Chers Amis et Bienfaiteurs,
Lors de son séjour à Paris, le poète Rilke, accompagné d’une jeune française, passait chaque jour sur l’heure de midi devant une vieille mendiante. Assise là, muette et immobile, la pauvre femme recevait les aumônes des passants sans donner le moindre signe de reconnaissance. Le poète ne lui donnait jamais rien, à la surprise de celle qui l’accompagnait qui, elle, tenait toujours prête une pièce. Interrogé discrètement sur sa conduite, il dit : « C’est à son cœur qu’il faudrait donner, non à sa main ». – L’un des jours suivants, Rilke parut, une magnifique rose mi-éclose à la main. Ah ! pensa la jeune fille, une fleur pour moi, comme c’est charmant ! Mais lui de mettre la fleur dans la main de la mendiante. – Alors se produisit une chose étonnante. La femme se leva, saisit sa main, la baisa et s’en alla avec la rose. Elle disparut toute une semaine. Puis on la revit assise à sa place, muette et immobile comme avant. « De quoi a‑t-elle bien pu vivre toute la semaine ? » demanda la jeune fille. Et Rilke répondit : « De la rose ».
Ce que la rose était au naturel pour la mendiante, l’œuvre de la Tradition l’est au sens surnaturel pour les fidèles : une source vivante d’espérance, de confiance, de force et de joie.
Cette source a jailli abondamment le 19 novembre 1989 à Paris, lors de cette fête de chrétienté qui vit les familles nombreuses, les écoles catholiques, une jeunesse conquérante et joyeuse, des religieux et religieuses, des prêtres jeunes et vieux et avant tout quatre jeunes évêques catholiques, tous réunis autour de Monseigneur Lefebvre, pour remercier avec lui le Dieu Trinité pour soixante ans de ministère sacerdotal le plus fructueux. Venus de tous les continents et de nombreux pays, peuples et langues, ils entouraient l’autel du sacrifice et l’agneau immolé, s’écriant à haute voix : « Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l’Agneau ! » (Apo. 7, 9–12).
Chers amis et bienfaiteurs, l’interview qui suit pourra vous donner une idée exacte du travail réalisé par la Fraternité sous le manteau protecteur de Marie. Que Notre Seigneur Jésus-Christ vous bénisse et vous accorde un Carême riche en grâces. Et à bientôt, à Friedrichshafen le 29 avril 1990, pour célébrer les vingt ans d’existence de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, tous réunis autour de son fondateur, Monseigneur Marcel Lefebvre.
Rickenbach, le 15 février 1990
Abbé Franz Schmidberger
Supérieur général
Entretien avec M. l’abbé Schimdberger : Il faut former des prêtres selon l’Eglise de toujours
Quels buts la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X poursuit-elle depuis sa fondation ?
Le but principal de la Fraternité, selon ses statuts, est de donner à la sainte Eglise une nouvelle génération de prêtres bien formés, pieux, zélés. C’est cet idéal qui guide notre œuvre depuis qu’elle a vu le jour canoniquement le 1er novembre 1970.
Entre donc spécialement dans le cadre de notre travail tout ce qui conduit vers le sacerdoce directement ou indirectement, tout ce qui gravite autour de lui, tout ce qui découle de lui : la formation des prêtres et leur sanctification, les missions prêchées, les retraites, l’apostolat des prieurés qui sont des quasi-paroisses, les écoles catholiques. Bref, il faut à tout prix rendre au prêtre son sacerdoce dans son plein épanouissement, à savoir dans le domaine du dogme, de la spiritualité et du ministère. Mais en raison de l’avancée du progressisme et de l’attaque infernale menée contre l’Eglise par le Concile et les réformes post-conciliaires, c’est le bon combat pour la foi elle-même et pour son centre, le saint Sacrifice de la messe, qui a gagné de plus en plus en importance. Il s’agit en effet de défendre les principes éternels de l’ordre naturel et surnaturel, en particulier les dogmes de la très Sainte-Trinité et de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ contre les néo-ariens, de défendre l’Eglise, institution divine, dans son identité et son essence. Dans ce combat, le prêtre est l’acteur principal, et donc une Fraternité sacerdotale trouve là son plein champ d’activité.
Comment la Fraternité est-elle organisée ?
