé­rage” que sa conduite avait provoqué.

D’une part, il « excuse » presque Aupetit, parce qu’en fin de compte per­sonne n’est un saint et qu’il pour­rait être par­don­né pour ses erreurs ; et d’autre part, il le sacri­fie parce qu’il ne peut pas gou­ver­ner à cause des rumeurs qui sapent son auto­ri­té. Dans une telle pro­cé­dure, la misé­ri­corde et la jus­tice dis­pa­raissent pour lais­ser place à la pure oppor­tu­ni­té politique.

Une telle pro­cé­dure pourrait-​elle être une pru­dence ver­tueuse dans le gou­ver­ne­ment ? On pour­rait le pen­ser, en fai­sant de nom­breuses dis­tinc­tions, mais les mots de conclu­sion de François sur l’affaire res­tent en eux-​mêmes dif­fi­ci­le­ment com­pré­hen­sibles dans la bouche du Pontife romain : « Pour cette rai­son, j’ai accep­té la démis­sion, non pas sur l’autel de la véri­té mais sur celui de l’hypocrisie. »

Il est pro­bable que le Pape, dont les mots s’apparentent à des pro­pos de table, aura vou­lu dire que c’est à cause de l’hypocrisie du pro­cé­dé que la démis­sion de Mgr Aupetit a été accep­tée, mais la for­mule employée est très mal­heu­reuse, l’hypocrisie en elle-​même ne pou­vant abso­lu­ment pas se voir éri­ger un autel au contraire de la vérité.

Source : Fsspx.Actualités