L’Église catholique perd des millions de fidèles en Amérique latine

Le “Temple de Salomon” à São Paulo. Crédit : Vitor Mazuco sur wikimedia commons.

Le der­nier Latinobarómetro a confir­mé que l’Église catho­lique conti­nue de perdre des mil­lions de fidèles bap­ti­sés, dont la plu­part se dirigent vers le pro­tes­tan­tisme évan­gé­lique.

Le catho­li­cisme ne dépasse pas 50 % de la popu­la­tion en Uruguay et dans toute l’Amérique cen­trale, à l’exception du Costa Rica. Il en sera de même cette année au Brésil.

Le conti­nent amé­ri­cain his­pa­no­phone et luso­phone est en train de ces­ser d’être majo­ri­tai­re­ment catho­lique. Ni les docu­ments, ni les synodes, ni les plans pas­to­raux aux mille et une condi­tions ne semblent pou­voir empê­cher des mil­lions de catho­liques bap­ti­sés de rejoindre les com­mu­nau­tés ecclé­siales pro­tes­tantes, en par­ti­cu­lier celles des déno­mi­na­tions pentecôtistes.

En 1995, 80 % de la popu­la­tion latino-​américaine s’identifiait comme catho­lique. Ils ne sont plus que 59 % en 2018. Le pour­cen­tage de pro­tes­tants évan­gé­liques dépasse désor­mais les 20 %, et 65 % d’entre eux sont des pentecôtistes.

Le cas emblématique du Brésil

« Le Vatican est en train de perdre le plus grand pays catho­lique du monde : c’est une perte énorme, irré­ver­sible », a décla­ré José Eustáquio Diniz Alves, démo­graphe bré­si­lien de renom et ancien pro­fes­seur à l’agence natio­nale de sta­tis­tiques. Au rythme actuel, il estime que les catho­liques repré­sen­te­ront moins de 50 % de tous les Brésiliens au début du mois de juillet.

Les rai­sons de cette évo­lu­tion sont com­plexes : les chan­ge­ments poli­tiques qui ont réduit les avan­tages de l’Église catho­lique par rap­port aux autres reli­gions, et la sécu­la­ri­sa­tion crois­sante. Pendant la pan­dé­mie, les églises évan­gé­liques ont été par­ti­cu­liè­re­ment effi­caces dans l’utilisation des médias sociaux pour main­te­nir l’engagement de leurs fidèles.

Les cri­tiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église catho­lique sou­lignent aus­si son inca­pa­ci­té à satis­faire les demandes reli­gieuses et sociales de nom­breuses per­sonnes, en par­ti­cu­lier les pauvres. Les Latino-​Américains décrivent l’Église catho­lique comme décon­nec­tée du quo­ti­dien de ses fidèles.

L’essor de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion qui a vu des ecclé­sias­tiques insis­ter sur la mis­sion de jus­tice sociale de l’Église, en s’inspirant sou­vent des idées mar­xistes, n’a pas réus­si à contrer l’attrait des reli­gions protestantes.

Ce déclin de l’influence du catho­li­cisme a des consé­quences sociales et poli­tiques consi­dé­rables. Dans des pays comme le Brésil, les conver­sions au pen­te­cô­tisme ont sti­mu­lé les opi­nions socia­le­ment conser­va­trices, des fave­las aux halls du Congrès, contri­buant à pro­pul­ser le pré­sident de droite Jair Bolsonaro au pou­voir en 2018.

Alors que le pré­sident Bolsonaro s’identifie tou­jours comme catho­lique, il s’est fait bap­ti­ser par un pas­teur pen­te­cô­tiste dans le fleuve Jourdain en 2016 dans le cadre de la pré­pa­ra­tion de sa cam­pagne pré­si­den­tielle. Les pen­te­cô­tistes et les évan­gé­liques sont bien repré­sen­tés dans son cabi­net et consti­tuent un tiers du congrès bré­si­lien. Sa femme fré­quente une église évangélique.

