Le concile oecuménique Vatican II , un débat à ouvrir
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A la fin du mois de janvier, les grandes figures libérales de l’ère « wojtylienne », du cardinal Martini à Mgr Sorrentino, ont parrainé la création d’un nouveau site en Italie : Viva il Concilio !
Une acclamation pour chanter les merveilles d’un « superdogme » comme s’il fallait resserrer les rangs pour conjurer une inéluctable menace : le concile Vatican II, dont l’aula raisonnait de mille voix il y a bientôt un demi-siècle, verrait aujourd’hui son aura ternie.
Dans le même temps, après trois éditions successives dans la langue de Dante, l’un des plus éminents théologiens du Latran, Mgr Brunero Gherardini, faisait paraître l’édition française de son dernier ouvrage : Le concile oecuménique Vatican II, un débat à ouvrir.
La démarche de Mgr Gherardini
Ni homme de pouvoir ni prélat de cour, ce professeur toscan, originaire de Prato, a passé des décennies à former les prêtres à l’ecclésiologie et à l’oecuménisme. Doyen de la faculté de théologie de l’Université pontificale du Latran, chanoine de l’archibasilique vaticane, il est devenu un spécialiste reconnu et consulté de la réforme luthérienne, de l’ecclésiologie ou de la mariologie. L’ouvrage que cet héritier de l’École classique publie à l’âge de quatre-vingt-cinq ans pourrait être perçu comme une synthèse des centaines de publications que cet éminent universitaire romain, initié à la théologie thomiste et aux définitions assez traditionnelles, fit éditer au cours de sa carrière ecclésiastique. Tel n’est visiblement pas le but de ses deux cent soixante pages. Elles apparaissent, à l’heure où s’engagent les discussions doctrinales entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint- Pie X, comme une réponse au fameux discours du 22 décembre 2005 de Benoît XVI à la Curie. Le pape, dans ce véritable programme d’ouverture, faisait de « l’herméneutique de la continuité » le thème phare de son pontificat. Il s’agissait pour lui de mettre fin à la crise postconciliaire et de placer le Concile dans le sillon de la Tradition.
Mgr Gherardini se dit disposé à suivre cette démarche. Il laisse d’ailleurs entendre que c’est celle qu’il a patiemment appliquée dans ses enseignements, en essayant de raccorder les textes conciliaires au Magistère antérieur. Mais, sans la récuser, il montre qu’elle ne va manifestement pas de soi. Il fait part des doutes qui se sont accumulés à l’expérience de cette méthode et, dans la précision des définitions, il souligne la dissonance réelle d’un grand nombre de textes, depuis Dignitatis Humanae jusqu’à Lumen Gentium par rapport à la Tradition. Après cinquante ans d’enseignement, il affirme :
« J’avoue que je n’ai jamais cessé de me poser le problème de savoir si effectivement la Tradition de l’Église a été en tout et pour tout sauvegardée par le dernier concile et si, par conséquent, l’herméneutique de la continuité évolutive lui est vraiment applicable. »
Dès lors, son propos, empreint d’un grand respect et d’une inégalable déférence ne tourne pas à l’éloge pompeux et mièvre. Après quatre ans de pontificat, il pousse même un cri d’alarme et conclut son livre par une supplique au Saint Père
: « Il me semble qu’après un demi-siècle d’un pareil langage, d’encensement grandiose, de célébrations intempestives, non sollicitées et qui produisent l’effet contraire, le moment est enfin venu de tourner la page. »
Une relecture du Concile
Avant d’aborder méthodiquement les textes conciliaires qui lui paraissent, de manière emblématique, particulièrement problématiques, Mgr Gherardini prend soin de désamorcer le soi-disant caractère « définitoire » de Vatican II qui devait en faire un troisième Testament. Le prélat rappelle la nécessité de placer le Concile dans son contexte et de veiller à considérer les intentions que les papes Jean XXIII et Paul VI lui avaient assignées : un objectif pastoral qui évacuait tout désir de proclamer des définitions de foi :
« Lorsqu’un concile présente lui-même le contenu et la raison de ses documents sous la catégorie de la « pastoralité » en s’autoqualifiant de « pastoral », il exclut par là même toute intention de définition. En conséquence, ce concile ne peut prétendre à la qualité d’un concile dogmatique, et personne ne peut la lui conférer. Et ce même si, dans son contenu, il fait certaines références aux dogmes du passé et développe un discours théologique. « Théologique » n’est pas nécessairement synonyme de « dogmatique ». »
Désormais, ce ne sont plus les membres de la Fraternité qui avancent cet argument de la pastoralité, c’est l’un des plus éminents doyens de faculté romaine.