A la tête de la Fraternité se trouve le Supérieur général avec son Conseil qui comprend le premier Assistant (M. l’abbé Aulagnier), le deuxième Assistant (Mgr Williamson) ; s’y joignent aussi le Secrétaire général (Mgr Tissier de Mallerais) et l’Econome général (Mgr Fellay). Le Conseil se réunit plusieurs fois par année pour prendre les décisions qui touchent vraiment la vie de l’œuvre. A l’échelon suivant, nous trouvons les séminaires, les districts et les maisons autonomes.
Parlons tout d’abord des séminaires : ils sont tous internationaux et dépendent directement de la Maison généralice de Rickenbach, donc du Supérieur général et de son Conseil. Actuellement sont établis six séminaires qui travaillent tous selon la devise « doctrina cum pietate » : la doctrine doit illuminer la piété, la piété rendre fertile la doctrine.
Les districts ensuite sont des entités qui sont pratiquement la préparation à ce qu’on appelle en termes d’Eglise des « provinces », c’est-à-dire des entités juridiques ayant à leur tête un provincial qui dirige l’apostolat dans son territoire. Le Supérieur de district a cette charge ; il supervise, il conseille, il encourage les prêtres, il s’occupe des contacts avec les laïcs, pense à l’ouverture d’un nouveau prieuré, édite des brochures et contrôle les différents bulletins paroissiaux. Les pays ou les secteurs où une seule ou à la rigueur deux maisons seulement sont établies, où l’apostolat n’est pas encore pleinement développé, où il y a encore peu de prêtres, ne forment pas un district mais une « maison autonome ».
Parlez-nous, si vous le voulez bien, de votre travail de Supérieur de la Fraternité.
Le Supérieur général a la responsabilité de toute la Fraternité. C’est lui qui donne la ligne générale dans le cadre des statuts. Il doit donc veiller à la fermeté doctrinale et à la spiritualité profonde, tout orientée vers le saint Sacrifice de la messe. Pour bien remplir ce rôle, il doit faire des conférences, prêcher des retraites, des récollections pour les prêtres, aller sur place contrôler le travail, encourager ses collaborateurs, partager les soucis de ses subordonnés, corriger et quelquefois même porter des sanctions. C’est lui qui, aidé de son Conseil, nomme les directeurs de séminaire, les supérieurs de district et de maison autonome. Il joue également un rôle prépondérant dans la nomination des Supérieurs des différentes œuvres et des prieurés.
Il ne doit pas non plus oublier les contacts avec les prêtres et les familles religieuses proches de la Fraternité, ainsi qu’avec les groupes de laïcs qui mènent le même combat.
Quels sont vos rapports avec Mgr Lefebvre ?
J’ai toujours considéré Mgr Lefebvre comme chargé d’une mission toute spéciale par la divine Providence. N’est-il pas, avec Mgr de Castro Mayer, l’évêque qui, au milieu du déluge de l’apostasie, se réfugie dans l’arche de l’intégrité et de l’intégralité de la foi catholique ? Vous pouvez vous imaginer ma grande joie d’avoir reçu de ses mains l’onction sacerdotale, il est donc bien mon père dans le sacerdoce.
Quand j’ai été appelé ensuite à prendre sa succession à la tête de la Fraternité en 1983, il m’a laissé vraiment avec délicatesse toute la responsabilité afin de ne pas gêner le gouvernement. Il est évident que, dans toutes les questions importantes, je vais le voir pour lui demander conseil, pour être éclairé par son expérience acquise tout au long de sa vie d’évêque de la sainte Eglise et d’ancien Supérieur général de Congrégation et pour puiser dans sa grande sagesse.
Quelquefois je lui ai demandé de ne pas hésiter à nous tirer un peu les oreilles pour que nous restions sur le bon chemin…
Pourquoi Mgr Lefebvre ne vous a‑t-il pas sacré évêque en 1988 ?
Il y a plusieurs raisons. Lors des négociations avec Rome, les membres de la commission chargée de notre dossier nous ont fait comprendre qu’ils ne voulaient pas que le Supérieur général soit sacré évêque, vu sa charge déjà très lourde. Quand par la suite les négociations n’ont pas abouti, nous avons décidé de continuer à respecter ce souhait.
Ensuite nous voulions mettre bien en évidence que nous ne créions pas une Eglise parallèle, et que par conséquent nous n’établissions pas une sorte de « petit Pape ». En outre pour moi, Supérieur général, il était plus facile de défendre les sacres, n’étant pas concerné personnellement.
Enfin un tel règlement pourrait rendre plus faciles à Rome de nouvelles discussions, le jour où il y en aura.