Un manque de spiritualité et d’esprit missionnaire

Selon le Wall Street Journal, les prin­ci­pales rai­sons pour les­quelles tant de catho­liques quittent l’Église pour d’autres com­mu­nau­tés ecclé­siales sont, selon des études socio­lo­giques, qu’ils y trouvent « une plus grande connexion per­son­nelle avec Dieu » (81 %) et une plus grande aide pour leurs membres (60 %).

En outre, les fidèles évan­gé­liques sont beau­coup plus pra­ti­quants que les catho­liques, la majo­ri­té des pro­tes­tants (65 %) assis­tant au culte plus d’une fois par semaine, alors que seuls 16 % des catho­liques font de même dans leur assis­tance à la messe.

Le P. Martín Lasarte, prêtre uru­guayen pré­sent au synode sur l’Amazonie, estime que le mou­ve­ment de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion a sou­vent pla­cé les ques­tions poli­tiques et sociales au-​dessus de l’expérience reli­gieuse. Dans ce cas, « il manque le sens exis­ten­tiel de la joie de vivre l’Évangile, cette ren­contre per­son­nelle que tant d’Églises pen­te­cô­tistes donnent à la per­sonne », a‑t-​il déclaré.

Certains mou­ve­ments catho­liques d’Amérique latine ont cher­ché à rega­gner les bre­bis éga­rées, soit en imi­tant le pen­te­cô­tisme, soit par un cer­tain traditionalisme.

Depuis les années 1970, le catho­li­cisme cha­ris­ma­tique tente de main­te­nir dans les rangs de nom­breux catho­liques atti­rés par le pen­te­cô­tisme, avec la gué­ri­son par la foi et le par­ler en langues, asso­ciés à des pra­tiques catho­liques, notam­ment la dévo­tion à la Vierge Marie. En 2020, 22,8 % des catho­liques d’Amérique latine étaient cha­ris­ma­tiques, selon la World Christian Database.

Le catho­li­cisme conser­va­teur mili­tant – plus récent – met l’accent sur l’apologétique. L’un des prin­ci­paux chefs de file est le P. Paulo Ricardo, qui compte 1,5 mil­lion d’adeptes sur Facebook : il a condam­né la théo­lo­gie de la libé­ra­tion comme une héré­sie et a sou­te­nu avec enthou­siasme des élé­ments du pro­gramme de M. Bolsonaro, comme l’assouplissement de la pos­ses­sion d’armes à feu.

La puissance financière des évangéliques

Les dîmes et les béné­fices d’un empire com­mer­cial géré par les Églises évan­gé­liques du Brésil – qui com­prend des réseaux de télé­vi­sion et des com­pa­gnies de croi­sière – ont don­né au mou­ve­ment une puis­sance finan­cière qui lui per­met de s’étendre dans les ban­lieues pauvres et de finan­cer des cam­pagnes politiques.

Dans le centre-​ville de São Paulo, une réplique du temple de Salomon, d’une valeur de 300 mil­lions de dol­lars, témoigne de l’ascension ful­gu­rante de l’évangélisme. Construit en 2014 par l’une des plus grandes et des plus riches églises néo-​pentecôtistes du Brésil, l’Église uni­ver­selle du Royaume de Dieu, le temple peut accueillir jusqu’à 10 000 fidèles.

De nom­breux pen­te­cô­tistes prêchent la “théo­lo­gie de la pros­pé­ri­té” – plus connue aux États-​Unis sous le nom de Prosperity Gospel – selon laquelle la grâce de Dieu se reflète dans la richesse maté­rielle. Au temple de Salomon à São Paulo, des hommes en cos­tume font régu­liè­re­ment la queue devant l’autel avec des sacs et des lec­teurs de cartes de cré­dit pour rece­voir les offrandes, tan­dis que le pas­teur pro­met à ses fidèles qu’ils devien­dront riches s’ils font des dons généreux.

Malheureusement, quoiqu’il ait effec­tué son pre­mier voyage inter­na­tio­nal au Brésil, en juillet 2013, et qu’il se soit ren­du depuis dans neuf autres pays de la région, le pape François ne mène clai­re­ment pas une croi­sade pour recon­qué­rir la région au catholicisme.

Sources : Wall Street Journal/​InfoCatolica – FSSPX.Actualités.