De même, le professeur d’ecclésiologie ne veut pas trop opposer Concile et postconcile. Selon lui, l’un nourrit effectivement l’autre, par ses manques, par ses brèches, par ses ambiguïtés, par ce qui serait contraire au Magistère antérieur :
« Si l’on a parlé d’esprit conciliaire, ce n’est pas un hasard. Le concile l’avait diffusé à pleines mains avec sa confiance dans l’homme et dans le progrès ; avec son attention à l’expérimentation sociale, politique et culturelle […], avec son invitation à dialoguer et à collaborer tous azimuts avec un monde à la mesure de l’homme ; avec son irénisme ouvert au monde et son bruissement frondeur ; avec un silence imposé à tous les oiseaux de malheur. »
Dès lors, Mgr Gherardini se lance dans une étude poussée des célèbres textes relatifs à la liturgie (Sacrosanctum Concilium), la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), l’oecuménisme (Unitatis Redintegratio) et à la définition de l’Église (Lumen Gentium). Le doyen ne fait pas ici un procès. Il insiste sur ce qu’il considère comme les apports essentiels de Vatican II et même sur ce qu’il estime être les bienfaits de certaines constitutions comme Lumen Gentium. Il relève cependant le rôle particulièrement dévastateur d’experts, aux premiers rangs desquels il cite Karl Rahner, qui ont porté ce qu’il appelle les « aspirations révolutionnaires de Vatican II ». La conclusion est claire : l’Église ne peut se satisfaire de la flagrante contradiction des textes magistériels. Le pape doit programmer des colloques et ouvrir une grande étude du Concile afin d’en donner une lecture conforme à la vraie notion de Tradition, que lui-même prend bien le soin de préciser en se référant à la définition de saint Vincent de Lérins.
Silence sur la résistance existante
L’ouvrage est court, mais les dizaines de pages historiques et théologiques relatives au Concile et au postconcile ne parlent jamais du Coetus Internationalis Patrum ou de la Fraternité Saint-Pie X. Le nom de Mgr Lefebvre n’est pas cité une seule fois. Un esprit soucieux de justice pourrait se formaliser de telles absences. A quelque endroit, le lecteur pourrait presque sentir un désaveu, notamment lorsque l’auteur fait allusion à l’aspect polémique de certaines publications du Courrier de Rome, qui sont notoirement connues pour être tenues par un éminent membre de l’œuvre d’Écône. Néanmoins, cette distance demeure une posture et le silence cache, me semble-t-il, les éloges que le théologien, certain que nous défendons la vérité plutôt qu’une cause particulière, n’a pas voulu publiquement conférer. Son appel doit également toucher ceux qui se seraient déjà braqués à l’égard d’une fraternité valeureuse mais officiellement condamnée. Une habile allusion apparaît d’ailleurs comme un clin d’oeil pour le lecteur averti. Dans le chapitre relatif à la liturgie, l’une des références auxquelles recoure le théologien est l’ouvrage d’un certain « D. Bonneterre », publié aux « éditions Fideliter » en 1980…
Car la démarche de Mgr Gherardini, si elle ne prend pas de front Vatican II, et si, par conséquent, elle s’affranchit d’une certaine manière de celle de la Fraternité Saint-Pie X, aboutit aux mêmes conclusions : face à un concile qu’il n’est possible ni d’annuler, ni de réduire facilement au rang de conciliabule, il est nécessaire que Rome se réapproprie son autorité doctrinale pour préciser, définir, voire condamner. À ce texte, il faut que l’autorité de l’Église apporte des notae previae – en l’occurrence posteriorae – qui seront comme des arcs-boutants venant soutenir le déséquilibre d’une voûte paraissant clairement s’écrouler dans un sens obvie. Dans sa supplique, assuré du désamorçage du caractère dogmatique de Vatican II, Mgr Gherardini réclame d’ailleurs la franchise face à la contradiction qui affleure partout :
« Dans le cas où, tout ou en partie, cette continuité ne pourra être scientifiquement prouvée, il serait nécessaire de le dire avec sérénité et franchise, en réponse à l’exigence de clarté attendue depuis presque un demi-siècle. »