De quels moyens de propagande dispose la Fraternité pour son apostolat ?
Il y a d’abord nos prêtres qui sont les moyens les plus précieux, il y a – ou il devrait y avoir – la propagande de leur exemple. De fait, un prêtre en soutane représente toute la sainte Eglise. Il y a ensuite toute l’aide que nous offrent nos collaborateurs, les Frères, les Sœurs. Il y a toute cette famille de la tradition avec ses écoles, ses couvents, ses monastères, qui connaît un grand rayonnement auprès des fidèles. Pensez, par exemple, aux prêtres de Mgr de Castro Mayer à Campos qui parlent tous les jours à la radio.
N’oublions pas aussi tous nos fidèles, ces jeunes familles nombreuses, ces groupements de jeunes comme le MJCF ou la KJB en pays de langue allemande, qui sont des missionnaires apostoliques et qui donnent presque toujours le bon exemple. Il y a aussi toutes les associations de laïcs avec lesquelles nous vivons en étroite amitié, comme par exemple Renaissance Catholique, ou le mouvement Credo, qui organisent des congrès, des sessions, des pèlerinages etc. Et il y a ensuite toutes les publications au niveau des districts, les bulletins paroissiaux des prieurés, ce qui a une répercussion considérable. Mais c’est avant tout l’argument théologique et philosophique qui fait notre force dans le combat.
Ne pensez-vous pas qu’il faudrait plus encore utiliser les média, voire développer de nouveaux moyens d’expression ?
Envisager de nouveaux moyens d’évangélisation, de propagation de la foi ? Il y a la presse, la radio et la télévision. La presse, nous l’utilisons déjà beaucoup avec tous les bulletins diffusés partout. Nous aimerions utiliser davantage la radio et même la télévision (bien que nous rejetions cette dernière dans son actuel aspect démagogique de séduction), voire posséder une radio ou une chaîne privée. Mais cela demande des sommes considérables que nous n’avons pas.
Mais ne nous trompons pas : Dieu donne toujours sa grâce premièrement et essentiellement à travers l’action sacerdotale, donc par la prédication personnelle qui doit conduire aux sacrements et au saint Sacrifice de nos autels. Les mass-media peuvent donner des informations, on pourrait dispenser à travers eux un catéchisme, toute autre chose s’avère trop souvent n’être qu’un feu de paille.
Qu’en est-il des finances de la Fraternité ?
Nos seuls moyens financiers sont les dons de nos fidèles. En effet, toutes nos églises, séminaires, prieurés, écoles ne sont rien d’autre que leur foi incarnée. Sans leur générosité qui découle de leurs convictions catholiques, nous ne pourrions rien faire, mais « beaucoup de grains font le sable et beaucoup de gouttes font la pluie », dit le proverbe allemand.
Bien sûr, certains districts sont mieux établis que d’autres ; c’est avant tout dans les pays du tiers monde qu’il faut de temps en temps une aide de la Maison généralice ou d’un autre district.
Voulez-vous nous faire un petit tour du monde de la Fraternité Saint-Pie X ?
Nous avons des prieurés et des maisons avec des prêtres résidents dans 23 pays, sur tous les continents. En plus de cela nous sommes en relation avec un grand nombre d’autres pays où nous avons des amis, des groupes de fidèles que nous visitons de temps à autre. Commençons notre tour en Europe. Il y a des différences assez prononcées entre les pays. Dans l’ordre d’importance, nous sommes le plus représentés en France où une soixantaine de prêtres s’occupent de groupes importants de fidèles dans les prieurés, et où il y a spécialement beaucoup d’écoles établies. Il y a également le séminaire de Flavigny et certainement le plus de familles religieuses proches de la Fraternité en comparaison d’autres districts. La France est suivie par l’Allemagne et la Suisse qui se développent d’une façon très heureuse et où nous trouvons des bienfaiteurs très généreux. En Suisse, il y a bien sûr Ecône, et en Allemagne deux installations importantes : le séminaire de Zaitzkofen, à 120 km au nord de Munich, et l’école Saint-Jean Bosco à 100 km à l’est de Dortmund. Il y a dans chacun de ces pays un carmel qui soutient notre action par la prière et les sacrifices. L’Angleterre se développe lentement mais très solidement. Mère Marie-Christiane va sous peu y fonder un carmel.
