Le synode pour l’Amazonie vient de commencer et déjà l’on peut s’inquiéter : démonstrations puériles à la limite du blasphème, liturgie pathétique et déclarations inquiétantes (cf. article fsspx.actualités).
Si le synode suit la voie ouverte par l’instrument de travail (IL) qui lui sert de base et qui a été publié le 8 juin dernier par le Vatican, l’inquiétude risque de monter encore : ce document, comme le montre le professeur Matteo D’Amico dans le Courrier de Rome, est un texte scandaleux, une pépinière d’hérésies.
Relisons quelques points de sa démonstration, et d’abord ce qui est au centre de la pensée du pape François : le refus d’un dogme immuable, universel … catholique.
1. La révélation continue en Amazonie, nouveau lieu théologique.
L’une des idées centrales de la pensée du Pape François résonne dans cette utilisation inappropriée de la notion de « lieu théologique », à savoir que l’Esprit puisse inspirer, d’une manière différente selon les lieux et les temps, des virages doctrinaux et des changements dans ce qui a toujours été cru. Pour lui, la foi et l’Église ne sont vivantes que si elles se placent à la suite des hommes et de leurs besoins ou de leurs exigences changeantes : le berger doit suivre et non guider les brebis, et c’est lui qui doit avoir l’odeur des brebis et non l’inverse. Une Église qui aurait la prétention d’imposer à tous les chrétiens la même doctrine immuable est une Église de pharisiens qui pétrifie la Révélation, Révélation qui, pour le Pontife régnant, n’a pas pris fin avec la mort du dernier apôtre, mais continue, surtout par l’œuvre des pauvres et des périphéries. Voilà le contexte théologique gravement hétérodoxe dans lequel il faut remettre le Synode actuellement en préparation.
Ce que nous disons trouve une confirmation dans le chapitre II, intitulé « territoire », d’IL, où nous lisons :
« De plus, nous pouvons dire que l’Amazonie – comme tout autre espace territorial autochtone ou communautaire – n’est pas seulement un ubi (un espace géographique), mais également un quid, c’est‑à-dire un lieu qui a un sens pour la foi ou l’expérience de Dieu dans l’histoire. Le territoire est un lieu théologique à partir duquel la foi est vécue ; il est aussi une source particulière de la révélation de Dieu. Ces espaces sont des lieux épiphaniques où se manifeste la réserve de vie et de sagesse pour la planète, une vie et une sagesse qui parlent de Dieu. En Amazonie se manifestent les « caresses de Dieu » qui s’incarne dans l’histoire » (p. 48).
Voilà le fondement de la nouvelle fantasy‑éco-théologie que l’on essaye de lancer ! La forêt amazonienne comme « source particulière de la révélation de Dieu ». Il est clair qu’ici on ne réaffirme pas simplement que « le ciel et la terre », la beauté de la création en général, chantent la gloire de Dieu, qu’ils témoignent par leur perfection que Dieu existe et qu’il est suprême intelligence et bonté. On cherche au contraire à affirmer que l’Amazonie en tant que telle et de façon exclusive est le lieu d’une révélation spéciale que la planète tout entière doit s’approprier : c’est en somme une sorte de « forêt élue » qui a un message novateur de la part de Dieu à transmettre à tous les hommes.
2. L’Église en sortie est à l’écoute de cette révélation nouvelle venant des périphéries
Comme nous l’avons déjà évoqué, le cœur de la conception hétérodoxe de l’Église par François est l’idée que la Révélation n’a pas pris fin, que le Depositum Fidei n’est pas stable et immuable, mais en continuelle évolution. Par conséquent l’Église ne doit plus essentiellement et avant toutes choses enseigner ce qu’elle garde, tradere ce qu’elle a reçu de Notre-Seigneur, mais se faire disciple et apprendre les nouveaux éléments de la « révélation » que Dieu donne essentiellement à travers les périphéries, les derniers, les « laissés de côté », pour utiliser le lexique du Pape. La nouvelle « révélation » vient ainsi coïncider, suivant la vision moderniste, avec les attentes et les besoins des peuples, auxquels on ne peut pas répondre avec des doctrines « pétrifiées ». Et nous voici donc avec des « lieux théologiques » nouveaux et inédits, comme justement la forêt amazonienne, qu’il s’agit d’écouter.
« À travers l’écoute mutuelle des peuples et de la nature, l’Église se transforme en une Église en sortie, tant d’un point de vue géographique que structurel ; elle se transforme en une Église sœur et disciple grâce à la synodalité. Voici comment l’a exprimé le Pape François dans la Constitution apostolique Episcopalis Communio : « L’évêque est ainsi à la fois maître et disciple […]. Il est disciple quand, sachant que l’Esprit se répand en chaque baptisé, il se met à l’écoute de la voix du Christ qui parle à travers le Peuple de Dieu tout entier » (EC 5). Le Pape lui-même s’est fait disciple à Puerto Maldonado quand il a affirmé sa volonté d’écouter la voix de l’Amazonie » (p. 108, c’est nous qui soulignons).
