Chers Amis et Bienfaiteurs,
etons ensemble un regard en arrière sur les mois écoulés depuis l’événement historique du 30 juin, les sacres épiscopaux d’Ecône, pour tourner ensuite les yeux vers l’avenir.
Comme vous le savez sûrement, nous avons eu à subir, dans la mesure qui était à prévoir, quelques défections parmi les prêtres et les séminaristes ; en revanche les Frères et les Sœurs sont demeurés fidèles sans exception.
La rupture, par les bénédictins et bénédictines du Barroux, du front commun qui nous unissait dans le combat, nous a très douloureusement frappés. Dieu merci, le jeune monastère du Brésil, lui, n’a pas franchi ce pas funeste, mais demeure dans la famille de la tradition.
Depuis la fulmination romaine, le nombre des fidèles fréquentant nos chapelles a significativement augmenté d’environ 10 % dans le monde entier. De même l’intérêt des jeunes pour la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X s’est notablement accru ; nous attendons en mars un bon chiffre d’entrées dans nos séminaires d’Argentine et d’Australie. En outre, la divine Providence vient de nous faire acquérir en Australie la propriété extrêmement avantageuse d’un grand bâtiment pour le séminaire de la Sainte-Croix : une ancienne école d’agriculture située seulement à environ deux heures de route à l’Ouest de Sydney. Voilà trouvé pour nos séminaristes un nid durable.
Ailleurs aussi, nous nous étendons : à Calgary (Canada de l’Ouest), nous avons pu acheter une église et à Ottawa, la capitale, prendre en mains une communauté portugaise. Aux Etats-Unis, nous avons enfin récupéré, après une longue attente, deux églises restituées par nos anciens confrères. A Mexico, la construction de la chapelle est terminée et l’édifice est plein le dimanche. Au Gabon, 450 enfants sont catéchisés et environ 1.600 fidèles ont participé à la sainte Messe à Noël. En Inde, nos Pères emménageront sous peu au prieuré nouvellement construit. En France, plusieurs écoles ont dû augmenter leur capacité.
Cependant la triple occupation étrangère de l’Eglise se poursuit :
a) L’occupation du Pape lui-même : il est prisonnier de la philosophie moderne et de la théologie moderniste, caractérisées par la phénoménologie, l’existentialisme et le subjectivisme, qui remplacent par la personne humaine l’ordre objectif de l’être et des fins ; caractérisées aussi par une notion plus qu’ambiguë de la foi et une vue erronée de l’Église conçue comme moteur d’un monde en progrès, plus humain et plus libéral ; enfin par une conception naturaliste de la Rédemption :
– « ma foi… n’avait rien à voir avec un quelconque conformisme,… elle était née dans les profondeurs de mon propre « moi »,… elle était aussi le fruit des efforts de mon esprit cherchant une réponse aux mystères de l’homme et du monde ». (« N’ayez pas peur ! », dialogue avec Jean-Paul II, par André Frossard).
– « La voie de l’Église, c’est l’homme » (Redemptor hominis).
– « Tous les hommes depuis le début jusqu’à la fin du monde ont été, par le Christ, par sa Croix, rachetés et justifiés » (Segno di contradizione, meditazioni, Milan, 1977).
b) Ces mêmes principes, expressément condamnés par les papes, les plus proches collaborateurs du Pape les partagent, l’un davantage, l’autre moins. Découvrons la conception que se fait de la foi le cardinal Ratzinger dans son livre Foi chrétienne hier et aujourd’hui (Mame, 1969, p. 12) : « Le croyant comme l’incroyant, chacun à sa manière, connaîtra le doute et la foi, s’ils ne cherchent pas à se faire illusion à eux-mêmes et à se dissimuler la vérité de leur être. Personne ne peut échapper entièrement à la foi ; chez l’un la foi sera présente contre le doute, chez l’autre grâce au doute et sous la forme du doute ».
Jetons aussi un regard sur le théologien Hans Urs von Balthasar, honoré du nom de théologien et nommé cardinal : dans un de ses traités, extraordinairement abscons, paru récemment en allemand, on remarque combien son idée de Dieu est fausse, sa conception de l’Homme-Dieu contestable, et comment sa doctrine sur l’Eglise, la Rédemption, le salut éternel contredit toute la tradition.