En Autriche il n’est pas toujours facile de susciter une saine réaction auprès des fidèles ; il y a beaucoup d’indifférence inculquée dans les esprits par la propagande des loges maçonniques d’une part, et par une obéissance aveugle d’autre part. Ce manque de réaction touche encore davantage l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. Dans ces pays d’ancienne catholicité, les fidèles se rendent beaucoup moins compte de la profondeur de la crise et suivent aveuglément leurs pasteurs. Ils se laissent tromper par quelques façades de ce sinistre mariage de l’Eglise et du monde. D’où une grande difficulté à développer notre travail dans ces pays, bien que l’Italie donne bon espoir si l’on considère que trois vocations sont entrées au séminaire de Flavigny. En Belgique le sol est lourd à labourer, mais néanmoins fructueux ; c’est ainsi que nous avons pu installer une petite école dans notre prieuré de Bruxelles. C’est autrement difficile en Hollande. Ce pays est complètement anéanti dans la foi, la pratique religieuse et même la morale naturelle. Rien qu’à Amsterdam, il y a actuellement 14 églises catholiques à vendre.
Aux Etats-Unis, après d’innombrables difficultés et de croix, le travail porte de très bons fruits. Nous avons non seulement 80 chapelles mais encore le séminaire de Winona qui est actuellement le plus grand séminaire de la Fraternité, une école à St. Marys dans l’Etat du Kansas avec 350 élèves ainsi qu’un petit collège universitaire. Le noviciat de nos Sœurs à Armada prend de jour en jour de l’ampleur ; l’automne dernier, trois coréennes y sont entrées. Il y a dans ce pays, il est vrai, beaucoup d’immoralité, de sensualisme et de matérialisme ; mais, d’un autre côté, les américains n’aiment pas du tout la nouvelle liturgie, ce qui provoque une bonne réaction contre la destruction.
Le Canada, pays immense, est en train de voir s’ouvrir une école dans la banlieue de Québec dans un bâtiment que nous avons pu acquérir, je dirais d’une façon miraculeuse. Comme aux Etats-Unis, ce sont les grandes distances qui rendent difficile notre apostolat ; pratiquement, il faut très souvent prendre l’avion pour les messes du dimanche, ce qui n’est pas toujours favorable à la spiritualité sacerdotale. Mais comment faire autrement puisque pour tout l’Ouest canadien nous n’avons actuellement que deux prêtres ? Dans l’ensemble de ces deux pays ce sont actuellement 35 prêtres qui sont au travail, et heureusement, un certain nombre de confrères plus âgés nous aident efficacement.
Le Mexique est une des terres qui promettent le plus pour l’avenir. Bien que le gouvernement soit socialiste et franc-maçon et que le peuple ne soit pas toujours très éclairé, il y a une foi vive et même très ferme chez les gens simples. Dans quelques années, le pays sera une pépinière de vocations, mais c’est affaire de longue haleine et de communautés très fortes que de pouvoir vraiment pénétrer les âmes de la lumière du saint Evangile et de la grâce de Jésus crucifié.
En Amérique Centrale et en Amérique du Sud nous sommes implantés en Argentine avec un séminaire et un noviciat des Sœurs. Il y a de plus un prieuré à Buenos-Aires et un autre à Cordoba, un autre aussi au Chili et un en Colombie. Partout dans ces pays, les catholiques souffrent beaucoup des sectes et de la théologie de la libération. Alors très souvent les gens simples des quartiers populaires en ont assez des prêtres révolutionnaires et s’adressent à nous. Mais ce sera, comme au Mexique un travail de longue haleine, avec davantage de prêtres. Pour vous donner un exemple, au prieuré de Buenos-Aires nous avons presque un millier de premières communions par année. Au prieuré du Chili, à Santiago, il y a plus de 500 enfants au catéchisme, sans compter les catéchismes dans les quartiers populaires, dispensés par des catéchistes amis. Il y a aussi heureusement toute une élite spirituelle qui s’est adressée à nous : médecins, professeurs, avocats et même quelques militaires. C’est très important pour la reconstruction morale, intellectuelle et spirituelle de ces pays. Malheureusement, nous n’avons pas encore de fondation au Brésil, la plus grande nation catholique du monde ; et pourtant les fidèles nous demandent constamment puisque les prêtres de Mgr de Castro Mayer restent plus ou moins dans le territoire du diocèse de Campos où ils sont submergés de travail. Dans l’horizon des fidèles, le monastère de Santa Cruz mené par le P. Thomas d’Aquin prend aussi de jour en jour une place plus importante.