On notera, dans le passage extrait de Episcopalis Communio, la gravité de l’erreur du Pape : dans sa pensée, puisque l’Esprit est donné à tout baptisé, le Christ parle et adapte ou modifie la Révélation donnée par les Apôtres, du bas vers le haut, à travers la voix des individus ou des peuples. Voilà pourquoi l’Église est disciple : elle n’a plus à enseigner, mais elle doit suivre l’incessante modification de la « révélation », en se mettant à l’écoute des peuples, et même de la nature ! L’Église et le Pape sont des disciples, par exemple, ils sont une « Église en sortie », s’ils se mettent à l’écoute de l’Amazonie, parce qu’à travers l’Amazonie c’est Dieu lui-même qui parle. Nous sommes à l’essence même du modernisme le plus poussé et le plus éhonté́, et nous sommes surtout, humainement parlant, face à la fin de l’Église catholique, car on n’arrive pas à imaginer une théologie plus misérable et schizophrène. D’ailleurs il n’échappe à personne que l’énorme fraude de l’« Église en sortie » que nous venons de décrire n’aboutit à rien d’autre qu’offrir la possibilité à des théologiens, des évêques ou des papes n’ayant plus la foi catholique de faire passer pour « enseignement » ou « révélation » leurs rêves et leurs délires personnels, un peu comme dans les révolutions, où une minorité organisée au nom du peuple impose son idéologie et opprime la majorité des citoyens.
3. Vers une Église polyédrique, sans dogme universel
Donc l’Église en sortie amazonienne pourra et devra être quelque chose d’innovant, de nouveau au sens absolu, et on nous dit aussi comment elle sera :
« Une Église au visage amazonien avec de multiples nuances entend être une « Église en sortie » (EG 20- 23), qui laisse derrière elle une tradition faite de colonialisme monoculturel, de cléricalisme et de domination et qui sait discerner et assumer sans crainte les diverses expressions culturelles des peuples. Ce visage nous avertit du risque de « prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait une valeur universelle » (cf. OA 4 ; EG 184). La réalité socioculturelle complexe, plurielle, conflictuelle et opaque interdit d’appliquer « une doctrine monolithique défendue par tous sans nuances » (EG 40). L’universalité ou la catholicité de l’Église se voit donc enrichie par « la beauté de ce visage multiforme » (NMI 40) (…) formant ainsi une Église polyédrique (cf. EG 236) » (P. 125, c’est nous qui soulignons).
Le point que nous avons souligné est le plus important : on prophétise la fragmentation de la doctrine de l’Église catholique en une poussière de convictions différentes, comme si être catholique ne se fondait pas essentiellement sur le fait de partager fermement l’unique depositum fidei. Bien sûr, dans une perspective panthéiste et immanentiste, de fait néo‑païenne, comme celle que l’on respire dans tout le document, la multiplicité des croyances devient légitime, sans que cette contradiction ne trouble les rédacteurs du document et les autorités romaines, à commencer par le Pape, qui l’ont approuvé. D’ailleurs c’est le propre de la sensibilité païenne d’accepter une multiplicité de dieux et de croyances, sans saisir à quel point cela est absurde ne serait-ce que du point de vue de la considération philosophique, rationnelle.
De la même façon, on affirme qu’il faut « dépasser les positions rigides qui ne tiennent pas suffisamment compte de la vie concrète des personnes et de la réalité pastorale, pour aller à la rencontre des besoins réels des peuples et des cultures autochtones » (p. 132).
Ici, comme dans Amoris Lætitia, on saisit parfaitement l’idée d’Église complètement moderniste qui sous-tend le document : en effet, pour le moderniste, rien n’est plus détestable qu’une doctrine pensée comme immuable, qu’une loi morale qui n’admet pas d’exceptions et qui n’évolue pas avec le temps. Puisque dans le modernisme la foi doit être un sentiment qui naît de l’inconscient de l’individu comme de celui des peuples pour satisfaire les plus intimes exigences et les désirs des personnes elles-mêmes, il est évident que devient « rigide » toute prétention de l’Église catholique de poser les dogmes comme étant immuables. Ainsi, tandis que le vrai apostolat chrétien a toujours consisté à conquérir le cœur des peuples catéchisés, en les soumettant lumineusement à la force de l’Évangile, pour les modernistes amazoniens ou non, c’est l’Évangile qui doit s’adapter à « la vie concrète des personnes ». Cela explique pourquoi le peuple doit devenir un nouveau « lieu théologique », parce que ce n’est qu’ainsi que l’on pourra justifier la trahison et la falsification de l’Évangile comme nouvelle révélation, comme révélation qui continue dans l’histoire, où la mutation du dogme devient vertueuse et non plus signe certain d’hérésie.
4. Le catholicisme, enrichi par le paganisme ?
Il n’est pas téméraire, mais il est permis et nécessaire de se demander si les rédacteurs d’Instrumentum Laboris n’ont pas perdu la foi. Chaque passage alimente le doute de se trouver face à des personnes qui visent consciemment à détruire le christianisme et à le rem- placer par une nouvelle doctrine favorable à l’écologisme dominant les cercles les plus exclusifs du pouvoir financier mondial. Voici un passage qui dépasse tous les autres en gravité :
« Il faut comprendre ce que l’Esprit du Seigneur a enseigné à ces peuples tout au long des siècles : la foi en Dieu Père-Mère Créateur, le sens de la communion et de l’harmonie avec la terre, (…), les relations avec les ancêtres, l’attitude contemplative et le sens de la gratuité, de la célébration et de la fête, ainsi que le sens sacré du territoire. L’inculturation de la foi n’est pas un processus de descente vers le bas, ni une imposition de l’extérieur, mais un enrichissement mutuel des cultures en dialogue (interculturalité) (…) Reconnaître la spiritualité autochtone comme source de richesse pour l’expérience chrétienne » (p. 133).
Remarquer :
- Dieu qui devient « Mère » pour promouvoir l’avènement du nouveau culte écologiste de la terre pensée justement comme « mère »,
- le territoire sacralisé, c’est‑à-dire la nature divinisée dans une optique panthéiste,
- le christianisme placé à égalité avec la spiritualité indigène qui doit l’enrichir.
Note
Source : Le Courrier de Rome / La Porte Latine du 10 octobre 2019