Faux débats, vrais renégats

En tous ces débats de socié­té dont il est si friand, le fran­çais n’a plus qu’un mot à la bouche : laï­ci­té. De l’é­cole à l’Europe, il a fait de la laï­ci­té le paran­gon de la ver­tu sociale. De la future Constitution euro­péenne au port du tcha­dor – rebap­ti­sé voile afin de ne pas heur­ter les oreilles iden­ti­taires -, qu’on soit pour ou contre, contre ou pour, c’est à elle que l’on revient tou­jours : la laïcité.

Fonctions épis­co­pales obligent, le haut cler­gé n’est pas absent d’un tel tin­ta­marre. Sait-​il y don­ner la juste note ? C’est à en dou­ter. Prenons l’exemple de la future Constitution euro­péenne. Il n’est pas une semaine sans que le Pape ne réclame qu’on men­tionne en son Préambule l’hé­ri­tage chré­tien du vieux conti­nent. Cette per­ti­na­ci­té contre vents et marées, cette déter­mi­na­tion contre le laïque Chirac après l’a­thée Jospin, voi­là qui attire inévi­ta­ble­ment notre sympathie.

Mais, en matière de laï­ci­té, est-​ce là le véri­table pro­blème que pose la Constitution ? Je ne le crois pas. Est-​il en effet impé­ra­tif que toute Constitution poli­tique débute par un petit trai­té d’his­toire, parce que cette his­toire est chré­tienne On com­prend aisé­ment les argu­ments de ceux qui ne veulent pas enfer­mer en quelques lignes la longue épo­pée du « vieux » conti­nent, un tel résu­mé ne pou­vant qu’être réduc­teur de la com­plexi­té his­to­rique. On réa­lise sur­tout que ce débat est sans grande impor­tance, car il ne touche pas le cœur de la future Constitution. De celle-​ci, le Pape parle bien peu. C’est pour­tant elle qui est essen­tiel­le­ment et dra­ma­ti­que­ment laïque. C’est là son ossa­ture même. Si elle recon­naît par exemple un “droit » là l’ho­mo­sexua­li­té, c’est parce qu’elle a pour prin­cipes l’au­to­no­mie des consciences et l’é­ga­li­té des droits dans la socié­té : elle est laïque. Les hommes d’é­glise ne peuvent que demeu­rer muet en ces domaines : ils, ont fait leur une telle laï­ci­té, qui est le consti­tu­tif même de la liber­té reli­gieuse par eux pro­mue. Un faux débat – la place de l’his­toire dans une Constitution – aurait-​il pour but de cacher un vrai renie­ment, celui de la trans­cen­dance de la loi divine sur la loi humaine, fût-​elle politique ?

La polé­mique concer­nant le voile isla­mique n’est guère plus glo­rieuse. Si les uns veulent inter­dire le port de tout signe osten­ta­toire dans les édi­fices publics – devrais-​je reti­rer la sou­tane pour aller à la Mairie ? -, si les autres entendent lais­ser libre court à l’ap­pa­ri­tion d’un islam social, c’est parce que tous sont laïques : tous prônent l’au­to­no­mie des consciences et l’é­ga­li­té des droits au sein de la socié­té. Arrêtons-​nous à la posi­tion des évêques fran­çais. Ils ne veulent pas de loi sur le voile. Ils ne veulent pas d’une contrainte entra­vant la libre expres­sion de cha­cun. Ce dont ils rêvent, c’est d’un « vivre ensemble » où, dans la plu­ra­li­té des reli­gions et des com­por­te­ments, cha­cun res­pecte l’au­to­no­mie des consciences et l’é­ga­li­té des droits de cha­cun. En un mot, ils rêvent de laïcité.

Ils en rêvent. Il faut aller plus loin : la laï­ci­té est leur nou­velle reli­gion. Devenue le dogme fon­da­men­tal de l’en­sei­gne­ment conci­liaire sous le nom per­fide de liber­té reli­gieuse, elle est éga­le­ment la pre­mière pré­ten­tion de nos socié­tés modernes en révolte contre tout ordre trans­cen­dant. Cette reli­gion, un Concile n’a pas suf­fi à nous l’im­po­ser. En viendra-​t-​on à la bru­ta­li­té de la loi civile ? Il se peut. C’est du moins la pré­ten­tion de cer­tains pro­jets de loi qui cir­culent en ce moment (pro­jet Charasse) : non seule­ment inter­dire les signes osten­ta­toires, mais favo­ri­ser une meilleure « inté­gra­tion » dans la « culture » [sic !] fran­çaise, en obli­geant chaque citoyen, sous peine de sanc­tions lourdes, à la pro­fes­sion de foi laïque. M. Charasse pré­voit ain­si un « bap­tême » obli­ga­toire, au cours duquel l’of­fi­cier d’é­tat civil remet­trait une décla­ra­tion des droits de l’homme au nouveau-​né ou à l’ar­ri­vant ; enter­re­ment du même type, etc..
La laï­ci­té sera-​t-​elle donc le nou­veau dieu récla­mant de cha­cun quelques grains d’en­cens pour accé­der au droit de cité ? Il n’est plus très loin, le temps de la bar­ba­rie sau­vage où les Césars déca­dents se fai­saient adorer…

Patrick de LA ROCQUE †

Source : La Croix de Saint-​Gilles n° 14

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.