En Afrique noire nous avons un prieuré au Gabon, avec trois prêtres ; il connaît, depuis son début il y a quatre ans, un développement merveilleux ; un millier de fidèles assistent à la messe le dimanche, parmi eux un ancien ministre et d’autres notables. A Noël ils étaient presque deux mille. 500 enfants suivent le catéchisme. L’abbé Groche demande avec instance une fondation de nos Sœurs pour pouvoir ouvrir une école. Ensuite nous sommes installés en Afrique du Sud et au Zimbabwe où les trois prêtres devraient de toute urgence avoir du renfort, car ici encore les distances sont très grandes.
En Australie nous avons un séminaire, un prieuré avec une petite école à Sydney, et un prieuré à Melbourne.
En Nouvelle-Zélande le prieuré avec ses deux prêtres est installé depuis 1986, et nous sommes actuellement en train d’acheter une grande église avec presbytère. A partir de ce pays, il y a régulièrement des visites aux îles Fidji, comme à partir de l’Australie, en Nouvelle-Calédonie et en Papouasie.
En Asie, un seul prieuré est installé au sud de l’Inde avec, malheureusement, un seul prêtre pour le moment, ceci est dû au problème des visas. La vie est très difficile : climat, civilisation, atmosphère spirituelle au milieu du paganisme, nourriture. Avec la grâce du bon Dieu nous avons pu acheter un grand terrain et y construire un prieuré que Mgr Fellay a béni le 3 décembre, en la fête de saint François-Xavier. Le dimanche, 300 fidèles en tout assistent à la messe dans les quatre chapelles que nous desservons. Il y a là un potentiel immense qui peut être mis en valeur, une fois résolu le problème de visa. Les évêques conciliaires sont évidemment acharnés contre nous, nous nous heurtons là à une opposition peut-être plus violente que partout ailleurs et une persécution physique est même dirigée contre les fidèles fréquentant nos chapelles.
Il y a ailleurs en Asie des groupes assez solides : au Sri Lanka, à Singapour, à Hong-Kong, en Corée du Sud, au Japon et aux Philippines, ce dernier pays étant un peu comparable à l’Amérique du Sud. Tous ces fidèles ne demandent qu’une seule chose : « nous voulons la messe de toujours, les sacrements comme nos ancêtres les ont reçus et l’Evangile prêché comme il a été prêché par les Apôtres. Envoyez-nous donc des prêtres qui puissent donner le catéchisme à nos enfants, qui assistent les mourants dans leurs derniers moments, qui puissent vivre parmi nous pour nous guider et nous conseiller ». A travers toutes les différences de cultures, de langues, de niveau social, de tranches d’âges, c’est partout la même supplique, presque désespérée : « Quand aurons-nous des prêtres parmi nous ? » Et partout il y a les mêmes obstacles, les mêmes persécutions de la part des évêques et des prêtres conciliaires. Ne devrions-nous pas répondre par les paroles de Notre Seigneur : « misereor super turbam » - « j’ai pitié de cette foule affamée ? »
Malgré le mauvais accueil du clergé local, comment êtes-vous reçus par le gouvernement des pays où vous êtes implantés ?
En Europe, nous avons peu de contacts avec les gouvernements, très peu de contacts. Ils sont en général corrects, mais il y a aussi des exceptions. Les choses sont différentes en Afrique noire où il y a des relations très étroites entre l’Eglise et l’Etat, ce qui rend difficiles nos implantations. Dans d’autres pays, comme l’Australie, les Etats-Unis, ou encore le Canada, nous ne rencontrons pas de difficultés majeures ; même au Mexique on nous tolère. En Amérique du Sud, nous avons pu nous implanter sans trop d’obstacles. Les pays les plus délicats sont certainement ceux d’Asie, spécialement là où il y a de fortes majorités musulmane, hindouiste ou bouddhiste. En Malaisie par exemple, le travail des missionnaires chrétiens est très mal vu par le gouvernement musulman.
Pouvez-nous nous parler de vos relations avec Rome après le 30 juin 1988. Avez-vous gardé des contacts ?
On peut en parler, bien qu’il n’y ait pas grand-chose à dire. Il y a toujours quelques contacts, mais rien d’officiel. Cependant il faut ajouter que nous gardons tout notre attachement au Siège Apostolique, nous prions pour le Pape afin qu’il soit libéré de sa prison qu’il a choisie lui-même en grande part et afin que la Tradition retrouve aussi à Rome la place qui lui est due.
