D’un point de vue moral, nous avons besoin de la volonté pour nous défendre contre le mal.
Que nous le voulions ou non, la vie est un combat et le champ de bataille c’est d’abord nous-même. Qui n’a reconnu qu’en lui il y avait deux personnages, ce qui faisait dire à saint Paul :
« Je fais le mal que je hais ; je ne fais pas le bien que je voudrais. »
Toute la question est de savoir qui des deux l’emportera. C’est une lutte, tantôt secrète, tantôt violente. La victoire n’est possible qu’à celui qui, avec la grâce du Seigneur, a une volonté solide. Il est normal que, sur la terre, nous soyons tentés, mais il dépend de nous que la tentation, au lieu d’être une occasion de chute, devienne une occasion de victoire, et il faut avoir en réserve une certaine dose de volonté pour couper court, dès le début, à une sollicitation mauvaise et nous interdire une imagination dangereuse. Nous avons besoin de la volonté pour maintenir notre moral très haut, au milieu des difficultés de la vie.
Celui qui a laissé tomber très bas le niveau de son énergie est cruellement tourmenté par les innombrables petits ennuis dont la vie est faite, et qu’un homme à la volonté forte supporte sans même s’en apercevoir.
Pour l’homme de volonté, les difficultés ne sont pas des barrières qui l’arrêtent, mais des tremplins qui l’amènent à se surpasser, en lui donnant l’occasion de les surmonter. Tout pour lui devient un motif de progrès moral. D’ailleurs, à force de faire des actes de volonté, on aboutit à une maîtrise de soi, de ses nerfs, de son imagination, de son cœur, qui facilite grandement le calme, la paix et la sérénité.
En cas de coup dur, on est plus à même de garder son sangfroid et de mettre en œuvre toutes les ressources de son intelligence et de son cœur. L’homme volontaire a su se créer un certain nombre d’habitudes qui sont devenues pour lui comme une seconde nature, et qui lui permettent d’obtenir de meilleurs résultats avec un minimum d’efforts. Nous avons besoin de la volonté pour devenir une personnalité forte et donner à notre vie son maximum de rendement.
Au fond, ce qui fait la forte personnalité, c’est, plus encore que les dons brillants de l’esprit et du cœur, plus encore que la force physique ou la culture intellectuelle, la trempe du caractère, qui fait dire d’un homme : Voilà quelqu’un qui compte, avec qui l’on compte, sur qui l’on peut compter.
Au point de vue professionnel, devenir une valeur dans la profession où l’on s’est engagé est une nécessité si l’on ne veut pas croupir dans la médiocrité. D’ailleurs, on ne s’intéresse vraiment à son travail que dans la mesure où on le domine. L’estime des chefs, d’une part, et l’efficacité de notre activité, d’autre part, résultent en général de deux éléments : – notre compétence technique. – notre caractère.
Or, pour l’un comme pour l’autre, il faut avoir beaucoup de volonté. Au point de vue social, dans tous les milieux, à tous les degrés de l’échelle sociale, c’est la même plainte : on manque de caractères, on manque de chefs. Pourquoi ? Parce que la plupart des hommes manquent de volonté. On a besoin de chefs qui sachent prendre des responsabilités et qui, dans l’intérêt général, sachent faire accepter et aboutir les plans qu’ils ont conçus. Il faut pour cela des âmes trempées qui ne se laissent pas arrêter par le premier contre-temps, la première contradiction ou le premier choc.
Si nous manquons de chefs, cela vient en partie de ce que l’éducation donnée dans les diverses branches de l’enseignement a eu pour but bien plus le succès aux examens que la formation de personnalités énergiques, animées du désir de l’action, assoiffées de responsabilités au service d’une belle cause. Nous devons bannir les règles suprêmes de vie – et d’inaction – de ceux qui détiennent une parcelle d’autorité avec des formules négatives : « pas de zèle », « pas d’histoires », « se couvrir ».
Plus que jamais, à l’heure actuelle, nous avons besoin de meneurs qui, animés d’un haut idéal, puissent exercer autour d’eux une influence heureuse et salutaire. Ce sont les meneurs à l’esprit lucide, à la volonté forte, qui mènent le monde. Sur un plan plus modeste, on peut dire qu’il y a certainement dans notre entourage des âmes à la volonté chancelante qui ont besoin d’appuyer leur volonté sur la nôtre.
Le réconfort, le progrès moral de telle ou telle dépendent de nous d’une certaine manière. Le Seigneur l’a voulu ainsi. Nous sommes interdépendants les uns des autres.
Quelle responsabilité pour nous et quelle déception pour ces âmes si, par notre faute, au lieu de leur être un appui solide, nous ne pouvons leur offrir qu’un roseau sans force, tout prêt à s’affaisser à la moindre pression ! Au point de vue familial, une volonté forte et souple est un gage de bonheur pour un foyer.
Pour les époux, la bonne entente conjugale suppose de la part de chacun des deux époux une maîtrise d’eux-mêmes assez forte pour aller, s’il le faut, jusqu’à « l’oubli de soi », pour le bonheur et le bien de l’être aimé. Là où il n’y a pas la maîtrise de soi, ce sont les instincts qui sont maîtres. Là où les instincts sont maîtres, c’est l’égoïsme qui règne. Là où règne l’égoïsme, il n’y a pas de véritable amour. La bonne entente conjugale suppose également des efforts pour se comprendre, se supporter mutuellement, efforts qui sont impossibles sans un minimum de volonté.
Enfin, l’ordre dans la maison, l’agrément de l’intérieur, la fidélité constante à ces mille petits détails qui font l’attrait de la vie du foyer, cette vie simple aux travaux ennuyeux et faciles, œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour, tout cela suppose, surtout de la part de l’épouse, des qualités de courage détaillées par la belle page de l’Écriture sur « la femme forte » [1].
Pour l’éducation des enfants, une volonté ferme et aimante est une des premières qualités de l’éducateur, car l’éducation est, en même temps qu’une œuvre d’amour, une œuvre de patience, donc de volonté. De plus, l’autorité de celui qui commande est d’autant plus forte que celui qui commande est plus maître de lui, sait bien ce qu’il veut et le veut plus fortement.
Rien n’ébranle en effet l’autorité comme l’hésitation, le doute, l’incertitude, la multiplicité des ordres et des contre-ordres.
Rien de plus contraire à l’éducation que l’énervement, le manque de calme, la répétition des observations à tort et à travers, à propos de tout et de rien.
Rien de plus contraire à l’œuvre éducative que ces capitulations lamentables devant les caprices de l’enfant, sous prétexte de ne pas le faire pleurer ou… « pour avoir la paix ».
Il faut que, tout petit, l’enfant sente que ni ses cris, ni ses pleurs, ne feront céder ses parents quand ceux-ci commandent une chose juste. Il faut que, devenu grand, l’enfant ait appris à se commander à lui-même.
En résumé, une volonté ferme et énergique procure des avantages tels, pour soi et pour les autres, qu’on ne peut raisonnablement se dispenser de l’acquérir, à n’importe quel prix.
Dans l’Évangile, Notre Seigneur marque bien, en termes rudes, le désir qu’Il a de trouver chez ses disciples des âmes vaillantes et énergiques :
« Le royaume des cieux souffre violence et ce sont les dynamiques qui le ravissent. »[2]
Abbé Axel Heuzé†