Lettre n° 36 de l’abbé Franz Schmidberger aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de février 1989

Chers Amis et Bienfaiteurs,

etons ensemble un regard en arrière sur les mois écou­lés depuis l’événement his­to­rique du 30 juin, les sacres épis­co­paux d’Ecône, pour tour­ner ensuite les yeux vers l’avenir.

Comme vous le savez sûre­ment, nous avons eu à subir, dans la mesure qui était à pré­voir, quelques défec­tions par­mi les prêtres et les sémi­na­ristes ; en revanche les Frères et les Sœurs sont demeu­rés fidèles sans exception.

La rup­ture, par les béné­dic­tins et béné­dic­tines du Barroux, du front com­mun qui nous unis­sait dans le com­bat, nous a très dou­lou­reu­se­ment frap­pés. Dieu mer­ci, le jeune monas­tère du Brésil, lui, n’a pas fran­chi ce pas funeste, mais demeure dans la famille de la tradition.

Depuis la ful­mi­na­tion romaine, le nombre des fidèles fré­quen­tant nos cha­pelles a signi­fi­ca­ti­ve­ment aug­men­té d’environ 10 % dans le monde entier. De même l’intérêt des jeunes pour la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X s’est nota­ble­ment accru ; nous atten­dons en mars un bon chiffre d’entrées dans nos sémi­naires d’Argentine et d’Australie. En outre, la divine Providence vient de nous faire acqué­rir en Australie la pro­prié­té extrê­me­ment avan­ta­geuse d’un grand bâti­ment pour le sémi­naire de la Sainte-​Croix : une ancienne école d’agriculture située seule­ment à envi­ron deux heures de route à l’Ouest de Sydney. Voilà trou­vé pour nos sémi­na­ristes un nid durable.

Ailleurs aus­si, nous nous éten­dons : à Calgary (Canada de l’Ouest), nous avons pu ache­ter une église et à Ottawa, la capi­tale, prendre en mains une com­mu­nau­té por­tu­gaise. Aux Etats-​Unis, nous avons enfin récu­pé­ré, après une longue attente, deux églises res­ti­tuées par nos anciens confrères. A Mexico, la construc­tion de la cha­pelle est ter­mi­née et l’édifice est plein le dimanche. Au Gabon, 450 enfants sont caté­chi­sés et envi­ron 1.600 fidèles ont par­ti­ci­pé à la sainte Messe à Noël. En Inde, nos Pères emmé­na­ge­ront sous peu au prieu­ré nou­vel­le­ment construit. En France, plu­sieurs écoles ont dû aug­men­ter leur capacité.

Cependant la triple occu­pa­tion étran­gère de l’Eglise se poursuit :

a) L’occupation du Pape lui-​même : il est pri­son­nier de la phi­lo­so­phie moderne et de la théo­lo­gie moder­niste, carac­té­ri­sées par la phé­no­mé­no­lo­gie, l’existentialisme et le sub­jec­ti­visme, qui rem­placent par la per­sonne humaine l’ordre objec­tif de l’être et des fins ; carac­té­ri­sées aus­si par une notion plus qu’ambiguë de la foi et une vue erro­née de l’Église conçue comme moteur d’un monde en pro­grès, plus humain et plus libé­ral ; enfin par une concep­tion natu­ra­liste de la Rédemption :
– « ma foi… n’avait rien à voir avec un quel­conque confor­misme,… elle était née dans les pro­fon­deurs de mon propre « moi »,… elle était aus­si le fruit des efforts de mon esprit cher­chant une réponse aux mys­tères de l’homme et du monde ». (« N’ayez pas peur ! », dia­logue avec Jean-​Paul II, par André Frossard).
– « La voie de l’Église, c’est l’homme » (Redemptor hominis).
– « Tous les hommes depuis le début jusqu’à la fin du monde ont été, par le Christ, par sa Croix, rache­tés et jus­ti­fiés » (Segno di contra­di­zione, medi­ta­zio­ni, Milan, 1977).

b) Ces mêmes prin­cipes, expres­sé­ment condam­nés par les papes, les plus proches col­la­bo­ra­teurs du Pape les par­tagent, l’un davan­tage, l’autre moins. Découvrons la concep­tion que se fait de la foi le car­di­nal Ratzinger dans son livre Foi chré­tienne hier et aujourd’hui (Mame, 1969, p. 12) : « Le croyant comme l’incroyant, cha­cun à sa manière, connaî­tra le doute et la foi, s’ils ne cherchent pas à se faire illu­sion à eux-​mêmes et à se dis­si­mu­ler la véri­té de leur être. Personne ne peut échap­per entiè­re­ment à la foi ; chez l’un la foi sera pré­sente contre le doute, chez l’autre grâce au doute et sous la forme du doute ».

Jetons aus­si un regard sur le théo­lo­gien Hans Urs von Balthasar, hono­ré du nom de théo­lo­gien et nom­mé car­di­nal : dans un de ses trai­tés, extra­or­di­nai­re­ment abs­cons, paru récem­ment en alle­mand, on remarque com­bien son idée de Dieu est fausse, sa concep­tion de l’Homme-Dieu contes­table, et com­ment sa doc­trine sur l’Eglise, la Rédemption, le salut éter­nel contre­dit toute la tradition.