Pensez-vous avoir une influence sur Rome malgré son attitude de rejet ?
Nous avons une influence à divers échelons. Tout d’abord notre simple présence gêne énormément la Rome libérale ; ensuite la fertilité de la tradition doit faire réfléchir les autorités de l’Eglise : alors que partout se ferment les établissements religieux, chez nous s’ouvrent partout de nouvelles maisons. Finalement on n’a jamais vraiment répondu à nos arguments. Le cardinal Ratzinger a bien accusé réception du livre Ils l’ont découronné, mais il n’a jamais rien répondu quant à son contenu. Pourquoi cela ? Parce que notre argumentation est irréfutable, par exemple sur l’enseignement de tous les papes antérieurs.
Les évêques ne peuvent pas aller aussi loin qu’ils aimeraient le faire, des groupes entiers de fidèles les quitteraient pour nous rejoindre, ceci se passe par exemple en Inde où bon nombre de prêtres sont en train de retourner à l’ancienne messe.
Est-ce que votre message passe auprès des modernistes malgré la désinformation constante qui entoure vos revendications ?
Si les modernistes sont sincères, ils doivent s’apercevoir qu’il y a un problème très grave dans l’Eglise. Les statistiques montrent clairement que vers l’an 2000 l’Eglise aura pratiquement disparu du for public, tandis qu’une reconstruction, certes difficile, mais réelle et même rapide, s’effectue du côté de ceux qui rejettent les erreurs du concile Vatican II et les réformes qui en sont issues.
Nous avons lancé en 1984 une pétition qui a été signée par nos fidèles pour demander que l’ancienne messe soit rétablie et que Mgr Lefebvre soit réhabilité. Sans chercher une action d’envergure, uniquement par nos chapelles, nous avons récolté 135.000 signatures. En les apportant moi-même à Rome j’ai dit au cardinal Oddi : « Eminence, nous devrions multiplier ces chiffres par cent ». En effet, si nous pouvions nous exprimer en toute liberté, nous pourrions encore gagner beaucoup de fidèles et contribuer puissamment à sauver la foi dans les âmes. Par exemple aux Etats-Unis, plus de la moitié des fidèles désireraient voir la messe de saint Pie V réintroduite, au moins à titre de possibilité. Il y a donc encore bien des forces dans le peuple chrétien, mais toutes ces forces sont actuellement cachées, paralysées, apeurées par la hiérarchie libérale. Comment expliquer autrement la réaction présente d’un cardinal rencontré par un de nos prêtres : « Eminence, comment expliquer que l’Eglise officielle vende ses bâtiments et que Mgr Lefebvre les rachète ? » – « C’est parce que l’œuvre de Mgr Lefebvre est bénie par le Seigneur ».
Après un an et demi faisons le point sur le travail et le rôle des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre.
Les nouveaux évêques sont au service de la Fraternité, sans territoire ni troupeau déterminés. Un travail considérable est réalisé par eux quotidiennement : ordinations et confirmations, bénédictions de chapelles, prédications et conférences. Ils ne sont certainement pas de trop pour faire face à toutes les demandes qui leur sont adressées de partout. Depuis leur sacre ils ont ordonné 37 prêtres et administré plus de 5.000 confirmations.
Quels sont vos projets pour ces prochaines années ?
Tout d’abord renforcer nos institutions, nos prieurés. Il faut que nos prêtres soient davantage protégés dans leur vocation, leur ministère et leur travail. Le prêtre isolé ressent de grandes difficultés dans ce monde corrompu et apostat. Il faut que toutes nos maisons aient deux, trois, voire quatre prêtres, des frères et des sœurs. Bien sûr cela ne peut être réalisé du jour au lendemain, mais c’est pour nous un but très important.
Il y a ensuite tout un apostolat de la prière qui se met en route peu à peu. Nous avons commencé le 1er décembre l’adoration perpétuelle dans nos différents prieurés et chapelles où, à tour de rôle, le Saint-Sacrement est exposé toute la journée aux quatre intentions suivantes : la victoire sur les ennemis à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise, le retour de Rome et des évêques à la tradition et à la foi de nos ancêtres, la sanctification de nos prêtres et beaucoup de nouvelles vocations sacerdotales et religieuses. D’autre part chaque jour un de nos prêtres célèbre une messe en l’honneur de la très Sainte Vierge, pour chanter au nom de toute la Fraternité la plus haute louange mariale.