Cela doit-il nous étonner ? Les « Pères » d’aujourd’hui, ceux qui sont actuellement des personnalités de poids dans l’Église, ce ne sont pas saint Augustin, saint Thomas ou saint Bonaventure, mais Hegel, Heidegger, Scheler, Karl Rahner et Teilhard de Chardin. Voyez alors quelles vues toutes personnelles, philosophiques et théologiques, ces autorités présentent comme la voix de l’Eglise et comme un développement homogène de la tradition !
c) Cette deuxième « occupation » est coiffée par une troisième : la conjuration consciente et déterminée des forces de la gnose, de la théosophie, de l’ésotérisme, menée par les illuminés et les francs-maçons et alliée à une infiltration marxiste. Le mouvement satanique New-Age et la théologie de la libération sont leurs derniers-nés. « Dieu est vert », tel est le titre significatif de la brochure qui accompagne le calendrier New Age de Carême écologique, publié par les évêques suisses ! On y lit plus loin : « Nous tous, fils et filles de Hirwa (divinité suprême de la tribu des Warali), du Dieu vert, et de Bhomi, notre mère commune, la terre, nous formons ensemble le grand foyer de la foi »…
Mais, direz-vous, les dernières nominations d’évêques en Autriche, à Coire (Suisse) et à Cologne ne montrent-elles pas une orientation en sens contraire ? Ne sont-elles pas le signe d’une guérison progressive ? – Erreur ! Il s’agit de la normalisation de la révolution conciliaire et post-conciliaire : avec des mesures disciplinaires et des mutations de personnes, on prétend compenser le déficit doctrinal. La foi en le Kyrios, Roi des siècles, Dieu immortel et invisible (I Tim, 1,17) a été mise de côté, tout comme on a retiré le tabernacle du centre des églises ; et maintenant les évêques conservateurs ne sont plus conservateurs que de bâtiments vides… Ces nouvelles nominations s’effectuent toutes selon le même principe : on cherche des hommes pieux, portant encore l’habit sacerdotal, surtout personnellement dévoués au Pape, ne combattant à aucun prix le Concile ; sans oublier une condition indispensable, dirait-on, l’antagonisme vis-à-vis de Mgr Lefebvre et de la Fraternité. Demain ils scelleront une funeste alliance avec Dom Gérard et la Fraternité Saint-Pierre. L’un de ces hommes, le cardinal Groer, archevêque de Vienne vient de dévoiler son jeu : « Rome, dit-il, désirerait poursuivre l’orientation, jugée libérale et humaniste, de l’Eglise, et aurait intérêt à une Autriche libérale » !
Comment donc vont se développer les choses ? Nous devons nous faire à l’idée d’un combat de longue haleine, à une rude confrontation avec l’impiété moderniste et les forces destructrices de la société. D’autre part, l’apostasie interne va s’accélérer, même si des demi-mesures restauratrices retiennent l’écroulement extérieur déjà visible : à Amsterdam, 14 églises viennent d’être vendues, à Détroit 35 ont été fermées !
Il nous faut mener ce combat sur tous les fronts : foi, philosophie et théologie, doctrine sociale, renouveau intérieur des institutions fondées pour le salut dans le Sang de Jésus-Christ : mariage et famille, séminaires et monastères ; restauration aussi des structures catholiques de la société, autant qu’il est en notre pouvoir. Nous sommes au temps des labours et des semailles. Avec notre sueur, nos larmes et si Dieu veut notre sang, nous semons la semence, afin qu’une génération future récolte une riche moisson dans les greniers divins. Encore un mot : qui se dispose à lutter longtemps, peut-être toute sa vie, et persévère avec Marie sous la Croix du Christ, celui-là seul ne succombera pas aux mille séductions des fausses tentatives restauratrices.
« Seigneur mon Dieu, je crois en vous, Père, Fils et Saint Esprit. Vous ma seule espérance, exaucez-moi, afin que, fatigué, je ne laisse pas de vous chercher, mais qu’ardemment je cherche sans relâche votre face » (saint Augustin).
En ce premier dimanche de Carême, 12 février 1989
Abbé Franz Schmidberger
Supérieur Général