Cela doit-​il nous éton­ner ? Les « Pères » d’aujourd’hui, ceux qui sont actuel­le­ment des per­son­na­li­tés de poids dans l’Église, ce ne sont pas saint Augustin, saint Thomas ou saint Bonaventure, mais Hegel, Heidegger, Scheler, Karl Rahner et Teilhard de Chardin. Voyez alors quelles vues toutes per­son­nelles, phi­lo­so­phiques et théo­lo­giques, ces auto­ri­tés pré­sentent comme la voix de l’Eglise et comme un déve­lop­pe­ment homo­gène de la tradition !

c) Cette deuxième « occu­pa­tion » est coif­fée par une troi­sième : la conju­ra­tion consciente et déter­mi­née des forces de la gnose, de la théo­so­phie, de l’ésotérisme, menée par les illu­mi­nés et les francs-​maçons et alliée à une infil­tra­tion mar­xiste. Le mou­ve­ment sata­nique New-​Age et la théo­lo­gie de la libé­ra­tion sont leurs derniers-​nés. « Dieu est vert », tel est le titre signi­fi­ca­tif de la bro­chure qui accom­pagne le calen­drier New Age de Carême éco­lo­gique, publié par les évêques suisses ! On y lit plus loin : « Nous tous, fils et filles de Hirwa (divi­ni­té suprême de la tri­bu des Warali), du Dieu vert, et de Bhomi, notre mère com­mune, la terre, nous for­mons ensemble le grand foyer de la foi »…

Mais, direz-​vous, les der­nières nomi­na­tions d’évêques en Autriche, à Coire (Suisse) et à Cologne ne montrent-​elles pas une orien­ta­tion en sens contraire ? Ne sont-​elles pas le signe d’une gué­ri­son pro­gres­sive ? – Erreur ! Il s’agit de la nor­ma­li­sa­tion de la révo­lu­tion conci­liaire et post-​conciliaire : avec des mesures dis­ci­pli­naires et des muta­tions de per­sonnes, on pré­tend com­pen­ser le défi­cit doc­tri­nal. La foi en le Kyrios, Roi des siècles, Dieu immor­tel et invi­sible (I Tim, 1,17) a été mise de côté, tout comme on a reti­ré le taber­nacle du centre des églises ; et main­te­nant les évêques conser­va­teurs ne sont plus conser­va­teurs que de bâti­ments vides… Ces nou­velles nomi­na­tions s’effectuent toutes selon le même prin­cipe : on cherche des hommes pieux, por­tant encore l’habit sacer­do­tal, sur­tout per­son­nel­le­ment dévoués au Pape, ne com­bat­tant à aucun prix le Concile ; sans oublier une condi­tion indis­pen­sable, dirait-​on, l’antagonisme vis-​à-​vis de Mgr Lefebvre et de la Fraternité. Demain ils scel­le­ront une funeste alliance avec Dom Gérard et la Fraternité Saint-​Pierre. L’un de ces hommes, le car­di­nal Groer, arche­vêque de Vienne vient de dévoi­ler son jeu : « Rome, dit-​il, dési­re­rait pour­suivre l’orientation, jugée libé­rale et huma­niste, de l’Eglise, et aurait inté­rêt à une Autriche libérale » !

Comment donc vont se déve­lop­per les choses ? Nous devons nous faire à l’idée d’un com­bat de longue haleine, à une rude confron­ta­tion avec l’impiété moder­niste et les forces des­truc­trices de la socié­té. D’autre part, l’apostasie interne va s’accélérer, même si des demi-​mesures res­tau­ra­trices retiennent l’écroulement exté­rieur déjà visible : à Amsterdam, 14 églises viennent d’être ven­dues, à Détroit 35 ont été fermées !

Il nous faut mener ce com­bat sur tous les fronts : foi, phi­lo­so­phie et théo­lo­gie, doc­trine sociale, renou­veau inté­rieur des ins­ti­tu­tions fon­dées pour le salut dans le Sang de Jésus-​Christ : mariage et famille, sémi­naires et monas­tères ; res­tau­ra­tion aus­si des struc­tures catho­liques de la socié­té, autant qu’il est en notre pou­voir. Nous sommes au temps des labours et des semailles. Avec notre sueur, nos larmes et si Dieu veut notre sang, nous semons la semence, afin qu’une géné­ra­tion future récolte une riche mois­son dans les gre­niers divins. Encore un mot : qui se dis­pose à lut­ter long­temps, peut-​être toute sa vie, et per­sé­vère avec Marie sous la Croix du Christ, celui-​là seul ne suc­com­be­ra pas aux mille séduc­tions des fausses ten­ta­tives restauratrices.

« Seigneur mon Dieu, je crois en vous, Père, Fils et Saint Esprit. Vous ma seule espé­rance, exaucez-​moi, afin que, fati­gué, je ne laisse pas de vous cher­cher, mais qu’ardemment je cherche sans relâche votre face » (saint Augustin).

En ce pre­mier dimanche de Carême, 12 février 1989

Abbé Franz Schmidberger

Supérieur Général