Nous avons également relancé l’intronisation du Sacré-Cœur dans les familles ainsi que la Croisade Eucharistique des enfants.
Toutes ces actions se complètent et porteront certainement des fruits : ce sont des familles catholiques que découleront les vocations, et ces vocations une fois réalisées seront l’appui des familles chrétiennes, les encourageant et les réunissant autour de l’autel et du tabernacle.
Nous avons aussi à développer les écoles vraiment catholiques, ainsi que des retraites pour convertir. Je ne connais pas de moyen plus sûr et plus puissant pour rechristianiser une âme que les cinq jours de saint Ignace. Or nous sommes arrivés à un état où il ne s’agit plus tellement – au moins pour nos pays – d’informer seulement les gens, mais de convertir les cœurs et les intelligences. Nous vivons en effet dans un climat de néo-paganisme.
Il nous faut également renforcer le travail théologique. Nous avons organisé l’an dernier pendant l’été une session d’études qui a été très appréciée par les participants.
Il nous faut aussi réfuter l’hérésie par un travail approfondi, travail dogmatique et apologétique, comme d’ailleurs l’ont fait les Pères de l’Eglise face à l’arianisme, au pélagianisme, au nestorianisme et aux autres hérésies.
Enfin il y a certainement l’un ou l’autre prieuré à fonder dans les pays du tiers-monde. C’est ainsi que nous créons des centres de références qui donneront une orientation claire et nette aux catholiques de ces pays et qui susciteront des vocations parmi les jeunes.
Que pensez-vous des derniers événements survenus à l’Est ?
Il faudrait être très réservé et savoir distinguer, à la source de ces changements, les besoins impératifs d’un système en voie d’effondrement, la tactique nouvelle de l’hégémonie soviétique, et les forces occultes qui préparent le gouvernement mondial, soutenu par une religion mondiale humaniste ou par un parlement de toutes les religions.
Mais il est évident que dans la mesure où ces pays s’ouvrent, quelques contacts sont possibles avec les évêques, les prêtres et les groupes de fidèles. Il faut alors leur procurer de la bonne littérature pour les informer du combat qui se déroule aujourd’hui partout. Sensibilisés par tant de souffrances dans les geôles communistes ils comprennent peut-être mieux que seule la Croix de Notre-Seigneur, sa grâce et son Eglise sont la réponse à toutes les questions.
On nous dit par exemple qu’en Ukraine, des clercs et des fidèles sont bien informés sur la Fraternité et partagent tout à fait nos idées, qui ne sont pas les nôtres mais celles de l’Eglise de toujours.
Il y a donc partout un grand travail à faire, partout la moisson est abondante, les ouvriers peu nombreux. Alors il faut prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson.
Quels sont vos rapports avec les autres communautés de tradition ?
Nous nous réjouissons profondément de voir se développer tous ces établissements qui sont fidèles à la règle et à l’esprit de leur fondateur. Citons les Dominicains d’Avrillé, les Dominicaines de Fanjeaux et de Brignoles avec leurs écoles qui font quotidiennement un travail magnifique dans les âmes des enfants ; l’abbé Lecareux avec sa Fraternité de la Transfiguration, les Capucins de Morgon, les Franciscaines, les Sœurs du Rafflay, pour ne citer que les plus importantes en France. Ensuite il y a les prêtres de Mgr de Castro Mayer qui se sont associés en Fraternité, le Monastère de Santa Cruz au Brésil, les Rédemptoristes du P. Sim en Angleterre fondés il y a un an et demi, les différents carmels fondés par Mère Marie Christiane qui sont le précieux appui, tout surnaturel, qui féconde notre apostolat, les Sœurs de Mayence qui s’occupent des malades et des personnes âgées et une petite communauté de Sœurs qui s’est détachée du monastère des Sœurs du Très Précieux Sang situé au Liechtenstein, monastère qui malheureusement, depuis les sacres, suit la Fraternité Saint-Pierre. Or les six Sœurs « dissidentes » sont en train d’acheter une maison pour poursuivre leur but principal : l’adoration perpétuelle du Très Précieux Sang et pour recevoir également quelques personnes âgées.
Que Dieu bénisse tous ces monastères, tous ces couvents, toutes ces initiatives et couronne en eux les fruits de sa propre grâce !