Dans sa préface au livre, Mgr Mario Oliveri, évêque d’Albenga- Imperia, près de Gênes, corrobore ces propos :
« […] Si d’une herméneutique théologique catholique, il ressortait que tels ou tels passages et affirmations du concile ne disent pas seulement nove [la même chose, dite d’une nouvelle façon] mais aussi nova [des choses différentes] par rapport à la Tradition pérenne de l’Église, on ne se trouverait plus devant un développement homogène du Magistère : on aurait là un enseignement non irréformable, et certainement pas infaillible. »
Mgr Marcel Lefebvre
En 1987, Mgr Lefebvre avait déjà, dans un entretien, réclamé qu’on mette à jour ces contradictions, voire ces erreurs. On lui posait alors cette question :
« […] la seule solution du « cas » Lefebvre que vous puissiez accepter, semblerait être un désaveu public de Vatican II par le souverain pontife. Mais, est-ce que vous voyez le pape, un dimanche matin, se montrer place Saint-Pierre et annoncer aux fidèles qu’après plus de vingt ans, il s’est avéré que le concile s’est trompé et qu’il faut abolir au moins deux décrets votés par la majorité des Pères et approuvés par un pape ? »
Et il répondit :
« Allons donc ! A Rome, on saurait bien trouver une modalité plus discrète… Le pape pourrait affirmer avec autorité que quelques textes de Vatican II ont besoin d’être mieux interprétés à la lumière de la Tradition, de sorte qu’il devient nécessaire de changer quelques phrases, pour les rendre plus conformes au Magistère des papes précédents. Il faudrait qu’on dise clairement que l’erreur ne peut être que « tolérée », mais qu’elle ne peut avoir de « droits » ; et que l’État neutre au plan religieux ne peut, ni ne doit exister. »
A la fin du mois de janvier, Mgr Babini, évêque émérite de Grosseto, n’hésitait pas à rendre un hommage au fondateur d’Écône :
« Mgr Lefebvre sur ses choix idéologiques avait raison. Ce fût certainement un grand et sage homme d’Église que j’ai toujours aimé. Les « lefebvristes » ne sont en rien schismatiques. Jean-Paul II se vit obligé de les excommunier, mais il le fit avec les larmes aux yeux. Mais je le répète, si seulement il y avait eu dans l’Église catholique aujourd’hui si progressiste des hommes sérieux et courageux comme ce grand homme que fut Mgr Lefebvre… dont la mémoire est en train d’être réévaluée ! Il suffit de considérer ceux qui sortent de ses séminaires, prêtres bien préparés, courageux, alors que des nôtres souvent vides, ce n’est pas toujours ce qui sort !»
Perspectives…
La simple ouverture des colloques doctrinaux et l’acceptation de discuter le concile ont, semble-t-il, délié des langues et ragaillardi des avis occultés. La tentation face à ces paroles aussi éminentes que rares, qui ébranlent le tabou d’un concile divinisé, serait aujourd’hui de reposer la croix que nous a confiée Notre-Seigneur.
Le Christ lui-même aurait finalement pu interrompre son chemin vers le Golgotha dès la première chute. Mais, avant que ces prises de position soient partagées par les autorités de l’Église, rappelons-nous qu’elles sont le fruit de l’exigence de ceux qui nous ont précédés. Que resterait-il actuellement, si nous nous étions satisfaits des maigres compromis liturgiques que constituaient les indults il y a vingt ans ?
Côme Prévigny, agrégé de l’Université
Extrait de Fideliter n° 194 de mars-avril 2010
« Le principe de la « Tradition vivante » n’a pas été l’objet de discussions. Pourtant, il est susceptible d’ouvrir la voie à un gauchissement du dépôt sacré des vérités contenues dans la Tradition. Dans une ambiance comme celle qui régnait pendant et après Vatican II, quand seul ce qui était nouveau apparaissait comme vrai, et quand ce nouveau se présentait sous les traits de la culture immanentiste et fondamentalement athée de notre temps, la doctrine de toujours ne constituait plus qu’un vaste cimetière.
La Tradition est restée mortellement blessée et elle agonise aujourd’hui (à moins qu’elle ne soit déjà morte) à la suite de positions radicalement inconciliables avec son passé. Il ne suffit donc pas de la définir comme vivante, si elle n’a plus rien de vivant. » (Brunero Gherardini)